Mme la présidente. La parole est à M. Paul Toussaint Parigi.

M. Paul Toussaint Parigi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « pour qu’un châtiment produise l’effet voulu, il suffit qu’il dépasse l’avantage résultant du délit ». Comme le rappelait Beccaria, l’efficacité d’une sanction tient en grande partie à son caractère dissuasif.

Les délinquants, bien plus encore que de leur liberté, à tout le moins autant, redoutent surtout d’être privés du fruit de leurs crimes. C’est sur le fondement de cette philosophie et fort de l’exemple italien qu’une étape symbolique a été franchie en 2010 avec l’adoption de la loi Warsmann, qui a sanctuarisé la culture de la confiscation des avoirs criminels. Alors que les peines privatives de liberté ne constituaient plus, à elles seules, une réponse suffisamment efficace à la lutte contre les réseaux de trafiquants, elle a veillé à armer la justice d’un cadre procédural spécifique.

La culture de la confiscation des avoirs criminels en France s’est exprimée dans cette loi. Elle a permis d’élargir le champ des biens susceptibles d’être saisis et confisqués, de clarifier les procédures pénales applicables et d’améliorer la gestion desdits biens, notamment par la création de l’Agrasc, l’une des avancées les plus significatives.

Depuis la création de ladite agence, et sous l’effet du renforcement de l’arsenal juridique mis en place à cette fin, le nombre et le montant des saisies et confiscations qu’elle a réalisées attestent du succès de cette dynamique vertueuse.

Ainsi, alors qu’en 2011 le montant des biens saisis s’est élevé à 109 millions d’euros, il est passé à 1,4 milliard d’euros, en 2023. Les confiscations d’actifs ont, quant à elles, explosé, passant de 700 000 euros en 2011 à 175 millions d’euros en 2023.

Si nous pouvons nous féliciter de cette progression notable, nous demeurons loin des résultats atteints par l’Italie, qui a confisqué plus de 11 milliards d’euros de biens à la mafia au cours des vingt dernières années et qui en a généralisé l’usage social.

Plus de dix ans après l’adoption de la loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, nous sommes désormais conduits à franchir un autre pas décisif dans la lutte contre la grande délinquance.

Au moment où certains magistrats réclament la mise en place d’un plan Marshall contre des réseaux disposant de moyens financiers, technologiques et humains considérables, le texte que nous examinons rappelle ô combien ! que la saisie et la confiscation des gains criminels constituent l’un des moyens nécessaires, sinon essentiels, pour priver la criminalité organisée des ressources qui lui permettent de prospérer.

En effet, s’ils sont encourageants, les résultats que je viens de rappeler restent modestes en comparaison des revenus dégagés par la délinquance en France, alors que s’est ouvert le 6 novembre dernier le procès de la mafia nigériane, en plein essor à Marseille.

L’évolution de la grande criminalité organisée et internationale doit indéniablement conduire le législateur à mettre en place des dispositifs pour la combattre, sinon à armes égales, du moins avec une efficacité suffisante.

C’est cette impérieuse nécessité qui nous amène aujourd’hui à compléter le cadre procédural élaboré en 2010, qui tend à donner force de droit à l’adage bien connu : nul ne doit tirer profit de son délit.

À cet égard, le texte qui nous est soumis permettra notamment d’améliorer la gestion des biens saisis et de mieux maîtriser les frais de justice. Il vise également à simplifier l’indemnisation des victimes dans la gestion des biens confisqués, ainsi qu’à renforcer l’efficacité des condamnations pénales. Il prévoit de renforcer la formation des magistrats et des personnels des services de police judiciaire.

En toute cohérence avec la logique vertueuse de cette proposition de loi, pour ancrer la culture de la confiscation en France, la principale piste d’évolution consiste à lui donner une véritable portée symbolique afin de frapper de manière irréversible l’accumulation des patrimoines et de développer les possibilités de confiscation.

La confiscation obligatoire des avoirs criminels en cas de condamnation pénale doit donc être la pierre angulaire de la lutte contre les organisations criminelles et être davantage mise en avant.

Aussi ai-je proposé avec plusieurs de mes collègues un amendement visant à renforcer cette confiscation en la rendant obligatoire, même lorsque l’origine des biens concernés ne peut être justifiée. Je me réjouis d’ailleurs de constater que d’autres groupes ont déposé des amendements identiques et j’espère que cette mesure pourra être adoptée de manière transpartisane.

