Document "pastillé" au format PDF (238 Koctets)

N° 680

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 septembre 2015

PROPOSITION DE LOI

tendant à garantir le respect du domicile ,

PRÉSENTÉE

Par Mme Dominique ESTROSI SASSONE, MM. Édouard COURTIAL, Serge BABARY, Jean-Pierre BANSARD, Jérôme BASCHER, Arnaud BAZIN, Jean BIZET, Mme Christine BONFANTI-DOSSAT, M. Bernard BONNE, Mme Pascale BORIES, MM. Max BRISSON, François CALVET, Patrick CHAIZE, Daniel CHASSEING, Mmes Marie-Christine CHAUVIN, Marta de CIDRAC, M. René DANESI, Mme Laure DARCOS, M. Marc-Philippe DAUBRESSE, Mmes Annie DELMONT-KOROPOULIS, Catherine DEROCHE, Jacky DEROMEDI, Chantal DESEYNE, M. Alain DUFAUT, Mme Catherine DUMAS, M. Laurent DUPLOMB, Mmes Nicole DURANTON, Jacqueline EUSTACHE-BRINIO, M. Bernard FOURNIER, Mme Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, MM. Ronan LE GLEUT, Daniel GREMILLET, Jacques GROSPERRIN, Mme Pascale GRUNY, MM. Roger KAROUTCHI, Guy-Dominique KENNEL, Marc LAMÉNIE, Mmes Élisabeth LAMURE, Florence LASSARADE, M. Robert LAUFOAULU, Mme Christine LAVARDE, MM. Antoine LEFÈVRE, Dominique de LEGGE, Jean-Pierre LELEUX, Henri LEROY, Mmes Vivette LOPEZ, Viviane MALET, MM. Didier MANDELLI, Jean-François MAYET, Sébastien MEURANT, Mme Brigitte MICOULEAU, M. Alain MILON, Mme Patricia MORHET-RICHAUD, MM. Jean-Marie MORISSET, Philippe MOUILLER, Olivier PACCAUD, Stéphane PIEDNOIR, Jackie PIERRE, Cyril PELLEVAT, Rémy POINTEREAU, Christophe PRIOU, Mmes Frédérique PUISSAT, Évelyne RENAUD-GARABEDIAN, MM. Charles REVET, Hugues SAURY, René-Paul SAVARY, Michel SAVIN, Jean SOL, Mmes Claudine THOMAS, Catherine TROENDLÉ et M. Jean-Pierre VIAL,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« La maison de toute personne habitant sur le territoire français est un asile inviolable » 1 ( * ) . Le droit au respect du domicile est constitutionnellement 2 ( * ) et conventionnellement 3 ( * ) garanti.

Dans sa mission de garant des droits et libertés de valeur constitutionnelle, il incombe au législateur de veiller au respect de la vie privée et du droit de propriété. L'actualité récente souligne tout l'enjeu du débat ; il n'est nul besoin de rappeler « l'affaire Maryvonne » qui, du haut de ses 83 ans s'est retrouvée mise à la porte de sa maison.

S'il ne peut être question de remettre en cause le droit au logement et à un mode de vie décent, il n'est pas davantage admissible que des particuliers puissent être privés de leur logement après une courte absence, une hospitalisation ou une période de vacances.

Or, le développement de la pratique des « squats » prend des proportions préoccupantes pour une raison bien simple : un « squatteur » a autant de facilité à s'installer que les pouvoirs publics ont de difficultés à le déloger.

Cette proposition de loi n'a pas pour objet de mettre en place un dispositif d'expulsion dérogatoire au droit commun, ni de revenir sur les garanties qui encadrent les procédures d'expulsion actuelles, mais bien de restaurer l'équilibre entre les parties et de renforcer l'efficacité du dispositif existant , principalement dans ses volets pénal et administratif.

Les procédures pénales pour violation de domicile visent à sanctionner l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet. Le maintien dans le domicile d'autrui est également sanctionné. Issue d'une réforme législative récente 4 ( * ) , cette nouvelle rédaction de l'article 226-4 du code pénal tend à mettre un terme à la controverse sur le caractère continu ou instantané de l'infraction de violation de domicile.

Contrairement à ce qui est souvent avancé, le droit positif ne fixe aucun délai précis pour la flagrance, quelle que soit l'infraction concernée 5 ( * ) . L'intervention des forces de l'ordre est donc possible tout le temps que durent les « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ».

