Travaux de la commission des finances



- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Denis Badré, vice-président, puis à nouveau de M. Jean Arthuis président.

Contrôle budgétaire - Cour des comptes - Audition de M. Jean-François Bénard, président de la 7e chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Pierre Beysson, président-directeur général de Météo-France et de M. François Perdrizet, directeur de la recherche et des affaires scientifiques et techniques au ministère de l'équipement

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean-François Bénard, président de la 7e chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Pierre Beysson, président-directeur général de Météo-France et de M. François Perdrizet, directeur de la recherche et des affaires scientifiques et techniques au ministère de l'équipement, sur la communication de la Cour des comptes relative à Météo France.

A titre liminaire, M. Jean Arthuis, président, a rappelé le contexte dans lequel intervenait cette audition, suite à la communication remise par la Cour des comptes à la commission des finances le 25 janvier 2005, en application des dispositions de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Il a précisé que cette communication, portant sur les comptes et la gestion de l'établissement public Météo-France, comportait plusieurs critiques concernant les missions, l'organisation, la gestion du personnel et les comptes de l'établissement, et qu'elle avait notamment mis en évidence une certaine rigidité des charges, susceptible de compromettre, à l'avenir, l'effort d'investissement, alors même que l'établissement public était confronté à une concurrence accrue. Il a ajouté que la haute juridiction financière avait, par ailleurs, décelé des irrégularités comptables.

Indiquant que la commission des finances avait souhaité que la présente audition contradictoire soit ouverte à la presse, M. Jean Arthuis, président a précisé qu'il s'agissait de donner la parole à toutes les parties, afin de susciter un débat vivant, pour que le contrôle budgétaire puisse être un véritable levier de réformes.

M. Jean-François Bénard a formulé, en premier lieu, un certain nombre d'observations concernant l'accomplissement, par Météo-France, de ses missions. S'agissant du programme de modernisation des stations terrestres (projet RADOME), il a indiqué qu'une partie des investissements avait été reportée, ce qui entraînait un retard d'environ deux ans. Relevant, par ailleurs, que le coût des investissements en matière de prévision numérique avait justifié une coopération européenne dans le domaine de la prévision à moyen terme, il a précisé, qu'en revanche, s'agissant de la prévision à courte échéance et à échelle fine, l'établissement avait souhaité conserver des capacités autonomes. Il a souhaité que ce choix stratégique fasse l'objet, à l'avenir, d'un débat approfondi avec la tutelle, compte tenu des enjeux financiers en cause.

Abordant la question de la vigilance météorologique, il a indiqué que la réforme du système de prévention, instituée en 2001, constituait un progrès important. S'agissant de la fiabilité des alertes de niveau « orange », il a indiqué, qu'en 2003, sur l'ensemble des départements placés en « vigilance orange », le phénomène météorologique attendu ne s'était pas produit dans 21 % des cas. Il a également fait état d'un taux de non-détection de l'ordre de 6 % à l'échelle départementale, et d'une anticipation inférieure à trois heures dans 37 % des cas. Il toutefois ajouté que la Cour des comptes n'était pas en mesure de juger si ces résultats constituaient, ou non, le simple reflet de « l'état de l'art ».

S'agissant de l'extension des activités de Météo-France à des domaines connexes, à la lisière entre service public et activités concurrentielles, il a estimé qu'il revenait à la tutelle de l'établissement d'en préciser le régime juridique.

A propos des activités commerciales de Météo-France, M. Jean-François Bénard a fait état de la diminution des recettes tirées des services télématiques et téléphoniques aux particuliers, tandis que les prestations aux professionnels engendraient, pour leur part, des produits croissants. Il a jugé que la professionnalisation de l'activité commerciale était lente et que les fonctions correspondantes demeuraient peu attractives pour les agents. Il s'est également interrogé sur les principes de tarification de Météo-France, qui conduisaient à considérer que devaient rester gratuites les informations générales concernant la situation prévue dans les 24 heures à venir ou les informations constituant l'avertissement d'un risque imminent, auquel l'individu ne s'exposait pas volontairement.

Enfin, il a jugé, d'une part, que les activités de recherche n'étaient pas toujours convenablement valorisées et, d'autre part, que les coûts de formation de l'Ecole nationale de la météorologie étaient élevés.

S'agissant, en second lieu, de l'organisation de Météo-France, M. Jean-François Bénard a indiqué que la structure de l'établissement était peu lisible, tant sur un plan hiérarchique que sur un plan géographique, ce qui entraînait des risques de redondances. Il a précisé que cette situation résultait largement d'une délocalisation inachevée vers Toulouse. Il s'est également interrogé sur la pertinence de l'organisation territoriale de l'établissement, qui comportait trois échelons, se demandant notamment dans quelle mesure l'existence des centres départementaux de météorologie pouvait continuer à se justifier.

En troisième lieu, en ce qui concernait la gestion du personnel, M. Jean-François Bénard a indiqué que l'effectif total de Météo-France était stable depuis plusieurs années, oscillant autour de 3.700 agents. Il a ajouté, à titre de comparaison, et sous réserve des différences de structure existantes, que le service météorologique britannique (MetOffice) employait, pour sa part, 1.822 personnes. Il a ensuite regretté l'absence de gestion prévisionnelle des emplois au sein de Météo-France. S'agissant du temps de travail, il a jugé que le régime de « service permanent » (travail posté 24 heures/24 heures, 7 jours/7 jours) était très attractif pour les agents et très coûteux pour l'établissement, puisqu'il nécessitait l'emploi de sept à huit agents par poste et impliquait l'existence d'un système de récupération horaire ou financière, ainsi que la présence de « brigades de réserve ». S'agissant de la réduction du temps de travail, décidée en octobre 2001, il a indiqué qu'elle avait eu lieu dans des conditions avantageuses pour les agents et qu'elle s'était accompagnée de la création de soixante-quinze emplois, ce qui dérogeait aux règles établies pour la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans la fonction publique d'Etat. S'agissant enfin des régimes indemnitaires, il a indiqué que la fusion des quatre corps d'ingénieurs du ministère de l'équipement issus de l'Ecole polytechnique avait entraîné un alignement des primes, étalé dans le temps. Il a ajouté que le protocole du 7 décembre 2000 applicable à la direction générale de l'aviation civile (DGAC) avait entraîné un accroissement des rémunérations des personnels communs. De façon générale, il a regretté une certaine culture de l'égalitarisme en matière indemnitaire et a indiqué qu'une expérience d'individualisation des rémunérations était toutefois prévue en 2007.

En quatrième lieu, M. Jean-François Bénard s'est penché sur les finances de l'établissement, indiquant que des progrès avaient été accomplis dans le domaine du contrôle des marchés publics, d'une part, et de la déconcentration budgétaire, d'autre part. Il a regretté, par ailleurs, la persistance d'anomalies comptables, liées à un inventaire incomplet des actifs, ce qui empêchait la certification des comptes de Météo-France. Il a également indiqué que la comptabilité analytique demeurait à l'état de projet. Enfin, il a jugé que l'équilibre budgétaire de l'établissement se fragilisait progressivement.

En conclusion, M. Jean-François Bénard a estimé que les objectifs visés lors de la création de l'établissement public Météo-France, en 1994, restaient sans doute à parachever. Il s'est demandé si la voie de l'excellence technique n'avait pas été privilégiée sur celle de la réduction des coûts. Evoquant les objectifs et indicateurs prévus pour l'application de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), il a regretté l'absence d'indicateurs d'efficience de la gestion au sein du programme « météorologie ».

M. Jean-Pierre Beysson a regretté la sévérité du rapport de la Cour des comptes, dont il avait espéré qu'il constituerait un guide plus constructif pour l'élaboration de la politique de l'établissement au cours des prochaines années. Il a jugé que ce rapport laissait entendre que la direction de Météo-France se bornait à « subir » les évolutions économiques et les attentes de son personnel, ce qu'il a réfuté. Il a regretté que le rapport crée un climat qui, selon lui, ne correspondait pas à la réalité des faits. Il a estimé que l'analyse de la Cour des comptes était contestable, notamment, d'un point de vue méthodologique, puisque, par exemple, le manquement allégué à l'obligation de publication de certains textes n'était, soit pas imputable à la direction actuelle (s'agissant des textes régissant l'indemnité pour horaires adaptées), soit pas avéré (s'agissant de la réglementation du décompte de la pause méridienne à l'intérieur du temps de travail).

