TABLE RONDE 3 - MIEUX VIVRE EN VILLE :
QUELLES OPPORTUNITÉS DANS LE SECTEUR DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DES INFRASTRUCTURES ?

Table ronde animée par M. Arnaud FLEURY, journaliste économique

Ont participé à cette table ronde :

M. Saïd MOULINE, Directeur de l'Agence marocaine pour l'efficacité énergétique (AMEE)

M. Karim LAGHMICH, Directeur général de la société d'aménagement et de développement de Mazagan (projet PUMA)

M. Yassine KERROUMI, Responsable marchés internationaux de la société Fonroche

M. Arnaud FLEURY - M. Saïd Mouline, l'AMEE est l'équivalent de l'ADEME en France. La COP 22 a été un succès et s'est traduite par des annonces volontaristes pour prolonger la COP 21. Quelle est la stratégie du Maroc en matière d'énergies renouvelables ?

M. Saïd MOULINE - Comme il l'a été exposé précédemment, la stratégie de développement durable est inscrite depuis 2011 dans la Constitution de notre pays. La Charte nationale de développement durable touche tous les secteurs : agriculture, pêche, habitat,...

Pourquoi un pays du Sud, faible émetteur de gaz à effet de serre, décide-t-il d'avoir une approche de développement durable ? Le Maroc, dont le taux de développement énergétique est de 95 %, a une facture énergétique qui s'élevait à 10 milliards d'euros en 2009. À cette époque, une stratégie a été mise en place pour la transition énergétique marocaine avec deux volets : l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Cette volonté politique a été orientée au plus haut niveau de l'État, qui a créé des institutions dédiées : l'agence Masen pour le développement du plan solaire et du plan éolien et hydraulique d'une part, et l'AMEE d'autre part.

Les objectifs chiffrés sont indissociables : 52 % d'énergies renouvelables dans la capacité électrique du Maroc d'ici 2030 et 20 % d'efficacité énergétique dans la totalité des domaines. L'approche choisie est par conséquent très volontariste. Dans l'agriculture, l'eau et l'énergie sont désormais gérées de façon différente que par le passé, les déchets sont valorisés et la fertilisation raisonnée.

M. Arnaud FLEURY - Est-ce déjà une réalité concrète ?

M. Saïd MOULINE - La centrale solaire de Nour est aujourd'hui installée et fonctionne. Les objectifs sont chiffrés et des institutions dédiées mettent en place les structures, en partenariat avec le secteur privé. Tous nos projets sont concrétisés dans les temps et sont financés. Le dernier parc éolien produit à un prix de 3 centimes d'euro le kilowatt/heure, le plus bas du monde. Aujourd'hui, 70 % des composants des éoliennes sont produits au Maroc. Cette stratégie claire est parvenue à attirer les investisseurs étrangers.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons parler d'efficacité énergétique, qui constitue votre coeur de métier. Quels messages souhaitez-vous adresser aux Français dans les domaines de l'énergie solaire, de l'éolien, de l'hydraulique ou même de la biomasse ? Nous avons l'impression que les Français n'ont pas suffisamment conscience de la métamorphose du Maroc sur l'efficacité énergétique.

M. Saïd MOULINE - Les grands groupes tels qu'Engie et EDF s'implantent aujourd'hui au Maroc dans la filière de l'efficacité énergétique, après une présence dans la production d'électricité.

M. Arnaud FLEURY - Les PME françaises susceptibles de fournir des composants dans le domaine de l'énergie ont-elles conscience des opportunités qui leurs sont offertes au Maroc ?

M. Saïd MOULINE - Dans les petites applications liées aux énergies renouvelables (EnR), les PME doivent également avoir conscience du gisement qui existe au Maroc. Grâce à nos liens avec l'Ademe, un certain nombre d'entre elles connaissent déjà les opportunités de partenariats dans notre pays. En revanche, le concept d'efficacité énergétique est plus nouveau et se met en place de façon cohérente grâce à des objectifs chiffrés. En parallèle de cette politique, l'arrêt quasi total de la subvention aux énergies fossiles illustre ce changement de modèle.

M. Arnaud FLEURY - Cette politique se traduit-elle par un renchérissement du coût de l'énergie pour les industriels ? Jusqu'alors, l'énergie était réputée assez onéreuse.

M. Saïd MOULINE - Le prix de l'énergie est en effet assez élevé par rapport à celui pratiqué par les pays voisins, qui subventionnent l'énergie. Pourtant, ainsi que nous l'avons affirmé lors de la COP 22, la subvention de l'énergie est aujourd'hui un non-sens. Il faut que le tarif de l'énergie soit juste, ce qui est le cas maintenant. Ce prix correspond à un nouveau paradigme.

