C. LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE DIFFÉRENCIÉE

Au cours des dernières années, les armées ont dû adapter l'entraînement des forces, dans le cadre d'un niveau d'engagement opérationnel significatif et dans le respect de ressources financières, matérielles (dont les espaces d'entraînement) et humaines comptées. Le principe de différenciation des forces est fixé par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN) de 2013 et la Loi de programmation militaire 2014-2019. Ce concept de préparation opérationnelle différenciée, qui doit répondre aux contraintes ci-dessus exposées, repose sur la distinction entre la préparation à « la guerre » de manière générique et la préparation spécifique à « une guerre » correspondant à un théâtre d'opérations donné.

Ce concept est décliné par armée de façon adaptée à ses spécificités.

1. Organisation de l'armée de terre.

Dans l'armée de terre, la différenciation de la préparation opérationnelle (PO) porte sur le temps, sur l'espace et sur les ressources allouées afin de permettre aux unités d'atteindre le niveau de préparation opérationnelle escompté au bon moment (« juste besoin, juste à temps »). Elle doit permettre à l'armée de terre de tenir son contrat dans la durée à l'horizon 2019.

La PO est organisée en deux phases distinctes :

- la préparation opérationnelle métier (PO-M) qui vise à atteindre le stade opérationnel dit n°1 (SO 1). Elle est conduite de façon décentralisée (en garnison ou à proximité) sous la responsabilité du chef de corps et concerne l'ensemble de la FOT (soit 77 000 militaires à terme) ;

- la préparation opérationnelle interarmes (PO-IA) qui vise à atteindre le stade opérationnel dit n°2 (SO 2). Elle est conduite sous la responsabilité de la brigade, de la division puis du commandement des forces terrestres (CFT). Le contrat opérationnel n'ayant pas changé, elle concerne toujours 40 000 militaires chaque année en fonction des relèves.

a) Différenciation dans le temps

Les brigades sont toutes projetables, mais du fait de leur nature et de leur niveau de préparation, elles ne peuvent assurer l'ensemble des missions en même temps. Le cycle de préparation opérationnelle en cours de refonte par le CFT en fonction du format « Au contact », s'appuiera sur les deux divisions et s'étalera sur 2 ans. Il permettra l'engagement sur le territoire national et en projection extérieure.

b) La différenciation dans l'emploi des espaces d'entraînement.

Les espaces d'entraînement sont répartis en métropole en 3 niveaux bien différenciés :

? niveau 1 : les savoir-faire individuels ;

? niveau 2 : les savoir-faire métier ;

? niveau 3 : les savoir-faire interarmes voire interarmées et les MCF.

Le niveau d'équipement de ces espaces (installations de tir, d'aguerrissement, de simulation, infrastructures urbaines, etc.) diffère selon le niveau considéré. Ils sont complétés par les espaces d'entraînement outre-mer et à l'étranger afin d'aguerrir les unités dans des milieux spécifiques (désert, jungle, mangrove, etc.).

L'affectation de budgets activités, de parcs, de potentiels et de munitions prend en compte la priorité donnée à la mission programmée.

2. Organisation de la Marine.

La préparation opérationnelle des unités de la marine nationale s'appuie sur un socle constitué de stages spécifiques conduits par les spécialistes « entrainement » des autorités organiques et d'exercices réalisés de façon autonome par les unités sous la responsabilité du commandant. Dans un souci d'optimisation, les déploiements opérationnels sont également mis à profit pour entretenir et développer les savoir-faire de l'équipage par la réalisation quotidienne d'actions d'entraînement, selon ce que permet l'environnement opérationnel du moment. De la sorte, sur l'ensemble de l'année, les activités de préparation opérationnelle et les opérations proprement dites garantissent le maintien des compétences des équipages.

a) Forces de surface

Pour les forces de surface, le principe retenu pour la préparation opérationnelle consiste à :

? doter l'ensemble des unités d'un socle de savoir-faire communs correspondant aux missions génériques (par exemple, toutes les missions standard de surveillance, de maîtrise du milieu et de police) ;

? compléter ce socle en fonction des missions spécifiques des unités résultant de leurs capacités techniques intrinsèques, d'un entraînement différencié par bâtiment pour acquérir la « qualification opérationnelle » (par exemple, complément d'entraînement et qualification aux fonctions de direction de la lutte antiaérienne pour les frégates de défense aérienne) ;

? dispenser au cas par cas, pour des missions particulières, un entraînement adapté au théâtre d'opération (par exemple, stage de contrôle de navires suspects dans le cadre de la lutte contre la piraterie).

b) Aéronautique navale

Dans l'aéronautique navale, la variété des missions et la faible taille des équipages sont telles que ces derniers peuvent difficilement être totalement polyvalents. Leur entraînement est donc complété et adapté aux missions envisagées à court terme.