Concernant l'accomplissement de ses missions par Météo-France, il a indiqué que, malgré le retard de deux ans du projet RADOME, le nombre de stations automatiques de nouvelle génération était, en France, supérieur à celui constaté en Allemagne ou au Royaume-Uni. Il a ajouté que cette avance française correspondait bien à un choix technique, et non à un suréquipement. S'agissant de la prévision numérique, il a jugé que la France était l'un des pays les plus avancés sur la voie de l'intégration européenne, puisqu'elle disposait d'un modèle global intégré à celui du Centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), ce qui réduisait le coût de la recherche et du calcul pour Météo-France. Il a également évoqué le programme ALADIN, concernant la modélisation à petite échelle, indiquant que ce programme était le fruit d'une étroite coopération avec plusieurs pays européens partenaires. Il a jugé, par ailleurs que, compte tenu des responsabilités internationales de la France et des impératifs de Défense, il lui paraissait cohérent que la France fasse partie des huit pays possédant un modèle global.

Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, M. François Perdrizet a indiqué qu'il existait, en effet, des relations étroites, par voie conventionnelle, entre Météo-France et la Défense. Il a jugé que le rapport de la Cour des comptes était sévère, soulignant que la maîtrise technique et scientifique, ainsi que l'attachement au métier, constituaient, également, des aspects qui auraient pu être abordés. S'agissant de l'intégration européenne dans le domaine de la prévision, il a estimé que l'initiative de chaque pays était complémentaire de l'existence du centre européen, la coopération pouvant être le fait, non seulement d'institutions, mais aussi d'alliances, au sein desquelles Météo-France s'était largement engagé. Il a jugé que ce schéma, dans lequel le Centre européen cohabitait avec quelques centres d'excellence, serait amené à perdurer au cours des dix prochaines années et qu'il était un facteur d'émulation. Il a également indiqué, qu'en tout état de cause, cette volonté d'autonomie, n'était pas le seul fait de Météo-France, mais qu'elle était partagée par les autres pays européens, et que la prévision à courte échéance et à maille réduite présentait, par nature, des spécificités nationales. Il a rappelé, enfin, que la prévision comportait non seulement des enjeux techniques, mais aussi des enjeux économiques considérables.

M. Jean-Pierre Beysson a jugé que le modèle français de prévision numérique à court terme était actuellement le meilleur en Europe. Il a ensuite répondu aux remarques de la Cour des comptes, s'agissant de la procédure de vigilance, dont il a estimé qu'elle représentait un progrès important, ce dont témoignait le fait qu'elle était actuellement en cours de transposition au niveau européen. Au sujet des activités connexes de l'établissement, il a estimé que, dans la mesure où Météo-France était chargé, par ses statuts, de surveiller l'atmosphère, il lui paraissait logique que cette compétence s'étende, par exemple, à la surveillance de la qualité de l'air.

M. François Perdrizet a ajouté que la météorologie était actuellement de plus en plus présente dans de nombreux domaines économiques, ce qui impliquait nécessairement l'émergence de questions juridiques nouvelles.

M. Jean-Pierre Beysson a indiqué, en ce qui concernait les activités commerciales de Météo-France, que la question de la professionnalisation de ces activités n'était effectivement apparue qu'assez récemment, dans la mesure où, pendant longtemps, l'établissement avait enregistré de très bons résultats, ce qui rendait cette question moins cruciale. Il a indiqué que les recettes des services aux professionnels avait fortement augmenté depuis 1995, ce qui avait permis, en 2004, une augmentation globale des recettes de l'établissement de l'ordre de 6 %. Il a précisé que cette évolution était liée à la réorganisation complète de l'activité commerciale, tout en reconnaissant qu'il convenait de demeurer vigilant car la concurrence s'accroissait, y compris dans les relations avec les administrations. Il a également indiqué que les dépenses de fonctionnement de Météo-France avaient diminué de 2,3 % en 2002-2003. Concernant la tarification, il a indiqué que les principes retenus par l'établissement public avaient été approuvés par la Commission européenne. Il a contesté, enfin, que la recherche ne soit pas orientée vers sa valorisation. En revanche, il a jugé fondées les observations de la Cour des comptes sur les coûts de formation du personnel.

M. Jean-Pierre Beysson a ensuite évoqué les questions relatives à l'organisation de l'établissement public. Il a estimé que l'organisation géographique de Météo-France était fondée, ainsi que l'existence de services centraux chargés de définir les grandes orientations au niveau national. Répondant à une question de M. Jean Arthuis, président, il a indiqué que le déménagement du siège de Météo-France à Trappes était actuellement à l'étude.

Il a jugé, par ailleurs, que les délocalisations n'avaient pas entraîné de surnombres, que la délocalisation totale de la direction des services d'observation n'avait jamais été prévue et que les services délocalisés à Toulouse étaient ceux qui avaient le plus de liens fonctionnels avec des directions centrales, elles-mêmes localisées dans cette ville. Il a estimé qu'une opération de délocalisation « autoritaire » aurait entraîné la création de surnombres, ce qui n'aurait pas été souhaitable.

S'agissant de la présence de Météo-France au niveau du département, il a jugé qu'il s'agissait d'une question politique, mais, qu'en tout état de cause, la pyramide des âges du personnel de l'établissement rendait toute mutation difficile. Il a toutefois indiqué que de nombreuses stations avaient été fermées, au niveau infra-départemental, ce qui avait entraîné le redéploiement de 230 emplois sur de nouvelles missions. Réfutant la comparaison avec le MetOffice britannique, en raison de différences structurelles majeures, il a indiqué que, si l'effectif réel de Météo-France était stable, ses effectifs budgétaires avaient, en revanche, diminué. Il a jugé nécessaire, par ailleurs, de conserver le service permanent, indiquant qu'une partie de ces postes avait d'ores et déjà été supprimée ou transformée en postes semi-permanents. Il a contesté, enfin, les conclusions de la Cour des comptes, s'agissant des modalités de réduction du temps de travail, qui avaient fait l'objet de négociations difficiles après environ un an de conflits sociaux au sein de l'établissement.

S'agissant des questions financières, il a jugé que les revalorisations indemnitaires correspondaient à une remise à niveau par rapport à des corps comparables. Il a admis l'existence d'une certaine culture d'égalitarisme, mais a également indiqué que la hiérarchie des indemnités avait été élargie et qu'une prime fonctionnelle serait mise en place, en 2006, pour les postes à responsabilité.

M. Jean-Pierre Beysson a indiqué, en outre, que Météo-France avait participé à la maîtrise des dépenses publiques, en reversant à l'Etat 21 millions d'euros sur ses excédents, et a ajouté, qu'en tout état de cause, la subvention budgétaire à l'établissement, qui s'élevait à environ 150 millions d'euros, avait augmenté moins vite que le budget général.

S'agissant de la comptabilité, il a admis l'existence d'un bien immobilier non inscrit à l'actif du bilan, car sa valorisation n'avait pas été communiquée par le Service des domaines.

Enfin, il a indiqué que le résultat de Météo-France augmentait substantiellement en 2004 par rapport à 2003.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Jean-Pierre Masseret, rapporteur spécial des crédits des services communs du ministère de l'équipement, s'étonnant, pour la regretter, de la façon dont la discussion venait jusqu'à maintenant de se dérouler a, par ailleurs, jugé que la Cour des comptes était plus fiable lorsqu'elle examinait des questions comptables que lorsqu'elle cherchait à juger de l'opportunité des stratégies mises en oeuvre par les acteurs.

M. Maurice Blin a remercié les intervenants, malgré la vivacité de certains des propos tenus, pour l'intérêt et la qualité du débat. Il s'est demandé si la situation de l'établissement public Météo-France ne reflétait pas une « loi non écrite » de la fonction publique française, selon laquelle « la qualité n'avait pas de prix ». Il a jugé, qu'en effet, le service rendu par Météo-France était, sans doute, d'une qualité technique remarquable, mais que le rôle du législateur était aussi d'en fixer le coût. Par ailleurs, il s'est demandé si un assouplissement du statut des personnels de Météo-France était envisageable, à l'image peut-être de ce qui se passait dans des pays étrangers.

M. Jean-Pierre Beysson a reconnu le rôle du politique dans la définition du coût des services publics, tout en rappelant que, selon lui, Météo-France avait apporté sa contribution à la maîtrise des dépenses publiques, tout en gérant une situation sociale difficile et en maintenant une qualité de service très élevée.

