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N° 722

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 juillet 2012

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

sur la reconnaissance des qualifications professionnelles (E 6967),

PRÉSENTÉE

Par M. Jean BIZET,

Sénateur

(Envoyée à la commission des affaires sociales.)

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM. Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient et Roland Ries, vice présidents ; MM. Christophe Bechu, André Gattolin et Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Eric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean René Lecerf, Jean Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard et Mme Catherine Tasca, membres .

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a présenté le 19 décembre 2011 une proposition de directive modifiant la directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Elle fait suite à un Livre vert et à une phase de consultation. Sa portée est très large puisque ce texte vise la quasi totalité des professions dites réglementées dans les États membres. Ces professions, dont l'accès est restreint par des conditions de diplômes et de qualifications, seraient au nombre de 800 dans l'Union européenne, étant entendu que certaines professions ne sont réglementées que dans quelques États membres. La France se situerait dans la moyenne avec environ 120 professions réglementées. La Suède est la moins réglementée avec une vingtaine de professions seulement. À l'inverse, des pays comme le Royaume-Uni comptent plus de 200 professions concernées.

Le constat de la Commission européenne est que la directive en vigueur, qui date du 7 septembre 2005, n'a pas atteint tous ses objectifs. La liberté d'établissement et la liberté de prestation de services demeurent entravées, selon elle, par des délais et des obstacles administratifs non justifiés. Pour y remédier, la Commission européenne propose de réviser la directive du 7 septembre 2005.

Quelques rappels sur les principes de la directive du 7 septembre 2005 en vigueur

Dans le cas d'une mobilité temporaire (prestation de services), la directive dispose que le professionnel peut travailler, en principe, sur la base d'une déclaration préalable.

Dans le cas d'une mobilité permanente (établissement dans un pays de l'Union autre que celui où les qualifications professionnelles ont été obtenues, à titre de salarié ou non), il faut distinguer selon les professions. Trois systèmes de reconnaissance des qualifications existent :

- Premier système : la reconnaissance automatique pour les professions dont les conditions minimales de formation ont été harmonisées. Sept professions dites « sectorielles » sont concernées : architecte, dentiste, infirmière, sage-femme, médecin, pharmacien et vétérinaire.

La procédure est la suivante. Le professionnel fait sa demande auprès de l'autorité compétente chargée de la profession dans le pays d'accueil et il apporte la preuve de ses qualifications. Cette autorité examine la demande dans un délai de 3 mois. Elle est tenue de reconnaître tous les titres de formation qui figurent à l'annexe V de la directive. Sont inscrits à cette annexe les titres de formation qui satisfont à des exigences minimales de durée de formation initiale et/ou de pratique.

- Deuxième système pour certaines professions dans le domaine de l'artisanat, du commerce et de l'industrie (par exemple celle de coiffeur) . Ces professions peuvent bénéficier d'un système de reconnaissance automatique sur la base de l'expérience professionnelle acquise. La durée exigée varie entre trois et six ans selon une variété de facteurs.

- Troisième et dernier système, le système dit général . La directive organise le régime général de reconnaissance des titres de formation. Le système général sert pour toutes les autres professions réglementées ou pour les professionnels des professions précitées qui n'entrent pas dans les critères de la reconnaissance automatique.

Les qualifications professionnelles sont alors regroupées en cinq niveaux permettant la comparaison des qualifications. La reconnaissance des qualifications intervient si le niveau de qualification professionnelle du migrant est au moins équivalent au niveau immédiatement inférieur à celui exigé dans l'État membre d'accueil. La reconnaissance doit être accordée aussi au migrant dont la profession n'est pas réglementée dans l'État membre d'origine mais qui a exercé à temps plein cette profession pendant deux ans. Dans certaines conditions limitées, l'État membre d'accueil peut imposer des mesures de compensation, c'est-à-dire un stage d'adaptation pendant trois ans au maximum ou une épreuve d'aptitude.

