M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, contre la motion.

M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, M. Xowie et ses collègues du groupe CRCE-Kanaky proposent, par leur motion tendant à opposer la question préalable, que le Sénat n’examine pas le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

Nos collègues estiment, notamment, que le renoncement à ce texte ne serait pas de nature à créer un vide juridique pendant le temps que nécessitera la poursuite des négociations sur place.

Tout d’abord, relevons que le texte que nous présente aujourd’hui le Gouvernement ne prétend ni régler l’intégralité de la question de l’avenir institutionnel et politique du territoire ni même apporter le commencement d’une réponse globale. Seul un accord entre les partenaires locaux permettra de faire cela. C’est, je le pense, un constat partagé par l’ensemble des acteurs du dossier, en Nouvelle-Calédonie ou ici, dans l’Hexagone.

Nous regrettons que cet objectif n’ait pas pu être atteint à ce stade, mais nous demeurons confiants en la possibilité d’aboutir à une feuille de route consensuelle vers un destin commun pour l’ensemble des citoyens de la Nouvelle-Calédonie. Nous sommes d’ailleurs convaincus que seul un accord global consensuel permettra d’assurer la stabilité politique et institutionnelle, mais aussi économique de la Nouvelle-Calédonie.

En l’occurrence, ce que le projet de loi constitutionnelle vise à faire, c’est pallier l’une des principales difficultés soulevées par l’arrivée à son terme théorique de l’armature juridique actuelle : la problématique des modalités d’inscription sur la liste électorale « spéciale ». Celles-ci restreignent le nombre d’électeurs admis aux scrutins provinciaux et du congrès de la Nouvelle-Calédonie : il faut pour y être admis remplir certains critères, établis en 1998, tenant à l’ancienneté de leur installation sur le territoire. Plus encore, depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, le constituant a fait prévaloir l’interprétation d’un corps électoral « gelé » à l’article 77 de la Constitution.

Comme le relève le Conseil d’État dans son avis, ce dispositif « déroge significativement » aux principes d’égalité et d’universalité du suffrage figurant à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ainsi qu’aux articles 1er et 3 de la Constitution et, enfin, à l’article 3 du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Si le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme ont admis la validité de limitation du corps électoral au regard de ces différents principes, c’était strictement à condition que cela s’inscrive dans un cadre temporel transitoire et donc limité dans le temps. Ce cadre découle du processus défini par l’accord de Nouméa, auquel la Constitution fait par ailleurs explicitement référence, et a prévu par conséquent un titre spécifique pour la Nouvelle-Calédonie dont les dispositions sont transitoires.

Après l’organisation des trois consultations d’autodétermination, et comme l’a fait valoir le Conseil d’État, nous sommes arrivés au terme du processus, sa mise en œuvre devant être regardée comme étant désormais complète.

Il nous appartient donc de tirer toutes les conséquences de l’achèvement de ce processus. Le rapporteur de l’Assemblée nationale l’avait par ailleurs fait valoir dès l’examen du texte constitutionnel relatif à la Nouvelle-Calédonie de 2007, en rappelant qu’« après le référendum d’autodétermination, quel qu’en soit le résultat, un nouveau régime devra être défini pour le corps électoral ».

Je ne voudrais pas terminer cette intervention sans rappeler que le risque juridique n’est pas mince. Il ne serait pas responsable d’organiser des élections sans avoir la garantie de la régularité de leurs fondements juridiques.

Cette difficulté se double d’une réalité changeante sur le terrain, accroissant d’autant plus son acuité. L’évolution de la démographie de la Nouvelle-Calédonie depuis les années 1990 a vu la part des exclus des scrutins provinciaux par rapport à la liste électorale générale augmenter. Là où ils ne constituaient en 1999 que 7,46 % du corps électoral, ils en représentent à présent environ 20 %, soit un électeur sur cinq. Désormais, plus de 42 000 électeurs sont ainsi écartés du vote pour la gouvernance du territoire calédonien.

Enfin, ce projet de loi s’inscrit dans une démarche subsidiaire à tout accord futur : il ne traite que d’une seule question, qui demande une réponse juridique rapide, faute de quoi la démocratie calédonienne se retrouverait suspendue, ce que personne ne souhaite.

