EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n°2021-646 du 26 mai 2021 « pour une sécurité globale préservant les libertés », issue de l'adoption d'une proposition de loi rédigée conjointement par le ministère de l'Intérieur et la majorité gouvernementale à l'Assemblée nationale, est porteuse d'un véritable projet de société libéral appliqué en matière de sécurité publique.

Cette loi s'inscrit dans les choix des politiques menées depuis 2002, basées sur le « tout sécuritaire », qui se sont toutes révélées contre-productives et à contre-courant des inquiétudes et des attentes de nos concitoyens en la matière.

Avec cette loi dite de « sécurité globale », le projet de société alimenté depuis de nombreuses années, est arrivé à un point de maturation important. Il s'agit avec cette proposition de loi d'abrogation d'y couper court et de supprimer tous les dispositifs délétères pour notre cohésion sociale et le respect de nos principes républicains. Nos motifs sont nombreux :

- D'abord, ce projet s'appuie sur le déploiement et le renforcement d'un maillage d'agents de sécurité sur tout le territoire . Aux carences d'agents de police et de gendarmerie nationales, la réponse apportée par cette loi consiste à augmenter les effectifs d'agents de police municipale et d'agents de sécurité privée, ainsi que leurs prérogatives propres. Tout cela dans un but de « continuum de sécurité », formule attrayante qui porte en elle la marchandisation de notre sécurité publique et permet la délégation de missions de services publics à des entreprises n'ayant pour unique finalité que la recherche de la rente.

- En parallèle, cette loi a permis l'émergence d'un cadre élargi d'outils de surveillance massive (le pendant « automatisé » au déploiement d'agents de sécurité aux profils divers) : des caméras individuelles « fixées » sur les agents de police, de gendarmerie, d'agents municipaux, et désormais sur les agents RATP et SNCF, nous sommes passés à la démultiplication des caméras embarquées sur le matériel roulant notamment, en plus des caméras de vidéosurveillance fixes» déjà largement implantées dans l'espace public. L'entrée en vigueur de cette loi a même permis une innovation très importante : celle d'un cadre juridique pour les caméras aéroportées sur des engins volants sans pilotes, autrement dits les drones ... même si plusieurs dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel (notamment l'usage de ces drones par les polices municipales).

- Par ailleurs, tous les dispositifs présentés dans cette loi ont ceci en commun d'augmenter la surveillance et la répression dans l'espace public, et par conséquent de mettre en péril plusieurs libertés publiques fondamentales , telles que :

- la liberté d'aller et venir anonymement dans l'espace public ;

- la liberté et le droit de manifester qui, comme l'exposaient d'ailleurs la Défenseure des droits et la Commission nationale consultative des droits de l'homme, est notamment menacée par le développement des outils de surveillance de masse, tels que les drones, dans le cadre d'un recours démultiplié à la captation d'images qui conduira les populations à « s'autocensurer   ;

- en outre, cet usage disproportionné de nouvelles technologies porte atteinte au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles comme l'a, à plusieurs reprises, rappelé la Cour européenne des droits de l'homme ;

- et, enfin, le dispositif porté par le fameux « article 24 » dans sa rédaction initiale portait atteinte également à la liberté et au droit d'informer ...

La rédaction finale de ce dernier dispositif (réinjecté dans la loi dite « Séparatisme ») est d'ailleurs si floue qu'elle laisse toujours une latitude importante pour réprimer tout comportement visant à dénoncer des actes commis par les forces de l'ordre et donc à limiter la contestation au profit d'un pouvoir de police fort et indiscutable. Plutôt que d'avouer qu'un problème est notable dans les pratiques policières, un dispositif a été déployé pour que toute dérive soit invisibilisée. Aussi, ne s'agit-il en aucun cas de protéger les policiers mais d'empêcher toute diffusion d'image compromettante.

- Avec cette loi, un changement de paradigme a été acté en matière de sécurité publique.

L'espace public est devenu un espace de contrôle et de suspicion, chaque citoyen étant considéré comme un suspect potentiel, voire comme un terroriste potentiel, a minima , comme une menace.

Ainsi, un manifestant aujourd'hui peut être considéré, de haut rang, non plus comme un individu exprimant son désaccord politique avec le gouvernement mais comme un ennemi 1 ( * ) .

