M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur. Certes, il existe un cadre de prévisibilité des conflits sociaux, mais force est de constater que celui-ci est aujourd’hui dépassé, car, comme nous l’avons dit, il est inadapté.

Reconnaissez aussi, ce que je regrette parfois, que le dialogue social n’est aujourd’hui plus le préalable à la grève. Dans l’exposé des motifs de l’un de ces amendements identiques, il est indiqué que le cadre actuel permet de mettre en place un service certes réduit, mais prévisible. Je ne suis pas certain que les milliers de Français qui, départ après départ, voient leurs trains annulés soient totalement d’accord avec cette affirmation. Comme vous le savez, aucun service minimum n’est à ce jour garanti dans le secteur des transports.

Nous avons parlé également de l’exemple du dispositif italien, qui, que vous le vouliez ou non, existe et fonctionne.

En outre, comme cela a été souligné à plusieurs reprises en commission, nous avons veillé à renforcer la constitutionnalité du texte à travers trois leviers : la restriction temporelle des périodes concernées, la limitation aux seules personnes concourant directement au fonctionnement du service, le remplacement des sanctions pénales par des sanctions disciplinaires. Par ailleurs, nous avons introduit le principe d’une concertation en amont entre le Gouvernement et les syndicats.

Enfin, mes chers collègues, je ne peux pas vous laisser dire que nous ne proposons rien pour améliorer le fonctionnement des transports publics. En tant que rapporteur de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et Résilience, de la loi du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains, dite loi Serm, mais aussi en tant que rapporteur pour avis sur les crédits consacrés notamment au transport ferroviaire, j’ai eu à cœur, notre commission a eu à cœur, vous le savez, de développer les modes de transport collectif. Cela n’exclut pas de légiférer pour tenter de résoudre les difficultés liées aux grèves, lesquelles contribuent à détériorer fortement la qualité du service, tout comme la dégradation du réseau.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Comme je l’indiquais tout à l’heure, le Gouvernement est opposé à ce texte. Par conséquent, il s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’ensemble des amendements de suppression.

J’en profite pour évoquer deux points qui ont été soulevés dans la discussion générale.

L’exemple italien a souvent été cité. Il me paraît important de rappeler qu’en Italie un accord entre les partenaires sociaux a précédé la loi.

Par ailleurs, nous faisons tous le constat que le réseau ferroviaire est dégradé et qu’il souffre d’un sous-investissement. C’est vrai en France, mais cela vaut également pour tous les autres pays européens, ainsi que mon homologue allemand et moi-même en convenions encore la semaine passée à Bruxelles.

Nous pouvons collectivement nous réjouir de l’augmentation du budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France), de l’augmentation des crédits consacrés à la régénération du réseau ferroviaire, de la mise en service prochaine des RER métropolitains.

J’appelle de mes vœux que toutes ces initiatives soient unanimement soutenues.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2, 11, 18 rectifié et 25.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 3 (nouveau)

Article 2 (nouveau)

L’article L. 1324-6 du code des transports est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La durée d’un préavis déposé dans les conditions prévues au même article L. 2512-2 ne peut excéder trente jours.

« Un préavis déposé dans les conditions prévues audit article L. 2512-2, qui n’a pas donné lieu à une cessation concertée du travail par au moins deux agents mentionnés à l’article L. 2512-1 du même code pendant une période de quarante-huit heures, est caduc. L’employeur constate la caducité du préavis et en informe les organisations syndicales l’ayant déposé. Les déclarations individuelles mentionnées à l’article L. 1324-7 du présent code transmises postérieurement à ce constat ne peuvent produire d’effet. »

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.

Mme Raymonde Poncet Monge. Il existe des dispositions et des projets de loi dont l’unique objectif est bien de tromper. En l’occurrence, il s’agit, avec ce texte, d’endormir la vigilance des travailleurs – et des Français –, à qui l’on promet faussement d’améliorer le service des transports par le biais d’une attaque du droit de grève qui les affaiblira tous.