En conclusion, M. Jean Arthuis, président, a rappelé l'exigence d'efficacité de la dépense publique, qui justifiait les travaux de la Cour des comptes. Il a ajouté que cette exigence, qui était également l'un des fondements de la LOLF, devait conduire à ne pas exclure une réflexion sur les structures et les organisations existantes.

La commission a alors décidé d'autoriser la publication d'un rapport d'information sur la communication de la Cour des comptes relative à l'établissement public Météo-France.

Délocalisations - Audition de M. Guillaume Sarkozy, président de l'Union des industries textiles

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Guillaume Sarkozy, président de l'Union des industries textiles.

M. Jean Arthuis, président, a rappelé en préambule que cette audition s'inscrivait dans le cadre du programme de travail de la commission des finances relatif aux délocalisations.

Dans cette perspective, M. Guillaume Sarkozy a présenté le contexte dans lequel évoluait l'industrie textile française, mettant en exergue la mutation profonde imposée par la fin, au 1er janvier 2005, de l'accord multifibres, qui reposait sur un système de quotas d'importations. Rappelant que l'industrie textile française et européenne était favorable à l'ouverture des marchés, il a néanmoins montré que les conditions dans lesquelles avaient été ouverts les marchés textiles étaient incohérentes et mal préparées. Il a noté une grande inquiétude des PME sur l'ensemble du territoire, indiquant que, dans cette situation, les débats actuels sur les résultats des entreprises et la hausse du pouvoir d'achat paraissaient « surréalistes ».

Il a ensuite souligné que l'Europe, face à la mondialisation, avait procédé à un désarmement unilatéral de ses tarifs douaniers, marquant, quant à lui, sa préférence pour la réciprocité des baisses de droits de douane. Il a fait valoir que les droits de douane s'établissaient pour les produits textiles, en Europe à 7 %, en Inde à 60 %, aux Etats-Unis entre 15 et 30 % et, en Chine, entre 12 et 15 %. S'il s'est déclaré favorable à la décision d'accepter la Chine au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il a remarqué que cette entrée avait mal été anticipée, considérant que les conditions de la concurrence n'étaient pas équitables, le yuan était, selon lui, sous-évalué de 40 à 50 % et les droits de propriété intellectuelle étant trop peu respectés. Il a expliqué que les conséquences sur le marché textile français étaient majeures, relevant que, pour des produits comme les parkas, la part de marché des produits chinois en France était passée d'un sixième à cinq sixièmes entre 2001 et 2003. Il a observé que, depuis la fin de l'accord multifibres, au 1er janvier 2005, les importations de certains produits textiles chinois avaient augmenté de 600 %, avec des baisses de prix pouvant atteindre 40 %.

M. Guillaume Sarkozy a considéré que l'ouverture du marché français aux produits chinois intervenait au moment où l'industrie textile française subissait, par ailleurs, à l'échelle de l'Union européenne, le choc de l'élargissement. Il a regretté que cet élargissement ne se soit accompagné d'aucune étude d'impact sur l'emploi, s'étonnant que les fonds structurels soient attribués uniquement selon des critères géographiques et ne puissent bénéficier à certains secteurs économiques en difficulté. En ce qui concernait la politique monétaire européenne, il a montré le paradoxe consistant, pour l'économie la plus forte, celle de la Chine, à avoir la monnaie la plus faible, et pour l'économie la plus faible, celle de l'Europe, à avoir la monnaie la plus forte, soulignant l'ambiguïté des relations monétaires entre la Chine et les Etats-Unis. Dans ce contexte, il a jugé que le passage en France aux 35 heures et l'augmentation de 17 % du SMIC en trois ans, s'étaient traduits par des ajustements en termes d'emplois, faisant le lien avec le chômage élevé dont souffrait la France.

Il a souhaité, dès lors, un renforcement de l'Europe politique, appelant de ses voeux une politique monétaire dynamique. Il a appelé, de plus, à une réforme de la gouvernance commerciale européenne, soulignant l'urgence de la mise en place de clauses de sauvegarde pour l'industrie textile. Il a estimé que l'Europe devait privilégier sa zone de proximité, et non l'Asie, en matière de politique commerciale, indiquant que l'industrie textile du Maroc ou de la Tunisie, qui entretenait des liens anciens avec l'Union européenne, souffrait très fortement de la concurrence chinoise.

A l'échelle française, il a montré, sur un plan macroéconomique, que les impositions et charges sociales représentaient 42 % de la valeur ajoutée, les salaires nets 41 % et l'outil de travail 18 %. Il a expliqué que la compétitivité des entreprises dépendait, dès lors, d'une part, de la compétitivité du système de redistribution, et d'autre part, des décisions du gouvernement en ce qui concernait l'évolution du SMIC. Sur un plan microéconomique, il a jugé que l'adaptation des PME ne serait possible, dans un contexte de bouleversement des circuits de distribution et de baisse des prix, que par un effort de formation des chefs d'entreprise, en matière notamment de marketing. Il a fait valoir tout l'intérêt en matière de financement des PME des aides et des prêts du groupe Oséo et montré l'effet de levier significatif de la SOFARIS (Société française de garantie des financements des PME).

En conclusion, il a jugé que les entreprises du textile français pourraient tirer partie de la mondialisation, à condition d'avoir la « culture du consommateur », de profiter de la segmentation des marchés, de développer la création et la recherche et d'investir dans l'innovation, notamment en matière de services, soulignant l'intérêt majeur de leur insertion dans les pôles de compétitivité créés par le gouvernement.

Un large débat s'est alors engagé.

M. Eric Doligé, évoquant sa propre expérience au sein d'une entreprise textile d'une centaine de personnes, a jugé que l'industrie textile, face à la mondialisation, devait à la fois opter pour une attitude défensive, en luttant contre les contrefaçons, et faire un choix offensif, en innovant. Il s'est interrogé sur les raisons qui avaient permis à l'Italie de mieux préserver sa production textile que la France.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a estimé que l'Italie avait tout d'abord bénéficié d'un répit face à la concurrence mondiale du fait de la dévaluation de la lire, de 15 %, en septembre 1992. Il a montré que le système de distribution italien avait préservé le « petit commerce » en matière textile, alors qu'en France, sept articles sur dix étaient vendus par la grande distribution ou par les entreprises de vente par correspondance. Il a jugé que la grande distribution, en favorisant les gros volumes, permettait aux usines d'Asie, citant un exemple au Pakistan, d'investir dans la qualité et la création tout en mettant en avant la faiblesse de leurs coûts de production.

Précisant sa position sur la grande distribution, à la suite d'une question de M. Jean Arthuis, président, relative aux abus de position dominante de celle-ci, et d'une interrogation de M. Eric Doligé, il a relativisé l'impact des « marges arrière » en matière textile et jugé indispensable que les PME françaises trouvent de nouveaux systèmes de distribution et s'adaptent par une segmentation du marché. Il a souhaité, par ailleurs, que la Commission européenne prenne conscience, dans les négociations commerciales internationales, qu'elle avait une industrie à défendre.

M. Jean-Jacques Jégou a considéré que les intérêts de l'industrie textile avaient été, par le passé, insuffisamment défendus à l'échelle nationale et à l'échelle française, indiquant avoir suivi plusieurs cycles de négociations du GATT et de l'OMC, durant lesquels la défense de l'agriculture française et européenne avait été privilégiée, au détriment d'autres secteurs.

M. Guillaume Sarkozy a jugé que chaque pays de l'Union européenne avait opté pour une réponse différenciée face à la mondialisation et que l'absence de réaction européenne face à la concurrence chinoise n'excusait pas l'absence de réformes structurelles en France, rappelant que les prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises étaient de 8 points supérieurs à la moyenne de l'Union européenne.

En réponse à Mme Marie-France Beaufils soulignant la pression salariale exercée par les entreprises, M. Guillaume Sarkozy a convenu que les salaires nets avaient été contenus, mais dans un contexte où le coût salarial global, intégrant les prélèvements sociaux, restait élevé.

M. Philippe Adnot s'est félicité de la prise de conscience, récente en France, de la nécessité de sauvegarder l'appareil industriel. Evoquant une visite récente à la mission économique française de Shanghai, il a indiqué que celle-ci considérait que la fin des accords multifibres avait eu plus d'impact sur l'industrie textile du Maghreb que sur l'industrie française.

M. Guillaume Sarkozy a contesté cette analyse, rappelant la progression très forte des importations chinoises en France depuis le début de l'année 2005. Il a estimé, par ailleurs, que l'Union européenne ne pouvait se montrer insensible à la situation de l'industrie textile du Maghreb.