M. Arnaud FLEURY - Sur l'efficacité énergétique, y a-t-il de la place pour une expertise française dans le secteur des compteurs intelligents et de leurs applications, y compris dans les campagnes et dans les zones les plus difficiles ?

M. Saïd MOULINE - Le concept de smart grid (réseau électrique intelligent) est en train d'être mis en place. Néanmoins, plusieurs étapes doivent encore être atteintes dans le domaine de l'efficacité énergétique avant de parvenir aux smart grids . En particulier, des audits énergétiques doivent être menés dans tous les secteurs. Par ailleurs, des subventions en faveur des industriels menant une action en termes d'efficacité énergétique ou faisant appel aux énergies renouvelables, sont prévues. Les outils financiers favorisant l'efficacité énergétique sont déployés par les banques, ce qui est très important dans la mesure où ce domaine concerne des milliers de petits projets.

M. Arnaud FLEURY - Un développement très important à terme des compteurs intelligents peut-il intervenir au Maroc ?

M. Saïd MOULINE - Bien sûr. Il ne faut pas omettre non plus l'économie circulaire, notamment les secteurs de la valorisation des déchets et de l'eau. L'ensemble de ces secteurs sont accompagnés. Pour se développer, l'économie verte a besoin d'une réglementation, d'incitations financières, de sensibilisation et de formation. Comme pour l'aéronautique, des institutions de formation dédiés aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique sont mises en place, dont l'un vient d'être inauguré à Tanger par Sa Majesté le Roi Mohammed VI et par le Président Hollande. La formation est également assurée par le secteur privé.

M. Arnaud FLEURY - Sur la mobilité, qu'attendez-vous de l'expertise française ?

M. Saïd MOULINE - Le secteur des transports constitue une priorité de la politique d'efficacité énergétique, surtout dans les grandes villes. Il est obligatoire que les transports en commun soient revus, notamment pour lutter contre les phénomènes de pollution dans les grandes villes du Maroc et d'Afrique.

M. Arnaud FLEURY - Y a-t-il des opportunités pour un métro à Casablanca ?

M. Saïd MOULINE - Tous les modèles ont été étudiés. Les solutions les plus acceptables économiquement se sont pour le moment orientées vers le tramway.

M. Arnaud FLEURY - Merci à vous pour ce panorama très complet.

M. Saïd MOULINE - La réflexion sur la mobilité électrique de demain est bien engagée. De plus, dans tous les salons, est présent un volet consacré au développement durable.

M. Arnaud FLEURY - Nous allons passer la parole à M. Karim Laghmich, Directeur général de la société d'aménagement et de développement de Mazagan. Il s'agit d'un très important projet à 80 kilomètres au sud de Casablanca, réunissant l'État et l'Office chérifien des phosphates en vue du développement de villes nouvelles et de resorts au Maroc.

M. Karim LAGHMICH - Bonjour, merci à la CFCIM et à Business France de me permettre de présenter ce projet Pôle Urbain de Mazagan (PUMA). Ce projet se situe à environ 80 kilomètres de Casablanca, à trois kilomètres d'Azemmour et à quatre kilomètres d'El Jadida. Pour le mener à bien, une société d'aménagement a été constituée entre l'OCP et les domaines privés de l'État. L'objectif est également de soutenir la plateforme portuaire de Jorf Lasfar, qui est le deuxième port industriel du Maroc. Le Pôle est alimenté par l'autoroute, la nationale et le chemin de fer. Un pipeline a vu le jour depuis deux ans, de sorte que la ligne de chemin de fer sera réduite au fur et à mesure. De plus, un projet de train express régional, mené en partenariat avec l'Office national des chemins de fer (ONCF), aura pour vocation de desservir le PUMA vers le port de Casablanca en une quarantaine de minutes. Ainsi, un équilibre territorial sera réalisé entre Azemmour et El Jadida, deux villes historiques qui se tournent aujourd'hui le dos. Cette région compte également deux grands resorts au Nord sur le bord de mer, le Mazagan et le Pullman.

La topographie du projet PUMA a été guidée par les tracés préexistants. Nous avons conservé la trame agraire existante sur le terrain, d'une largeur d'environ 7,5 kilomètres. L'ensemble s'étend sur une superficie de 1 300 hectares pour une population de 134 000 habitants à l'horizon 2030. Au Nord, le paysage de forêt a été intégré et réhabilité sur le site lui-même afin de bâtir une ville verte.

Aujourd'hui, la phase prioritaire démarre sur deux volets nord et sud: un parc d'expositions et une université, tous deux ouverts.