En effet, ce sont bien les syndicats que vous avez en cauchemar, leur capacité à négocier grâce à des outils constitutionnels et à un dialogue social sincère.

Ce qui est à l’origine de ce mauvais rêve, ce sont les préavis dormants, auxquels on apporte des restrictions – en réalité, il s’agit même de les interdire –, alors même que, souvent, ce sont les circonstances qui les imposent.

Je pense notamment à un préavis dormant au moment du mouvement contre les retraites. Comme l’a souligné notre collègue socialiste, en déposant des préavis de quinze jours ou d’une semaine, il aurait été impossible de suivre les différentes étapes de la mobilisation, à savoir les treize manifestations qui se sont succédé. Le cadre aurait été beaucoup trop rigide. C’est pourquoi le préavis dormant a, de fait, été une obligation.

En outre, depuis 2017, on ne semble compter que deux exemples de préavis tournant. Il n’y en a donc pas tant que cela !

Les préavis dormants menaceraient les Jeux ? Non. Si la direction de la RATP avait ouvert une négociation sincère, l’alerte sociale n’aurait pas été lancée. Si vous voulez régler le problème, adressez-vous à elle pour qu’elle ouvre enfin une telle négociation et qu’elle ne se contente pas de verser une prime journalière de 15 euros à ses travailleurs, en compensation de leurs astreintes.

En réalité, tout cela est bien marginal, vous le savez, mais votre objectif est non pas de faciliter le dialogue social ou de garantir la mobilité fonctionnelle et durable de tous,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Raymonde Poncet Monge. … mais de dissiper les craintes que peuvent susciter en vous l’installation d’un rapport de force et un recours utile à la grève.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 3 est présenté par MM. Jacquin et Devinaz, Mmes Bélim et Bonnefoy, MM. Gillé, Fagnen, Ouizille, Uzenat, M. Weber, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 12 est présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

L’amendement n° 20 rectifié est présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.

L’amendement n° 26 est présenté par M. Barros, Mme Varaillas, M. Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz, pour présenter l’amendement n° 3.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Cet article, inséré par un amendement de la commission, a pour objectif d’empêcher les préavis de grève d’une durée illimitée, dits préavis dormants.

Limiter à trente jours la durée maximale d’un préavis de grève et rendre caducs les préavis qui n’ont pas été utilisés par au moins deux agents pendant une période de quarante-huit heures, comme le prévoit cet article, nous paraît restreindre excessivement l’exercice du droit de grève.

Outre que, selon le rapporteur, ils constitueraient un détournement du droit de grève, ces préavis seraient aussi parfois utilisés par certains personnels pour des raisons individuelles, sans que cette information ait pu être vérifiée.

Force est de constater que, dans toute organisation sociale, il existe des passagers clandestins. Cependant, ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain et remettre en cause le droit de grève, qui est un droit collectif.

En vérité, cet article constitue une atteinte disproportionnée au droit de grève, qui est constitutionnellement garanti. Ces préavis de grève de longue durée permettent aux salariés de disposer d’une période plus étendue de concertation et de négociation. Ils sont un outil tout à fait légitime, notamment dans les périodes où le pouvoir d’achat est attaqué, lorsque les négociations sont au point mort et que les revendications sociales demeurent lettre morte.

En d’autres termes, ces préavis permettent de maintenir la mobilisation sociale lorsque les négociations sur le pouvoir d’achat, les conditions de travail ou d’autres sujets tardent à déboucher sur de réelles avancées sociales.

Pour cette raison, nous souhaitons supprimer cet article.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 12.

M. Jacques Fernique. Ces fameux préavis de grève de longue durée suscitent, comme nous l’avons vu notamment lors de l’examen du texte en commission, de nombreuses allégations qui semblent parfois relever de légendes urbaines – ferroviaires, devrais-je dire. (Sourires.)

Chaque organisation en garderait deux ou trois sous le coude et certains auraient même été déposés voilà plus de dix ans ! On l’a encore entendu, certains préavis courraient même jusqu’en 2040 ou 2045. Je veux bien, mais je demande tout de même à voir comment sont formulés ces fameux préavis !

Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, nous aurions vraiment besoin d’un diagnostic partagé sur ces préavis pour savoir ce qu’il en est réellement. Puisqu’ils ont été déposés, ce devrait être possible.

SUD-Rail indique avoir déposé deux préavis dormants depuis 2017, donc depuis moins de dix ans. Raymonde Poncet Monge l’a rappelé, le plus ancien qu’ait déposé la CGT, remonte à 2019, au moment de la réforme des retraites.

Si l’article 2 prospérait et devait être réellement appliqué, de quelle manière vous permettrait-il d’atteindre les objectifs que vous vous êtes assignés ? C’est un jeu de gendarmes et voleurs sans issue et ce n’est pas une solution pour améliorer la qualité du service public. Dans quelques années, vous viendriez nous expliquer que le salut passe par une limitation encore renforcée de la possibilité de déposer des préavis. Ce n’est pas ainsi qu’on s’en sortira.

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 20 rectifié.

M. Philippe Grosvalet. Au-delà de la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière, la limitation à trente jours de la durée maximale d’un préavis aurait pour conséquence de séquencer et de complexifier l’exercice du droit de grève. Cela obligerait les organisations syndicales, lors de conflits qui s’inscrivent dans la durée – certains d’entre eux s’inscrivent dans la durée longue –, à entrer dans une logique cyclique où toute la procédure de négociation préalable devrait être régulièrement reprise de zéro.

Dans le même temps, un préavis ne pouvant excéder trente jours imposerait une temporalité aux organisations syndicales qui ne correspond pas toujours à celle des autres parties prenantes au conflit.

Pour ces raisons, nous proposons de supprimer cet article.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour présenter l’amendement n° 26.

M. Jean-Pierre Corbisez. Le problème, avec les préavis qui durent trente jours, ce n’est pas le risque que la grève dure trente jours – c’est d’ailleurs assez rare. Ce qui semble vous déranger, c’est surtout que, pendant plus de trente jours, vous risquiez de devoir négocier avec les syndicats de salariés – et trente jours, mes chers collègues, c’est long quand on n’a pas l’habitude de dialoguer avec les syndicats.

Ce texte est finalement une sorte de 49.3 destiné à faire taire les syndicats et à bloquer tout espoir d’amélioration des conditions de travail et de service dans le secteur des transports. « Si vous déposez un préavis de grève, allez au bout et faites grève ! Autrement, nous ferons passer nos réformes, qu’elles vous plaisent ou non ! » : telle est la signification de l’article 2.

Il est finalement contradictoire de considérer qu’il y a trop de grèves – c’est le sens de votre texte –, cependant que cet article impose aux salariés de ne pas travailler lorsqu’ils annoncent leur intention de faire grève. Ce qui est vrai, cependant, c’est que les grèves discontinues – perlées, comme l’on dit dans le jargon syndical – ont un pouvoir de nuisance que vous souhaitez circonscrire.

Au fond, mes chers collègues, vous voulez des grèves qui ne dérangent pas, des grèves silencieuses, un peu comme en a rêvé alors, en 2008, le Président de la République, un certain Nicolas Sarkozy, qui déclarait, pour s’en vanter : « Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit. »

Il faut croire que vous ne partagez pas son analyse, alors qu’il a pourtant déjà fait beaucoup pour nuire au droit de grève en instaurant le service minimum dans les transports en 2007, mais aussi en posant des limites aux enseignants en 2008.

Mes chers collègues, qui saccage les services publics ? Ce ne sont pas les grévistes : ce sont bien les politiques d’austérité du Gouvernement dont, avec votre texte, vous devenez complices.

En revanche, en ce qui concerne la casse du service public, le manque de moyens dans les transports, les pénuries de soignants dans les hôpitaux, les pénuries de professeurs dans les écoles…, malheureusement, point n’est besoin d’un préavis : cela dure du 1er janvier au 31 décembre !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur. Je rappelle à mes collègues que les préavis dormants représentent un véritable contournement de l’exercice du droit de grève. Nous ne les avons pas inventés : ils existent bien, les opérateurs nous l’ont confirmé lors des auditions. Par exemple, vingt conducteurs de métro en moyenne y ont recours.

