IRLANDE

La singularité de la situation de l'Irlande en matière d'interruption de grossesse justifie que l'on présente, tout d'abord, les principaux avatars que cette question a connus depuis le début des années 1980, avant d'examiner le régime actuellement en vigueur.

A. L'EVOLUTION DE LA QUESTION DE L'AVORTEMENT EN IRLANDE DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES 1980

Les articles 58 et 59 de la loi sur les atteintes aux personnes de 1861 (Offences Against the Person Act 1861) sanctionnaient, jusqu'en 2013, d'une peine d'emprisonnement à perpétuité le fait de provoquer ou de tenter de provoquer un avortement, d'administrer des produits abortifs ou de fournir des substances nocives ou des instruments destinés à des manoeuvres abortives. Ces dispositions n'étaient en pratique pas appliquées 25 ( * ) .

Après que la Cour suprême des États-Unis d'Amérique a rendu son arrêt Roe v. Wade US 113 (1974), un groupe d'opinions, craignant que la Cour Suprême irlandaise n'adopte une position similaire, a souhaité que l'interdiction de l'avortement figure dans la Constitution. Tel a été l'objet du huitième amendement à ce texte, adopté en 1983, qui a modifié l'article 40.3.3 de la Constitution afin de prévoir que « L'État reconnaît le droit à la vie du non-né (unborn) dans le respect (with due regard) du droit égal à la vie de la mère et garantit le respect dans ses lois et, dans la mesure du possible, par ses lois, de la défense (defend and vindicate) de ce droit ».

Le même article a été modifié à la suite de l'adoption par voie référendaire, en décembre 1992, de deux dispositions tendant à préciser que l'article 40.3.3° précité ne limite pas la liberté de :

- se rendre à l'étranger ;

- ni celle d'obtenir ou de mettre à disposition, en Irlande, des informations concernant des actes qui peuvent être accomplis légalement à l'étranger, c'est-à-dire des interruptions de grossesse.

La Cour suprême irlandaise a été saisie, en 1992, d'une demande dans des conditions particulièrement dramatiques (voir encadré infra ) et a jugé que, compte tenu des dispositions de la Constitution, l'avortement était possible en cas de risque de suicide de la femme enceinte.

Le législateur irlandais n'a cependant pas, avant 2013, adopté de dispositions tendant à l'application de ce texte pour concilier les droits respectifs du « non-né » et de ceux la femme enceinte.

De ce fait, l'Irlande a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme, pour violation de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme car la Cour a jugé que « faute d'avoir adopté des dispositions législatives ou réglementaires instituant une procédure accessible et effective au travers de laquelle la requérante aurait pu faire établir si elle pouvait ou non avorter en Irlande sur le fondement de l'article 40.3.3 de la Constitution, les autorités ont méconnu leur obligation positive d'assurer à l'intéressée un respect effectif de sa vie privée » 26 ( * ) . Elle ajoutait qu'en l'espèce, s'agissant d'une requérante qui souhaitait avorter du fait qu'elle avait un cancer, contrairement à ce que soutenait le gouvernement irlandais, « on ne saurait raisonnablement exiger d'une femme qu'elle engage une procédure constitutionnelle aussi compliquée alors qu'elle peut faire valoir au regard de la Constitution un droit incontestable à subir un avortement en cas de risque avéré pour sa vie » 27 ( * ) .

L'AFFAIRE ATTORNEY GENERAL V X [1992] 2 IR 1

_________

« La Cour Suprême a dû interpréter l'article 40.3 et la nécessité de trouver un équilibre entre les droits du non-né et ceux de la femme [...] . Cette affaire concernait une enfant de 14 ans qui avait été violée par un ami de sa famille et était enceinte. Compte tenu des circonstances très traumatisantes, l'enfant et ses parents voulurent qu'elle avorte et organisèrent un voyage au Royaume-Uni à cette fin. Ils voulurent également savoir s'il serait possible de recueillir une preuve grâce à l'ADN du foetus avorté afin de l'utiliser dans une éventuelle poursuite pénale et contactèrent la Gardaì (la police irlandaise) sur ce sujet. La Gardaì consulta le directeur des poursuites publiques (DPP) afin de connaître le statut, en termes de preuves, d'une information tirée de l'ADN. Le DPP informa le procureur général de l'intention de la famille de se rendre à l'étranger pour un avortement. A ce stade, l'enfant et sa famille s'étaient déjà rendus au Royaume-Uni et le procureur général, agissant en qualité de gardien de la Constitution, leur adressa une injonction provisoire tendant à ce que la famille retourne immédiatement en Irlande. La famille revint en Irlande volontairement, rapportant ainsi la preuve de l'inutilité d'une injonction et l'affaire fut transmise à la Haute-Cour ( Hight Court ). On apporta à la Cour la preuve que l'enfant avait menacé de se suicider si elle était obligée de poursuivre sa grossesse. Cependant, [...] la Haute-Cour prononça une injonction conservatoire interdisant à [la famille] ou à toute personne agissant pour son compte d'interférer avec le droit à la vie du non-né, de quitter le pays durant neuf mois, et d'aider ou de contribuer à mettre un terme à la grossesse. Elle se fondait sur le fait que le risque pour la vie du « non-né » était réel et imminent tandis que le risque pour la vie de la jeune fille de se détruire était d'une importance notablement moins grande que la certitude de ce que la vie du non-né prendrait fin.

[Saisie en appel] , la Cour Suprême considéra que l'article 40.3.3 signifie qu'il existe un droit à l'avortement légal en Irlande lorsque, de façon probable, existe un risque substantiel pour la vie de la femme, incluant un risque pour sa vie du fait d'un suicide et considérant que ce risque pour sa vie ne peut être écarté que par le fait de mettre un terme à sa grossesse. Selon la majorité de la Cour Suprême, le risque pour la vie ne devait pas être immédiat ou inévitable. Considérant qu'une menace de suicide constituait un risque pour la vie de la mère, la Cour Suprême annula l'injonction adressée par la Haute-Cour et la jeune fille fut autorisée à se rendre au Royaume-Uni pour avorter. »

Extrait : Claire Murray (2016) The protection of life During Pregnancy Act 2013 : Suicide, dignity and the Irish discourse on abortion. Social and Legal Studies : an international Journal . [in Press], p. 3 et 4, le texte original est en anglais.


* 25 Claire Murray (2016), The protection of life During Pregnancy Act 2013 : Suicide, dignity and the Irish discourse on abortion. Social and Legal Studies : an international Journal . [in Press], p. 4.

* 26 CEDH, Grande Chambre, Affaire A, B et C c. Irlande, requête n° 25579/05, arrêt du 16  décembre 2010, considérant 267.

* 27 Considérant n° 259.

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