Pour positionner le PUMA, nous avons effectué un benchmark (indicateur de référence) sur une douzaine de projets éco-durables dans le monde, sur lesquels deux ont été sélectionnés finalement, en Chine et en Australie.

Les axes retenus prioritairement ont trait à la ressource en eau, l'assainissement, les déchets, l'agro paysage, les énergies, la mobilité et l'architecture. De façon générale, les équipements participent à la durabilité et au bio-climatisme.

M. Arnaud FLEURY - Une offre française s'est-elle manifestée à l'occasion de ce passage du Maroc à la ville du XXI e siècle?

M. Karim LAGHMICH - Tout à fait. Nous travaillons déjà avec Bouygues Immobilier et d'autres entreprises sur la partie mobilité. Sur la partie financement à hauteur de cinq milliards de dirhams, la Société générale est présente.

M. Arnaud FLEURY - Que souhaitez-vous dire aux entreprises et industriels français ?

M. Karim LAGHMICH - Tout se passe très bien, nous sommes extrêmement satisfaits.

M. Arnaud FLEURY - Il y a aujourd'hui une vraie volonté de construire ces nouvelles villes et éco-quartiers au Maroc. Pourtant une telle démarche ne semble pas évidente dans un pays où l'habitat traditionnel reste encore présent.

M. Saïd MOULINE - Nous avons déjà mené des expériences dans ce domaine, notamment sur les logements sociaux. Le logement durable ne concerne pas uniquement les resorts , mais s'étend également à l'ensemble de l'habitat, ainsi qu'en atteste le programme « Maroc sans bidonvilles ».

M. Arnaud FLEURY - J'imagine que dans ce domaine également, les Français peuvent apporter leur expertise en matière de construction et de rénovation thermique.

Nous allons conclure avec M. Yassine Kerroumi et la belle histoire de la société Fonroche. Cette ETI française très spécialisée dans le domaine des énergies renouvelables, est basée dans le Lot-et-Garonne. Votre société a développé la commercialisation d'un lampadaire public solaire comportant une batterie de stockage.

M. Yassine KERROUMI - Je suis en charge des marchés internationaux au sein du groupe Fonroche, importante PME basée à Agen, de 200 personnes et réalisant environ 100 millions d'euros de chiffre d'affaires. Nous sommes présents sur quatre métiers liés aux énergies renouvelables : la production d'électricité à partir de l'énergie solaire, avec la particularité d'être impliqués sur toute la chaîne de valeur (fabrication de panneaux photovoltaïques, construction et exploitation de centrales solaires), biogaz - avec ici encore une présence sur toute la chaîne de valeur - méthanisation grande profondeur (production d'électricité à partir de la chaleur souterraine) et enfin éclairage public solaire.

Dans ce dernier domaine, nous avons mis au point une rupture technologique de niveau mondial, qui permet aujourd'hui d'éclairer les villes, les villages et même les centres commerciaux de façon totalement déconnectée du réseau électrique, avec une efficacité supérieure à l'éclairage classique. Nous ne sommes par conséquent plus tributaires du réseau électrique.

M. Arnaud FLEURY - Pendant combien de temps le stockage est-il garanti ?

M. Yassine KERROUMI - Nous garantissons 365 nuits d'éclairage par an.

M. Arnaud FLEURY - Il est donc possible de stocker pour toute la nuit.

M. Yassine KERROUMI - En effet. Nous nous sommes positionnés comme « `fournisseur de solutions », c'est-à-dire que nous analysons les besoins et fournissons des produits sur mesure pour assurer l'éclairage.

M. Arnaud FLEURY - Quelle est votre stratégie pour vendre votre offre au Maroc ?

M. Yassine KERROUMI - Nous avons démarré l'internationalisation de l'entité « Éclairage public » il y a environ trois ans. Aujourd'hui, nous sommes présents sur quatre continents, du Pakistan au Gabon. Nous avons également assuré l'éclairage du site de la COP 22. Nous nous sommes intéressés au Maroc il y a environ trois ans, après avoir contacté la CFCIM. Celle-ci nous a rapidement épaulés et présenté des décideurs publics et des partenaires commerciaux. Au bout de quelques mois de travail, nous avons sélectionné l'entreprise marocaine qui allait devenir notre partenaire, l'un des leaders de l'éclairage public au Maroc. Au bout d'un an, nous avons décroché notre premier marché, avec l'éclairage de la centrale solaire de Ouarzazate. Ce marché a représenté 30 % de notre chiffre d'affaires à l'export et nous a mis un pied à l'étrier. Aujourd'hui, le Maroc est de plus en plus perçu comme un benchmark intéressant pour les pays d'Afrique. C'est pourquoi nous avons été contactés à plusieurs reprises par des pays africains qui ont souhaité nous voir installer la même usine que celle construite à Ouarzazate.