En réponse à une question de M. Philippe Adnot sur la TVA sociale, il a jugé que ce sujet ne pouvait rester tabou, car il consistait à s'interroger sur les modalités de financement de la protection sociale.

M. Serge Dassault a jugé que la présentation de la situation de l'industrie française faite par M. Guillaume Sarkozy était réaliste, appelant à une prise de conscience française liée à la montée fantastique de la concurrence chinoise, s'interrogeant dans ce contexte sur l'opportunité d'augmenter les salaires. Il a insisté sur la nécessité d'une plus grande flexibilité et d'une baisse des prélèvements obligatoires.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a jugé qu'une prise de conscience commune aux syndicats, au patronat et au gouvernement était indispensable.

M. Gérard Longuet, après avoir souligné la qualité de la présentation faite, a souhaité savoir si des entreprises françaises avaient pu émerger à l'échelle internationale, citant les exemples étrangers de grandes firmes spécialisées dans l'habillement.

En réponse, M. Guillaume Sarkozy a fait valoir l'importance des investissements nécessaires pour une PME qui voudrait développer un réseau de distribution. Citant les exemples d'entreprises connues en France, il a montré que l'adaptation de ces entreprises était passée, pour la première, par une délocalisation significative de ses activités et, pour la seconde, par la mise en oeuvre de séries très courtes, une flexibilité de son organisation, reposant notamment sur des partenariats extérieurs en matière de production.

En réponse à M. Adrien Gouteyron, il a indiqué que l'industrie italienne avait une culture du produit plus forte que l'industrie textile française, qui avait par le passé investi dans un textile « plus industriel ». Il a montré que ce modèle français, qui s'était traduit, dans les Vosges notamment, par des investissements massifs en termes de productivité, trouvait ses limites face à la concurrence chinoise. Il a indiqué que les garanties de la SOFARIS étaient utiles, même si, pour des raisons de restriction budgétaire, ces interventions étaient plus limitées.

M. Jean Arthuis, président, a rappelé, à ce sujet, que les conseils généraux pouvaient passer des conventions avec la SOFARIS.

Mercredi 23 mars 2005

- Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Maurice Blin, puis à nouveau de M. Jean Arthuis, président.

Contrôle budgétaire - Météo France - Communication

Revenant sur le déroulement de l'audition conjointe de M. Jean-François Bénard, président de la 7e chambre de la Cour des comptes, de M. Jean-Pierre Beysson, président-directeur général de Météo France, et de M. François Perdrizet, directeur de la recherche et des affaires scientifiques et techniques au ministère de l'équipement, qui avait eu lieu la veille, M. Jean Arthuis, président, a réaffirmé, nonobstant les réactions du président-directeur général de Météo France, l'intérêt de ce type d'audition contradictoire, faisant intervenir le président d'une institution et la Cour des comptes au titre des griefs qu'elle avait pu formuler à l'encontre de l'organisme concerné.

Il a indiqué qu'il conviendrait, eu égard à la teneur des propos échangés, que la commission puisse à nouveau, dans un délai d'un an, procéder à une audition des parties intéressées afin de faire le point, de façon précise, sur les suites qui seraient réservées aux préconisations émises par la Cour des comptes à l'égard de la gestion de l'établissement public Météo France.

Pour sa part, M. Jean Jacques Jégou a estimé qu'il serait donc utile de réfléchir à la mise en place de règles régissant les débats mettant en présence la Cour des comptes, un responsable d'établissement et son autorité de tutelle.

Délocalisations - Audition de M. Jean-Claude Karpeles, délégué général de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC)

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Claude Karpeles, délégué général de la FIEEC, après que M. Jean Arthuis, président eut rappelé le cadre dans lequel elle intervenait.

Après avoir énuméré les productions relevant de la fédération dont il était délégué général, M. Jean-Claude Karpeles a préalablement distingué, du processus même de délocalisation, celui de la régionalisation, correspondant aux déplacements d'unités de production qui avaient lieu au sein d'un même Etat, comme on pouvait l'observer en Chine, en Inde, ou au Brésil, qui disposaient d'un vaste territoire.

D'après M. Jean-Claude Karpeles, les délocalisations s'expliquaient par une pression croissante sur les prix de la part des acheteurs ; en effet, une entreprise voulant améliorer sa productivité avait le choix entre deux démarches : soit diminuer le poids de ses achats, qui représentait de 10 % à 50 % du chiffre d'affaires, soit se restructurer, ce qui était généralement difficile, l'entreprise étant ainsi tentée de peser d'abord sur ses achats. Il a expliqué que les consommateurs qui cherchaient à acheter au plus bas prix incitaient donc les entreprises à s'installer ailleurs, lorsqu'elles ne pouvaient plus agir sur les achats ni se restructurer, ce qui supprimait des emplois et initiait une « spirale d'appauvrissement collectif » pour les consommateurs salariés.

Puis il a indiqué que ces entreprises délocalisées connaissaient, ensuite, un véritable « nomadisme industriel », engendré par la recherche systématique des coûts salariaux les plus bas, ainsi que cela pouvait être observé actuellement au Mexique, pays que beaucoup d'entreprises précédemment délocalisées quittaient en raison d'une augmentation des coûts salariaux.

Pourtant, d'après M. Jean-Claude Karpeles, cette spirale d'appauvrissement n'était pas inéluctable, la part de la main-d'oeuvre dans le coût des produits en représentant entre 5 % et 25 %. Ainsi le problème était bien, selon lui, de réconcilier le salarié et le consommateur, malgré une difficulté supplémentaire résultant du Traité de Rome, qui faisait de la défense du consommateur un élément central de la politique communautaire.

M. Jean Arthuis, président, a alors estimé que si la procédure des « class actions » devait se développer en France, il faudrait alors faire peser les responsabilités non pas sur les producteurs, mais sur les distributeurs.

Puis M. Jean-Claude Karpeles a abordé les problèmes posés par les délocalisations industrielles dans les secteurs dont il avait la charge. Il convenait, selon lui, de distinguer les marchés mondiaux, où les délocalisations pouvaient être massives, le même produit étant susceptible d'être fabriqué et vendu partout, des marchés régionaux. Il a indiqué que les marchés mondiaux (tels que celui des composants électroniques), pour lesquels le progrès technique était très rapide, favorisaient une forte concentration assortie de délocalisations massives afin de pouvoir amortir suffisamment les coûts liés à un renouvellement fréquent de l'offre, notamment pour l'électronique destinée au grand public.

Il a constaté que le petit électroménager constituait un marché typiquement mondial, contrairement au grand électroménager qui connaissait un certain nombre de contraintes sanitaires, de sécurité, d'efficacité énergétique, et, plus récemment, environnementales, précisant au sujet de cette dernière contrainte que le consommateur devait contribuer au financement de la récupération des « déchets historiques », lors de la reprise d'un appareil usagé, à leur prix coûtant, via une sorte de mutualisation. M. Jean Arthuis, président, a alors précisé qu'il s'agirait d'une fiscalité pesant, en dernière analyse, sur le consommateur.

M. Jean-Claude Karpeles a insisté sur le problème de la surveillance du marché en vue de vérifier que les produits obéissaient aux diverses contraintes légales et réglementaires, problème d'ailleurs en partie lié à celui de la contrefaçon. En tout état de cause, selon lui, bien que le contrôle du respect des contraintes fût indispensable pour éviter les délocalisations dans le domaine industriel, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne disposait pas de moyens suffisants. En outre, il s'avérait, selon lui, qu'en l'absence d'identification des acheteurs, quand bien même la DGCCRF s'était trouvée en situation de pouvoir agir avec diligence, il n'était pas possible de contacter ces derniers. Enfin, il a évoqué le « marquage CE » qui signifiait que les produits importés étaient conformes aux réglementations européennes, mais ne donnait pas de garantie quant au contrôle de cette conformité, ni d'information sur l'origine de ces produits.

En conclusion, M. Jean-Claude Karpeles, après avoir dressé le constat d'une certaine banalisation de l'origine et de la qualité des produits par la grande distribution, a souhaité une meilleure mise en valeur de cette qualité, laquelle nécessitait une « éducation du consommateur ». Par ailleurs, il a estimé que le respect des contraintes en matière de sécurité et de santé ne pouvait reposer exclusivement sur l'Etat, et qu'il serait probablement utile de susciter certaines alliances objectives entre professions, telles que celle existant en Allemagne entre les assureurs et les installateurs ; d'autres incitations, telles qu'un certificat de conformité électrique au moment de la vente d'un bien immobilier, pouvant également être envisagées. Enfin, il a souligné qu'après les biens de consommation, les biens d'équipement étaient, aujourd'hui, particulièrement menacés par la délocalisation en raison d'une pression croissante des acheteurs, notamment publics et semi-publics, sur les prix.