Ces préavis dormants soulèvent principalement trois difficultés.

D’abord, ils permettent de contourner la période de négociations – auxquelles nous sommes tous très attachés, mes chers collègues – pour prévenir les conflits.

Ensuite, compte tenu des délais réduits des négociations, ils conduisent de facto à désorganiser en profondeur et de façon difficilement anticipable les services de transport public.

Enfin, et c’est là une véritable dérive, ils sont désormais utilisés par des collectifs non syndiqués. Cela a été dit par un certain nombre de collègues, mais également par les syndicats que nous avons reçus pour une audition intéressante. Certains s’en prévalent pour lancer des mouvements de grève sans forcément que cela ait un lien évident avec le préavis en question qui a été déposé.

Pour toutes ces raisons et pour assurer la continuité du service public, garantir le respect de l’ordre public et celui de la liberté d’aller et de venir, il est nécessaire de limiter leur durée.

Rien n’interdira à l’organisation syndicale de déposer de nouveau un préavis au bout de trente jours. Cela permettra d’ailleurs d’engager une nouvelle étape du dialogue social, lequel, comme à nous, vous tient beaucoup à cœur. Lorsque les grèves durent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, il ne me semble pas tout à fait absurde de poursuivre ces négociations.

Vous semblez aborder la question des préavis dormants de manière théorique. Je vous répondrai par un chiffre intéressant : sur le réseau de bus de la RATP, les pertes de production pour cause de recours à des préavis illimités ont eu pour conséquence, sur la seule année 2023, que 2,3 millions de kilomètres n’ont pas été réalisés, et ce au détriment des usagers.

La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Sagesse.

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.

Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis 2007, il existe une procédure, très contraignante pour les deux parties concernant les préavis dormants. D’ailleurs les syndicats n’y sont pas défavorables, puisqu’elle permet d’informer et de s’organiser en amont de la grève.

Monsieur le rapporteur, selon vous, après trente jours, il n’y a qu’à recommencer. Cela ne me semble pas possible dans le cadre de la loi de 2007. Je crois, en effet, savoir que l’alarme sociale ne peut pas être déposée deux fois pour le même motif.

Lors du mouvement des retraites, que nous avons particulièrement suivi, avec ce système, si la direction n’avait rien fait pendant trente jours, il n’aurait pas été possible de redéposer une alarme sociale sur le même motif. Pour le coup, ce serait un détournement de procédure. Il en est de même pour la négociation annuelle obligatoire (NAO).

Ce que vous appelez les préavis dormants offre tout simplement la possibilité de tenir l’alarme sociale jusqu’à résolution du problème et accord des deux parties.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 12, 20 rectifié et 26.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 2.

(Larticle 2 est adopté.)

Article 2 (nouveau)
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Article 4 (nouveau)

Article 3 (nouveau)

L’article L. 1324-7 du code des transports est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, le mot : « quarante-huit » est remplacé par le mot : « soixante-douze » ;

2° À la première phrase du deuxième alinéa, le mot : « vingt-quatre » est remplacé par le mot : « quarante-huit ».

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.

Mme Raymonde Poncet Monge. Après avoir bridé le dialogue social par les deux articles que vous venez de voter, poursuivant le travail de sape des lois Travail, la commission nous soumet l’article 3, qui porte le délai d’information des déclarations individuelles à soixante-douze heures et le délai de rétractation à quarante-huit heures. En somme, les salariés doivent se rétracter avant la grève, ce qui est tout de même un peu particulier…

Quoi de mieux pour briser les grèves, en effet, que d’offrir plus de temps aux directions pour séparer le travailleur de son collectif mobilisé et du syndicat qui le défend ? Vous avez parlé de démarches individuelles : nous y sommes.

