B. LE FULGURANT SUCCÈS DES QUOTIDIENS GRATUITS

Fortement chahutés lors de leur apparition sur le marché français, les quotidiens gratuits d'information n'en constituent pas moins une véritable révolution en matière de presse.

Perturbant le rapport traditionnel entre le lecteur et l'annonceur 18 ( * ) , ces titres ont prouvé qu'un concept imprimé audacieux et innovant pouvait rencontrer l'adhésion d'un public dénigrant majoritairement la presse payante.

L'idée même de financer exclusivement par la publicité une publication n'est en elle-même pas nouvelle. Nombre de groupes de presse tels que la Comareg ou France Antilles disposaient ainsi depuis fort longtemps de journaux d'annonces spécialisées.

Mais aucun d'entre eux n'avait osé étendre ce modèle économique à la presse d'information, au risque de devoir aujourd'hui rattraper le temps perdu.

1. Un concept novateur

Le succès fulgurant de ce jeune produit - 20 minutes lancé en mars 2002 est devenu depuis le 10 septembre 2007 le quotidien le plus lu de France avec plus de 2,4 millions de fidèles 19 ( * ) - repose sur deux principes simples tirés d'une observation attentive des comportements des lecteurs.

a) Une neutralité éditoriale totale

Contrairement à la presse quotidienne française dite d'opinion, les gratuits ont, dès leur lancement, opté pour la mise à disposition d'informations brutes et l'absence totale de mise en perspective afin de toucher le lectorat le plus large possible.

Les propos tenus par M. Jean-Pierre, président de 20 minutes France, lors de son audition par le groupe de travail de votre commission sur la crise de la presse 20 ( * ) , illustrent cette stratégie radicalement nouvelle dans le paysage de la presse hexagonale : « Nous faisons du « hard news » c'est-à-dire des faits sans commentaires, avec une information brute, des chiffres, des faits et un visuel. Nous ne prenons pas position politiquement, nous laissons le lecteur se forger son opinion à partir des faits. »

b) Un mode de distribution parfaitement adapté au « public cible »

Le public visé par les « gratuits » est jeune, urbain et actif. C'est cette « cible » qui détermine les horaires et les lieux de distribution des journaux, avec une préférence pour les transports en commun et les campus universitaires.

Metro est ainsi distribué aux abords des transports en commun alors que 20 minutes est disponible dans les gares, les écoles, les universités et certaines entreprises, via colporteurs ou présentoirs. Les quotidiens du réseau Villes plus sont quant à eux distribués par des colporteurs, notamment en centre ville et auprès des bus, métros ou tramways, ainsi que sur les campus universitaires.

A Paris, compte tenu de la concession exclusive de la RATP dont bénéficie A nous Paris , Metro et 20 Minutes sont amenés à privilégier la diffusion par colportage. En région parisienne, grâce à un accord d'exclusivité passé avec la société France Rail Publicité, 20 Minutes est présent dans les gares SNCF et les lignes C et D du RER. L'utilisation de ce second moyen de distribution (sous forme de racks) concerne près de la moitié de son tirage total.

2. Des résultats spectaculaires

Contrairement à la presse quotidienne payante dont les résultats sont négatifs tant en termes de diffusion qu'en termes financiers, la presse quotidienne gratuite ne connaît pas la crise.

Selon la Direction du développement des médias, la progression du chiffre d'affaires de la presse quotidienne gratuite d'information politique et générale s'est établie à 25 % en 2006, en dépit des incertitudes relatives au nombre de nouveaux titres lancés au cours de l'année de l'enquête. De nombreux poids lourds sont en effet apparus sur le marché à Paris ( Direct Soir , Matin Plus ...) et en province.

Comme en 2005, la presse quotidienne gratuite a ainsi capté la quasi-totalité de l'augmentation des recettes publicitaires : selon l'enquête statistique annuelle sur la presse écrite menée par la Direction du développement des médias, la presse gratuite aurait encaissé 70 des 90 millions d'euros de surplus publicitaires, n'en laissant que 20 à la presse payante.

Cette progression des recettes publicitaires s'est traduite par la réalisation de bénéfices pour les deux principaux éditeurs hexagonaux de quotidiens gratuits d'information politique et générale.

Metro a ainsi trouvé une viabilité économique depuis 2005, date de l'équilibre. Celle-ci s'est confirmée en 2006 avec un résultat positif à 2,4 millions d'euros. Pour 2007, malgré une conjoncture publicitaire extrêmement difficile et des investissements importants, Metro devrait encore être rentable.

Pour la première fois de sa courte histoire, 20 minutes a lui aussi dégagé un bénéfice opérationnel au deuxième trimestre 2007. Mais le titre n'a pas encore été dans le vert sur une année entière.

3. Des titres plébiscités par les lecteurs

En proposant une information simple, claire et de qualité, et en allant au devant du lecteur, les quotidiens gratuits ont su gagner la fidélité du public.

a) Des tirages records

Les chiffres publiés par l'OJD concernant le tirage des deux principaux quotidiens gratuits d'information confirment ce phénomène. Ils sont en effet désormais sans commune mesure avec ceux des principaux quotidiens payants. Bien qu'ils ne disposent pas du caractère objectif des chiffres mesurant la diffusion payée des quotidiens, ils permettent néanmoins de cerner la notoriété acquise par les gratuits auprès des lecteurs français.

