Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde du travail a connu ces dernières années une transformation sans précédent, accélérée par la crise sanitaire.

Le télétravail, autrefois considéré comme un privilège ou une exception, s’est imposé comme un élément central de notre quotidien professionnel. Cette évolution rapide a démontré que le travail à distance n’était pas uniquement viable, mais qu’il apportait également de nombreux bienfaits tant pour les employés que pour les entreprises.

Son adoption massive et sa pérennisation posent toutefois de nouvelles questions, notamment en matière d’organisation du travail et de fiscalité transfrontalière.

C’est dans ce contexte que la modification de la convention fiscale avec le Luxembourg prend tout son sens.

En augmentant le nombre de jours de télétravail pendant lesquels les travailleurs résidents de l’un des deux États et employés par l’autre ne sont pas imposés par leur État de résidence, faisant passer ce seuil de 29 à 34 jours, nous reconnaissons les changements intervenus dans notre façon de travailler.

Par ce geste, nous envoyons un signal à nos 120 000 compatriotes travaillant au Luxembourg, ainsi qu’à leurs employeurs, en les assurant que le cadre législatif évolue en phase avec les réalités du monde professionnel.

Dans ce même esprit, l’avenant étend l’application du seuil de 34 jours aux travailleurs transfrontaliers employés par l’État, ses collectivités locales et territoriales ou l’une de leurs personnes morales de droit public.

En étendant cette flexibilité fiscale aux fonctionnaires transfrontaliers, nous permettons à tous les travailleurs de bénéficier des mêmes droits et opportunités dans le cadre de leur activité professionnelle.

En outre, en prévoyant une nouvelle discussion des autorités des États d’ici à la fin de 2024, l’avenant consacre une démarche d’évaluation et d’ajustement continus en fonction de l’évolution du marché du travail et des besoins tant des travailleurs que des entreprises.

Cette précision témoigne d’une volonté de rester attentifs et réactifs pour faire face aux changements. Les deux États se donnent les moyens de réévaluer ou, au besoin, d’ajuster la convention, afin qu’elle reste pertinente et bénéfique pour les deux parties.

Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI soutiendra cet avenant, qui représente une avancée vers un cadre de travail plus moderne et adaptable, au bénéfice de nos concitoyens frontaliers et de l’économie transfrontalière franco-luxembourgeoise.

Mme la présidente. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenant vise à accorder davantage de souplesse aux travailleurs transfrontaliers. Cet objectif est pour le moins louable.

Nous nous réjouissons évidemment que le seuil d’imposition partagée des jours de télétravail passe de 29 à 34 jours, en raison des complexités administratives qui découlent de ce seuil. Toutefois, si elle n’est pas insatisfaisante, cette mesure est au mieux transitoire.

Notre défi est de faciliter pour tous l’accès aux nouveaux modes de travail, parmi lesquels figure le télétravail. En l’état, la convention fiscale ne répond pas à cette ambition, car elle ne gratifie le contribuable que de moins d’une journée par semaine de travail à distance. Elle ne règle pas non plus l’enjeu du partage de la ressource fiscale ou celui de la nécessaire simplification administrative.

La question du télétravail est cruciale pour les travailleurs transfrontaliers au Luxembourg. Près de la moitié de la population active luxembourgeoise est constituée de travailleurs transfrontaliers ; le télétravail constitue un moyen efficace de faciliter la mobilité transfrontalière.

Le nombre de travailleurs frontaliers faisant tous les jours la navette vers le Luxembourg n’a fait qu’augmenter ces dernières années, au point que les axes routiers et ferroviaires sont saturés.

On comprend aisément que les travailleurs soient réticents à l’idée de perdre trois heures par jour dans les embouteillages. Les Luxembourgeois eux-mêmes, parce qu’ils subissent l’envolée des prix de l’immobilier dans leur territoire, sont nombreux à élire domicile dans les communes frontalières, ce qui aggrave encore l’engorgement du trafic routier.

L’attractivité économique du Grand-Duché n’en finit pas d’attirer les frontaliers, qui, en retour, sont indispensables au maintien, au développement et à la croissance de l’économie luxembourgeoise.