M. Arnaud FLEURY - Où les pièces sont-elles produites ?

M. Yassine KERROUMI - Notre usine de production est située à Agen. En revanche, nos produits devant être assemblés au plus près du lieu d'installation, notre partenaire marocain est actuellement en train d'investir dans des infrastructures afin de nous permettre de rayonner, tant au Maroc que dans les pays voisins.

M. Arnaud FLEURY - Le Maroc représente par conséquent un fort axe de développement.

M. Yassine KERROUMI - Les perspectives sont en effet excellentes. Vous parliez tout à l'heure d'offre française présente sur le projet PUMA. Nous sommes en discussion pour assurer l'éclairage de cet ouvrage.

M. Arnaud FLEURY - On peut penser que le marché est infini vu le potentiel d'ensoleillement du pays et du continent.

M. Yassine KERROUMI - Tout à fait. De plus, les entreprises marocaines investissent beaucoup en Afrique pour développer des infrastructures, de sorte qu'il est possible de les y accompagner grâce à notre ancrage marocain.

M. Yvan KEDAJ - Je ne représente pas une entreprise mais j'anime un réseau regroupant 120 entreprises dont 80 TPE et PME sur les sujets de l'eau en général. Nous sommes présents à Montpellier et rayonnons sur le Languedoc-Roussillon. Depuis six ans, nous suivons les entreprises dans leur développement sur le Maroc, pays dans lequel la dimension d'accompagnement des TPE et PME est très intéressante. Je souhaite compléter l'ensemble des éléments évoqués ce matin, en mentionnant l'investissement privé ainsi que l'achat public. Il existe des moyens de faire valoir les savoir-faire et les technologies pour les voir pris en compte dans la prescription publique, afin d'être achetés par le privé. Je souhaiterais m'entretenir avec M. Mouline sur ces sujets, et notamment sur les éléments d'économie circulaire. Les TPE et PME françaises n'ont que de faibles capacités pour pouvoir prospecter.

M. Arnaud FLEURY - Monsieur Mouline, les appels d'offres pourraient-t-ils tenir compte de cette dimension ?

M. Yvan KEDAJ - J'aimerais préciser qu'il faut avoir conscience que les entreprises peuvent se faire rapidement écarter d'un appel d'offres lorsque les prescriptions ne correspondent pas à leurs spécialités. En réalité, les entreprises qui innovent ont des difficultés à être prescrites.

M. Saïd MOULINE - Nous avons souvent ce débat avec les grands donneurs d'ordres, souvent institutionnels. Il existe bien sûr des règles pour satisfaire aux cahiers des charges, de sorte qu'il est parfois nécessaire pour les entreprises de se faire accompagner par du consulting afin de se mettre à niveau. Nous l'avons vu dans différents secteurs. Je connais la problématique des TPE, dont nous avons discuté au sein de la Commission Économie Verte de notre syndicat. Les grands marchés demandent des structures d'une certaine taille, ce qui peut conduire les entreprises à travailler en groupement pour répondre à des appels d'offres. Nous avons eu ce même débat dans le domaine de l'énergie.

M. Yvan KEDAJ - Au travers des accompagnements de la région Occitanie, nous avons initié des sessions de formation destinées aux TPE de spécialités auprès des donneurs d'ordres publics dans un premier temps. Il serait en outre intéressant de s'ouvrir en complément sur la partie privative.

M. Arnaud FLEURY - Merci pour cette intervention très intéressante pour les entreprises concernées. Avons-nous des questions dans la salle ?

Un représentant de la société VALOREM (producteur d'énergies vertes) - Ma question porte sur les projets photovoltaïques. Il y a quelques années, la loi 1309 est parue pour favoriser la production des énergies renouvelables et permettre de vendre de l'électricité aux consommateurs. Il manque encore un décret sur le zonage solaire. Nous l'attendons avec impatience.

M. Saïd MOULINE - Aujourd'hui, l'accès au réseau basse tension figure dans le texte de loi mais le décret d'application n'est pas encore paru. L'accès au réseau de moyenne tension est ouvert à certaines conditions. En ce qui concerne la très haute tension, des projets sur les énergies renouvelables sont déjà déployés. La zone industrielle de Kenitra produit déjà deux mégawatts d'énergie solaire. L'autoproduction est donc autorisée et les projets se développent.

M. Arnaud FLEURY - Merci à nos trois intervenants.

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