Ce texte ne préempte pas les négociations autour de cet accord ; il nous permet de nous prémunir d’une absence d’accord sur un point unique, celui de l’organisation régulière des prochaines élections provinciales. L’ensemble des autres sujets intéressant l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, tout comme ce corps électoral, pourront toujours faire l’objet d’un accord qui fera alors évoluer le droit applicable. Le législateur national y sera prêt.

Permettre à un tel accord d’interrompre l’entrée en vigueur du texte s’il venait à être voté par le constituant est l’objet même du mécanisme proposé par le Gouvernement à l’article 2, même si, nous le verrons, une souplesse supplémentaire doit lui être apportée.

Quelle que soit notre position de fond sur la réponse à apporter à la question du corps électoral des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, la tenue de ce débat et l’examen de ce projet de loi constitutionnelle devant le Parlement, qui ne saurait être écarté du dossier calédonien, nous semblent par conséquent légitimes. Nous voterons donc contre la motion.

Je profite des quelques minutes qui me restent pour redire la profonde conviction de ceux qui se sont rendus en Nouvelle-Calédonie très récemment, ou bien voilà quelques mois pour établir des rapports : la Nouvelle-Calédonie mérite de trouver sa stabilité institutionnelle, et que les partis politiques participant à sa vie au quotidien trouvent un accord.

Il faut bien sûr que le temps de la discussion s’ouvre, mais il convient également de tenir compte de la réalité du corps électoral. On ne peut pas continuer de la sorte, et il faut passer au vote. Ce suffrage permettra – je l’espère – d’engager encore plus rapidement des discussions en vue d’un accord global. Il sera alors toujours temps pour les législateurs et les constituants que nous sommes de le transcrire légitimement dans notre organisation institutionnelle.

En tout état de cause, la solution viendra du terrain et de nulle part ailleurs, même s’il nous faudra le moment venu y apporter notre contribution positive afin de construire de façon pérenne un destin commun. La Nouvelle-Calédonie et l’ensemble de ses habitants le méritent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bas, rapporteur. Je partage entièrement l’avis du président de la commission des lois. Les amendements que nous avons déposés visent d’ailleurs à préserver les chances de trouver un accord avant les élections et à s’assurer que, à défaut, il puisse se nouer après.

Nous partageons tous le sentiment qu’il n’y a pas de destin commun possible en Nouvelle-Calédonie sans que les Calédoniens s’entendent eux-mêmes sur leurs institutions, leur avenir et la manière dont s’exercera dans le futur le droit à l’autodétermination. En effet, celui-ci ne disparaît pas avec la fin de l’accord de Nouméa, mais demandera à être organisé sur la base d’un nouvel accord et dans des conditions évitant d’introduire de la précarité dans les institutions calédoniennes et l’avenir calédonien.

Cet accord global devra également traiter de questions aussi complexes que les institutions calédoniennes et leurs relations avec les pouvoirs publics constitutionnels.

Ce vaste chantier s’ouvrira lorsque les uns et les autres seront décidés à aboutir. Quoi qu’il en soit, ce chantier est absolument incontournable. Pour pouvoir l’ouvrir, nous avons une exigence impérative : que les élections aux assemblées de province et au congrès de Nouvelle-Calédonie puissent se tenir et qu’elles ne soient pas retardées. C’est en effet seulement après ces élections que le maximum de chances réapparaîtra pour la conclusion d’un accord.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. J’invite votre assemblée à rejeter cette motion, car nous avons besoin de discuter de ce texte constitutionnel.

Monsieur le sénateur Xowie, j’ai bien écouté vos arguments.

Premier point : je regrette que vous ne proposiez pas de solution, car, comme le soulignait M. le rapporteur, nous sommes au pied du mur ! C’est l’accord de Nouméa lui-même qui nous met dans cette situation, puisque les acteurs concernés doivent se réunir pour examiner celle-ci.

Pour l’instant, ces partenaires ne veulent pas se réunir et il faut que nous organisions des élections. À Versailles, le constituant, quelle que soit sa couleur politique, a voté une réforme constitutionnelle en y inscrivant le gel total du corps électoral provincial et en précisant expressis verbis qu’il ne concernerait que deux élections provinciales ; les prochaines ne sont donc pas concernées.

Vous ne proposez pas de solution alternative. Vous établissez des parallèles, sans doute très politiques, qui ne correspondent pas au texte que nous présentons aujourd’hui. La question est donc : comment organiser ces élections provinciales ?