Si le Luxembourg veut en effet maintenir son niveau de développement économique actuel, on estime qu’il lui faudra plus de 9 000 nouveaux travailleurs étrangers par an d’ici à 2030. Il est facile d’imaginer que cela pose un problème en matière non seulement de mobilité vers le Luxembourg, mais aussi de locaux de travail disponibles dans ce petit pays.

On l’aura compris, le recours au télétravail est indispensable tant pour les travailleurs français que pour les employeurs luxembourgeois, et il le sera toujours plus à l’avenir. Pourquoi donc fixer ce seuil à 34 jours, alors que l’on pourrait raisonnablement aspirer à une cinquantaine de jours télétravaillés ?

Le choix de ce nombre vient du Luxembourg, qui travaille, paraît-il, à la cohérence de sa politique conventionnelle avec ses voisins. Je cite le rapport de mon collègue mosellan Jean-Marie Mizzon : en relevant partout le seuil à 34 jours, le Grand-Duché veut « placer les travailleurs transfrontaliers sur un pied d’égalité, quel que soit leur pays d’origine ».

Toutefois, si l’égalité est véritablement le souci du Grand-Duché, pourquoi ne pas harmoniser également le dispositif de rétrocession fiscale appelé fonds Juncker-Reynders ? Ce dernier est accordé aux communes belges, mais il ne l’est ni à la France ni à l’Allemagne, alors que tous les contribuables de la Grande Région devraient pouvoir bénéficier de transports et de services publics adaptés à leurs besoins.

Les travailleurs transfrontaliers entraînent en effet des coûts importants pour les services publics en France, bien qu’ils paient leur impôt sur le revenu au Luxembourg.

Alors que les Français représentent aujourd’hui plus de la moitié des travailleurs transfrontaliers au Luxembourg, un système uniforme de compensation fiscale directement reversé aux communes frontalières nous paraît indispensable, à l’image de celui qui existe dans le canton de Genève, où une partie de l’impôt à la source acquitté par les travailleurs frontaliers est reversée à l’Ain et à la Haute-Savoie.

À Villerupt, commune de Lorraine située à quelques kilomètres de la frontière, 70 % des résidents sont des travailleurs transfrontaliers. Les recettes fiscales y sont donc très faibles et l’investissement public est paralysé.

Tour à tour, ces communes frontalières défavorisées sont désignées comme des « cités-dortoirs » ou encore des « banlieues » du Luxembourg, alors que leurs habitants ne peuvent pas bénéficier de la qualité de vie au Luxembourg.

Peut-on réellement se contenter d’un prétendu codéveloppement, alors que les inégalités entre un territoire et l’autre sont criantes ?

Sur la question du travail à distance, je rejoins la position du rapporteur : nous devons davantage encourager le télétravail et éviter tout frein administratif, en nous inspirant par exemple des récentes négociations entre la France et la Suisse, lors desquelles le forfait de télétravail a été étendu à environ deux jours par semaine, soit beaucoup plus que le seuil nouvellement fixé par cet avenant.

Pour parachever cette démarche, la perte de recettes fiscales pour le Trésor français doit impérativement être compensée. Lors des négociations avec la Suisse mentionnées dans le rapport, une compensation a été fixée à hauteur de 40 % du montant des impôts dus sur les rémunérations versées à raison des activités effectuées en télétravail.

Je termine en plaidant en faveur d’une plus grande coopération et harmonisation à l’échelle de la Grande Région. Nous devons renforcer l’intégration politique, ainsi que la collaboration économique et fiscale à une échelle globale.

Si l’on veut vraiment traiter sur un pied d’égalité toutes les entités devenues interdépendantes, celles-ci doivent avoir la volonté politique de s’accorder et de décider en commun, et non plus au cas par cas, à la faveur de multiples traités bilatéraux aux conditions variables.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un projet de loi approuvant l’entrée en vigueur d’un nouvel avenant à la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 20 mars 2018.