Les modifications proposées par la Commission européenne

La proposition phare est la création d'une carte professionnelle européenne, en réalité un certificat électronique, qui serait délivrée par l'État membre d'origine. Cette carte certifierait l'authenticité des diplômes, l'expérience et les qualifications du professionnel. L'État membre d'accueil n'aurait pas ainsi à demander et vérifier ces documents, d'où un gain de temps en théorie. Il devrait juste valider la carte. Dans le cadre de la mobilité temporaire (prestation de services), la carte serait créée et validée par l'État d'origine.

La carte professionnelle serait optionnelle. Elle ne serait créée que pour les professions qui en feraient la demande. La décision de créer une carte serait prise par la Commission européenne en comitologie.

Toutefois, le dispositif reste à préciser. Les conditions permettant la création d'une carte sont floues. Quand faut-il considérer qu'une profession le demande ? Le problème se pose en particulier quand la profession n'est pas ou peu organisée. Comment faire aussi lorsqu'une profession n'est pas réglementée dans un pays ? Peut-on lui imposer de délivrer une carte et donc créer des charges administratives inutiles pour lui ?

Une autre innovation importante est l'introduction du principe de l'accès partiel à une profession. Ce principe, reconnu par la Cour de justice depuis 2006, permet à un professionnel de n'exercer qu'une partie d'une profession. L'exemple souvent cité est celui du moniteur de snowboard par rapport au moniteur de ski. Ce principe qui doit faciliter la mobilité, en particulier quand les professions ne se recoupent pas exactement d'un pays à l'autre, peut aussi être source d'insécurité juridique. Le caractère séparable d'une activité n'est pas toujours évident, d'autant plus que le texte de la Commission tend à apprécier ces situations au cas par cas, et non profession par profession.

D'autres dispositions relèvent les exigences minimales de formation pour les médecins, sages-femmes, infirmiers... Globalement, cela ne pose pas de difficultés majeures aux professionnels français. L'enjeu est plutôt de faire respecter les exigences figurant déjà dans la directive de 2005.

La proposition de directive demande aussi aux États membres d'examiner l'opportunité de maintenir autant de professions réglementées. Cette réévaluation peut en effet être utile, certains héritages ne se justifiant plus aujourd'hui. La France se situe plutôt dans une bonne moyenne. Mais cet examen ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des consommateurs et des patients.

Enfin, la Commission européenne propose d'inclure les notaires dans le champ de la directive.

D'autres dispositions plus techniques figurent aussi dans le texte, comme la création de « cadres communs de formation », l'utilisation du système d'information du marché intérieur (IMI) pour faciliter la coopération des administrations, la création d'un mécanisme d'alerte pour les professionnels de santé frappés d'une interdiction d'exercer dans un État membre...

Quelle appréciation peut-on porter sur la proposition de directive ?

Tout d'abord, il faut rappeler que notre Haute assemblée a adopté en mars dernier sur ce texte un avis motivé de non conformité au principe de subsidiarité 1 ( * ) . Les griefs concernaient tout particulièrement les règles applicables aux professions de santé ainsi que le manque d'intelligibilité de plusieurs dispositifs clefs, en particulier la carte professionnelle.

Ces griefs demeurent pertinents et la présente proposition de résolution européenne les reprend largement, mais sous un autre angle que celui de la stricte subsidiarité.

Il faut aussi noter le récent travail de Mme Bernadette VERGNAUD, rapporteur de la commission IMCO du Parlement européen. Son projet de rapport qui sera examiné à la fin de l'année a été publié il y a dix jours. Le projet de résolution du Parlement européen cite dans ses visas l'avis motivé du Sénat. Ce point est remarquable et illustre le dialogue croissant entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Au demeurant, la quasi totalité des réserves exprimées dans la présente proposition de résolution rejoignent celles du projet de rapport du Parlement européen.

Cette communauté de vue reflète le sentiment des professionnels concernés. Les auditions conduites ont montré leur extrême maturité, en particulier les professions dites « sectorielles ». Leurs Ordres ont entièrement intégré la logique européenne et leurs réseaux se réunissent régulièrement pour adopter des positions communes. Leur démarche n'est absolument pas protectionniste. Les professions de santé sont sans doute les plus ouvertes aux ressortissants étrangers.