Vous auriez pu, par exemple, proposer de convoquer les électeurs inscrits sur les listes électorales au mois de mai 2024. Or – la Haute Assemblée doit le savoir –, si ce projet de loi constitutionnelle était rejeté et que vous organisiez les élections provinciales avec les listes électorales actuelles, comme l’ont souligné M. le garde des sceaux et M. le rapporteur, le décret de convocation des électeurs serait attaqué et les élections seraient annulées, ce qui entraînerait une instabilité profonde en Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, il faudra bien convoquer le Parlement, et donc le Congrès, pour modifier les listes électorales afin de nous conformer à ce que nous imposent notre Cour constitutionnelle et les engagements internationaux.

Je constate d’ailleurs que les indépendantistes dont vous êtes le représentant, monsieur le sénateur, parlent beaucoup d’engagements internationaux en général, mais n’évoquent pas une seule fois le droit de suffrage, qui en fait pourtant bien partie !

Second point : nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises en Nouvelle-Calédonie. Il est vrai que vous n’étiez pas encore sénateur et ne faisiez pas partie de la délégation désignée par le FLNKS, via l’Union calédonienne (UC) ou l’Union nationale pour l’indépendance (UNI), pour discuter avec l’État.

Certes, cette délégation a parfois changé, et j’en salue tous les négociateurs, car j’éprouve un profond respect pour eux et pour leurs partis politiques. J’ai d’ailleurs toujours respecté les demandes de discussions bilatérales ou trilatérales, de rendez-vous, les souhaits d’attendre les congrès ou de décaler les dates de déplacements… Je pense avoir fait preuve de cette nécessaire politesse que l’on doit aux différents partis, qu’ils soient indépendantistes ou non-indépendantistes.

Vous dites que je suis un menteur et que personne n’a rien signé. Voilà le document ! (M. le ministre de lintérieur brandit des feuillets.) Ce qui est inscrit là n’est pas le logo de la République française, monsieur le sénateur, mais bien celui du FLNKS ! Je vous ai fait une photocopie de cet accord global de douze pages, qui porte les signatures de Victor Tutugoro et de Roch Wamytan, les deux négociateurs.

Le troisième et dernier point de cet accord s’intitule : « Le corps électoral provincial ». Je vous en donne lecture : « Le FLNKS ne voit pas d’inconvénient à ce que les 11 000 natifs présents sur le corps électoral spécial pour la consultation puissent être intégrés sur le corps électoral provincial. » Le FLNKS demande l’inscription des natifs calédoniens, Kanaks et non-Kanaks. Il faudrait donc au moins une réforme constitutionnelle : il est dommage que vous ne l’ayez pas dit, puisque c’est une demande de votre parti politique.

Je poursuis la lecture de ce document : « S’agissant de la durée de résidence suffisante, suite à la proposition de l’État de sept ans, le FLNKS ne peut accepter une durée inférieure à dix ans. » Je me suis rangé à cette position. Enfin : « Le FLNKS demande que des travaux soient menés en concertation avec les services de l’État afin d’évaluer les impacts et réaliser des projections sur l’évolution de ce corps électoral en prévision des élections provinciales de 2024. » Et ledit document est signé, je le répète, par MM. Tutugoro et Wamytan !

Vous avez le droit d’être opposé à ce que propose la délégation du FLNKS, et vous avez même le droit de changer d’avis. Mais il est dommage de dire à la tribune que le Gouvernement de la République ment, qu’il s’agit d’une proposition meurtrière, et d’utiliser le terme « colonial ».

Monsieur le sénateur, ce n’est pas à moi que vous allez faire le coup de la colonisation : petit-fils de colonisé, je suis pourtant profondément attaché à la République ainsi qu’au débat démocratique, fondé sur l’honnêteté et sur des arguments de vérité.

Même si nous n’avons pas trouvé d’accord général, les délégataires du FLNKS ont accepté la discussion sur le corps électoral provincial. Ils ont même formulé des demandes. Je vous lis la dernière phrase du document susmentionné : « Le FLNKS souhaite enfin que la citoyenneté calédonienne soit désormais rattachée au corps électoral spécial pour la consultation. » C’est dire que les délégataires étaient même favorables à l’idée de changer la Constitution pour attacher la citoyenneté non pas au corps électoral provincial, mais au corps électoral référendaire, comme je l’ai expliqué précédemment.