Après que M. Maurice Blin eut remercié M. Jean-Claude Karpeles pour la clarté de sa présentation et en eut retracé les grandes lignes en insistant sur la pression des grands distributeurs sur les producteurs pour diminuer les prix, un débat s'est instauré.

M. Jean-Claude Karpeles a précisé que les distributeurs étaient devenus des producteurs pour une partie croissante de leurs ventes, et que la future « loi Jacob » devrait éviter de franchir le seuil de revente à perte. Il a également indiqué, en réponse à M. Jean Arthuis, président, que le secteur des industries électriques, électroniques et de communication était relativement peu familier de la pratique des « marges arrières ».

M. Jean-Jacques Jégou s'est déclaré convaincu de l'existence du phénomène de « spirale d'appauvrissement collectif » qui traduisait bien une véritable « schizophrénie » des consommateurs, dont la recherche des plus bas prix portait un préjudice direct aux salariés qu'ils étaient par ailleurs. Selon lui, il convenait de mettre ce scénario en perspective avec les mesures prises par le gouvernement afin de favoriser la consommation, laquelle portait essentiellement sur des produits d'importation, au moment même où les revendications salariales se faisaient plus pressantes. Au total, il a jugé que se posait un véritable problème d'organisation de la société.

M. Jean-Claude Karpeles a alors indiqué que les produits industriels, tels que ceux issus de l'agroalimentaire, ou l'électroménager, s'étaient banalisés et qu'il convenait de profiter de la phase actuelle de réhabilitation de l'industrie pour redonner à ces produits toute leur « noblesse ».

M. Eric Doligé, après avoir attiré l'attention sur le fait qu'en France, un quart des salariés étaient des fonctionnaires (population a priori moins sensible à la problématique des délocalisations), a douté de l'opportunité d'un certificat de conformité électrique qui se serait ajouté aux nombreux certificats déjà exigés pour revendre une maison. Puis il s'est interrogé sur la façon dont nos voisins européens étaient confrontés aux délocalisations, et dénoncé le volume excessif des emballages qui résultaient d'acheminements lointains consécutifs à ces dernières, tandis que M. Jean Arthuis, président, évoquait, alors, l'opportunité d'une taxe sur les emballages à proportion des coûts résultant de leur traitement et de leur destruction.

En réponse, M. Jean-Claude Karpeles a indiqué que les consommateurs des autres pays européens avaient des comportements spécifiques ; ainsi, le consommateur allemand était globalement plus responsable et proche de son industrie, alors qu'en Grande-Bretagne, les industries nationales avaient déserté le territoire, ce qui traduisait naturellement de grosses différences de mentalité. Enfin, répondant à M. Paul Girod, il a précisé que le poids de la grande distribution face aux producteurs était moindre en Allemagne qu'en France.

Délocalisations - Audition de M. Michel Godet, professeur au CNAM

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Michel Godet, professeur au CNAM.

M. Jean Arthuis, président, a tout d'abord rappelé le contexte dans lequel intervenait cette audition, indiquant que la commission avait décidé d'entendre, outre des industriels ou des syndicalistes, des universitaires et des chercheurs afin de mieux appréhender les phénomènes de mondialisation de l'économie et de nourrir sa réflexion sur la désindustrialisation, cherchant en particulier à savoir si les délocalisations ne masquaient pas des retards dans la modernisation et le management des entreprises. Il a rappelé que M. Michel Godet avait activement pris part à ce débat, qu'il avait obtenu au Sénat le Prix 2004 des lecteurs du livre d'économie pour son ouvrage « Le choc de 2006 » et qu'il venait de publier, dans la revue « Futuribles », une contribution intitulée « Désindustrialisation ou modernisation ? ».

Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Michel Godet a tout d'abord indiqué qu'il ne se considérait que comme un « franc-tireur » sur le sujet des délocalisations et qu'il ne l'abordait qu'en réaction aux idées fausses qu'il jugeait en circulation. Il a souligné que ce thème faisait figure de mode récurrente, rappelant notamment son rapport de 1981 sur les défis industriels de l'Europe, rédigé dans le cadre de sa participation au projet communautaire « FAST » de prévision et d'évaluation technologique, dans lequel il préconisait la « sérénité » face à la croissance des pays de l'ASEAN, dans la mesure où ce développement engendrait des marchés solvables pour l'Europe. Il a ajouté que, d'une façon générale, la question des délocalisations constituait une « mauvaise question » et qu'elle jouait le rôle d'un « rideau de fumée ».

M. Michel Godet a alors exposé que l'angle d'approche pertinent, pour la France comme pour l'Europe, consistait à étudier non la mondialisation, qu'il a qualifiée de « bouc émissaire », mais à bien mesurer l'étendue de nos propres responsabilités. S'attachant à montrer que le problème de l'industrie tenait, aujourd'hui, à la situation de l'emploi, il a mis en parallèle le fait que certains pays européens, confrontés aux mêmes contraintes internationales que la France, mais ayant procédé aux réformes structurelles nécessaires, n'enregistraient un taux de chômage que de l'ordre de 4 %, et le fait que les dépenses publiques en France s'élevaient à 7 points de plus que la moyenne communautaire. Il a indiqué que les autres pays avaient réformé leurs administrations tout en améliorant l'efficacité de leurs services publics et a préconisé une intervention publique limitée aux seules carences du marché. Sur ce dernier point, il a cité les cas de la répartition des immigrés sur le territoire national et de l'orientation de l'immigration en termes de qualification professionnelle.

M. Michel Godet a ensuite rappelé qu'il défendait, depuis une vingtaine d'années, dans le sillage d'Alfred Sauvy, l'idée que le défi pour l'Europe, face aux Etats-Unis, ne relevait pas d'enjeux technologiques, mais démographiques, et a noté que des raisons historiques avaient longtemps empêché de percevoir cette situation. Il a cependant signalé la parution d'un tout récent Livre vert de la Commission européenne intitulé « Face aux changements démographiques, une nouvelle solidarité entre générations » et a relevé le lien qu'établissait ce document entre la natalité et la croissance économique. Il a repris cette analyse à son compte, précisant qu'il développait une démonstration similaire dans un rapport qu'il a indiqué être en train de rédiger, à la demande du Premier Ministre.

M. Michel Godet a ensuite fait remarquer que la notion de désindustrialisation ne mesurait que la baisse de l'emploi industriel dans l'ensemble de l'emploi total et qu'il s'agissait d'un signe de progrès pour les sociétés, à la condition que la valeur ajoutée dans l'industrie ne baissât pas. Il en a distingué la notion de délocalisation, et a rappelé les conclusions de travaux selon lesquelles l'implantation à l'étranger des entreprises françaises, nécessaire à leur conquête des marchés, engendrait un solde d'exportation net positif. Il a ajouté qu'une démonstration semblable avait pu être établie en termes de balance de l'emploi dans les pays de l'OCDE.

Il s'est ensuite attaché à exposer les raisons actuelles de la perte d'emplois industriels en France, après une légère augmentation (4 %) entre 1993 et 2001, et alors que d'autres pays européens, comme la Finlande ou l'Espagne, connaissaient une très importante croissance. Il a estimé que cette situation résultait de la conjugaison de trois facteurs, tenant respectivement à une croissance économique bridée par la démographie, à un coût du travail alourdi par les charges, et à un défaut d'incitation à travailler.

Sur l'aspect démographique, M. Michel Godet a délivré de nombreuses données chiffrées. Il a d'abord présenté une projection démographique décomptant 30 millions d'habitants en moins en Europe à l'horizon 2050, réserve faite des flux d'immigration à venir, dont le chiffre de 1,3 million d'immigrants en 2004, plus élevé que le nombre d'immigrés accueillis par les Etats-Unis, lui a laissé présager l'ampleur. Puis il a présenté des données établissant un lien entre la création d'emplois et une progression démographique dynamique. Il ainsi exposé qu'entre 1975 et 2000, alors que la population s'accroissait de 28 % aux Etats-Unis, l'emploi progressait de 57 %, que, dans le même temps, alors que la population des principaux pays européens (France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) augmentait de 7 %, l'emploi augmentait de 12 %, et que, pour la France, ces taux s'établissaient respectivement à 12 % et 2,3 % et pour le Japon, à 13 % et 12 %. M. Michel Godet a ensuite fait état d'autres projections démographiques révélant une augmentation de la population des Etats-Unis, passant de 276 millions d'habitants en 2000 à 404 millions en 2050, alors que, sur la même période, la population de l'Europe des quinze diminuerait de 378 millions d'habitants à 350 millions, et celle du Japon de 127 millions à 101 millions. Il a commenté, ensuite, un graphique faisant apparaître une corrélation proportionnelle, sur le long terme, entre le recul démographique et celui de la croissance.

