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Accord de sécurité franco-ukrainien et situation en Ukraine

Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative à l’accord de sécurité franco-ukrainien et à la situation en Ukraine, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.)

M. Gabriel Attal, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de deux ans, dans une offensive cynique, brutale et destructrice, la Russie a attaqué l’Ukraine.

Seule responsable du conflit, la Russie a attaqué froidement une nation libre et démocratique, qui ne la menaçait pas, qui ne l’attaquait pas, en violation de toutes les règles du droit international et de la Charte des Nations unies.

Ce constat, ces faits – il s’agit bien de faits objectifs –, l’écrasante majorité d’entre nous les partage.

Ce constat, ces faits, comme toutes les évolutions qui sont intervenues, nous les avons partagés avec le Parlement et avec les forces politiques, régulièrement, dans la plus grande transparence possible depuis le déclenchement du conflit.

Deux comités de liaison se sont réunis depuis le début du second quinquennat du Président de la République ; la semaine dernière encore, celui-ci a une nouvelle fois reçu les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental (Cese), ainsi que les chefs des partis politiques, pour échanger sur la situation et sur nos positions.

Par deux fois déjà, des débats sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution se sont tenus. À l’issue d’un tel débat, l’Assemblée nationale a voté hier en faveur de l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine.

Aujourd’hui, conformément à l’engagement du Président de la République, ce débat au Sénat illustre notre volonté de transparence et d’association de la représentation nationale.

Nous vous devons cette transparence, car c’est un impératif démocratique. Elle passe par l’affirmation claire des positions de l’exécutif et par le vote. Nous le devons à tous nos concitoyens, qui doivent connaître, sans ambiguïté possible, la position de chacun sur le soutien à l’Ukraine et sur la condamnation de la Russie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ma conviction est que l’on ne peut comprendre l’offensive massive et coordonnée menée par la Russie sur l’Ukraine le 24 février 2022 sans revenir sur les origines du conflit. D’une telle compréhension découle tout ce que nous décidons de faire pour aider l’Ukraine.

Certains, en Russie, nostalgiques de l’Empire ou de l’hégémonie soviétique sur l’Europe de l’Est, n’ont jamais accepté l’éclatement de l’URSS et l’indépendance de l’Ukraine. Menés par Vladimir Poutine, ces impérialistes ne supportent pas que d’anciennes républiques soviétiques, l’Ukraine en particulier, prennent leur destin en main, choisissent souverainement leurs alliances et fassent le choix de la démocratie.

Il y a dix ans, en février 2014, un vent de liberté part de la place Maïdan et souffle sur l’Ukraine, qui tourne son regard vers l’Europe. Il ne s’agissait pas alors pour l’Ukraine de se rapprocher de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan), mais de signer un accord d’association avec l’Union européenne.

La Russie ne l’accepte pas et, dès le 28 février 2014, des troupes russes entrent en Crimée, occupent ce territoire et l’annexent, en violation de toutes les règles internationales.

Huit ans plus tard, le 24 février 2022, malgré les efforts sans précédent déployés par le Président de la République pour éviter la guerre, le Kremlin lance sa prétendue « opération spéciale » contre l’Ukraine. Moscou misait sur une guerre éclair et pensait faire tomber Kiev en quelques jours ; il n’en a rien été.

La résistance du peuple ukrainien a été et reste exceptionnelle. La détermination des armées ukrainiennes impressionne. Les Ukrainiens n’ont pas cédé. Ils se sont battus et se battent pour chaque village, pour chaque maison, pour chaque mètre de leur territoire. Ils ont refusé de se soumettre à la loi du plus fort, refusé de plier face à la brutalité et au cynisme.

Avec vous tous, je veux rendre hommage à leur courage. (Applaudissements nourris sur toutes les travées, à lexception de celles du groupe CRCE-K.)

Face à la résistance ukrainienne, la Russie n’a reculé devant rien, devant aucune exaction, aucune violence, aucun crime. Depuis deux ans, les civils ukrainiens sont ciblés par des frappes russes. Ces dernières semaines encore, à Kiev ou à Kharkiv, des drones et des bombardements russes ciblent délibérément des quartiers résidentiels, tuent des familles et des enfants, sans états d’âme et sans distinction.