Selon les chiffres OJD, le tirage des différents quotidiens gratuits s'élève ainsi à 749 000 exemplaires pour 20 minutes (couplage des 8 éditions locales) et à 732 000 exemplaires pour Metro (couplage des 9 éditions locales) soit près du double du tirage du Monde (462 000 exemplaires), du Figaro (430 000) et du quadruple de celui de Libération (180 000 exemplaires). Seul le couplage Le Parisien-Aujourd'hui en France ou encore Ouest France et son tirage de 866 000 exemplaires atteignent des tirages comparables.

b) Les journaux les plus lus de France

L'enquête EPIQ juillet 2007 - juin 2006 21 ( * ) met elle aussi en évidence le succès populaire de la presse gratuite d'information puisque deux de ses principaux représentants se classent parmi les trois quotidiens les plus prisés du pays.

Avec 2,4 millions de lecteurs au numéro moyen, 20 Minutes est ainsi devenu pour la première fois de son histoire le quotidien le plus lu en France devant :

- L'Equipe : 2,3 millions de lecteurs ;

- Metro : 2,03 millions de lecteurs ;

- La Parisien/Aujourd'hui en France : 2,01 millions de lecteurs ;

- Le Monde : 1,89 million de lecteurs ;

- Le Figaro : 1,19 million de lecteurs ;

- Libération : 806 000 lecteurs.

4. Quel impact sur l'économie de la presse payante ?

Compte tenu des données précédemment exposées, quel est le véritable impact des quotidiens gratuits sur l'économie de la presse quotidienne payante ?

Cette question doit faire l'objet de remarques nuancées. D'une part, l'expérience prouve qu'un nouveau média ne réduit pas forcément l'audience de ses concurrents. Ainsi, parmi les pays dont le nombre de journaux lus par habitant est le plus élevé, nombreux sont ceux qui ont connu un développement spectaculaire de l'offre audiovisuelle. D'autre part, au sein même du secteur, la farouche hostilité des débuts vis-à-vis des gratuits s'est transformée en regard intrigué à l'endroit d'un concept étranger qui a su, en un temps record, atteindre et séduire tant le lectorat que les annonceurs.

a) Un effet d'éviction publicitaire

Sur le marché publicitaire, les gratuits provoquent un effet d'éviction lié à l'essence même de leur modèle économique reposant exclusivement sur la manne publicitaire. Les données statistiques citées précédemment montrent d'ailleurs clairement que ceux-ci ont capté une part non négligeable des budgets destinés par les annonceurs au média « presse », ceux-ci ne distinguant pas le lecteur qui achète son journal de celui qui ne le paie pas.

Cette situation a d'ailleurs conduit certains éditeurs de presse quotidienne payante à éditer leur propre quotidien gratuit afin de capter une partie des recettes perdues. C'est notamment le cas du groupe Le Monde qui, associé au groupe Bolloré, a lancé le 6 février 2007 un titre intitulé Matin Plus .

b) Un effet neutre sur la diffusion des payants ?

S'agissant du lectorat en revanche, la question reste ouverte. Toutes les personnalités auditionnées par le groupe de travail et interrogées sur ce point précis sont d'ailleurs restées prudentes.

Différentes enquêtes de terrain tendent à mettre en avant une certaine complémentarité entre quotidiens gratuits et payants. Interrogé à ce sujet lors de son audition par le groupe de travail sur la crise de la presse, Mme Valérie Decamp, directrice générale de Metro , affirmait que « la moitié du lectorat des gratuits ne lisait aucune presse quotidienne avant notre apparition sur le marché selon les études Sofres. En ce qui concerne la duplication, les lecteurs de gratuits lisent beaucoup les autres gratuits. A Paris, ils lisent Le Parisien (pour environ 5 %), tandis qu'en province, aucune duplication ne se fait vers la presse quotidienne régionale. Viennent ensuite Le Figaro , Libération et Le Monde , mais cela reste très marginal. Nous n'empiétons donc pas sur le territoire de la presse payante ».

Des études de terrain réalisées par les différents quotidiens laissent penser que l'évolution des ventes dans les villes où il y a des gratuits et dans celles où il n'y en a pas ne présentait aucune différence notable.

Cela peut vouloir dire deux choses :

- que les gens qui prennent le gratuit n'achèteraient pas de journaux et n'en n'ont jamais acheté ;

- que le niveau de consommation de la presse en France est tellement faible que le développement des gratuits n'a pas impacté les ventes des titres payants.

Dans ces conditions la presse gratuite ne serait pas forcément le fléau dénoncé par ses concurrents payants au moment de son arrivée sur notre territoire. Elle pourrait même jouer un rôle d'aiguillon salvateur pour le reste du secteur. En montrant qu'une nouvelle approche éditoriale pouvait séduire un lectorat en voie de disparition, en réhabilitant des formes de distribution sous-exploitées, en utilisant des techniques de marketing performantes au service d'une cible clairement identifiée, elle a donné quelques raisons d'espérer à ceux qui pensaient que le papier journal était un support définitivement dépassé.

* 18 Dans un article paru dans le numéro 138 de la revue Le Débat, M. Régis Soubrouillard se demande ainsi si la publicité sert à financer l'information ou si à l'inverse, l'information n'est pas qu'une manière d'introduire la publicité.

* 19 Etude Epiq, cumul de juillet 2006 à juin 2007, TNS Sofrès.

* 20 Rapport d'information n° 13 (2007-2008).

* 21 Ibidem.

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