Dans le cas particulier de la composante chasse embarquée, la préparation opérationnelle est différenciée entre les pilotes en fonction de leur expérience, de la complexité des missions qui peuvent leur être assignées et de leur emploi sur un théâtre donné. À titre d'exemple, malgré le caractère omni-rôle du Rafale, un tiers seulement des pilotes est qualifié à l'appontage de nuit et la moitié est apte au tir d'armes à guidage laser ou à la mission nucléaire. Les compléments d'entraînement sont organisés en fonction des besoins opérationnels.

Ainsi, le temps de ralliement du porte-avions dans sa zone d'opérations est mis à profit pour optimiser le savoir-faire global du groupe aérien en fonction du théâtre d'opérations et de la mission à venir (complément sur le combat aérien pour l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne, complément pour la lutte antiaérienne coordonnée avec la force navale pour une mission au large d'un pays disposant de capacité d'assaut à la mer, etc.).

c) Forces sous-marines

Pour les forces sous-marines, le socle de qualification des équipages est indifférencié. En revanche, des mentions de qualification supérieure sont attribuées aux équipages partant pour une mission particulière (opérations côtières, lutte anti-sous-marine, opérations spéciales, etc.).

d) Fusiliers marins et commandos

Pour la force maritime des fusiliers marins et commandos, la préparation opérationnelle s'adosse aux principes suivants, qui s'appliquent, aussi bien pour les unités de fusiliers marins pour la réalisation de leurs missions défensives de protection, que pour les unités commandos marine dans la perspective de leurs prochains engagements opérationnels :

? doter l'ensemble des unités de fusiliers marins ou de commandos marine d'un socle de savoir-faire communs correspondant aux missions génériques (ex. : pour les unités de fusiliers marins : protection et défense des emprises terrestres et maritimes, escorte ou renforcement d'une unité précieuse en zone côtière ou à la mer, etc.) ;

? compléter ce socle en fonction des missions spécifiques des unités (ex. : pour les unités de fusiliers marins : participer à un dispositif de lutte contre le narcotrafic, participer à un contrôle de zone, etc.) ;

? dispenser au cas par cas, pour des missions particulières, lors de stages dédiés, le complément de formation jugé nécessaire.

Pour les Commandos Marine, la préparation opérationnelle s'effectue au cours d'une période sanctuarisée qui garantit dans la durée le maintien des savoir-faire et des compétences. Le déploiement régulier de ces unités à Djibouti contribue à consolider cette préparation opérationnelle grâce à l'emploi d'infrastructures spécifiques non disponibles en métropole.

3. Organisation de l'armée de l'air

La puissance aérienne se caractérise par des délais très brefs d'intervention sur de très grandes élongations. Les récentes opérations Harmattan, Serval et Chammal l'ont encore démontré, voyant l'armée de l'air passer instantanément du stade « temps de paix » à celui du « temps de crise ».

a) Deux degrés d'entraînement permanent des pilotes de chasse

Le format de l'aviation de chasse du LBDSN 2013 repose par construction sur la mise en oeuvre du projet FOMEDEC.

Sans cette approche novatrice, les contrats opérationnels (PPS, dissuasion, interventions de haute intensité, opérations d'urgence et prévention) ne peuvent être honorés.