Sur un autre plan, M. Michel Godet a commenté un nouveau graphique montrant la sensibilité de la création d'emplois marchands au taux de croissance du PIB. Puis il a comparé les taux de croissance et les ratios PIB par tête dans la décennie 1980, la décennie 1990 et les années 2000-2003 aux Etats-Unis, au Japon, en Europe, en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. En premier lieu, il a souligné que, dans la décennie 1980 et la décennie 1990, le PIB total et le PIB par tête des Etats-Unis d'une part (respectivement 3,3 % et 2,3 % pour la décennie 1980, 3,3 % et 2 % pour la décennie 1990) et de l'Europe d'autre part (2,2 % et 2,1 % pour la décennie 1980, 2,4 % et 1,8 % pour la décennie 1990) n'étaient que faiblement éloignés, et que le ratio PIB par tête français (1,9 % dans la décennie 1980, 1,5 % dans la suivante) se situait en dessous de la moyenne européenne, de sorte que la France, dotée d'une meilleure démographie, se trouvait en dessous de son potentiel. Il a également relevé le meilleur ratio PIB par tête du Royaume-Uni (2,5 % dans la décennie 1980, 2,1 % dans la suivante) et la faiblesse de celui de l'Allemagne (2,2 % dans la décennie 1980, 1,6 % dans la suivante), qui s'expliquait par les contraintes de la réunification et une « démographie sclérosée ». Il a, en second lieu, fait observer que, dans la période 2000-2003, l'écart du PIB par tête entre les Etats-Unis (0,9 %) et l'Europe (1 %) restait modéré, mais que la dynamique démographique était moindre en Europe (avec un accroissement de 0,2 % de la population) qu'aux Etats-Unis (qui enregistraient un accroissement de 1 %), et que la France, si elle obtenait la même croissance que l'Europe (1,2 % d'augmentation du PIB), conservait un moins bon ratio PIB par tête (0,7 %, contre 1 % pour l'Europe) alors que, cependant, sa dynamique démographique était relativement meilleure (0,5 % d'accroissement de la population, contre 0,2 % pour l'Europe).

M. Michel Godet a alors affirmé que cette situation de la France en dessous de son potentiel était liée au « travail insuffisant » des Français. Il a mentionné que ces derniers travaillaient l'équivalent de 50 jours de moins que les Américains, soit en termes d'indices d'heures travaillées par habitant, si la valeur 100 était attribuée à la France, un indice 146 pour les Etats-Unis, 133 pour la Grande-Bretagne, 123 pour l'Espagne et 117 pour le Japon. Il en a conclu que les pays où le taux de chômage était le moins élevé correspondaient à ceux où la population active travaillait le plus d'heures et, soulignant que l'activité créait l'emploi, a prôné que celle-ci soit « libérée ». Il a ajouté que le taux d'emploi français était trop faible, à 64 %, contre 72 % pour les Etats-Unis, de même que la productivité nationale, dans la mesure où l'indice de la productivité corrigé du taux d'emploi étant en France affecté de la valeur 100, l'indice américain s'élevait à 137. Il a également livré le calcul suivant lequel, à productivité constante, si les Français travaillaient autant que les Américains, ils gagneraient 11.000 dollars (environ 8.000 euros) de plus par an et par habitant.

M. Michel Godet s'est, alors, attaché à détailler les trois facteurs qui, selon lui, expliquaient le marasme industriel en France : premièrement, la conjoncture démographique et économique globale, dans une période de croissance molle ou fluctuante en Europe, la demande étant saturée et imposant, de fait, aux entreprises une implantation à l'étranger ; deuxièmement, l'impact, sur l'économie, de la parité dollar/euro ; troisièmement, les exigences des grandes entreprises envers leurs sous-traitants, source de contraintes parfois insurmontables pour ces derniers, dès lors qu'elles se trouvaient cumulées à des contraintes de type réglementaire.

Il a rappelé que, sur les 2,6 millions d'entreprises françaises, 96 % étaient des entreprises de moins de vingt personnes. Indiquant qu'il travaillait actuellement à un rapport, commandé par la DATAR, relatif à l'impact du vieillissement de la population sur l'activité des PME et TPE, il a signalé que 60 % des chefs de ces entreprises arriveraient à l'âge de la retraite dans les dix prochaines années et, insistant sur la dimension humaine essentielle de la création d'activité, il s'est interrogé sur l'existence de candidatures à la reprise de ces activités, compte tenu de la charge de travail et de la lourdeur des exigences bureaucratiques associées. Présentant une carte des pôles de compétitivité français, il a indiqué que ce dispositif lui paraissait prometteur, et a encouragé au développement de l'existant.

M. Michel Godet a également plaidé pour un changement de management dans les entreprises en difficulté, et s'est déclaré en faveur d'un soutien prioritaire aux entreprises en « bonne santé », afin qu'elles puissent se développer davantage encore, estimant que le soutien aux entreprises en difficulté mobilisait des fonds qui pourraient servir « ailleurs » et, en définitive, « bridait » la croissance et le développement des autres. Il a d'ailleurs fait valoir que les entreprises françaises les plus compétitives à l'international étaient celles qui n'avaient jamais reçu d'aides.

Citant en exemple l'industrie du lait, il a incité à ne pas oublier la dimension innovante de nombreuses industries aujourd'hui. Il a également mis en exergue l'importance de la stratégie de positionnement des entreprises sur les marchés, en fonction de demandes existantes et celle des services attachés au produit vendu. Pour conclure, il s'est déclaré confiant, en notant que le développement durable était devenu une « excellente barrière non tarifaire » aux importations et que l'essentiel, pour les entreprises, était de s'assurer de l'existence de consommateurs solvables. Il a répété, enfin, que, selon lui, les délocalisations ne constituaient pas, en elles-mêmes, un problème.

M. Jean Arthuis, président, a remercié M. Michel Godet pour ces convictions fortes et leur expression « enthousiaste ». Un large débat s'est alors instauré.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a jugé que le langage tenu par M. Michel Godet méritait d'être écouté avec sérieux et s'est déclaré en sympathie avec nombre des thèses qu'il venait de défendre. Il l'a interrogé sur les « bonnes options » qu'il convenait, selon lui, d'adopter afin de faire décroître le taux de chômage structurel, tant du point de vue de l'offre que de celui de la demande de travail.

M. Michel Godet, en réponse, est revenu sur les trois facteurs qu'il estimait participer à la création d'emplois. En premier lieu, il a évoqué la croissance économique, soulignant ses perspectives faiblement dynamiques. A cet égard, il a d'abord réaffirmé ses préconisations en direction d'une immigration mieux choisie en termes de qualification professionnelle, soulignant les difficultés qu'éprouvaient actuellement certaines entreprises, dans les secteurs de la restauration et de l'hôtellerie notamment, à trouver de la main-d'oeuvre. Répondant à une question incidente de M. Philippe Marini, rapporteur général, il a indiqué être favorable à l'instauration de « quotas professionnels ». Puis, ayant fait valoir les fractures territoriales qui résultaient du départ massif de travailleurs immigrés hors d'Ile-de-France, et ayant exposé que les métiers en développement consisteraient, demain, dans les emplois du bâtiment et les services à la personne, parmi lesquels il a cité tout particulièrement l'assistance à domicile aux personnes âgées, il a insisté sur la nécessité de professionnaliser les flux migratoires afin de répondre à ces besoins. Dans cette perspective, il a plaidé pour une intégration de ces populations qui soit conforme au modèle républicain, et s'est exprimé en faveur de l'attribution d'aides, comme la fourniture de logements, de nature à éviter la formation de « ghettos ». Il a relevé, d'ailleurs, le coût que représenterait, pour la collectivité, une non-intégration. Il a ensuite appelé à un encouragement actif de la natalité, signalant le grand nombre de femmes obligées de « renoncer à une maternité » afin d'assumer leur vie professionnelle et indiquant que les femmes diplômées étaient sans enfant pour 40 % d'entre elles en Allemagne, pour 25 % d'entre elles en France, soit une proportion double par rapport aux femmes ouvrières. Il a regretté que les dépenses associées au régime des 35 heures n'aient pas été employées sous forme d'aides parentales.

