EXPOS?É DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Lors de ces derniers mois et dernières semaines se sont enchaînées des violences inacceptables, commises par des policiers, qui ont choqué le pays. Ces épisodes interrogent sur le sentiment d'impunité dont bénéficient parfois les auteurs de ces actes et ont provoqué par la même occasion un aggravement de la rupture du lien de confiance entre police et population. Cette proposition de loi vise à donner une véritable indépendance d'action aux dépositaires des missions actuellement dévolues à l'Inspection générale de la Police nationale (IGPN) de veille au respect, par les fonctionnaires de police, des lois et des règlements et du code de déontologie de la Police nationale, afin de garantir que les policiers qui commettraient des manquements à la déontologie soient effectivement sanctionnés. Pour se faire, elle prévoit de réaffecter la responsabilité de cette mission à l'autorité administrative indépendante du Défenseur des droits, et plus précisément à son adjoint en charge du respect de la déontologie par les professionnels de la sécurité.

Le phénomène des violences policières n'est pas nouveau. Les inégalités augmentent, les discriminations persistent, et nos institutions semblent incapables d'y répondre démocratiquement. La France est donc traversée depuis plusieurs années par des mouvements de contestation sociale massifs et radicaux. Ces mouvements ont été le théâtre de violences, et ont fait l'objet d'une répression de plus en plus vigoureuse. Tragique virage que celui pris par notre pays : la doctrine de la répression a remplacé celle du maintien de l'ordre. Si nous pouvons considérer que l'État a le monopole de la violence légitime, nous devons refuser la doctrine selon laquelle l'État aurait le droit moral de blesser. Le fait d'être dépositaire d'une autorité ne confère pas le droit moral d'en abuser. « Les manifestants font preuve d'une grande brutalité ? » Nous ne devons pas accepter ce parallèle dangereux entre la violence des uns et celle des autres : en effet si les forces de l'ordre doivent avoir le monopole de la violence, elles doivent également et surtout en avoir la maîtrise . Sinon c'est accepter une logique du camp contre camp, à laquelle ne peut souscrire une police républicaine défenseuse de l'intérêt général.

Cette répression des manifestations, parce qu'elle s'exerce souvent dans les limites de la légalité, interroge. Les images, les témoignages, les chiffres des blessés graves en attestent : la violence dont fait usage la police est-elle proportionnée ? La chaîne de commandement assume-t-elle entièrement sa responsabilité ? La doctrine du maintien de l'ordre qui est aujourd'hui mise en oeuvre est-elle adaptée ?

De son côté, la police vit sur le terrain une situation extrêmement difficile (commissariats délabrés, matériel vieillissant et en nombre insuffisant, tâches administratives chronophages...) qui a pour conséquence des conditions de travail très dégradées. La souffrance au travail des policiers doit être entendue, et résolue. Contrairement au discours du gouvernement, il importe de clarifier : dénoncer les violences policières, ce n'est pas oublier les fonctionnaires qui au quotidien font honneur à leur uniforme . Ce n'est pas faire l'impasse sur le comportement admirable de milliers de policiers, y compris dans les manifestations, qui protègent nos concitoyens. C'est au contraire rendre hommage à ces agents, nombreux, qui ne dévient pas de leur mission. Et rappeler à l'État la sienne : donner à la police les moyens de ses missions et assurer en retour un contrôle nécessaire, dans le strict respect de l'État de droit.

Les révélations parues dans les journaux faisant état de faits de racisme de grande ampleur dans les rangs de la police doivent être prises au sérieux et traitées à la racine. La parole doit se libérer au sein des forces de l'ordre, et les fonctionnaires victimes ou témoins de tels agissements doivent pouvoir agir en obtenant le soutien de leur hiérarchie.

Le cercle vicieux de la violence et du sentiment d'impunité doit s'arrêter. Il est temps de rétablir la confiance des citoyens envers les forces de l'ordre.

Le Défenseur des droits répète depuis six ans aux gouvernements successifs, combien le respect de la déontologie par les forces de l'ordre constitue un élément central de la confiance des citoyens à l'égard des institutions. Peine perdue. En 2019, les réclamations contre la déontologie des forces de l'ordre ont augmenté de 29 %. La police des polices s'est vu confier 1460 enquêtes judiciaires en 2019, en hausse de 23,7 % en un an, dont plus de la moitié visent des accusations de « violences » des forces de l'ordre. Le Défenseur des droits a également demandé l'engagement de poursuites disciplinaires dans trente-six dossiers. Or aucune de ses demandes, pourtant rares et circonstanciées au regard du nombre de dossiers traités sur la même période (3 987 réclamations, soit 1 %), n'a été suivie d'effet .

