E. DONNER UNE NOUVELLE IMPULSION À LA POLITIQUE EN FAVEUR DES HARKIS ET DES RAPATRIÉS

Depuis la fin des années 1950 et l'engagement du processus d'indépendance des territoires placés sous la souveraineté ou le protectorat de la France (Indochine, Maroc, Tunisie, Algérie, etc.), l'État a développé une politique de soutien et d'indemnisation en faveur des Français ayant dû les quitter pour se réinstaller dans l'hexagone . Il conduit également une politique de reconnaissance , d'indemnisation et d'aide à l'insertion en faveur des anciens membres des formations supplétives ayant servi auprès de l'armée française durant la guerre d'Algérie et de leurs ayants droit.

Le processus de modernisation de l'action publique (MAP) 62 ( * ) a conduit à une profonde réforme du pilotage et de l'exécution de ces politiques , dont le cadre était inchangé depuis leur création. Sur un plan budgétaire, les crédits les finançant ont été rattachés au programme 169 dans le cadre du PLF pour 2014, traduisant la compétence confiée au secrétaire d'État auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants et de la mémoire sur ce sujet, alors qu'ils figuraient auparavant au sein du programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Egalité des territoires, logement et ville » 63 ( * ) .

Sur un plan opérationnel, la gestion de l'ensemble des dispositifs en faveur des rapatriés et des harkis a été confiée à l'Onac au 1 er janvier 2015. La mission interministérielle aux rapatriés (MIR) et l'agence nationale pour l'indemnisation des Français d'outre-mer ont été supprimées, tandis que le service central des rapatriés (SCR), qui dépend du ministère de l'intérieur, apporte son concours à l'Onac dans le cadre défini par une convention de partenariat, notamment pour l'instruction des demandes de prestations servies aux harkis et à leurs familles. A partir du 1 er janvier 2018, le SCR sera intégré à l'Onac et deviendra l'un de ses pôles spécialisés.

D'un montant de 17,27 millions d'euros pour 2017, les crédits de l'action n° 7 du programme 169, qui financent les politiques de l'État en faveur des harkis et des rapatriés, sont en baisse de 1,3 % par rapport à 2016 (17,5 millions d'euros).

Le principal poste de dépense de cette action est l'allocation de reconnaissance , instituée par la loi de finances rectificative pour 1999 64 ( * ) et réformée par l'article 6 de la loi du 23 février 2005 65 ( * ) afin que l'État s'acquitte enfin de sa dette envers ceux qui avaient choisi de le servir en Algérie et qui, au moment du désengagement de la France, n'en furent aucunement récompensés . Elle peut prendre trois formes :

- le versement d'un capital de 30 000 euros ;

- le versement d'un capital de 20 000 euros et d'une rente annuelle de 2 327 euros 66 ( * ) ;

- le versement d'une rente annuelle de 3 423 euros 67 ( * ) .

L'article 86 de la loi de finances pour 2015 68 ( * ) avait revalorisé le montant de chacune des rentes de 167 euros par an , ce qui a représenté une hausse dans le premier cas de 7,7 % et dans le second de 5,1 %. L'article 54 du présent projet de loi de finances procède à nouvelle augmentation de 100 euros au 1 er janvier 2017, soit une augmentation, respectivement, de 4,3 % et 2,9 % .

La forclusion des demandes de bénéfice de l'allocation de reconnaissance au 19 décembre 2014 a été prononcée par la loi du 18 décembre 2013 69 ( * ) . Il s'est toutefois avéré, depuis cette date, que plusieurs conjoints survivants de harkis n'avaient pu en bénéficier en raison du décès de ceux-ci après la forclusion. En conséquence, la loi de finances pour 2016 70 ( * ) a institué en leur faveur une allocation viagère , d'un montant équivalent à celui de l'allocation de reconnaissance (3 423 euros par an), qui est accordée aux personnes qui résident en France, ne se sont pas remariées et en font la demande dans un délai d'un an à compter du décès de leur mari. Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, 39 personnes en ont bénéficié au premier semestre 2016, pour un nombre total en année pleine estimé à 200 . Sa mise en oeuvre a été l'occasion de modifier la périodicité du versement de l'allocation de reconnaissance : auparavant trimestrielle , elle est désormais mensuelle , en application d'un décret du 24 février 2016 71 ( * ) .