En deuxième lieu, M. Michel Godet a évoqué le coût du travail, rappelant que, pour le marché du travail comme pour tout marché, une offre trop chère entraînait mécaniquement une demande moindre. Répondant à une question de M. Philippe Marini, rapporteur général, il s'est déclaré favorable aux réductions d'impôt associées à l'emploi à domicile, de même qu'à la prime pour l'emploi et, dans une certaine mesure, à l'expérimentation d'une « TVA sociale » dont la commission des finances défendait l'idée.

Sur ce dernier point, M. Jean Arthuis, président, évoquant le projet de directive dite « Bolkestein », a fait valoir que, dans un contexte d'allégement de charges sociales, le seul impôt pertinent serait, en effet, la TVA.

Revenant au coût du travail, M. Michel Godet a appelé de ses voeux une réforme structurelle qui passerait par la réduction du nombre de fonctionnaires en ne renouvelant pas tous les départs en retraite. Il a, en outre, souligné la nécessité de réformer les modes de formation et de fonctionnement de la haute fonction publique de l'Etat, en vue de faire passer les exigences managériales avant les seules préoccupations de carrière.

M. Michel Godet est, en troisième lieu, revenu sur l'incitation à travailler. Au plan macro-économique, il a d'abord fait observer qu'un seul aspect du modèle danois avait, jusqu'à présent, été retenu en France, qui consistait dans l'indemnisation satisfaisante des chômeurs, tandis qu'avait été négligée l'obligation, pour le chômeur, d'accepter l'emploi qui lui était proposé. Sur le plan micro-économique, il a fait état de l'initiative qu'il avait prise de créer un « Institut de chômeurs entreprenants », structure destinée à aider les « entreprises dynamiques » plutôt que les entreprises en difficulté et à développer de « petits projets en latence », qui, en particulier, en mettant à la disposition des chefs de petites entreprises une main-d'oeuvre compétente, permettait à ces derniers de répondre à l'ensemble de la demande. Il a estimé que la généralisation de ce type de démarches susciterait la création de dizaines de milliers d'emplois et a regretté que la réglementation en vigueur ne s'y prêtât pas, se félicitant néanmoins des initiatives qui fleurissaient en dépit des obstacles administratifs.

M. Paul Girod s'est ensuite exprimé pour réagir aux propos de M. Michel Godet concernant certaines clauses difficiles à satisfaire qui seraient imposées aux sous-traitants par leurs donneurs d'ordre. Il s'est interrogé sur l'existence de « phénomènes de mode intellectuelle » parmi les dirigeants économiques et sur les moyens de les combattre, le cas échéant.

M. Michel Godet, en réponse, a confirmé l'existence de tels phénomènes de mode et la nécessité de s'en méfier. Dialoguant avec M. Paul Girod, il a convenu que ces phénomènes pouvaient concerner, non pas seulement les thèmes de débats, mais aussi les méthodes de management.

M. Jean Arthuis, président, s'est demandé si la pratique des délocalisations relevait ainsi d'une mode. M. Paul Girod a précisé que la mode pourrait être, pour les entreprises françaises, de s'adresser systématiquement à des sous-traitants étrangers.M. Michel Godet a fait valoir l'existence de contre-exemples, citant le cas d'un repreneur qui, réimplantant son entreprise en France, avait simultanément « rapatrié » ses sous-traitants.

M. Eric Doligé s'est réjoui des propos positifs tenus par M. Michel Godetà propos des pôles de compétitivité, dont il a indiqué avoir regardé, d'abord, avec scepticisme, la mise en place dans son département, où existaient déjà des pôles d'excellence, pour finalement l'approuver. Il a souhaité que M. Michel Godet livre son sentiment sur l'avenir de ce dispositif. Il lui a, par ailleurs, demandé s'il partageait l'opinion de M. Jean-Louis Beffa, exposée lors de son audition par la commission, suivant laquelle l'industrie française serait pénalisée par le mauvais positionnement de ses produits.

M. Michel Godet a d'abord fait valoir que les pôles de compétitivité, en amenant des acteurs économiques à collaborer ensemble et à instaurer une synergie entre leurs potentiels, constituaient le signe d'une heureuse prise de conscience que « l'union faisait la force ». Il a répété l'importance du facteur humain dans la création d'activité et la nécessité de s'affranchir au maximum des pesanteurs administratives.

M. Eric Doligé a indiqué que la clé de la réussite des pôles de compétitivité, selon lui, touchait moins au montant des aides associées qu'au label ainsi délivré. M. Michel Godet a acquiescé à ce propos et a indiqué que les statistiques de la DATAR faisaient apparaître que les zones où se trouvaient implantés des pôles de compétitivité connaissaient une création d'emploi plus dynamique.

M. Michel Godet a ensuite relativisé les analyses de M. Jean-Louis Beffa, jugeant qu'elles n'avaient envisagé l'innovation que sous l'angle technique, alors qu'il estimait, pour sa part, qu'elle était également sociale, organisationnelle et financière. Il a cependant convenu que les propositions faites par leur auteur « valaient mieux » que la situation actuelle, marquée par une faible appétence des chercheurs pour la recherche appliquée aux besoins des entreprises. Il a souligné, par ailleurs, que l'ampleur de la dépense publique au bénéfice de la recherche comptait moins que son efficacité, relevant que la Grande-Bretagne ne consacrait que 1,8 point de PIB en recherche et développement. Il a indiqué que, dans l'industrie française, la recherche était spécialisée dans des secteurs technologiques de pointe, comme celui de l'aérospatiale, gros consommateurs de crédits en la matière, au détriment d'investissements dans des domaines scientifiquement moins valorisants mais économiquement rentables, qui pourraient bénéficier à de nombreuses PME. Il a cité, en exemple, la recherche agronomique.

M. Jean Arthuis, président, a relevé qu'après que certaines entreprises, dans les années cinquante, eurent délaissé l'industrie pour la distribution, certains industriels, aujourd'hui, prenaient directement en charge la distribution.

M. Michel Godet a souligné que les grandes entreprises françaises internationalisées n'avaient pas besoin d'aides de l'Etat pour développer leurs produits, alors que l'intervention publique était nécessaire afin d'aider les autres entreprises à s'implanter à l'étranger et à lutter contre les fractures territoriales et sociales.

Mme Nicole Bricq, déclarant ne pas vouloir revenir sur chacun des points de l'intervention de M. Michel Godet, mais soulignant son désaccord avec beaucoup de ses propos, a indiqué qu'elle partageait néanmoins quelques unes de ses « analyses à contre-courant » et qu'elle en avait jugé d'autres intéressantes bien qu'elle n'y souscrivît pas. Dans le cadre de ces dernières, elle a souligné que M. Michel Godet, d'une part, relativisait la dépense publique en recherche et développement et, d'autre part, évacuait le facteur production dans la création de la valeur ajoutée dès lors que, selon lui, cette valeur résultait de la conception, du marketing, de la distribution et de la maintenance. Elle a également relevé qu'en dernière analyse il estimait inutile une nouvelle politique industrielle.

Mme Nicole Bricq a ensuite interrogé M. Michel Godet sur le décrochage démographique de l'Europe par rapport aux Etats-Unis, estimant que la « stratégie mort-née » de croissance européenne, dite « de Lisbonne », avait sous-estimé cet aspect et que la commission des finances, dans ses travaux, n'en avait jusque là pas beaucoup approfondi l'enjeu.

M. Michel Godet, en réponse, a jugé que la stratégie de Lisbonne constituait par certains aspects un « mirage » qui pouvait masquer un phénomène de « casse sociale » et, notamment, de gâchis d'expérience s'agissant des travailleurs de plus de cinquante ans qui faisaient l'objet de licenciements. Il s'est félicité qu'on ait découvert, au niveau macro-économique, avec la notion de « capital humain », la nécessité de renouveler ce dernier et, par conséquent, de s'intéresser plus avant au problème démographique. Au plan micro-économique, il a dénoncé, en revanche, l'insuffisance de la formation des élèves à des savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) et à la sociabilité (le « savoir être »), ainsi que l'insuffisance des moyens comme des exigences mis en oeuvre pour cet apprentissage, dont il a souligné le caractère indispensable pour une insertion réussie sur le marché de l'emploi.