L'armée de l'air s'appuiera ainsi sur un entrainement différencié des équipages chasse en deux cercles :

? un premier cercle entraîné pour tout le spectre des opérations, capable de réaliser des missions dites « d'entrée en premier » : acquisition de la supériorité aérienne dans un environnement hostile et saturé, engagement immédiat de moyens offensifs puissants propres à renverser l'équilibre des forces et neutraliser les initiatives adverses. Ces missions sont très exigeantes tant en termes de niveau d'entrainement que de moyens à mettre en oeuvre et le Rafale en constitue le coeur ;

? un deuxième cercle afin de s'inscrire dans la durée une fois la situation sur le terrain maîtrisée. Les missions dans ce cadre sont, par nature, moins complexes et peuvent être réalisées par des équipages aguerris, mais dont l'entrainement permanent aura pu être allégé. Après un passage en premier cercle, ces pilotes constituent un réservoir d'équipages et bénéficient de 40 heures de vol/an d'entraînement sur un avion de chasse, afin de maintenir a minima leurs compétences. Il s'agit donc de remplacer des heures d'entrainement jusqu'à aujourd'hui réalisées sur Rafale ou Mirage 2000 par des heures réalisées sur un appareil dont le coût à l'heure de vol est très inférieur à celui des avions de chasse.

Pour pouvoir être engagés rapidement et assurer les relèves, ces pilotes doivent être ré-entraînés sur avion de chasse sur des périodes relativement courtes (deux à trois mois), ce qui nécessite donc de maintenir une activité aérienne normale de 180 heures de vol annuelle dont 140 heures de vol mutualisées avec les missions d'instruction au profit des jeunes élèves pilotes (projet FOMEDEC).

Pour être compatibles avec l'exigence des missions de guerre, elles doivent donc être réalisées sur des avions de complément :


• dont l'avionique est comparable à celle des avions de chasse modernes ;


• qui placent les équipages sous contrainte physiologique (contraintes de facteur de charge, de vitesse et de manoeuvrabilité).

Du fait du retard de la mise en place de FOMEDEC, l'entrainement différencié n'a pas encore été mis en place. Il n'a donc pas pu être possible de retirer des escadrons de chasse, 50 des 290 pilotes et qui armeront le deuxième cercle. Les 290 pilotes se sont donc partagés une activité globale qui ne leur a permis de réaliser que 154 heures de vol en moyenne en 2015 et sans doute 168 heures de vol en 2016 du fait de la remontée globale d'activité permise par la LPM et le rythme soutenu des OPEX.

b) Une labellisation des unités de combat

L'entretien des compétences complexes est difficile à assurer, car il nécessite la réalisation de missions d'entraînement exigeantes en moyens matériels et humains. Cette difficulté augmente lorsque l'on considère un avion polyvalent comme le Rafale. Il a donc été choisi pour les flottes d'aviation de chasse et de transport tactique de « labelliser » les unités.

Chaque unité se voit attribuer la responsabilité d'une compétence particulière. L'unité doit entretenir des équipages aptes à réaliser les missions nécessitant une mise en oeuvre experte de cette compétence. Ces experts sont aussi susceptibles de former des équipages d'autres unités en cas de besoin.

c) Capitaliser sur certains acquis opérationnels

Enfin, l'armée de l'air s'appuie sur des pilotes de chasse occupant un poste hors unité navigante (généralement en état-major) et qui disposent d'une très grande expérience opérationnelle (plusieurs milliers d'heures de vol sur avion de combat et des dizaines de missions de guerre) qui leur permet d'assurer des vols d'instructions en unité de combat, sans chercher à maintenir l'ensemble de leurs qualifications opérationnelles, mais en valorisant de précieux acquis. Au besoin et en cas d'un engagement particulièrement important et sur la durée, ce réservoir (que l'on pourrait comparer à un troisième cercle) peut être sollicité moyennant un entraînement adapté pour des missions de guerre (cas de certains navigateurs et de pilotes de combat durant l'opération Harmattan), ou pour préserver une partie de l'instruction en métropole en soutien des équipages du premier et deuxième cercle engagés en opération extérieure (cas usuel).

La politique de l'armée de l'air répond à un équilibre entre la tension sur le potentiel technique et les bénéfices opérationnels issus de la valorisation des savoir-faire de ce type de personnel, qui ne nécessite pas un effort important d'entretien de certaines qualifications de vol.

Vos rapporteurs pour avis seront attentifs à l'impact sur la préparation des personnels de la mise en place de ces formations différenciées. Tout comme les difficultés sur le MCO érodent le capital matériel des armées, les faibles niveaux de préparation opérationnelle érodent le capital humain. Il est donc indispensable que les formations différenciées portent leurs fruits, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui d'autant plus pour l'armée de l'air qui a vu la mise en oeuvre de cette formation différenciée retardée.

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