Comme le rapporteur Jean-Marie Mizzon l’a rappelé, cet avenant a pour objet de simplifier le recours au télétravail entre la France et le Luxembourg pour les travailleurs transfrontaliers, dans le secteur public comme dans le secteur privé.

Si les effets du télétravail au sein des entreprises sont encore incertains, j’estime que cet avenant est bénéfique pour les travailleurs transfrontaliers. Il était attendu et il est le bienvenu.

Toutefois, plus de 120 000 de nos compatriotes travaillent quotidiennement au Luxembourg. Il est donc indéniable qu’un recours accru au télétravail permettrait de désengorger les infrastructures de transport et contribuerait à l’amélioration de la qualité de vie de ces travailleurs.

Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur le fait qu’il s’agit là de la deuxième modification de la convention depuis son entrée en vigueur en 2019. Nous avons déjà examiné en 2020 un avenant revenant sur les modalités d’imposition des revenus d’emploi des travailleurs transfrontaliers.

Par ailleurs, le présent avenant comporte une clause de revoyure, qui laisse entrevoir une nouvelle modification au cours des prochains mois. Ces modifications successives révèlent, selon moi, un véritable problème de méthode dans la conduite de nos relations transfrontalières avec le Luxembourg.

Tout d’abord, les modalités actuelles de négociation des conventions fiscales ne prennent pas assez en compte les spécificités de notre relation bilatérale avec le Luxembourg.

Certes, le modèle de convention de l’OCDE doit évidemment éclairer la rédaction des conventions. La commission des finances a d’ailleurs salué les avancées du groupe de travails sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, dit Beps.

Néanmoins, il importe de se projeter au-delà des stipulations techniques afin d’anticiper les modalités et, parfois, les difficultés de mise en œuvre à l’échelon local. Monsieur le ministre, nous devons faire ce travail au niveau politique, en associant l’ensemble des acteurs de la coopération transfrontalière.

Ce travail d’anticipation dépasse, à mon sens, le domaine exclusivement fiscal. La coopération transfrontalière englobe les domaines de la santé, de l’emploi, des transports, de la sécurité, et bien d’autres que nous devons cesser d’appréhender un par un et de manière purement technique.

Ces sujets ne sont pas indépendants les uns des autres. Au mois de décembre 2023, le Sénat a adopté un avenant au protocole d’accord franco-luxembourgeois et à la convention bilatérale en matière de transport, soit trois mois avant d’examiner le présent avenant. Je déplore que nous traitions ces sujets en silos ! À quand une vision à 360 degrés ?

Par ailleurs, le cadre de notre coopération transfrontalière me paraît pour le moins perfectible. À l’échelon des deux états comme à celui des collectivités territoriales, il existe une mosaïque d’outils transfrontaliers – commission intergouvernementale, groupement européen de coopération transfrontalière, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), syndicats mixtes, pôles métropolitains transfrontaliers… –, dont les compétences sont mal définies, il faut le reconnaître.

Je suis pour ma part convaincu que l’impulsion doit venir de l’échelon intergouvernemental. Les sujets transfrontaliers relèvent des relations entre les deux États. Le Luxembourg n’est pas une collectivité territoriale, c’est un État souverain. C’est en négociant à l’échelle des États que nous pourrons avancer, ainsi que nous l’avons vu dans le domaine fiscal avec les deux avenants à la convention de 2018. C’est bien par des négociations entre les ministres que des solutions ont été définies. Je regrette donc que ces rencontres interviennent après la survenue de difficultés.

Le cadre de la commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière pourrait constituer le point de départ d’une véritable rénovation de nos méthodes de travail avec notre voisin luxembourgeois.

Pour ce faire, cette conférence doit reposer en priorité sur des échanges bilatéraux à l’échelon ministériel, voire entre les deux Premiers ministres. Il n’est en effet pas satisfaisant qu’elle se réduise à une addition de groupes de travail, cloisonnés et techniques, puis que nous devions envisager de manière plus transversale ces problématiques.

Monsieur le ministre, nous devons travailler ensemble pour donner un cap clair, au niveau politique, à notre relation avec le Luxembourg, en rénovant nos méthodes de travail en matière de politique transfrontalière.