L'État doit de toute urgence réformer la culture policière, ce qui suppose de modifier les structures de la police. Le contrôle du comportement des agents de police par leur hiérarchie intermédiaire doit être préventif .

Quant au contrôle a posteriori dont tout le monde s'accorde à dénoncer les lacunes, il doit être révisé. Les images frappantes de l'interpellation de Michel Zecler ont conduit le ministre de l'Intérieur et le président de la République à reconnaître l'existence d'un problème structurel au sein de la police. Le gouvernement semble désormais ouvert à la nomination d'une personnalité indépendante à la tête de l'IGPN et réfléchit à une réforme de l'institution. Nous semblons être sur le bon chemin, et cette proposition de loi vise à apporter une solution concrète à cette prise de conscience récente du gouvernement.

Ainsi, l'auteure de la proposition de loi entend constituer une autorité indépendante et impartiale qui aura la charge du contrôle a posteriori de l'exercice de leurs missions par les forces de l'ordre.

Cette autorité, elle existe déjà et l'auteure entend réviser la nomination de sa direction, la qualité de ses agents, et le périmètre de ses missions : il s'agit du collège « Déontologie de la sécurité » du Défenseur des droits, dirigé par le vice-président de l'Autorité Administrative Indépendante.

Aujourd'hui ce collège aborde les règles de bonne conduite des représentants de l'ordre, qu'ils soient publics ou privés. Cette proposition de loi vise à réviser sa structuration, lui permettant d'une part de conserver ses missions de contrôle externe de la déontologie des forces de l'ordre, de les renforcer en lui donnant des moyens de police judiciaire, et enfin de lui transférer une grande partie des missions de contrôle interne aujourd'hui détenues par l'IGPN.

Premier pas dans la reconstruction d'un lien solide de confiance entre les citoyens et la police, elle appelle d'autres mesures à sa suite, comme l'allongement et la réforme en profondeur de la formation des policiers, ainsi que la réinstallation dans nos quartiers d'une véritable police de proximité.

Le premier article de cette proposition de loi vise à requalifier l'adjoint du Défenseur des droits, vice-président du collège chargé de la déontologie dans le domaine de la sécurité, tel qu'énoncé par l'article 11 de la loi organique du 29 mars 2011. Sur le modèle du Défenseur des enfants, dont l'intitulé de la fonction donne une force non négligeable à la mission, le vice-président de ce collège prendrait désormais le titre de « Déontologue des forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions et des forces de sécurité privées ».

Afin de garantir l'impartialité du Déontologue des forces de l'ordre, l'article 2 de la proposition de loi vient compléter l'article 11 de la loi organique précitée et prévoit que le Déontologue est nommé sur proposition du Défenseur des droits par le Premier ministre, après avis conforme des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat, en indiquant qu'il doit s'agir d'un magistrat de l'ordre judiciaire . Conformément à l'article 3 de la même loi organique, il devrait alors être placé en position de détachement.

Les auteurs de cette proposition de loi estiment que la composition du collège énoncée par l'article 13 de la loi organique ne tient pas assez compte des enjeux d'impartialité et de diversité des parcours. C'est pourquoi ils souhaitent, à travers l'article 3 , modifier la composition de ce collège en permettant la nomination d'un avocat et d'une personnalité qualifiée issue du monde associatif.

L'article 4 attribue des pouvoirs de police judiciaire tels qu'autorisés par l'article 28 du Code de procédure pénale aux services placés sous l'autorité du Déontologue. Les auteurs estiment indispensable qu'ils puissent bénéficier d'un véritable pouvoir d'investigation en cas d'infraction pénale commise par un membre des forces de l'ordre. Les articles 18 et suivants de la loi organique susvisée, relatifs aux moyens d'information du Défenseur des droits, procèdent de cette attribution.

La proposition de loi entend renforcer les pouvoir de ce collège, c'est pourquoi il ne sera plus seulement en charge de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire. Le Déontologue aura la charge du contrôle de l'exercice de leurs missions par les forces de l'ordre. L'article 5 entend ainsi élargir ses missions.