En conséquence, le message de la présente proposition de résolution est double.

Tout d'abord, les objectifs de la proposition de directive sont excellents et les dispositions proposées vont plutôt dans le bon sens en simplifiant les procédures. Par ailleurs, il n'y a pas de recul sur les exigences minimales de formation. Au contraire.

Toutefois, cette méthode a ses limites, car le vrai obstacle à plus de mobilité tient au manque de confiance mutuelle. Les sages-femmes par exemple pointent les écarts très importants de formation entre les pays. Par ailleurs, le champ de compétences de chaque profession n'est souvent pas le même d'un pays à l'autre. En France, les sages-femmes peuvent prescrire. Pas dans les autres pays. Les spécialités médicales ont aussi des contours très différents selon les pays. En outre, il n'est pas rare que les autorités de certains pays ne contrôlent pas sérieusement les qualifications. De faux diplômes circulent aussi.

La question est donc celle de la construction de la confiance. Simplifier ne suffit pas. Pour y parvenir, il faut créer des standards communs élevés de formation. Dans l'idéal, le respect de ces standards devrait être certifié par une autorité européenne indépendante.

Ces conditions ne paraissent pas négociables quand la sécurité des patients ou des consommateurs est en jeu.

En conséquence, en l'état, la crainte principale liée au projet de carte professionnelle européenne est celle d'un dessaisissement des autorités compétentes du pays d'accueil au profit des autorités du pays d'origine. Les autorités du pays d'accueil - c'est-à-dire les ordres professionnels en l'espèce - seraient réduites de facto à un rôle d'enregistrement. Des garde-fous sont nécessaires. C'est ce que propose la proposition de résolution.

S'agissant des exigences minimales de formation, les propositions vont elles aussi dans la bonne direction. Se pose la question du recours aux actes délégués qui permettrait à la Commission européenne seule, mais sous le contrôle du Parlement européen et du Conseil, de modifier et d'actualiser ces exigences. Les actes délégués ont l'avantage de la souplesse et de la rapidité. En revanche, ils ne garantissent pas que les professions concernées soient associées. Or, sans les professions, pas de confiance. La proposition de résolution exprime donc une position réservée, mais ouverte sur ce point précis des actes délégués. Ils peuvent être un moyen d'avancer vers une harmonisation par le haut des exigences de formation.

La création de « cadres communs de formation » mérite de recueillir notre entier soutien. Derrière ce jargon, il s'agit en fait de faire bénéficier toutes les professions du système de la reconnaissance automatique. Ces cadres communs de formation pourront être élaborés par les professionnels représentant un tiers des États membres, contre les deux tiers aujourd'hui.

En revanche, la question de l'inclusion des notaires dans le champ de la directive ne peut recueillir notre sympathie. En effet, la profession de notaire ne peut pas, par nature, entrer dans le champ de la directive. Pour la simple raison que l'on est nommé notaire par le Garde des Sceaux. Être titulaire du diplôme ne suffit évidemment pas pour exercer la profession. Être notaire n'est pas une qualification, mais une fonction. Les notaires détiennent une délégation de l'autorité publique. Ils sont nommés dans une étude déterminée. Il n'existe déjà pas de mobilité des notaires sur le territoire national. Au niveau européen, cela serait encore plus étonnant.

Cette opposition très ferme à l'inclusion des notaires ne signifie nullement une remise en cause de la récente jurisprudence de la Cour de justice de mai 2011. Ces arrêts ont seulement sanctionné la condition de nationalité française. La loi française reconnaît d'ailleurs les diplômes de notariat délivrés par d'autres États membres. Aujourd'hui, un notaire allemand peut demander à être nommé en France.