Je prends en compte nos désaccords, qui sont francs. Je souhaite évidemment que nous aboutissions à un accord. Pour l’instant, vos partis politiques ne le souhaitent pas ; c’est un choix que je respecte. On l’a dit, il ne s’agit ni de frustrer ni d’humilier qui que ce soit. Le FLNKS participera à un accord et nous ne ferons rien sans lui.

Mais ne dites pas que le Gouvernement de la République ment et que ce document n’a jamais existé ! Je vous en ai fait une photocopie ; vous pourrez ainsi en prendre connaissance, si vous le souhaitez. Il concerne de nombreux sujets abordés par le FLNKS, auxquels nous avons apporté des réponses très concrètes et précises : les modalités de l’autodétermination, les transferts de compétences prévus par l’accord de Nouméa, le transfert de l’Agence de développement rural et d’aménagement (Adraf) à l’État, etc.

Tenons-nous-en plutôt aux faits et aux échanges. Je suis très heureux de me rendre tous les deux mois en Nouvelle-Calédonie en vue de démontrer au Parlement que les deniers publics sont bien utilisés, que nous avançons et que nous nous accordons sur un certain nombre de documents.

Enfin, monsieur le sénateur, je sais que vous êtes un homme très implanté et respecté en Nouvelle-Calédonie, où vous avez été maire. Mais je ne crois pas que l’on puisse opposer – du moins, ce n’est pas ce que j’avais compris du projet indépendantiste – démocratie et indépendance.

Vous nous dites que nous opposons démocratie et colonisation.

Tout d’abord, nous parlons bien de la République, qui est loin de la colonisation ! Que la France ait colonisé la Nouvelle-Calédonie, il n’y a aucun doute là-dessus. Qu’il y ait eu des violences, que des maladies aient été apportées, que des gens aient été massacrés, c’est certain ! D’ailleurs, la République l’a reconnu dans la Constitution, avec l’accord de Nouméa, mais aussi au travers d’un audit de décolonisation, et elle le reconnaît chaque année en se justifiant auprès du Comité spécial de la décolonisation (C-24), à l’ONU.

La France est le seul pays, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que cinq États – dont les États-Unis et la Grande-Bretagne – sont visés par la liste des territoires à décoloniser, à envoyer un ministre à l’ONU, en l’occurrence votre serviteur depuis que je suis ministre. Et nous répondons aux questions de cette instance, présidée par l’île de Sainte-Lucie et dont la Syrie – tout de même ! – est rapporteur, pour expliquer que nous accordons l’égalité des droits et des suffrages, l’autodétermination et l’égalité entre les femmes et les hommes, dont bénéficient tous les citoyens de la Nouvelle-Calédonie et désormais de Polynésie puisque nous avons accepté d’en discuter. Je retourne d’ailleurs devant le C-24 le 13 avril prochain.

Certes, il est très important de dire que la Nouvelle-Calédonie a été colonisée, qu’il y a eu énormément de violences, que les Kanaks et les tribus kanakes ont souffert dans leur chair du fait de la privation de leurs terres, des massacres, des maladies. Nous en sommes tous conscients. Mais vous ne devez pas confondre ce qu’a fait la France et ce que fait le régime politique qu’est la République : je le répète, celle-ci a donné des droits à tous les citoyens, accordé l’autodétermination, reconnu l’égalité entre les femmes et les hommes, et établi la démocratie, laquelle est prévue, aussi, dans le projet des indépendantistes.

Car si la démocratie ne figurait pas dans le programme des indépendantistes, alors il nous faudrait discuter de la teneur de ce projet ! J’ai toujours cru comprendre que vous respecteriez le droit de propriété, l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté de culte, la liberté sexuelle, le droit de vote, etc. Dire le contraire serait donner raison à ceux qui ont peur d’une possible indépendance… À titre personnel, je suis persuadé que le FLNKS a toujours été attaché à la vie démocratique. C’est tellement vrai, d’ailleurs, qu’il dirige quatre institutions sur cinq en Nouvelle-Calédonie.

Voilà pourquoi opposer démocratie et indépendance me paraît être une drôle d’idée. Sans doute votre langue a-t-elle fourché, sinon ce serait inquiétant !