La technique est bien connue. Elle a été résumée très clairement par Rafael Pagan pour Nestlé, confronté à des mobilisations sociales dans les années 1970 : « Coopérer avec les réalistes, dialoguer avec les idéalistes, pour les convertir en réalistes ; isoler les radicaux, et avaler les opportunistes. » Voilà l’objectif : isoler, négocier individuellement, coopter, outrepasser les outils du dialogue social collectif et instaurer un modèle du face-à-face.

Cet article a été rédigé non pas pour faciliter la négociation collective, mais pour l’empêcher. Au contraire, il faut justement faciliter la discussion collective, travailler à trouver des accords pendant les temps longs de la négociation – en deux temps, je le rappelle –, afin que les travailleurs ne soient pas forcés d’user de leur ultime recours qu’est la grève.

Cet article offre des outils de contrainte individuelle au patronat, avec la promesse de convertir quelques grévistes déclarés, et en faisant mine d’offrir aux voyageurs un service qui sera dégradé et qui reposera sur les salariés les plus fragiles.

Bref, cet article manque l’objectif d’améliorer les services de la RATP, par exemple, car son but est tout autre : briser les capacités de négociation et de mobilisation de tous les travailleurs.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L’amendement n° 4 est présenté par MM. Jacquin et Devinaz, Mmes Bélim et Bonnefoy, MM. Gillé, Fagnen, Ouizille, Uzenat, M. Weber, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

L’amendement n° 13 est présenté par MM. Fernique et Dantec, Mme Poncet Monge, MM. Benarroche, G. Blanc, Dossus et Gontard, Mme Guhl, M. Jadot, Mme de Marco, M. Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée, Souyris et M. Vogel.

L’amendement n° 21 rectifié est présenté par MM. Grosvalet, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Gold, Laouedj et Masset et Mme Pantel.

L’amendement n° 27 est présenté par M. Barros, Mme Varaillas, M. Corbisez et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Hervé Gillé, pour présenter l’amendement n° 4.

M. Hervé Gillé. Cet article introduit en commission vise à augmenter de vingt-quatre heures les délais de déclaration individuelle d’intention de grève des agents indispensables au fonctionnement du service, pour les faire passer de quarante-huit à soixante-douze heures. Le délai de rétractation de la participation à la grève passerait, lui, de vingt-quatre à quarante-huit heures.

Le rapport de la commission fait observer que les délais actuels sont très courts et n’offrent pas aux opérateurs de transport la possibilité de bénéficier du temps nécessaire pour optimiser leur offre de transport et définir de façon appropriée les modalités de mise en place du plan de transport adapté. Cela était aussi souligné par l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP).

Toutefois, les organisations syndicales représentant les salariés n’ont pas le même point de vue. Elles estiment au contraire qu’il s’agirait d’une forte restriction du droit de grève à leur encontre. Ces dispositions allongeant les délais de déclaration individuelle et de rétractation donneraient aux employeurs un levier supplémentaire pour décourager les salariés d’exercer leur droit de grève. En restreignant ce droit, elles pourraient donner davantage de temps aux employeurs pour recourir à des personnels extérieurs afin de briser les grèves.

Les organisations syndicales considèrent que ces nouvelles restrictions du droit de grève visent en réalité à déséquilibrer le rapport de force au détriment des salariés et au profit des employeurs. D’ailleurs, et c’est peut-être le point sensible, il n’est en aucun cas prouvé que porter le délai de prévenance à soixante-douze heures aura un impact significatif sur les conséquences du mouvement de grève et la préservation de la continuité du service public.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons en rester au cadre de prévisibilité et de continuité du service public mis en place par la loi du 21 août 2017. Tel est le sens de cet amendement de suppression.

M. le président. La parole est à M. Jacques Fernique, pour présenter l’amendement n° 13.

M. Jacques Fernique. Sous couvert d’optimiser l’utilisation des moyens humains disponibles en cas de grève et de donner aux opérateurs les moyens de remplir leur obligation de fournir une information fiable aux usagers, cette extension du délai de prévenance, qui passerait de quarante-huit à soixante-douze heures, permettrait de dissuader les salariés d’exercer leur droit de grève, puisqu’ils auraient eux-mêmes moins de temps pour prendre cette décision ou pour se rétracter, ce qu’ils devraient faire au plus tard quarante-huit heures, et non plus vingt-quatre heures, avant le début de la grève.

