N° 54

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 novembre 2004

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi relatif aux aéroports ,

Par M. Yvon COLLIN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Claude Belot, Marc Massion, Denis Badré, Thierry Foucaud, Aymeri de Montesquiou, Yann Gaillard, Jean-Pierre Masseret, Joël Bourdin, vice-présidents ; MM. Philippe Adnot, Mme Fabienne Keller, MM. Michel Moreigne, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM.  Bernard Angels, Bertrand Auban, Jacques Baudot, Mme Marie-France Beaufils, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Mme Nicole Bricq, MM.Auguste Cazalet, Michel Charasse, Yvon Collin, Philippe Dallier, Serge Dassault, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Jean-Claude Frécon, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Claude Haut, Jean-Jacques Jegou, Roger Karoutchi, Alain Lambert, Gérard Longuet, Roland du Luart, François Marc, Michel Mercier, Gérard Miquel, Henri de Raincourt, Michel Sergent, Henri Torre, Bernard Vera.

Voir les numéros :

Sénat : 452 (2003-2004) et 48 (2004-2005)

Transports aériens.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif aux aéroports, déposé sur le bureau du Sénat le 30 juillet 2004, est le troisième texte comportant des dispositions visant à faire évoluer le statut d'une entreprise publique dont votre commission se saisit pour avis en 2004, après le projet de loi relatif à la régulation des activités postales, déposé sur le bureau du Sénat le 16 juillet 2003, dont un article visait à transformer les services financiers de La Poste en une « banque postale », et le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, adopté en première lecture par le Sénat, le 8 juillet 2004 1 ( * ) , qui transformait le statut d'EDF et de GDF. Ceci témoigne de la profondeur des changements en cours dans le champ des entreprises publiques .

Le présent projet de loi est le premier texte relatif aux aéroports depuis 1945 : c'est dire à quel point les structures héritées de ce lointain passé méritaient d'être modernisées. S'il comporte des dispositions relatives aux grands aéroports régionaux et à l'ensemble des aéroports, votre commission des finances a souhaité se saisir pour avis des articles permettant la transformation de l'établissement public Aéroports de Paris (ADP) en société anonyme , rendant ainsi possible l'ouverture du capital d'une entreprise dans laquelle l'Etat est néanmoins appelé à rester majoritaire.

Le projet de loi fait ainsi évoluer le régime de domanialité applicable à ADP, afin de garantir la meilleure valorisation possible de la participation détenue par l'Etat et définit un mode d'élaboration des redevances, qui composent 29 % du chiffre d'affaires d'ADP, plus réaliste sur le plan économique et plus conforme à un principe de vérité des tarifs. Le projet de loi a été renvoyé au fond à la commission des affaires économiques et du plan qui a nommé comme rapporteur notre collègue Jean-François Le Grand.

L'avenir d'Aéroports de Paris constitue un enjeu crucial, au-delà du sort de ses 8.000 salariés, pour l'Ile-de-France et le pays tout entier. Plus de 70 millions de passagers transitent chaque année par Roissy ou Orly, contre 40 millions pour l'ensemble des autres aéroports français. ADP constitue le « hub » d'Air France, c'est à dire le centre des activités d'une des premières compagnies aériennes mondiale, la première depuis la fusion avec KLM en terme de chiffre d'affaires.

C'est dire si son développement présente une importance vitale pour l'économie française. Dans cette perspective, face à la concurrence de Londres, mais aussi de Francfort et d'Amsterdam, en ce qui concerne les flux internationaux de passagers, ADP doit faire face à de très lourds investissements, de l'ordre de 700 millions d'euros en 2005 . L'augmentation des capacités de la plateforme aéroportuaire est vitale, avec la mise en service du futur terminal S3 en 2007. La modernisation du terminal 1 est tout aussi nécessaire. Les investissements liés à la sécurité sont considérables.

Or le ratio d'endettement sur fonds propres d'Aéroports de Paris dépasse 150 %, ce qui rend problématique un accroissement de son financement obligataire. Son actionnaire, l'Etat, ne peut procéder à des dotations en capital à la hauteur des besoins.

Un financement de marché est donc devenu incontournable. Le statut actuel ne le permettait pas. La transformation en société anonyme, dans laquelle l'Etat restera majoritaire, est ainsi un impératif. Dès lors, ADP devra rémunérer les capitaux investis, alors même que la société est étroitement liée à des missions d'intérêt général et au développement économique du pays : elle supporte donc, à ce titre, de nombreuses contraintes, comme d'ailleurs tous les aéroports dans le monde. Des gains de productivité devront être réalisés, à statut du personnel inchangé.

Deux innovations sont par ailleurs proposées dans le présent projet de loi. La première concerne la domanialité , la seconde le financement par redevances .