Monsieur le ministre, je compte sur vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est le pays qui fournit au Luxembourg le plus grand contingent de travailleurs transfrontaliers.

Quelque 120 000 Français travaillent dans le Grand-Duché. Nos compatriotes représentent près de la moitié des travailleurs transfrontaliers de ce pays. Ainsi, la France se situe loin devant la Belgique et l’Allemagne, qui sont les deux autres pays à alimenter ce contingent.

Cette situation nous rappelle tout d’abord le grand décalage de compétitivité entre la France et le Luxembourg, où le salaire moyen et le PIB par habitant sont nettement plus élevés que chez nous.

C’est évidemment et sans aucun doute la principale raison qui explique qu’autant de nos compatriotes aient opté pour ce mode de travail.

Dans la pratique, ce choix est naturellement facilité par l’intégration européenne. Reste que cette dernière ne détermine aucunement le régime d’imposition de ces travailleurs, qui relève du domaine des conventions fiscales bilatérales.

La question n’est pas nouvelle et la convention bilatérale de 2018 a déjà actualisé les relations fiscales entre nos deux pays au regard des derniers standards de l’OCDE, notamment afin d’éviter les doubles impositions.

Cette même convention a déjà été amendée en 2019, afin de mieux prendre en compte la situation des travailleurs transfrontaliers, c’est-à-dire essentiellement des Français travaillant au Luxembourg.

Et pour cause : avec le développement du télétravail, les règles classiques déterminant le pays d’imposition se révèlent pour partie caduques. À cet égard, on peut dire qu’il en va des règles fiscales comme de toutes les règles : le développement du télétravail, s’il ne les remet pas en cause, oblige le plus souvent à adapter les règles fondamentales du travail.

En l’occurrence, l’avenant de 2019 à la convention fiscale a déjà précisé la règle pour l’imposition des télétravailleurs, en fixant un forfait de 29 jours télétravaillés.

En deçà de ce plafond, les travailleurs continuent d’être imposés dans l’État de situation de l’employeur, c’est-à-dire au Luxembourg. Au-delà, la totalité des jours télétravaillés est imposée dans l’État de résidence.

Le projet de loi aujourd’hui soumis à l’approbation du Sénat propose de relever ce plafond de 29 à 34 jours, ce qui va dans le bon sens, ainsi que le rapporteur l’a fait remarquer. Ce relèvement présente au moins deux avantages.

En premier lieu, il apporte sécurité et confort à tous les travailleurs transfrontaliers qui exercent au Luxembourg un emploi pour lequel le télétravail est possible. Certes, comme cela a déjà été rappelé, on ne sait pas bien comment l’application de ce plafond sera contrôlée.

En tout état de cause, s’il peut y avoir une zone grise, mieux vaut pour les transfrontaliers qu’elle se situe autour de 34 jours plutôt que de 29 jours.

En second lieu, le rehaussement de ce plafond répond à une demande des autorités luxembourgeoises. On comprend bien l’intérêt de celles-ci, puisqu’un tel relèvement implique des recettes fiscales supplémentaires. Toutefois, puisqu’il est également clair que des dizaines de milliers de nos compatriotes tirent profit de leur situation de travailleur transfrontalier, on peut convenir que nos intérêts sont en l’occurrence partagés.

Enfin, un plafond de 34 jours s’applique déjà dans le cadre des conventions fiscales bilatérales que le Luxembourg a signées avec l’Allemagne et la Belgique. Du point de vue des autorités luxembourgeoises, cela a le mérite de la simplicité et, du point de vue des travailleurs français, celui de l’équité.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants votera bien évidemment en faveur de ce projet de loi.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Luxembourg est un partenaire économique important de notre pays. En 2022, la France reste son troisième fournisseur et son deuxième client. En matière de services, le volume des échanges a atteint 16,3 milliards d’euros en 2021.

En 2018, une nouvelle convention bilatérale a remplacé celle de 1958, qui liait jusqu’alors la France et le Luxembourg en matière fiscale. Son but, simple et louable, était de tenir compte des derniers standards du modèle de l’OCDE, notamment d’une définition modernisée des notions de « résidence fiscale » et d’« établissement stable », ainsi que d’une clause générale anti-abus.