Au regard de ces observations, la commission des affaires européennes a conclu, à l'unanimité, au dépôt de la proposition de résolution européenne suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (texte E 6967),

Vu la résolution européenne du Sénat (n °107, 2011-2012) portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive précitée,

Vu le projet de rapport de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen publié le 16 juillet 2012 et relatif à la proposition de directive précitée,

Considère que la proposition de directive facilitera et simplifiera la mobilité professionnelle dans l'Union qui est l'un des éléments d'une citoyenneté européenne vivante ;

Observe toutefois qu'au-delà des lourdeurs administratives et de la complexité de la législation en vigueur, le principal obstacle à la mobilité professionnelle dans l'Union demeure le manque de confiance mutuelle entre États membres et entre professionnels ;

Estime que la simplification des procédures ne produira des résultats que si elle s'accompagne d'un renforcement de la confiance mutuelle, laquelle ne se décrète pas mais se construit ;

Souhaite dans cette perspective la définition de standards élevés de formation communs et la création d'un mécanisme indépendant et européen de certification de la qualité des formations dispensées ;

Demande en conséquence au Gouvernement de prendre en considération les recommandations suivantes :

I. Sur la création d'une carte professionnelle européenne

- soutient la création d'une carte professionnelle européenne délivrée par l'État d'origine ;

- estime toutefois que le dispositif proposé demeure flou et que les conditions dans lesquelles les membres d'une profession décideront de se doter d'une telle carte doivent être précisées ;

- juge que la délivrance de cette carte aux professions bénéficiant de la reconnaissance automatique, en particulier les professions de santé, devrait obéir à des règles plus protectrices de la sécurité des consommateurs et de la santé des patients ;

- demande notamment que les autorités compétentes de l'État d'accueil aient le temps et les moyens de vérifier les qualifications du professionnel concerné ; s'oppose en l'état à la validation tacite de la demande de carte en cas de silence de l'État d'accueil ;

- ajoute que les facilités offertes par la carte professionnelle à l'occasion d'une prestation de services ne permettent pas de garantir la sécurité des patients ;

II. Sur les exigences minimales de formation

- approuve le relèvement des exigences minimales de formation pour les professions bénéficiant de la reconnaissance automatique, en particulier les professions de santé ;

- s'interroge néanmoins sur la faculté donnée à la Commission européenne d'actualiser ces exigences par actes délégués ;

- observe en particulier que la procédure des actes délégués ne garantit pas l'association des professions concernées ;

- s'agissant des professions ne bénéficiant pas à ce jour de la reconnaissance automatique, soutient la proposition de « cadres communs de formation » qui pourraient être développés par neuf États membres, puis étendus par la voie d'actes délégués, chaque État gardant la faculté d'y déroger ;

- estime que ces « cadres communs de formation », sorte de coopération renforcée, sont de nature à faire bénéficier un grand nombre de professions de la reconnaissance automatique ;

III. Sur le principe de l'accès partiel à une profession et de la vérification des compétences linguistiques

- approuve l'introduction de ce principe, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- s'oppose toutefois fermement à son application aux professions de santé, car il porterait atteinte à la sécurité des patients ainsi qu'au fonctionnement et à l'organisation des systèmes de santé nationaux ;

- ajoute que la vérification des connaissances linguistiques des professionnels de santé est une condition nécessaire à l'exercice de la profession et que les autorités compétentes doivent être en mesure de s'opposer à l'établissement d'un professionnel si cette condition n'est pas remplie ;

IV. Sur l'inclusion de la profession de notaire dans le champ de la directive 2005/36/CE

- réitère son opposition formelle à l'inclusion des notaires dans le champ de la directive, la nature et le fonctionnement de cette profession étant incompatibles avec la logique présidant à la reconnaissance des qualifications professionnelles ;

- relève que les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 24 mai 2011 confortent et justifient les particularités de cette profession dans le respect du principe de non discrimination ;

V. Sur le réexamen de la liste des professions réglementées

- approuve la démarche obligeant chaque État membre à réexaminer l'opportunité du maintien de certaines professions réglementées, mais attire l'attention sur le fait que cette démarche ne doit pas être assimilée à une quelconque phase précontentieuse.


* 1 Résolution européenne du Sénat n° 107 (2011-2012) portant avis motivé.

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