Ces échéances n’ont pas été fixées à la légère en 2007. Plutôt que de jouer sur ces curseurs, le groupe écologiste estime qu’il faudrait parvenir à faire mieux fonctionner le régime prévu par la loi votée alors.

M. le président. La parole est à M. Philippe Grosvalet, pour présenter l’amendement n° 21 rectifié.

M. Philippe Grosvalet. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Gérard Lahellec, pour présenter l’amendement n° 27.

M. Gérard Lahellec. L’article 3 est lui aussi en contradiction avec la volonté même qui inspire votre texte, mes chers collègues. De fait, il inciterait à faire grève, au lieu de faire confiance à la discussion durant la période de préavis. En limitant la déclaration d’intention à soixante-douze heures avant le début de la grève et la déclaration de participation à quarante-huit heures avant ce début, cet article acte par avance l’échec de la négociation. Pourtant, celle-ci peut aller à son terme jusqu’à la veille de la grève !

En obligeant à tout déclarer trois jours à l’avance, au fond, on incite à la grève. Nous proposons donc de ne pas toucher à ces délais.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Tabarot, rapporteur. Je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision sur la loi de 2007 que plusieurs d’entre vous ont évoquée et qui a institué cette procédure de déclaration individuelle, a considéré que l’aménagement ainsi apporté aux conditions d’exercice du droit de grève n’était pas disproportionné au regard de l’objectif fixé par le législateur. Le Conseil constitutionnel ayant validé ce principe, un ajustement de vingt-quatre heures pour renforcer l’efficacité du dispositif proposé me semble parfaitement nécessaire et proportionné.

Michel Savin s’en souvient : les auditions sur le fiasco du Stade de France lors de la finale de la Ligue des champions ont montré qu’avec un délai de soixante-douze heures les conséquences de la grève dans les transports en commun n’auraient pas été aussi déplorables.

M. Philippe Tabarot, rapporteur. Vous le savez comme moi, l’information est cruciale pour alerter en temps et en heure les usagers d’une perturbation du service. Elle est indispensable.

C’est en tout cas ce qu’a considéré la commission en adoptant cet article. C’est justement parce que le cadre existant ne fonctionne pas de façon satisfaisante que cette évolution est nécessaire. Comment bâtir un plan de transport sûr et bien dimensionné et délivrer une information fiable avant une grève sans connaître de façon certaine les effectifs des grévistes et les personnels disponibles ?

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrice Vergriete, ministre délégué. Sagesse.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4, 13, 21 rectifié et 27.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 3.

(Larticle 3 est adopté.)

Article 3 (nouveau)
Dossier législatif : proposition de loi visant à concilier la continuité du service public de transports avec l'exercice du droit de grève
Article 5 (nouveau)

Article 4 (nouveau)

La section 3 du chapitre IV du titre II du livre III de la première partie du code des transports est ainsi modifiée :

1° Après l’article L. 1324-7, il est inséré un article L. 1324-7-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1324-7-1. – Lorsque l’exercice du droit de grève en cours de service peut entraîner un risque de désordre manifeste à l’exécution du service public, l’entreprise de transport peut imposer aux salariés ayant déclaré leur intention de participer à la grève dans les conditions prévues à l’article L. 1324-7 d’exercer leur droit de grève exclusivement au début de l’une de leurs prises de service et jusqu’à son terme. » ;

2° La première phrase de l’article L. 1324-8 est ainsi modifiée :

a) Après les mots : « la grève », sont insérés les mots : « ou qui n’a pas exercé son droit de grève au début de l’une de ses prises de service » ;

b) À la fin, les mots : « à l’article L. 1324-7 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 1324-7 et L. 1324-7-1 ».