L'allocation de reconnaissance et, accessoirement, cette allocation viagère destinée aux conjoints survivants des anciens supplétifs représentent une dépense de 15,07 millions d'euros en 2017, en baisse de 1,5 % par rapport à 2016, malgré la revalorisation prévue à l'article 54 du présent texte, pour 5 700 bénéficiaires , soit 98 de moins que l'année précédente (- 1,7 %). Cela représente 87 % de l'ensemble des crédits en faveur des harkis et des rapatriés, les autres dispositifs bénéficiant de 2,2 millions d'euros .

En effet, les harkis et leurs familles ainsi que les rapatriés bénéficient de plusieurs autres dispositifs d' aide financière et sociale qui leur sont propres. Leur coût reste inchangé, à 1,96 million d'euros , tout comme le montant des subventions qui peuvent être accordées aux associations de harkis en application du décret du 17 septembre 2013 72 ( * ) , à 0,24 million d'euros .

Il convient par ailleurs de noter que, dans une décision du 30 décembre 2015 73 ( * ) , le Conseil d'État a jugé que les aides à la formation professionnelle mises en place en faveur des enfants de harkis par le décret du 17 septembre 2013 précité, notamment destinées à obtenir un permis poids lourd, super lourd, transport en commun, transport de produits dangereux ou une licence de cariste ou à financer des formations qualifiantes, étaient illégales . Il a estimé qu'elles portaient atteinte au principe d'égalité , la différence de traitement ainsi instituée au profit des enfants de harkis n'étant pas en lien avec l'objet même de cette mesure, c'est-à-dire « compenser des difficultés particulières d'accès au marché du travail ». En 2015, 281 demandes avaient été instruites par le SCR et 185 actions de formation financées dans le cadre de ce dispositif, pour un coût de 220 000 euros .

Evolution des dépenses liées aux prestations en faveur des harkis et des rapatriés

(en millions d'euros)

2009

2014

2015

2016

2017

Evolution 2017/2009

Allocation de reconnaissance

26,9

16,2

15

15,3

15,07

- 44 %

Désendettement des rapatriés installés

7,2

0,45

0,6

0,6

0,6

- 91,7 %

Compléments de bourses scolaires et universitaires

0,44

0,27

0,3

0,3

0,3

- 31,9 %

Aides à la formation professionnelle

0,86

0,1

0,16

0,16

0,16

- 81,4 %

Aide spécifique au conjoint survivant

0,39

0,2

0,3

0,3

0,3

- 23,1 %

Sauvegarde du toit familial

0,57

0,11

0,2

0,2

0,2

- 64,9 %

Cotisations de retraite complémentaire 74 ( * )

0,4

0,4

0,4

0,4

0,4

/

Total

36,76

17,73

16,96

17,26

17,03

- 53,7 % 74

Dues aux anciens salariés du service des eaux d'Oran et des manufactures de tabac en Algérie en application de l'article 7 de la loi n° 63-1293 du 21 décembre 1963 de finances rectificative pour 1963.

Source : Projets annuels de performances de la mission annexés aux PLF

A périmètre identique , les politiques publiques de soutien aux harkis ont connu une forte baisse de leurs moyens au cours des années 2010. Cela s'explique évidemment par la diminution des populations concernées, mais semble également traduire un certain désengagement de l'État à leur endroit. Les descendants de harkis, sur plusieurs générations, rencontrent encore de très importantes difficultés d'insertion , et pourtant le financement des compléments de bourses scolaires et universitaires et des aides à la formation professionnelle qui leur sont destinés a reculé de 31,9 % et de 81,4 % depuis 2009. Il appartient à l'État d'agir et d'honorer la dette de la France envers eux.

A l'occasion de la journée nationale d'hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives, le Président de la République a, le 25 septembre 2016, renouveler la reconnaissance des « responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d'accueil inhumaines de ceux transférés en France ». Ce geste symbolique tardif mais attendu ne vient pas pour autant corriger toutes les lacunes de la politique du Gouvernement en faveur de cette population.

Ces dernières années, elle a principalement consisté en la mise en oeuvre d'un plan d'action annoncé par le Premier ministre le 25 septembre 2014, construit autour de dix mesures de portée inégale traitant de la reconnaissance et de la réparation.

En matière de reconnaissance , il s'agissait de :

- faire connaître l'histoire des harkis ;

- recueillir leurs témoignages oraux ;

- créer un nouveau lieu de mémoire à Paris ;

- transformer les anciens hameaux de forestage en lieux de mémoire ;

- identifier les lieux d'inhumation des harkis dans les camps où ils étaient regroupés.

