B. DES RESSOURCES PROPRES

La compensation financière prévue par le projet de loi de finances pour 2005 préservera l'autonomie financière des collectivités territoriales au sens de la loi organique du 29 juillet 2004 : elle s'opérera en effet, à titre principal, par l'attribution de ressources fiscales.

1. Les principes de l'autonomie financière

L'article 72-2 de la Constitution n'exige pas seulement que les transferts de compétences aux collectivités territoriales s'accompagnent du transfert des ressources que l'Etat consacrait à leur exercice mais également que les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources.

La loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004 a déterminé les conditions de mise en oeuvre de cette règle.

Aux termes de l'article L.O. 1112-1 du code général des collectivités territoriales, trois catégories de collectivités territoriales bénéficient de la garantie instituée par la loi constitutionnelle et la loi organique. Elles regroupent respectivement les communes, les départements et les régions, auxquels ont été agrégées, en fonction des compétences qu'elles exercent, les collectivités territoriales à statut particulier de métropole et d'outre-mer.

S'ils ne sont pas mentionnés, dans la mesure où ils ne constituent pas des collectivités territoriales, les établissements publics de coopération intercommunale bénéficient néanmoins des garanties offertes à la catégorie des communes puisque leurs ressources doivent être agrégées aux leurs.

Dans sa décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, le Conseil constitutionnel a considéré qu'en agissant ainsi, le législateur n'avait pas « dénaturé les dispositions précitées de l'article 72-2 de la Constitution ». En revanche, il a censuré l'assimilation des provinces de Nouvelle-Calédonie aux régions métropolitaines, en raison de l'absence de consultation de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie.

L'article L.O. 1112-2 du code général des collectivités territoriales dresse la liste des ressources propres des collectivités locales au sens de l'article 72-2 de la Constitution. Il s'agit : « du produit des impositions de toutes natures dont la loi autorise les collectivités à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine, par collectivité, le taux ou une part locale d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs . »

Cette définition, qui avait suscité de vifs débats lors de l'examen du projet de loi organique par le Parlement, a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. En première lecture, vos commissions des Lois et des Finances avaient proposé de ne considérer comme des ressources propres que celles dont les collectivités territoriales ont la maîtrise et, en conséquence, de ne retenir, parmi les impositions de toutes natures, que les recettes fiscales dont les assemblées délibérantes locales peuvent fixer l'assiette, le taux ou le tarif. Le Gouvernement ayant mis en exergue les rares possibilités de transfert aux collectivités territoriales d'impôts modulables, le Sénat avait finalement adopté, en complément de ces amendements et après que votre commission s'en fut remis à sa sagesse, un sous-amendement présenté par notre collègue M. Yves Fréville ayant pour objet d'inclure dans la définition des ressources propres des collectivités territoriales le produit des impositions de toutes natures dont la loi détermine, par collectivité, la localisation de l'assiette ou du taux. La rédaction de ce sous-amendement a été précisée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.

Aux termes de l'article L.O. 1112-3 du code général des collectivités territoriales, la part des ressources propres de chaque catégorie de collectivités territoriales dans l'ensemble de leurs ressources est calculée de la manière suivante :

ressources propres
ressources propres + autres ressources - ressources temporaires
ou déjà prises en compte

Ont en effet été exclus du dénominateur de ce ratio :

- les emprunts et les ressources versées par l'Etat pour compenser la charge induite par un transfert expérimental ou une délégation de compétences, qui ne sont pas pérennes ;

- les transferts financiers entre collectivités territoriales appartenant à une même catégorie, d'une part, entre communes et établissements publics de coopération intercommunale, d'autre part, afin d'éviter les doubles comptes ;

- et, à l'initiative du Sénat, les flux financiers entre collectivités ou entre communes et établissements publics de coopération intercommunale au titre d'un transfert expérimental ou d'une délégation de compétences ; en effet, ils revêtent également un caractère provisoire pour les collectivités qui en bénéficient et sont sans incidence sur le taux d'autonomie financière de la collectivité qui en est à l'origine puisqu'ils constituent, pour cette dernière, une dépense.

Le ratio constaté en 2003 , année de l'achèvement de la suppression progressive de la « part salaires » de l'assiette de la taxe professionnelle, constitue désormais un seuil plancher , différent selon les catégories de collectivités territoriales et estimé à 36,1 % pour la catégorie des régions, à 57,4 % pour celle des départements et à 56,3 % pour celle des communes.