Depuis l’adoption de cette convention, le Luxembourg s’est mobilisé en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, et le Grand-Duché constitue l’un de nos partenaires essentiels.

L’avenant que nous examinons poursuit la dynamique lancée il y a six ans. Nous nous réjouissons de faire avancer ces sujets par le dialogue et la coopération, bien que le rythme de cette dernière puisse toujours faire l’objet de débats.

Néanmoins, le sujet des travailleurs transfrontaliers posait un problème. Le dernier avenant à la convention de 2018, que nous avons examiné en 2019, précisait la rédaction de l’accord pour éviter le risque d’une double imposition par la France des travailleurs transfrontaliers.

Ce nouvel avenant réforme une nouvelle fois à la marge le régime d’imposition des travailleurs transfrontaliers qui s’applique à la pratique du télétravail.

En effet, la crise sanitaire a bouleversé l’organisation du travail. Elle a favorisé un recours beaucoup plus fréquent au travail à distance, qui s’effectue parfois depuis un pays différent. Bien évidemment, un tel bouleversement ne pouvait pas être pris en compte dans la convention de 2018.

Le Luxembourg est particulièrement dépendant de la main-d’œuvre transfrontalière, compte tenu de sa superficie et de sa situation géographique : près de 121 000 transfrontaliers Français travaillent au Luxembourg.

Dans le détail, le protocole annexé à la convention de 2018 prévoit un forfait de télétravail de 29 jours au cours duquel le contribuable est supposé travailler dans l’autre État. Concrètement, un Français qui télétravaille en France moins de 29 jours est réputé exercer son emploi au Luxembourg et continue donc d’être imposé dans ce pays. En revanche, s’il dépasse ce seuil, son activité sera imposée dans son État de résidence dès le premier jour de télétravail.

Les autorités luxembourgeoises proposent d’augmenter la durée du forfait de télétravail de 29 à 34 jours, pour harmoniser cette norme avec celles qui ont été récemment adoptées dans les conventions signées entre le Grand-Duché et la Belgique ou l’Allemagne, afin de placer les travailleurs transfrontaliers sur un pied d’égalité, quel que soit leur pays d’origine.

Si ce régime permet de simplifier la situation des transfrontaliers, il conduit pour la France à une perte fiscale estimée entre 30 millions d’euros et 60 millions d’euros annuels.

La seconde grande mesure de cet avenant vise à étendre le bénéfice du forfait de télétravail à certains contribuables percevant des rémunérations publiques.

La convention de 2018 précise que les rémunérations publiques sont imposées dans l’État de source. Ainsi, un Français travaillant au Luxembourg pour l’ambassade de France est imposé en France. Par exception, la convention stipule que les rémunérations publiques sont imposées dans l’État d’exercice de l’activité lorsque le contribuable est résident de cet État et dispose de sa seule nationalité. Ainsi, un Luxembourgeois qui travaille au Luxembourg pour l’ambassade de France est imposé au Luxembourg.

Or le télétravail peut faire basculer un contribuable d’une hypothèse à l’autre. Un Français qui travaille pour la ville de Luxembourg est imposé au Luxembourg en présentiel, mais en France en télétravail.

Pour remédier à cette situation, l’avenant prévoit qu’en deçà du seuil de 34 jours de télétravail les revenus sont imposés dans l’État de source, afin d’aligner le régime des personnes employées dans le secteur public sur celui du secteur privé.

Cet avenant ne bouleverse pas les grands équilibres du régime d’imposition ou ceux de prévention et de lutte contre la fraude fiscale. Toutefois, la clause de revoyure permettra sans doute aux deux pays d’examiner l’efficacité de ces nouvelles règles de compromis d’ici à la fin de l’année et, à terme, d’envisager un nouveau régime d’imposition du télétravail transfrontalier. Il faut voir le progrès accompli, sans perdre de vue le chemin qui reste à parcourir.