Le volet réparation prévoyait :

- la création de comités régionaux de concertation auprès des préfets regroupant les associations de harkis ;

- améliorer l'information sur le droit au logement ;

- promouvoir le dispositif des emplois réservés dans la fonction publique ;

- revaloriser l'allocation de reconnaissance ;

- aider au rachat de trimestres de cotisations retraite pour les enfants de harkis ayant séjourné dans des camps entre 16 et 21 ans.

Seules ces deux dernières mesures nécessitaient l'intervention du législateur, la première dans le cadre de la loi de finances pour 2015 précitée, la seconde par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 74 ( * ) . Pour celle-ci, l'État apporte une aide forfaitaire de 2 000 euros par trimestre racheté 75 ( * ) , soit environ 60 % de son coût moyen, dans la limite de quatre trimestres. Toutefois, le manque de publicité autour de cette mesure, dont le coût total était initialement estimé à 1,8 million d'euros , en a jusqu'à présent limité la portée, puisque seulement 30 dossiers ont été soumis en 2015 à la caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav).

Il convient dès lors d'insuffler une nouvelle dynamique dans la politique de l'État en faveur des harkis et de leurs ayants droit .

Ainsi les emplois réservés , qui constituent une « obligation nationale » selon l'article L. 393 du CPMIVG 76 ( * ) et dont le champ s'étend aux trois fonctions publiques, sont ouverts sans condition d'âge aux enfants de harkis 77 ( * ) . Il s'avère pourtant que ce dispositif, s'il donne lieu à quelques recrutements dans la fonction publique d'État, est ignoré par les employeurs territoriaux et hospitaliers.

Selon les informations communiquées à votre rapporteur pour avis, plus de 1 200 enfants de harkis seraient aujourd'hui inscrits sur des listes d'aptitude à ces postes , sans être embauchés. Si des difficultés persistent de leur côté, notamment en matière de qualification et de mobilité géographique , il appartient aux pouvoirs publics de garantir l'effectivité de ce droit essentiel pour l'insertion professionnelle et sociale de ses bénéficiaires.

Enfin, il est nécessaire de parachever la reconnaissance de la Nation envers l'ensemble des anciens supplétifs en tenant compte de la situation spécifique de ceux dont le statut civil , en Algérie, relevait du droit commun et non du droit local, comme c'est le cas de la très grande majorité d'entre eux. Des pieds noirs se sont en effet engagés dans des harkas ou d'autres formes d'unités supplétives. Ils sont toutefois traités différemment de leurs frères d'armes musulmans et, après de nombreuses péripéties juridiques (cf. supra ), se voient toujours refuser le bénéfice de l'allocation de reconnaissance. Votre rapporteur pour avis a reçu leurs représentants, et il estime que la République s'honorerait à reconnaître leur engagement et à réparer le sacrifice qu'ils ont consenti pour elle . Moins de 300 personnes seraient concernées, pour un enjeu financier purement symbolique.


* 62 Décision n° 11 du comité interministériel de modernisation de l'action publique (Cimap) du 17 juillet 2013.

* 63 Devenue depuis 2015 la mission « Egalité des territoires et logement ».

* 64 Loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999, art. 47.

* 65 Loi n° 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

* 66 En application de l'arrêté du 11 octobre 2016 fixant le montant de l'allocation de reconnaissance après indexation sur l'évolution annuelle des prix à la consommation des ménages (hors tabac) ; NOR : DEFM1628111A.

* 67 En application de l'arrêté du 11 octobre 2016 fixant le montant de l'allocation de reconnaissance après indexation sur l'évolution annuelle des prix à la consommation des ménages (hors tabac) ; NOR : DEFM1628111A.

* 68 Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

* 69 Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, art. 52.

* 70 Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, art. 133.

* 71 Décret n° 2016-188 du 24 février 2016 relatif aux modalités d'attribution de l'allocation prévue à l'article 133 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, art. 5.

* 72 Décret n° 2013-834 du 17 septembre 2013 instituant des mesures en faveur des membres des formations supplétives et assimilées ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles.

* 73 Conseil d'État, 30 décembre 2015, n° 373400.

* 74 Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015, art. 79.

* 75 Décret n° 2015-772 du 29 juin 2015 relatif au versement pour la retraite ouvert à certains enfants de harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés.

* 76 Art. L. 241-1 nouveau.

* 77 2° de l'art. L. 396 du CPMIVG (art. L. 241-4 nouveau).

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