Communes et groupements
à fiscalité propre

(en milliards d'euros)

 

2000

2001

2002

2003 *

Recettes totales

86,07

89,61

92,08

96,59

Emprunts

8,61

8,54

8,45

9,03

Recettes totales hors emprunts

77,46

81,07

83,63

87,56

Recettes fiscales hors compensations

37,18

37,88

38,58

40,23

dont produit 4 taxes

31,92

31,68

32,02

33,44

Autres ressources propres

8,35

9,05

9,05

9,06

dont Produits des services et du domaine

3,87

4,07

4,25

 

dont Cessions d'immobilisations

1,22

1,30

1,16

 

dont Produits de gestion courante

2,17

2,16

2,24

 

Total des ressources propres

45,53

46,93

47,64

49,29

Recettes propres / Recettes totales hors emprunts

58,8 %

57,9 %

57,0 %

56,3 %

Source : DGCP et DGCL.

** en retirant des recettes fiscales des communes les reversements fiscaux des groupements de communes à fiscalité propre.

Départements

(en milliards d'euros)

 

2000

2001

2002

2003*

Recettes totales

38,00

38,96

42,43

45,69

Emprunts

2,92

3,51

4,29

4,63

Recettes totales hors emprunts

35,09

35,45

38,14

41,06

Recettes fiscales hors compensations

19,64

19,09

19,80

21,07

dont produit 4 taxes

13,85

13,80

14,21

15,10

Autres ressources propres

2,60

2,50

2,48

2,50

dont Produits des services et du domaine

1,70

1,74

1,61

 

dont Cessions d'immobilisations

0,12

0,08

0,10

 

Total des ressources propres

22,24

21,59

22,28

23,57

Recettes propres / Recettes totales hors emprunts

63,4 %

60,9 %

58,4 %

57,4 %

Source : DGCP et DGCL.

Régions

(en milliards d'euros)

 

2000

2001

2002

2003*

Recettes totales

12,97

13,71

16,35

17,19

Emprunts

1,36

1,76

2,40

2,72

Recettes totales hors emprunts

11,61

11,94

13,95

14,47

Recettes fiscales hors compensations

5,83

5,00

5,08

5,02

dont produit 4 taxes

3,95

3,09

3,02

3,06

Autres ressources propres

0,20

0,18

0,23

0,20

Total des ressources propres

6,03

5,18

5,31

5,22

Recettes propres / Recettes totales hors emprunts

51,9 %

43,4 %

38,1 %

36,1 %

Source : DCGP et DGCL.

Le texte adopté par les deux assemblées exigeait en outre, pour que cette part soit déterminante au sens de l'article 72-2 de la Constitution, qu'elle garantisse « la libre administration des collectivités territoriales relevant de cette catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées ».

Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition au motif qu'« outre son caractère tautologique, [elle] ne respect[ait], du fait de sa portée normative incertaine, ni le principe de clarté de la loi ni l'exigence de précision que l'article 72-2 de la Constitution requiert du législateur organique . »

Enfin, l'article L.O. 1112-4 du code général des collectivités territoriales, prévoit, en premier lieu, que la part des ressources propres dans l'ensemble des ressources de chaque catégorie de collectivités territoriales doit, chaque année, faire l'objet d'un rapport du Gouvernement au Parlement. A l'initiative du Sénat, ce rapport devra être remis au plus tard le 1 er juin de la deuxième année suivant l'année considérée et présenter non seulement le taux d'autonomie financière des différentes catégories de collectivités territoriales mais également ses modalités de calcul et son évolution.

En second lieu, si le seuil de 2003 n'était pas atteint au cours d'un exercice, par exemple en 2005, la loi de finances pour la quatrième année suivante , c'est-à-dire la loi de finances initiale pour 2009 votée en 2008 ou une loi de finances rectificative votée en 2009, devrait prévoir les mesures de correction nécessaires , sous peine de censure du Conseil constitutionnel . Ce dernier ne s'en est pas moins réservé la faculté « de censurer, le cas échéant, des actes législatifs ayant pour effet de porter atteinte au caractère déterminant de la part des ressources propres d'une catégorie de collectivités territoriales . »

2. Les ressources transférées aux régions

Les régions devraient recevoir une fraction non modulable de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et bénéficier du produit d'une taxe régionale additionnelle à la taxe d'apprentissage en contrepartie d'une baisse de leur dotation générale de décentralisation.