À cet égard, je tiens à saluer l’excellent travail de notre rapporteur Jean-Marie Mizzon, qui a notamment appelé l’attention sur un avenant récent du 27 juin 2023 à la convention fiscale franco-suisse de 1966. Celui-ci prévoit un forfait de télétravail à hauteur de 40 % du temps de travail, soit deux jours par semaine, au cours duquel s’applique le principe d’imposition dans l’État d’exercice de l’activité. En contrepartie, l’État qui dispose du droit d’imposer reverse une compensation fiscale à l’État de résidence.

Une telle solution pourrait servir de base pour un nouveau régime d’imposition du télétravail transfrontalier avec le Grand-Duché du Luxembourg.

La situation des travailleurs transfrontaliers reste néanmoins un sujet de préoccupation. Dans l’immense majorité des cas, il s’agit de personnes qui résident en France et travaillent au Luxembourg. Ils sont donc redevables de leur impôt sur le revenu au Luxembourg.

Leur présence sur le territoire français se traduit par des dépenses élevées pour les services publics, sans que la France ni les collectivités obtiennent de justes retours fiscaux. Cette situation pose un véritable problème.

Certes, l’avenant soumis à notre approbation constitue indéniablement un premier pas, mais cet effort reste insuffisant et devra rapidement s’accompagner d’une réforme de plus grande ampleur, ainsi que le rapporteur l’a indiqué.

L’évitement fiscal est d’autant plus condamnable que les entreprises qui optimisent leurs impôts à l’étranger sont souvent de grandes utilisatrices d’infrastructures publiques.

L’avenant à la convention dont nous discutons marque un progrès. Nous partageons son objectif. C’est pourquoi le groupe Union Centriste, à la quasi-unanimité, votera en faveur de son approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi quau banc des commissions.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Ghislaine Senée.

Mme Ghislaine Senée. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un nouvel avenant à la jeune convention fiscale qui nous lie au Grand-Duché du Luxembourg et qui vise à éviter la double imposition ainsi qu’à prévenir l’évasion et la fraude fiscales.

Cet avenant concerne principalement les travailleurs transfrontaliers qui occupent des postes dans lesquels le télétravail est possible.

A posteriori, la convention de 2018 semble presque visionnaire : elle visait à organiser les conditions de la pratique du télétravail, deux ans avant la pandémie de covid-19.

La mise en œuvre du télétravail et son développement sont plus que nécessaires dans cette zone géographique où les transports publics sont malheureusement lacunaires et où les axes routiers sont totalement saturés.

Nous, écologistes, préférons toujours l’élargissement du télétravail à celui des routes transfrontalières.

Nous voterons en faveur de cette convention, qui est très attendue localement. Toutefois, elle demeure une solution temporaire, alors que les travailleurs et travailleuses transfrontaliers ont besoin d’une convention pérenne. Le Gouvernement doit y travailler dès maintenant.

En effet, un nouvel avenant, à la durée réduite, ne saurait offrir un cadre sécurisé ni aux travailleurs, ni aux entreprises, ni à l’administration fiscale française.

Nous tenons à souligner la faiblesse des informations contenues dans l’étude d’impact qui nous a été transmise. Celle-ci ne comporte que peu de données chiffrées ; elle ne comporte pas d’évaluation des effets de la convention, cinq ans après sa mise en œuvre, ni aucune anticipation de ses effets, notamment sur les recettes fiscales de l’État.

Je salue le travail du rapporteur de la commission des finances, qui a évalué la perte de recettes fiscales pour la France entre 30 millions d’euros et 60 millions d’euros. Ce montant n’est pas neutre pour les finances de l’État, tout particulièrement en cette période où le Gouvernement ne cesse d’annoncer des coups de rabot de la dépense publique.

De manière globale, rappelons notre attachement à l’évaluation dans le temps des conséquences économiques et budgétaires de ces négociations fiscales internationales, au traitement égalitaire de tous les travailleurs transfrontaliers, qui implique une cohérence des conventions fiscales avec les différents pays frontaliers, ainsi qu’à la nécessité d’un contrôle réel sur l’application de cette convention, à la fois sur l’effectivité du télétravail et sur l’imposition. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, passer de vingt-neuf à trente-quatre jours la non-imposition des revenus des télétravailleurs français au Luxembourg ne fait pas un projet politique.