La jurisprudence est, par contre, partagée quant au caractère continu ou instantané de l'infraction de violation de domicile. Face à cette incertitude jurisprudentielle, les forces de l'ordre estiment généralement qu'il est préférable de constater l'occupation illicite dans les plus brefs délais ; parfois même, elles refusent d'y procéder au motif que les manoeuvres ayant permis l'introduction dans le domicile ont cessé.

Cette situation ne résulte pas de la fixation d'une durée prétorienne de 48 heures pour constater la flagrance, mais d'une ambigüité dans la rédaction de l'article 226-4 du code pénal que la loi du 24 juin 2015 entend lever. En effet, en étendant la répression de l'infraction de violation de domicile à l'hypothèse du maintien dans le domicile d'autrui, le nouveau code pénal entendait transformer cette infraction instantanée en infraction continue. Certaines juridictions considèrent néanmoins que la violation de domicile se commet lors de l'entrée ou du maintien dans les lieux, à chaque fois qu'il est fait usage de manoeuvres, menaces ou voies de fait pour y parvenir . Dès lors, si les manoeuvres n'ont été utilisées qu'au moment de l'introduction dans le domicile, le flagrant délit ne peut être constaté que dans un temps très voisin de l'introduction dans le domicile, même si l'occupation s'est poursuivie pendant un certain temps. De plus, certaines personnes ont pu entrer régulièrement, avec l'accord du légitime occupant, puis refuser de quitter les lieux - sans que cela ne soit en l'état répréhensible.

La loi du 24 juin 2015 lève partiellement cette difficulté en précisant que le maintien dans le domicile n'a pas à être accompagné de manoeuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte. Mais elle ne règle pas tout. Nombreux sont les « squatteurs » prétendant être entrés par la porte d'entrée préalablement ouverte par un cambrioleur. D'autres encore effacent les marques de leur effraction, réparent les portes et changent les serrures qu'ils ont forcées... Ainsi, l'entrée dans les lieux n'ayant été précédée d'aucune manoeuvre - ou celles-ci ne pouvant être prouvées -, l'infraction de violation de domicile n'est pas caractérisée.

Il est donc proposé de modifier la rédaction de l'article 226-4 du code pénal afin de réprimer l'introduction ou le maintien dans le domicile d'autrui, à l'insu ou contre la volonté du propriétaire ou du titulaire du bail, dès lors que l'occupant y est entré sans titre et, ainsi, de supprimer toute référence aux « manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » ( article 1 er ).

Qui plus est, la loi du 24 juin 2015 n'a pas modifié la procédure d'évacuation forcée administrative dont la mise en oeuvre découle directement de la rédaction du texte d'incrimination de la violation de domicile. En effet, l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 donne compétence au préfet pour mettre fin à l'occupation illégale d'un domicile, en dehors de tout jugement 6 ( * ) . Cette procédure est aussi simple qu'efficace. Elle a pour seule, mais importante, limite de fonder sa mise en oeuvre sur la définition de la violation de domicile. Ainsi et suivant le même débat que pour la caractérisation d'une infraction flagrante, l'évacuation forcée ne peut être mise en oeuvre que si les manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte sont actuelles.

Il est donc proposé d'opérer, à l'article 38 de la loi du 5 mars 2007, le même élargissement que pour la violation de domicile et, ainsi, de permettre qu'il y soit fait recours en cas d'introduction ou de maintien dans le domicile d'autrui à l'insu ou contre la volonté du propriétaire ou du titulaire du bail, dès lors que l'occupant y est entré sans titre .

En l'état du droit, le préfet a la faculté d'adresser une mise en demeure à l'occupant illégitime. Ce n'est que lorsque cette mise en demeure de quitter les lieux n'a pas été suivie d'effet dans le délai fixé que le préfet doit procéder à l'évacuation forcée du logement. En pratique, il y est rarement recouru. Il pourrait être envisagé de changer cette faculté en obligation, dès lors, bien-sûr, que l'occupation est illégitime . En tout état de cause, le préfet est tenu de reloger les occupants qui seraient de « bonne foi » en application des dispositions de la loi du 5 mars 2007.

La mise en demeure est certes assortie d'un délai minimal d'exécution, mais elle ne comprend pas de délai maximal. On ne peut pour autant imaginer que, dans le silence de la loi, l'autorité administrative fixe des délais d'exécution de plusieurs semaines ou mois. Un délai maximal de sept jours apparaitrait raisonnable.

Si la jurisprudence relative à la notion de domicile est aujourd'hui clairement établie, il n'existe pas pour autant de définition légale de cette notion. Les débats parlementaires préalables à l'adoption de l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 7 ( * ) ont mis en lumière toutes les incertitudes entourant cette notion. Il pourrait donc être envisagé de définir la notion de domicile comme le lieu, habité ou non, où une personne a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation (titre de propriété, contrat de bail, convention d'occupation gracieuse...) et l'affectation donnée aux locaux, à l'exclusion des logements vides .