L’indépendance peut aller de pair avec la démocratie, et la Nouvelle-Calédonie devra bien évidemment respecter le droit de propriété et le droit de vote de tous les citoyens calédoniens. Je vous rappelle, d’ailleurs, que la citoyenneté calédonienne n’est pas attachée aux Kanaks ; elle vaut pour tous les Calédoniens. Or vous semblez distinguer les Kanaks des autres habitants du territoire : ce n’est pas idéal pour faire peuple…

Pour conclure, monsieur le sénateur, je rappelle que tous les Kanaks ne votent pas pour l’indépendance. Certains d’entre eux veulent rester Français, même s’ils sont peut-être minoritaires. Quoi qu’il en soit, ne faites pas comme les députés de La France insoumise à l’Assemblée nationale, n’essentialisez pas les Kanaks !

Le projet universaliste à venir devra inclure tout le monde : les Kanaks, les non-Kanaks, les Wallisiens, les Japonais, les Antillais, les descendants de bagnards, de colons, parfois de Maghrébins déportés en Nouvelle-Calédonie. Tous devront pouvoir voter parce qu’ils sont des Calédoniens !

Ne présumons pas non plus du vote des uns et des autres : chaque citoyen est libre de voter comme bon lui semble ! Il est à peu près certain qu’une grande partie du peuple kanak vote pour l’indépendance, mais – j’y insiste – ce n’est pas le cas de tous les Kanaks. Je pense à certains élus éminemment kanaks, comme M. Alcide Ponga, à qui j’ai eu la chance de remettre au nom de la République la Légion d’honneur et qui dirige le parti loyaliste dans la province Nord. N’essentialisons pas les personnes !

Nous respectons profondément le peuple kanak, que la Constitution reconnaît comme peuple premier. La colonisation a été extrêmement dure et meurtrière en Nouvelle-Calédonie, et personne n’en disconvient. Pour autant, ne confondons pas ce qu’a fait la France, qui est mal, avec ce que fait la République, qui est bien, et qui justifie que nous soyons fiers d’être républicains et démocrates. Ne caricaturons pas tout !

Je propose que nous débattions de ce sujet important, dans le respect des uns et des autres.

Monsieur le sénateur, ma porte sera toujours ouverte, à Paris comme à Nouméa, et ma main restera tendue.

Le texte que je présente avec le garde des sceaux, au nom du Gouvernement de la République, est un accord sur le dégel du corps électoral pour participer aux élections locales ; il ne s’agit en aucun cas d’un nouvel accord de Nouméa, qui ne respecterait pas la position des indépendantistes. Nous signerons ensemble, j’en suis sûr, un accord avec l’ensemble des indépendantistes, y compris le FLNKS. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.

M. Rachid Temal. Je veux d’abord saluer les propos du ministre de l’intérieur au sujet de la stabilité, ainsi que ceux du garde des sceaux sur le poids important de l’histoire récente.

Nous sommes également d’accord sur la nécessaire dimension démocratique de ce processus et sur la volonté de préserver la capacité à l’autodétermination, alors que l’histoire de la Nouvelle-Calédonie a été particulièrement marquée par la férocité de la colonisation.

Face à ces enjeux, les socialistes ont le souci de la cohérence dans la continuité. C’est en effet notre famille politique qui a su trouver en 1988, dans une situation de quasi-guerre civile, les mots d’un accord qui a permis d’assurer une stabilité pendant dix ans. Et en 1998, c’est Lionel Jospin qui a engagé le processus que nous sommes amenés à examiner aujourd’hui. Ces deux accords ont pu être signés grâce au respect de toutes les parties du consensus et à l’impartialité de l’État.

En nous montrant un document que je serais curieux de lire, monsieur le ministre, vous nous avez indiqué que la question du corps électoral, qui est cruciale, devait être abordée au regard des évolutions démographiques.

C’est donc par souci de cohérence que nous souhaiterions qu’un accord local soit conclu avant la tenue des élections. Ainsi, de même que lors de l’examen du projet de loi organique, nous avons déposé des amendements visant à reporter les élections, conformément à la proposition du Conseil d’État.

Aussi, sans être d’accord avec son contenu, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous souhaitons qu’un accord local, fruit de compromis, précède le vote du Parlement.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je propose de donner au président de la commission des lois la copie du document annexe, qu’il pourra distribuer à l’ensemble des sénateurs.

M. Rachid Temal. Je vous remercie !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 22, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.

En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 162 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Pour l’adoption 98
Contre 242

Le Sénat n’a pas adopté.