En ce qui concerne la domanialité , le passage au statut de droit privé étant acquis, le gouvernement avait la possibilité d'assurer le maintien du régime de la domanialité publique , ce qui aurait entraîné de facto la disparition du bilan d'ADP des actifs immobiliers (terrains, bâtiments...) qui y figuraient jusqu'alors. Le passage au régime de la domanialité privé permettra de mieux valoriser la participation financière de l'Etat. Ce passage sera encadré par de nombreuses garanties , dont les principales fixées dans un cahier des charges qui sera approuvé par décret en Conseil d'Etat.

En ce qui concerne les redevances , qui correspondent aux différents services rendus par l'aéroport aux compagnies, elles sont actuellement fixées par ADP, après concertation avec les compagnies aériennes, et avec un droit de veto de l'Etat. Dans le passé, une certaine « sous-évaluation » des redevances, favorisant les compagnies aériennes a été observée . Un rattrapage, qui tient compte des besoins en investissement de la société, est opéré depuis 2001. La tendance est à la « vérité des prix ». C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit, notamment, que les redevances pourront tenir compte de la rémunération des capitaux investis.

Pour autant, le mode de fixation des redevances doit éviter à l'Etat de se trouver dans une situation de confrontation de ses intérêts , intérêt de l'Etat régulateur tout d'abord, intérêt d'un Etat actionnaire d'ADP ensuite, intérêt d'un Etat actionnaire d'Air France enfin . Ceci doit inciter à réfléchir à l'opportunité de créer une formule de régulation pertinente sur le plan économique .

I. LE CHANGEMENT DE STATUT D'AÉROPORTS DE PARIS : ASSURER LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS DE L'ENTREPRISE

A. LA PLACE DE LA SOCIÉTÉ AÉROPORTS DE PARIS

Depuis 1945, Aéroports de Paris (ADP) est chargé d'aménager, d'exploiter et de développer l'ensemble des installations de transport civil aérien ayant leur centre dans la région d'Ile-de-France. Il assure par ailleurs une mission essentielle de service public liée à la sécurité des installations aéroportuaires et du transport aérien.

Il gère ainsi le plus grand domaine aéroportuaire d'Europe, 6.600 hectares composés, notamment, des plateformes de Paris-Charles de Gaulle, Paris-Orly et de l'aéroport d'affaires du Bourget.

ADP constitue, en application des dispositions de l'article L 251-1 du code de l'aviation civile, « un établissement public doté de l'autonomie financière placé sous l'autorité du ministre chargé de l'aviation civile ». A ce titre, comme tout établissement public, il est soumis à un principe de spécialité qui limite son développement économique.

La volonté de faire d'Aéroports de Paris « une véritable entreprise de services » selon les mots du président d'ADP, M. Pierre Graff, comporte plusieurs conséquences.

La première suppose de se libérer du principe de spécialité , qui, limitant le champ d'action d'ADP, ne lui permet pas de répondre de manière suffisamment performante aux attentes des compagnies aériennes, des passagers et des centaines d'entreprises travaillant en liaison avec les plateformes aéroportuaires.

La deuxième implique de renforcer en permanence le « hub » de Paris-Charles de Gaulle afin de faire face à la concurrence des principaux aéroports européens, en premier lieu British Airports Authority - BAA (Heathrow, Gatwick, Stansted, Glasgow, Edinburgh, Aberdeen, Southampton), par ailleurs fortement développée à l'international (Perth et Naples notamment), mais aussi Francfort et Amsterdam-Schipol.

La troisième nécessite de faire face à une économie du transport aérien aujourd'hui largement libéralisée partout dans le monde. ADP ne peut rester durablement à l'écart de l'émergence d'un nouveau modèle européen d'aéroport.

ADP n'a dès lors d'autre choix, tout en réalisant d'importants gains de productivité et en adaptant sa politique commerciale, que d' investir . Compte tenu de son statut d'établissement public, les investissements d'ADP ne peuvent aujourd'hui être financés que par des dotations en capital de l'Etat actionnaire ou par l'endettement. Ces deux modes de financement ont atteint leurs limites. Une recapitalisation d'ADP à la hauteur des investissements prévus sur la période 2005-2007 paraît hors d'atteinte dans le contexte actuel des finances de l'Etat. Le ratio d'endettement de l'établissement public , s'il ne suscite pas de craintes en termes de soutenabilité des charges d'intérêt, est devenu hors de proportion par rapport aux autres entreprises du secteur. Sa détérioration au cours des dernières années laisse peu de marges de manoeuvre sur moyen terme.

La transformation d'ADP en société anonyme, dont le capital resterait majoritairement détenu par l'Etat, doit lui permettre d'augmenter ses fonds propres et de financer son développement à moyen terme. Le corollaire à ce financement de marché réside dans l'amélioration de la productivité de l'entreprise et la progression de la rentabilité des capitaux employés (ROCE), inférieure aujourd'hui à celle des autres entreprises du secteur. Un important travail de mise aux normes comptables de droit commun a par ailleurs été réalisé en 2003.

* 1 Loi n° 2004-803 du 9 août 2004.

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