Avec cette loi, nous sommes désormais bien loi de la tradition française de maintien de l'ordre de désescalade de la violence. Nous assistons, au contraire, à un déferlement de violence ces dernières années à l'égard du mouvement social en particulier. Nous estimons qu'il est temps de penser et de mettre en oeuvre une nouvelle doctrine du maintien de l'ordre. Trop souvent des événements, manifestations, compétitions sont le théâtre d'un usage de la force contre-productif et disproportionné.

- En défendant l'entrée en vigueur de cette loi, le gouvernement a fait la démonstration de son incapacité à penser la police dans notre démocratie. Depuis des décennies, ont été mises bout à bout plusieurs réformes de la police, sans réévaluer le système de police dans son ensemble, sans poser la question des valeurs, ou encore du contrôle de la police, largement défaillant.

En outre, ce gouvernement (dans les pas des précédents) a développé une vision policière de la cohésion sociale. Comment ne pas constater que ce projet de « sécurité globale » accompagne l'hyper présidentialisation (et l'abaissement du Parlement) et la fuite en avant libérale participant à la casse des droits sociaux et au bradage des services publics ?

D'ailleurs, la terminologie de « sécurité globale » est une terminologie américaine : aux États-Unis, cela signifie que police et armée font partie d'une même globalité. Est-ce l'orientation que nous souhaitons pour notre police républicaine ? Est-ce ainsi que nous répondons aux attentes de nos concitoyens ?

- Ce que nous défendons, au groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, c'est l'objectif de définir une politique progressiste de sécurité, une véritable refondation pour une police respectueuse des principes républicains, proche des citoyens, au service de leurs attentes et de leurs besoins. La nécessaire protection des biens et des personnes ne pourra s'affirmer en dehors d'une telle perspective.

Nous ne sommes pas de celles et ceux qui pensent que nous basculons tout à coup vers un régime autoritaire, mais nous estimons en revanche, qu'au fil des lois sécuritaires, antiterroristes ou en matière de sécurité intérieure, une construction progressive est à l'oeuvre : par « petites touches », comme l'exprime également le professeur en droit privé et sciences criminelles Olivier Cahn « si l'on juxtapose toutes les lois depuis environ 2014, pas à pas les libertés disparaissent », tel que l'avait pressenti Tocqueville au XVIIIème siècle : c'est dans le renoncement à la liberté que se trouve le danger majeur pour la société démocratique.

Un danger exacerbé avec cette loi qui va dans le sens d'une société panotpique 2 ( * ) , d'une société disciplinaire où le contrôle social est la règle ... une société qui n'a rien à envier aux meilleures dystopies.

Et cela apparaît d'autant plus troublant dans le contexte particulièrement compliqué que nous vivons où nos libertés sont drastiquement réduites, face à la double menace pandémie de covid-19 / terrorisme. Alors qu'il est difficile d'entrevoir un paysage plus lumineux, plus serein, le gouvernement a fait le choix de générer de l'angoisse, avec cette loi venue s'ajouter à toute une série d'autres lois qui ont en commun leur aspect ultra sécuritaire et qui laissent miroiter une lutte efficace contre toute menace dans l'espace public.

La sécurité publique ne peut se concevoir que sous le prisme du triptyque prévention, dissuasion et répression. Ces trois volets sont aujourd'hui largement déséquilibrés, la quasi-totalité des moyens matériels, et intellectuels d'ailleurs, étant allouée au volet répressif, au détriment des deux autres volets essentiels et indispensables à la fois pour assurer la protection de la population mais aussi pour lutter efficacement contre la récidive.

Nous pensons pour notre part que la lutte contre l'insécurité exige la mobilisation de l'ensemble des services publics, leur développement dans tous les territoires de la République. Un vrai texte de sécurité globale ne devrait-il pas contenir des mesures quant au logement, à l'éducation, à l'alimentation ? C'est sur un terreau de disparition des services publics que se développent les trafics de stupéfiants et la loi des bandes criminelles organisées.

Pour toutes ces raisons, nous proposons d'abroger cette loi « sécurité globale », selon nous contraire au respect de nos principes républicains qui, en matière de sécurité, puisent notamment leur source à l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.»


* 1 C'est ce que semblait signifier le préfet de police de Paris, M. Lallement, en novembre 2019, en s'adressant à une manifestante en ces termes : « Nous ne sommes pas dans le même camp ». De quel camp s'agissait-il ?

* 2 Cf. L'article « Surveiller et prévenir. La nouvelle société panoptique » du sociologue Christian Laval (Revue du MAUSS 2012/2- n° 40)

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