Les occupants sans titre cherchent à se procurer au plus vite des documents attestant de leur domiciliation effective dans le logement « squatté ». À cette fin, ils s'adressent des courriers pour disposer d'une date certaine (le cachet de la poste), souscrivent par Internet à des abonnements téléphoniques, font ouvrir un compteur électrique ou même se comportent de manière à ce qu'une plainte pour tapage nocturne soit déposée à leur encontre, de manière à disposer d'une preuve irréfutable de leur présence dans les lieux.

Ces manoeuvres sont destinées à les faire passer pour légitimes occupants et donc à interdire la procédure administrative d'évacuation forcée. Il est proposé de mentionner à l'article 38 de la loi du 5 mars 2007 que seule la présentation d'un titre rendant légitime l'occupation permet de faire échec à la mise en oeuvre de l'article 38 . Ainsi, la présentation d'une facture d'eau, d'électricité ou de téléphone restera sans effet. ( article 2 )

Les sites Internet incitant au « squat » ou donnant des conseils pour ne pas être délogés se multiplient dans la plus totale impunité. Il pourrait être envisagé d'incriminer spécialement tout comportement provoquant ou facilitant l'occupation illicite d'un domicile (article 3). L'autorité administrative doit, enfin, être mise en mesure de faire retirer sans délai les contenus illicites des services de communication au public en ligne ( article 4 ).

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article 226-4 du code pénal est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, après les mots : « L'introduction », sont insérés les mots : « ou le maintien » et les mots : « à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte » sont remplacés par les mots : « à l'insu ou contre la volonté du propriétaire ou du titulaire du bail, dès lors que l'occupant y est entré sans titre  » ;

2° Le second alinéa est supprimé.

Article 2

L'article 38 de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Les mots : « à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte » sont remplacés par les mots : « à l'insu ou contre la volonté du propriétaire ou du titulaire du bail, dès lors que l'occupant y est entré sans titre » ;

b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« Lorsque ces conditions sont réunies, le représentant de l'État dans le département prend un arrêté de mise en demeure. » ;

2° La première phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : « , ni supérieur à sept jours » ;

3° Le dernier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Seule la présentation d'un titre rendant légitime l'occupation permet de faire échec à la mise en oeuvre du présent article. » ;

4° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Le domicile est le lieu, habité ou non, où une personne a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l'affectation donnée aux locaux, à l'exclusion des logements vides. »

Article 3

Le chapitre VI du titre II du livre I er du code de la construction et de l'habitation est complété par un article L. 126-4 ainsi rédigé :

« Art. L. 126-4 . - La propagande ou la publicité, quel qu'en soit le mode, en faveur de l'occupation sans droit ni titre d'un domicile est punie de 3 750 € d'amende.

« La peine est portée à 7 500 € d'amende lorsque :

« 1° L'infraction est commise au moyen d'un service de communication au public en ligne ;

« 2° La propagande ou la publicité est suivie d'effet.

« Les personnes déclarées responsables pénalement peuvent en outre être condamnées à la peine complémentaire de suspension de l'accès à un service de communication au public en ligne pour une durée maximale d'un an, assortie de l'interdiction de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur un service de même nature auprès de tout opérateur, dans les conditions prévues à l'article L. 335-7 du code de la propriété intellectuelle.

« Les services de communication au public en ligne contrevenant au présent article sont fermés. La décision est notifiée aux personnes mentionnées au 1 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. »

Article 4

À la première phrase du premier alinéa de l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, après les mots : « même code », sont insérés les mots : « , ou contre la propagande ou la publicité en faveur de l'occupation illégale d'un domicile relevant de l'article L. 126-4 du code de la construction et de l'habitation » et sont ajoutés les mots : « du code pénal et L. 126-4 du code de la construction et de l'habitation ».


* 1 Article 76 de la Constitution du 22 frimaire An VIII

* 2 DC 90-281 du 27 décembre 1990

* 3 Article 8 de la convention européenne des droits de l'homme

* 4 Loi n°2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l'infraction de violation de domicile.

* 5 Est flagrant, le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. On considère généralement qu'il faut un acte toutes les 24 heures pour "tenir la flagrance" ; si cette condition est remplie, la flagrance peut durer bien plus de 48 heures.

* 6 « En cas d'introduction et de maintien dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peut demander au préfet de mettre en demeure l'occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire ».

* 7 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi « DALO ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page