• L'affectation aux régions d'une fraction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers

L'article 33 du projet de loi de finances pour 2005 prévoit d' attribuer aux régions une fraction de tarif de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers , sur un principe identique à celui adopté l'année dernière pour compenser les charges induites par le transfert aux départements du revenu minimum d'insertion et du revenu minimum d'activité. Le gazole professionnel serait exclu du dispositif.

Cette fraction de tarif a été calculée de telle sorte qu'appliquée sur une base nationale, elle permette la détermination d'un produit couvrant les charges transférées aux régions . Elle serait ensuite répartie entre chaque région en fonction d'une clé de répartition permettant le maintien d'un lien entre la collectivité et la ressource transférée. Chaque région se verrait donc attribuer un pourcentage de tarif de la taxe correspondant au rapport entre le montant des dépenses transférées, calculé comme le montant des dépenses exécutées par l'Etat sur le territoire régional en 2004, et le montant total de ces dépenses au niveau national.

Le Gouvernement envisage de régionaliser cette taxe en autorisant les conseils régionaux à moduler son tarif autour d'un cours pivot .

Sur demande de la France, la Commission européenne a transmis au Conseil, au mois de septembre 2004, une proposition de dérogation fondée sur l'article 19 de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003.

Selon les indications communiquées à votre rapporteur pour avis, les modalités de cette régionalisation de la taxe intérieure sur les produits pétroliers pourraient être les suivantes :

- à compter de 2006, les régions seraient bénéficiaires d'un produit qui ne serait plus établi en fonction des consommations nationales mais dépendrait des consommations enregistrées sur le territoire régional lui-même ; l'assiette de la taxe serait ainsi localisée ;

- cette assiette régionale étant établie, les régions pourraient fixer un taux régional applicable au 1 er janvier 2007, le taux voté à l'échelon local devant respecter une marge de 1,77 € par hectolitre pour l'essence sans plomb et de 1,15 € pour le gazole .

• La création d'une taxe additionnelle régionale à la taxe d'apprentissage et la diminution corrélative de la dotation générale de décentralisation versée aux régions

L'article 20 du projet de loi de finances pour 2005 a pour objet de rationaliser le financement de l'apprentissage.

Il prévoit l'institution d'une contribution régionale au développement de l'apprentissage , sous la forme d'une taxe additionnelle à la taxe d'apprentissage.

Cette contribution serait assise sur la masse salariale et affectée d'un taux uniforme de 0,06 % en 2005, qui serait porté à 0,12 % en 2006 et à 0,18 % à partir de 2007. Les régions n'auraient donc aucune possibilité d'en modifier l'assiette ou le taux.

Leur taux d'autonomie financière augmenterait puisque des ressources propres au sens de la loi organique du 29 juillet 2004 seraient substituées à des dotations de l'Etat.

Un rapport serait présenté au Parlement chaque année jusqu'en 2007, c'est-à-dire durant toute la période de coexistence des dotations budgétaires actuelles et de la contribution au développement de l'apprentissage, afin de comparer le rendement effectif de la contribution avec le montant qui en est attendu d'après les estimations réalisées aujourd'hui. Le produit de la contribution doit en effet correspondre au niveau des crédits des dotations budgétaires qui ne seraient plus attribuées aux régions durant les trois prochains exercices.

Le produit prévu en 2005, d'un montant de 197,92 millions d'euros , serait gagé par une réduction à due concurrence du montant de la dotation générale de décentralisation versée aux régions.

3. Les ressources transférées aux départements

Les départements bénéficieraient de deux fractions, non modulables, du taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance.

• L'attribution aux départements d'une fraction de taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance pour les transferts prévus par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales

L'article 33 du projet de loi de finances prévoit d' attribuer aux départements une fraction de taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance , afin de financer les transferts de compétences prévus par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

Cette taxe, régie par les dispositions des articles 991 et suivants du code général des impôts, a pour assiette toute convention d'assurance conclue avec une société ou une compagnie d'assurances, ou avec tout autre assureur français ou étranger. Les différents risques assurés subissent un taux de prélèvement différent.