Pour conclure, mes chers collègues, ce texte permet des avancées nécessaires et attendues non seulement de la plupart des acteurs de la justice, mais aussi de l’Agrasc en matière de saisie et de confiscation. Tout en préservant les garanties procédurales offertes aux mis en cause, il donnera une plus grande effectivité au principe selon lequel une sanction pénale doit s’accompagner de la privation du bénéfice de l’infraction commise.

Pour toutes ces raisons, le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Karine Daniel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Karine Daniel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je me trouve dans le même état d’esprit favorable que mon collègue Jérôme Durain, président de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, dont je suis membre.

À l’occasion de la discussion sur la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels et si, nous tous ici, nous nous accordons à dire que la question des saisies et des confiscations est au cœur de la lutte contre la délinquance et contre la criminalité organisée, mon propos portera sur les moyens et les axes d’amélioration de la réforme de la police judiciaire.

Le rapport d’information de Nadine Bellurot et Jérôme Durain, suivi par le rapport législatif de Muriel Jourda, ainsi que les nombreuses auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête que j’ai mentionnée confirment le constat selon lequel il reste possible de faire mieux en matière de saisies et de confiscations et proposent des mesures pour atteindre cet objectif.

Si un consensus a émergé sur la nécessité d’une meilleure identification des avoirs criminels dans le cadre des saisies, les moyens et les effectifs manquent cruellement, d’autant que les difficultés à recruter persistent, qu’il s’agisse de ceux des groupes interministériels de recherche (GIR) ou d’enquêteurs spécialisés en matière économique et financière. Les effectifs consacrés au traitement des contentieux économiques et financiers, qui interviennent également sur les enquêtes patrimoniales, sont insuffisants et leur champ d’action est en souffrance au sein de la police judiciaire : voilà ce qu’indiquent en substance Nadine Bellurot et Jérôme Durain dans leur rapport d’information.

Outre un processus administratif parfois trop lourd, il apparaît donc que des équipes dédiées doivent être créées et que c’est en ce sens que la PJ doit être réformée. C’est notamment le cas pour le traitement des contentieux en matière économique et financière, à propos desquels l’autorité judiciaire se trouve régulièrement en difficulté pour saisir un service spécialisé.

Un rééquilibrage des moyens entre voie publique et investigation est donc indispensable. Cela suppose une augmentation proportionnelle des moyens renforcés aux personnels réalisant des missions de police judiciaire au sein de la police nationale.

Si, grâce à la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, dite Lopmi, la filière investigation a obtenu des résultats dans l’exercice des missions d’investigation des forces de sécurité intérieure et a aussi renforcé l’efficacité de leur action, tout en offrant de meilleurs services aux citoyens, il est important de rappeler la nécessité d’inscrire la filière investigation dans le long terme, en construisant de véritables parcours de carrière avec la nécessaire évolution des services d’investigation numérique, notamment via de nouveaux outils technologiques.

Bruno Le Maire a été auditionné hier matin par la commission d’enquête. Les chiffres qu’il a portés à notre connaissance sont colossaux : un chiffre d’affaires, sous-estimé selon lui, à 3,5 milliards d’euros, 664 tonnes de drogue saisies depuis 2017 pour une valeur globale de 5,855 milliards d’euros.

Il faut donc poser la question des moyens qu’il convient véritablement d’accorder aux services d’investigation et des réformes à mener par la puissance publique pour y parvenir, pour améliorer également l’efficacité des dispositifs d’identification, de saisie et de confiscation des avoirs criminels. C’est ce à quoi s’attelle la commission d’enquête dans le cadre de ses travaux. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

La discussion du texte de la commission est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels
Discussion générale (suite)

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Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 27 mars 2024 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente et le soir :

Examen, sous réserve de sa recevabilité, d’une demande de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport tendant à obtenir du Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires qu’il lui confère, pour une durée de six mois, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour une mission d’information sur l’intervention des fonds d’investissement dans le football professionnel français.

Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels (texte de la commission n° 446 rectifié, 2023-2024) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement (texte de la commission n° 429, 2023-2024) ;

Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant diverses mesures relatives au grand âge et à l’autonomie (texte de la commission n° 412, 2023-2024) ;

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (texte de la commission n° 443, 2023-2024).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 27 mars 2024, à zéro heure cinquante-cinq.)

nominations de membres de commissions

Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Marie-Jeanne Bellamy est proclamée membre de la commission de la culture, de léducation, de la communication et du sport, en remplacement de M. Yves Bouloux, démissionnaire.

Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Aucune opposition ne sétant manifestée dans le délai dune heure prévu par larticle 8 du règlement, cette candidature est ratifiée : Mme Annick Girardin est proclamée membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, en remplacement de M. Jean-Noël Guérini, démissionnaire.

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER