DE LA RHODÉSIE AU ZIMBABWE : UNE TRANSITION RÉUSSIE ?

MM. Jean-Pierre CANTEGRIT, Germain AUTHIE, Joël BOURDIN, Edmond LAURET et Robert-Paul VIGOUROUX

Sénateurs

Compte rendu d'une mission effectuée au Zimbabwe du 10 au 16 avril 1997 par une délégation du groupe sénatorial France-Afrique australe

Composition de la délégation

MM. Germain AUTHIE sénateur de l'Ariège (Soc)

Joël BOURDIN sénateur de l'Eure (RI)

Jean-Pierre CANTEGRIT sénateur des Français établis hors de France

Président du groupe d'amitié France-Afrique australe (Rattaché au groupe UC)

Edmond LAURET sénateur de La Réunion (RPR)

Robert-Paul VIGOUROUX sénateur des Bouches-du-Rhône (RDSE)

La délégation était accompagnée de Dominique-Alice Robert, administrateur des services du Sénat, et secrétaire exécutif du groupe d'amitié.

INTRODUCTION

Le Zimbabwe fait figure de réussite depuis son indépendance, en 1980. Une harmonie raciale préservée entre citoyens d'origines européenne et africaine, qui présentait un saisissant contraste avec les tensions nées de l'apartheid en vigueur dans l'Afrique du Sud voisine, une vie politique certes dominée, mais sans excès, par la personnalité de Robert Mugabe, et une prospérité économique exemplaire à l'échelle du continent africain composaient les atouts originaux du pays.

Pour sa part la France qui, pour des raisons liées à l'histoire, n'a jamais occupé en Afrique australe une place correspondant à l'ampleur de son rayonnement dans d'autres régions du monde, ne suivait trop souvent qu'avec un intérêt distant l'évolution d'un pays qui semblait fort lointain lorsqu'il s'appelait Rhodésie, et plus encore lorsqu'il ressuscita le nom de Zimbabwe.

C'est cette indifférence que le Sénat a voulu surmonter, en créant, au mois de juin 1996, un nouveau groupe interparlementaire d'amitié spécifiquement dévolu à l'Afrique australe, et s'adressant à cinq pays : l'Angola, le Botswana, le Malawi, la Namibie, la Zambie et le Zimbabwe. L'Afrique du Sud, pour sa part, maintient des liens avec un groupe spécifique.

Cette initiative sénatoriale s'inscrit dans une politique globale, impulsée par le Président Chirac dès son élection à la tête de l'État, en 1995, et visant à établir des relations plus nourries avec la zone australe du continent africain.

C'est dans cette perspective que le chef de l'État du Zimbabwe, Robert Mugabe, a été reçu en visite officielle en France, les 6 et 7 mars 1997. Le groupe sénatorial a décidé que son premier déplacement s'effectuerait dans ce pays dont l'importance politique - le Président Mugabe a succédé au camerounais Paul Biya à la présidence de l'OUA au début du mois de juin 1997 - et économique - la croissance du PIB a été de 8 % en 1996 - doit être mieux reconnue en France.

La délégation souhaite que son témoignage y contribue.

Son travail a été grandement facilité par l'efficacité de notre chargé d'affaires a.i. à Harare. Mme Alice-Anne Médard, ainsi que celle de ses collaborateurs, qui lui ont ménagé des contacts avec de nombreuses personnalités influentes dans les sphères politiques et économiques du Zimbabwe. Qu'ils trouvent ici l'expression de la vive gratitude de l'ensemble de la délégation.

I/ La Rhodésie : une construction singulière

L'élaboration de l'entité géographique qui allait recevoir le nom de son auteur, Cecil Rhodes, est singulière à plus d'un titre : le caractère personnel de l'initiative qui allait y conduire, puis l'intérêt manifesté par le Royaume-Uni pour la situation stratégique du territoire en Afrique de l'Est, enfin la spécificité d'une indépendance proclamée par la minorité des colons européens : autant d'éléments qui en font un cas à part.

A) La colonisation de la Rhodésie : le fruit d'une obstination personnelle ; 1888-1923

a) l'initiative de Cecil Rhodes :

Lorsque le jeune Cecil Rhodes (il est né en 1853, en Grande-Bretagne) s'établit au Transvaal, la rivalité, - qui ira croissante -, entre les colons d'origine hollandaise, les Boers et ceux d'origine britannique commence à se faire sentir. La carrière de Rhodes s'accomplit, avec le même succès fulgurant, dans le double domaine de la politique et des affaires.

Ainsi devient-il, après une élection précoce au Parlement de la province du Cap, Premier ministre de cette province à trente-sept ans, tout en accédant à la présidence d'une des grandes sociétés diamantifères, la De Beers.

Cependant, "cette double réussite n'est dans son esprit qu'un point de départ pour réaliser un grand rêve : conquérir au profit de la Couronne britannique de nouveaux territoires étendre en Afrique noire l'Empire de Victoria" 1 ( * )

Cette vision ambitieuse se heurte aux accords conclus, sous l'impulsion de Paul Kruger, Président du Transvaal, entre les colons Boers et les chefs traditionnels du pays matabele pour l'occupation des territoires situés au nord du fleuve Limpopo, qui marquait la frontière septentrionale de la République d'Afrique du Sud.

En 1888, Cecil Rhodes obtient un renversement d'alliance, qui lui accorde "le droit exclusif et complet d'explorer et d'exploiter les minerais et métaux situés dans le royaume du roi Lobengula". 2 ( * )

b) la British South Africa Company

Pour faire fructifier son succès, Rhodes fonde sa propre société minière, et obtient qu'une Charte royale l'appuie, en 1889, sous le nom de « British South Africa Company » (BSAC).

Rhodes inscrit sa démarche dans le projet d'un axe qui irait du Caire au Cap, et serait sous domination britannique. Aussi la BSAC reçoit-elle une compétence territoriale dont la frontière nord n'est pas délimitée.

Á partir de 1890, des groupes de colons s'implantent par vagues successives dans des territoires dont la population d'origine manifeste une hostilité grandissante envers cette occupation croissante.

Les diverses vexations, puis spoliations, pratiquées par les colons européens débouchent, en 1896, sur une vaste insurrection, d'autant plus durement réprimée qu'elle a emporté de nombreux succès initiaux.

La métropole s'inquiète de ce climat de violence et, loin d'épouser étroitement les vues des colons, refrène leurs appétits fonciers par l'édiction, en 1894, d'un Matabele Order in Council, qui impose de laisser à la disposition des populations locales " des terres et du bétail en quantité suffisante".

C'est le premier signe d'une incompréhension entre Londres et les colons, qui ont le sentiment d'être insuffisamment soutenus par une métropole qui ne rend pas justice à la dureté des conditions de vie endurées pour permettre d'étendre son empire.

Pour autant, les protections ainsi accordées aux populations africaines sont loin d'être suffisantes, et d'ailleurs ressenties comme telles.

Cependant, par référendum organisé en 1923, une majorité des 15 000 électeurs - les seuls colons ont le droit de vote - rejette le rattachement à l'Afrique du Sud, dont ils craignent l'hégémonie afrikaaner.

* 1 David Jouanneau, le Zimbabwe - Paris : PUF, 1983, p. 44

* 2 David Jouanneau, op. cité. p. 46

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