La réforme ne concerne qu'un seul type de risque et de contrat : les contrats d'assurance contre les risques de toute nature relatifs aux véhicules terrestres à moteur , qui sont actuellement taxés au taux de 18 %.

La fraction de taux attribuée aux départements serait fixée à 0,91 % ; elle a été calculée de telle sorte qu'appliquée sur une base nationale, elle permette la détermination d'un produit couvrant les charges transférées aux départements dans le cadre de la loi du 13 août 2004.

Cette fraction serait ensuite répartie entre chaque département en fonction d'une clé de répartition permettant le maintien d'un lien entre la collectivité et la ressource transférée et correspondant au rapport entre le montant des charges transférées à chaque département par la loi du 13 août 2004 et le montant des charges transférées à l'ensemble des départements.

Lors de son audition devant votre commission des Lois, le 16 novembre 2004, M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, a confirmé que les départements devraient pouvoir moduler, à compter de 2007, les fractions de taux de la taxe, à la hausse comme à la baisse, autour d'un taux pivot .

• L'attribution aux départements d'une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance pour contribuer au financement des services départementaux d'incendie et de secours

L'article 34 du projet de loi de finances pour 2005 prévoit de remplacer une partie de la dotation globale de fonctionnement destinée aux départements par une fraction de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance au titre du financement des services départementaux d'incendie et de secours .

Les départements se verraient ainsi attribuer une seconde fraction de la taxe correspondant à un produit de 900 millions d'euros . Leur dotation globale de fonctionnement serait réduite corrélativement de 880 millions d'euros, la différence correspondant à la prise en charge par l'Etat du nouveau régime de retraite des sapeurs-pompiers volontaires.

La fraction de taux serait répartie entre chaque département en fonction d'une clé de répartition permettant le maintien d'un lien entre la collectivité et la ressource transférée et déterminée par le rapport entre le nombre de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire du département au 31 décembre 2004 et le nombre total de véhicules terrestres à moteur enregistrés sur le territoire national à cette même date.

Votre commission constate que les ressources transférées aux régions et aux départements constituent des ressources propres au sens de la loi organique du 29 juillet 2004 puisque le projet de loi de finances détermine les modalités de calcul de la fraction de tarif de la taxe intérieure sur les produits pétroliers attribuée à chaque région et de la fraction de taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance attribuée à chaque département. Elle s'interroge toutefois sur la constitutionnalité du renvoi au pouvoir réglementaire du soin de constater ces pourcentages. Notre collègue M. Michel Mercier, rapporteur pour avis de la loi organique au nom de la commission des Finances, soulignait en effet, le 2 juin 2004, en commentant le sous-amendement présenté par notre collègue M. Yves Fréville, que : « s'agissant de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, dont une part est affectée aux départements, il faudra que, dans la loi de finances, un tarif soit fixé pour chacun des départements . »

Votre commission souhaite que les conseils régionaux et généraux obtiennent rapidement la possibilité de moduler à la hausse et à la baisse les tarifs de la taxe intérieure sur les produits pétroliers et les taux de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance .

Comme le soulignait notre ancien collègue M. Daniel Hoeffel, dans son rapport sur la loi organique relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, « la maîtrise de l'assiette ou du taux des impôts locaux accroît la liberté de gestion des collectivités territoriales, en leur permettant de dégager des ressources supplémentaires pour financer des dépenses imprévues, et renforce la responsabilité des élus locaux envers leurs électeurs, qui peuvent mettre en regard du montant des impôts qu'ils acquittent les services dont ils bénéficient. L'autonomie fiscale constitue ainsi un fondement de la démocratie locale et un gage d'efficacité 1 ( * ) . »

Aussi l'article 9 de la charte européenne de l'autonomie locale, signée par la France mais toujours pas ratifiée, stipule-t-il qu'« une partie au moins des ressources financières des collectivités locales doit provenir de redevances et d'impôts locaux dont elles ont le pouvoir de fixer le taux, dans les limites de la loi . »

Enfin, votre rapporteur souhaite que les réformes de la taxe professionnelle et de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, annoncées par le président de la République, interviennent rapidement, afin de ne pas laisser les élus locaux dans l'expectative, et préservent l'autonomie fiscale des collectivités territoriales .

* 1 Rapport n° 324 (Sénat, 2003-2004) - page 9.

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