Cet accommodement représente une perte de recettes fiscales pour la France de 40 millions à 70 millions d’euros. Nous parlons d’un avenant à une convention fiscale qui se refuse à traiter les problématiques soulevées par les LuxLeaks et les OpenLux. La question à traiter d’urgence, ce n’est pas celle du télétravail ; c’est celle de l’évasion fiscale instituée par le Grand-Duché au cœur même de l’Europe !

Où en sommes-nous des sous-impositions des multinationales, qui bénéficient de décisions discrétionnaires de l’administration fiscale luxembourgeoise particulièrement avantageuses ?

Où en sommes-nous des 100 milliards d’actifs de Français et Françaises logés dans ce paradis fiscal ? En 2020, à la cinquième place du podium des profits dissimulés, nous retrouvons, derrière les Îles Vierges britanniques, le Luxembourg, avec 48,8 milliards d’euros ! Nous avons appris ce lundi que le gouvernement français va prolonger le moratoire concernant l’application de la convention fiscale pour les foyers fiscaux aux revenus mixtes. C’est la troisième année consécutive ! Du provisoire qui dure ! Une raison de plus de réviser cette convention. Mais cette révision ne viendra pas aujourd’hui, et je le regrette.

J’ai conscience que mon département, la Meurthe-et-Moselle, compte parmi les principaux pourvoyeurs de travailleurs du Luxembourg. Le télétravail, qui concerne 9 % d’entre eux, apparaît comme une bénédiction pour certains, une bonne moitié selon les statistiques disponibles.

La perte de recettes fiscales est très mal évaluée. Elle avoisinerait les 60 millions d’euros. Être imposé au Luxembourg quand on travaille en France est décidément intéressant d’un point de vue fiscal. Dans la limite de trente-quatre jours désormais…

Par ailleurs, je crains que la clause de revoyure prévue par le présent accord sous l’impulsion du Grand-Duché ne nous conduise à encore accroître le nombre de jours exemptés d’imposition en France.

La pression du patronat luxembourgeois se fait forte, si bien qu’il réclame désormais quatre-vingt-seize jours après avoir gagné que, sous 50 % du temps de travail, les travailleurs transfrontaliers cotisent dans leurs pays de salariat.

La vérité est que le Luxembourg ne peut pas se passer de nos travailleuses et travailleurs, dont les cadres frontaliers surdiplômés qui vont chercher un eldorado financier là où le PIB par habitant est trois fois supérieur à celui de notre pays. Les salaires ne connaissent pas la crise de l’autre côté de la frontière.

Les ambitions du patronat ne doivent pas être satisfaites, et cet avenant, transitoire, risque de se faire au détriment des finances et de l’organisation des services publics français.

La situation est grave en Meurthe-et-Moselle. Les services publics accueillent, transportent, soignent, nourrissent tous les citoyens. Le débat sur la contribution légitime du Luxembourg au financement des services publics assumés par les collectivités territoriales n’est pas traité à ce jour. C’est un angle mort, un débat politique que d’aucuns refusent d’assumer : la désorganisation des cantines, l’afflux d’habitants, les demandes d’infrastructures liées au télétravail ; je pense par exemple aux espaces de travail partagés, aux installations, aux raccordements à la fibre, etc.

Qui doit assumer ces coûts ?

La question de la contribution du Grand-Duché doit être posée, et je la pose résolument. Je me tiens aux côtés des collectivités qui subissent la désorganisation du travail transfrontalier sans bénéficier de retombées. Plus qu’un effort financier, nous attendons une répartition des efforts et des coûts, afin que les travailleuses et travailleurs transfrontaliers soient également des citoyennes et des citoyens français. Et pas des citoyennes et des citoyens uniquement de passage, mais avec un destin lié à la communauté nationale.

Nous voterons contre cet avenant, qui entérine une situation de fait, au détriment de nos collectivités territoriales, sans contribution financière ou fiscale du Luxembourg. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)