L'article 6 dresse une liste des nouvelles missions dont le Déontologue des forces de l'ordre aura la charge pour que le contrôle de l'exercice des forces de sécurité intérieure devienne le symbole de l'impartialité et non celui de l'impunité.

La médiation étant une solution à rechercher lorsque la plainte dont le Déontologue des forces de l'ordre dans l'exercice de leurs missions est saisi ne constitue pas une infraction, l'article 7 vient mentionner expressément cette voie.

Pour aider les fonctionnaires de police et de gendarmerie dont l'état général d'épuisement, le manque de moyens, la perte de sens du métier et la faiblesse de la formation initiale et continue ne cessent de se manifester, il convient de rappeler à l'État qu'une de ses missions est de donner à la police les moyens de ses actions. Ainsi l'article 8 de cette proposition de loi entend préciser l'article 34 de la proposition de loi organique précitée pour donner au Déontologue des forces de l'ordre des missions en matière d'évaluation des formations, d'études sur les règles et pratiques professionnelles, et de prévention des risques psychosociaux.

En l'état actuel du droit, toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu'ils constituent un manquement aux règles de la déontologie, commis par une ou plusieurs des personnes appartenant aux forces de l'ordre, peut saisir le Défenseur des droits . Ce droit appartient également aux ayants droit des victimes.  Le Défenseur des droits peut également s'autosaisir même en l'absence de plainte. Les auteurs de cette proposition de loi estiment cependant que cette auto-saisine suppose qu'il soit informé des plaintes et mains courantes déposées contre les forces de l'ordre. C'est pourquoi l'article 9 de cette proposition de loi organise la transmission automatique des plaintes déposées en commissariat et en gendarmerie concernant les manquements aux règles de déontologie dans le domaine de la sécurité.

Des moyens complémentaires doivent être accordés au Défenseur des droits en loi de finances afin de l'accompagner dans ses missions. L'activité de l'institution ne cesse de croître d'année en année (+ 30 % de réclamations en 5 ans) et cette proposition de loi entend participer nettement à ce renforcement. Les auteurs de cette proposition de loi veilleront à ce que la prochaine loi de finances prenne en compte cette nécessaire augmentation des crédits. Dans l'attente l'article 10 demande au gouvernement de remettre au Parlement un rapport pour évaluer les besoins financiers et humains du Défenseur des droits.

L'article 29 de la loi organique prévoit que le Défenseur des droits peut saisir l'autorité investie du pouvoir d'engager les poursuites disciplinaires des faits dont il a connaissance et qui lui paraissent de nature à justifier une sanction. Cette autorité informe le Défenseur des droits des suites réservées à sa saisine et, si elle n'a pas engagé de procédure disciplinaire, des motifs de sa décision. À défaut d'information dans le délai qu'il a fixé ou s'il estime, au vu des informations reçues, que sa saisine n'a pas été suivie des mesures nécessaires, le Défenseur des droits peut établir un rapport spécial qui est communiqué à l'autorité investie du pouvoir d'engager les poursuites. Il peut rendre public ce rapport et, le cas échéant, la réponse de cette autorité.

L'article 11 entend, sur le modèle de l'Independent Office for Police Conduct, renforcer l'effectivité des recommandations d'engagement de poursuites disciplinaires en permettant au Déontologue des forces de l'ordre de définir lui-même les sanctions disciplinaires.

Le Défenseur des droits doit déjà informer le procureur des faits portés à sa connaissance qui sont constitutifs d'un crime ou d'un délit (ce dernier devant l'informer des suites données à ses transmissions- article 33). Cependant, il n'est pas prévu en retour que le procureur de la République avise le Défenseur de toutes les poursuites relatives à ses domaines de compétence et, le cas échéant, des suites qui lui sont données, comme c'est le cas s'agissant de la CNIL. C'est pourquoi l'article 12 propose, sur le modèle de la CNIL, de parfaire l'information du Déontologue des forces de l'ordre en lui permettant d'utiliser pleinement la possibilité qui lui est déjà ouverte de demander à être auditionné par les juridictions (son audition étant de droit) ou de présenter des observations écrites (article 33).

L'auteure de la proposition de loi attend du gouvernement qu'il prenne par décret les dispositions nécessaires à l'évolution des missions de l'IGPN induites par cette proposition de loi et qu'il lève le gage nécessaire aux dotations supplémentaires de l'institution du Défenseur des droits prévu dans l'article 13 .

Tels sont, Mesdames et Messieurs, les motifs de la proposition de loi qui vous est soumise.

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