M. Maurice Blin a remercié M. Michel Godet pour la qualité et le « bon sens » de son exposé, remarquant qu'il avait rappelé certaines vertus primordiales du libéralisme aujourd'hui souvent perdues de vue. Il a toutefois fait observer que le même libéralisme conduisait, aussi, à certaines facilités en termes de consommation, qu'il s'agisse du recours abusif à l'emprunt ou de l'abandon à la télévision, par des parents, de leur rôle éducatif. Il a interrogé M. Michel Godet sur cette « schizophrénie du libéralisme ».

M. Michel Godet, en réponse, a estimé qu'il existait un réel problème de gouvernance, qu'il a associé à la possibilité pour les décideurs politiques d'être réélus, et a réaffirmé la nécessité de réformes structurelles. Il a regretté, en particulier, que soient reportées sur les générations futures les conséquences du creusement des déficits publics et a appelé à l'objectivité quant à la situation présente du pays.

M. Jean Arthuis, président, remerciant M. Michel Godet, a conclu en estimant qu'exprimer sincèrement ses convictions constituait un « beau programme politique ».

Délocalisations - Audition de M. François Branche, coprésident, et de M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la FNTR

La commission a enfin procédé à l'audition de M. François Branche, coprésident, et de M. Jean-Paul Deneuville, délégué général de la FNTR.

M. Jean Arthuis, président, après avoir exprimé son intérêt pour l'analyse de la situation du transport routier, a interrogé les représentants de la Fédération nationale de transports routiers (FNTR) sur la place de la logistique dans le transport.

M. François Branche a indiqué que le transport faisait partie de la logistique, et non l'inverse, soulignant que cette distinction avait une certaine importance, notamment au niveau du recrutement qui n'attirait pas les mêmes candidats, selon que l'on parle de transport ou de logistique. Il a fait remarquer, par ailleurs, que la fonction du transport était modifiée par les pratiques de plus en plus répandues consistant à fabriquer les produits à la demande, citant notamment le cas d'une grande marque d'ordinateurs.

Abordant le sujet des délocalisations, M. François Branche a déclaré que le coût de l'activité de transport était essentiellement salarial, et que ce secteur d'activité était confronté, depuis une dizaine d'années, aux problèmes que soulève l'arrivée des salariés des pays de l'est sur le marché européen.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir si l'on constatait une migration des entreprises de transport vers les pays d'Europe de l'est.

M. François Branche a répondu qu'il était difficile de contrôler les pratiques illégales, la France disposant seulement de 400 contrôleurs. Il a déclaré que le secteur se portait mal, estimant que le début de l'année avait été « catastrophique », en raison tant des conditions météorologiques que des effets pervers de la hausse du gasoil qui avait débuté en mai 2004.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir si l'on pouvait quantifier la proportion d'entreprises qui s'implantaient en Europe de l'est.

M. François Branche a estimé qu'environ une entreprise sur dix était aujourd'hui concernée.

M. Jean-Paul Deneuville a précisé qu'actuellement le secteur routier employait 430.000 salariés, dont 300.000 chauffeurs, le reste des employés étant affectés à des tâches de logistique ou de manutention, mais que la tendance était à la baisse des emplois, malgré la croissance annuelle en volume de 2 % du secteur.

M. François Branche a déploré l'accélération depuis deux ans du dumping social, dont les transporteurs frontaliers étaient les premières victimes. Il a estimé que le contexte économique actuel, peu favorable, conduisait au développement de pratiques et méthodes « à la marge ». Il a indiqué que la FNTR avait demandé au gouvernement d'introduire par voie législative un dispositif de crise qui prenne en compte l'ensemble des problèmes du secteur, et non pas seulement les questions d'ordre fiscal.

M. Jean Arthuis, président, a souhaité savoir si les entreprises situées à la lisière de pays étrangers s'approvisionnaient en carburant dans les pays voisins.

M. François Branche a indiqué que ces pratiques existaient, citant notamment l'Espagne, où le gasoil coûtait 10 centimes d'euros de moins au litre qu'en France. Il a également indiqué que des pays comme le Luxembourg possédaient un parc d'entreprises de transport routier nettement plus important que leur économie ne le justifiait. Il a ajouté que la situation serait aggravée en France par l'augmentation salariale prévue pour le 1er juillet prochain. Il a rappelé que des accords avaient été conclus, suite à des conflits sociaux. Aussi bien, est-ce dans ce contexte préoccupant, a-t-il indiqué, que le secteur devait aujourd'hui faire face à la concurrence des pays de l'est. Il a indiqué que, dans ce contexte, la profession anticipait une croissance du taux de sinistralité.

M. Jean Arthuis, président, a indiqué que les études commandées par la commission des finances à des cabinets d'experts extérieurs aboutissaient à un constat semblable.

M. François Branche a précisé que se développait la pratique du « franco », qui consiste à faire payer le transport par l'expéditeur et aboutissait, en fait, à délocaliser la commande de transport.

A la suite de ces échanges entre M. Jean Arthuis, président, et les représentants de la FNTR, un débat s'est engagé.

M. Maurice Blin s'est interrogé sur les évolutions du secteur des transports routiers à l'échelle européenne. Il a également souhaité savoir si les professionnels du secteur peinaient à recruter du personnel de qualité.

M. François Branche a estimé que, du point de vue européen, le développement du secteur était réel, mais a souligné que le développement profitait de façon inégale aux pays membres en raison des distorsions sociales. Il a rappelé que lorsque le prix du gasoil était relativement bas, le coût salarial avait été augmenté en France, et les effets de ces mesures sociales devenaient difficiles à supporter dans le contexte économique actuel. Il a également estimé que le niveau de base des personnels augmentait, notamment en raison des possibilités de recrutement de personnels parlant une autre langue que celle du pays où ils pouvaient être employés.

M. Jean Arthuis, président, a estimé que les entrepôts de logistique semblaient aujourd'hui se substituer aux usines qui se trouvaient, elles, délocalisées. Il a indiqué, faisant référence au contenu d'une précédente audition tenue par la commission, que la suppression des quotas sur les importations de textile avait augmenté de 600 % les importations chinoises.

M. François Branche a estimé que le véritable danger ne résidait pas tant dans la quantité que dans la valeur ajoutée qui est créée. Il a cité l'exemple de l'étiquetage des textiles, qui jusqu'alors avait été réalisé dans les pays développés. Il s'est inquiété de ce que la valeur ajoutée liée à ces opérations se déplaçait vers les pays producteurs.

Mme Nicole Bricq a souhaité savoir si la logistique suscitait des marges que ne procurait plus le transport classique. Elle s'est également interrogée sur l'avenir des entrepôts de stockage.

M. François Branche a indiqué que les entrepôts en question étaient plutôt des plates-formes de tri, ou des quais de transit. Il a estimé que le développement de ceux-ci n'était pas favorable à l'emploi.

M. Maurice Blin a souhaité savoir si la concurrence était vive entre les sociétés de transport françaises, et Mme Nicole Bricq s'est interrogée sur la concentration du secteur.

M. Jean-Paul Deneuville a indiqué que le secteur du transport routier comprenait 43.000 entreprises de transport, mais que, seules, 18.000 d'entre elles possédaient plus d'un salarié, tandis que 1 % d'entre elles employaient plus de cent salariés. Il a précisé que le recours à l'intérim était élevé, particulièrement pendant les périodes des fêtes, où le besoin d'emploi était multiplié par quatre ou cinq.

M. Jean-Claude Frécon a sollicité l'avis des représentants de la FNTR sur les possibilités de développement du ferroutage.

M. Jean-Paul Deneuville a précisé que le ferroutage pouvait s'entendre de deux manières : soit le camion montait sur le train, soit la marchandise était débarquée du camion pour être mise sur le train. Il a indiqué que cette dernière forme, qu'on appelait le transport combiné, était la plus répandue, mais qu'elle coûtait sensiblement plus cher en raison des ruptures de charges qu'elle introduisait. Il a indiqué qu'il était nécessaire de rationaliser le transport combiné. En effet, il a estimé que le développement qu'il avait connu ces deux dernières années devait beaucoup aux subventions, et que la baisse de celles-ci induisait, mécaniquement, une baisse des volumes. Il a déclaré que le développement du transport combiné était fortement tributaire d'une volonté politique d'accompagnement.