M. Bruno Belin. Très bien !

M. Rachid Temal. Place au débat !

Discussion générale (suite)

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, imaginez un archipel situé dans l’océan Pacifique, juste au-dessus du tropique du Capricorne : un ensemble d’îles au climat presque idéal, bordées de plages avec des palmiers, au milieu d’une eau d’un bleu sans pareil, au sein d’un lagon parmi les plus grands du monde, protégé par une incroyable barrière de corail…

M. Gérald Darmanin, ministre. Et par quelques requins ! (Sourires.)

M. Pierre Médevielle. C’est le décor de carte postale, mais bien réel, de la Nouvelle-Calédonie.

Je veux cependant vous inviter, aussi, à imaginer l’envers de ce décor. Sur ce même archipel, qui compte environ 270 000 habitants, 42 000 personnes sont privées du droit de vote, soit près de 20 % de la population.

Imaginez donc vivre là-bas depuis vingt-cinq ans, travailler, payer vos impôts, ou même y être né, et être privé du droit démocratique le plus basique et fondamental, privé de votre statut de citoyen, privé du droit de choisir ceux qui vous gouvernent et qui décident de l’avenir de votre territoire ! C’est une injustice inacceptable dans un pays comme le nôtre.

C’est cela aussi, la Nouvelle-Calédonie : un territoire dans lequel certaines règles fondamentales de la République ne sont plus appliquées. Tel est l’envers du décor.

En 1998, le corps électoral a d’abord été restreint par l’accord de Nouméa aux personnes inscrites sur les listes électorales jusqu’en 1998 et aux personnes arrivées après 1998 justifiant, à la date de l’élection, de dix ans de résidence sur le territoire, quelle que soit la date de leur installation. En 2007, le corps électoral a finalement été totalement gelé par une révision constitutionnelle. C’est ainsi que seules peuvent voter aux élections territoriales les personnes inscrites sur les listes jusqu’en 1998. Cette situation, inimaginable pour un Français de l’Hexagone, a été acceptée à l’époque en raison de son caractère transitoire.

Dix-sept ans plus tard, l’accord de Nouméa est caduc : à trois reprises, lors des référendums de 2018, 2020 et 2021, la population calédonienne a exprimé sa volonté de rester française. Cette situation provisoire prend fin aujourd’hui et les Calédoniens doivent recouvrer leurs droits.

Le présent projet de loi constitutionnelle vise à dégeler le corps électoral : celui-ci serait restreint aux personnes inscrites sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, qui y sont nées ou domiciliées depuis au moins dix ans. L’adoption de ce texte permettra à 25 000 personnes supplémentaires de participer aux prochaines élections provinciales. C’est un juste rééquilibrage.

La situation économique et sociale ne permet ni de reporter cette décision ni de tergiverser. Rappelons aussi que les dernières élections provinciales ont donné les pleins pouvoirs à une coalition indépendantiste pourtant arrivée avec seize points de retard derrière les autres listes.

Il faut dire la vérité : même si nous y sommes tous favorables, la perspective de parvenir à un accord avant les élections est très incertaine.

Le dégel du corps électoral est une première étape pour un retour vers un processus démocratique acceptable. Néanmoins, il doit être assorti d’un rééquilibrage de la représentativité des trois provinces. En effet, la situation économique et un fort tropisme vers la province Sud ont modifié la répartition de la population sur le territoire.

La province Sud, qui concentre aujourd’hui 75 % de la population de la Nouvelle-Calédonie, n’est représentée que par 59 % des membres du congrès. Il faut donc assurer une répartition plus juste des sièges, tenant compte de ces évolutions. J’ai pris l’initiative de déposer un amendement visant à restaurer cet équilibre démocratique.

Les Calédoniens devraient avoir le droit de choisir ceux qui les gouvernent : cet amendement le permettra, car un élu de la province Sud représente actuellement 2,4 fois plus d’habitants qu’un élu des îles Loyauté. Là encore, cette situation n’est pas acceptable.

La peur et l’hésitation ne conduisent, le plus souvent, qu’à faire de mauvais choix. Le Gouvernement et le Parlement se doivent d’assurer la souveraineté et l’impartialité dans tous les territoires de la République. Il y va de leur crédibilité. Sans cela, nous enverrions un très mauvais message aux autres territoires ultramarins, et même à certains territoires de l’Hexagone.

Par trois fois, la Nouvelle-Calédonie a réaffirmé son choix d’être française. Il est donc de notre responsabilité de rétablir un véritable processus démocratique sans lequel les discussions futures seraient impossibles. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – M. François Patriat et M. Georges Naturel applaudissent également.)