La liste des exemples est longue et glaçante. Il y a dix jours encore, un drone russe a frappé un immeuble à Odessa, faisant douze morts, dont cinq enfants. Depuis le début du conflit, on estime que 10 000 civils sont morts sous les frappes de la Russie.

Depuis deux ans, la Russie pratique une politique de la terre brûlée, qu’elle avait mise en œuvre précédemment en Syrie et en Tchétchénie. Des quartiers et des villes entières sont détruits : Marioupol et Marïnka, entièrement rasées en mars 2023, et aujourd’hui Bakhmout ou Avdiïvka.

Depuis deux ans, les découvertes macabres se sont multipliées. À Boutcha, à Izioum, des massacres innommables se sont déroulés. La Russie a commis des crimes de guerre barbares et a laissé derrière elle des charniers monstrueux. Elle devra en répondre : nous en prenons l’engagement.

Depuis deux ans, les exactions insoutenables se multiplient ; elles visent les plus jeunes. On sait ainsi que plusieurs milliers d’enfants ukrainiens ont été enlevés et conduits dans des camps militaires pour être « rééduqués ».

Je vous l’ai dit : en Ukraine, la Russie a franchi toutes les limites. Pas une horreur ne l’arrête. Pas un massacre ne la rebute.

Mesdames, messieurs les sénateurs, Vladimir Poutine a attaqué l’Ukraine, mais, bien plus largement, c’est à toutes nos valeurs qu’il a déclaré la guerre. Croire qu’il s’agit uniquement d’un conflit territorial, d’un différend entre voisins qui ne nous concernerait pas, serait se fourvoyer.

Par cette attaque, Vladimir Poutine a voulu changer l’ordre du monde pour imposer sa loi, la loi du plus fort, qui autoriserait n’importe quelle puissance en quête d’affirmation à soumettre une nation libre, soit par le chantage, soit par les armes.

Par cette attaque, le Kremlin a voulu ébranler nos valeurs et montrer la faiblesse des démocraties. Ne nous y trompons pas : ce sont bien la liberté et le pluralisme qu’il remet en cause, nos modes de vie et nos valeurs qu’il agresse et veut faire tomber.

Tourner le dos à l’Ukraine serait tourner le dos à nos valeurs, trahir la confiance de nos alliés et faire acte de faiblesse. Ce ne serait certainement pas avancer vers la paix ; ce serait ouvrir la porte à de nouveaux conflits, à de nouvelles blessures et à de nouvelles guerres.

Aussi, depuis la première seconde, avec le Président de la République, nous nous tenons fermement aux côtés de l’Ukraine ; nous l’aiderons autant qu’il le faudra.

En lançant son offensive, Vladimir Poutine pensait diviser l’Europe. Il avait tort. Dès les premières heures du conflit, notamment sous l’impulsion du Président de la République, elle a réagi. Elle a fait front et pris des sanctions fortes en un temps record.

Depuis lors, malgré nos différences, malgré le chantage russe à l’énergie et à la sécurité alimentaire, malgré la désinformation et les menaces, le Kremlin n’est pas parvenu à faire plier l’Union européenne.

Il n’est pas parvenu à diviser l’Europe. C’est même le contraire qui s’est produit : à l’épreuve de cette guerre, l’Europe s’est transformée et renforcée. À l’épreuve de cette guerre, chacun en Europe a compris que ce que nous avions bâti était fragile, que la paix en Europe n’était pas acquise et ne le serait probablement jamais, que notre destin collectif pouvait vaciller d’un instant à l’autre, que nous devions compter sur nous-mêmes et que nous ne pouvions nous en remettre au bon vouloir d’autres puissances.

En deux ans, sur la base des engagements pris lors du sommet de Versailles de mars 2022, la souveraineté de l’Europe a fait des pas de géant : souveraineté industrielle, avec un engagement sans précédent de l’Union européenne à sortir de toutes ses vulnérabilités stratégiques – je pense aux semi-conducteurs ou aux matières premières critiques ; souveraineté énergétique, avec la fin de la dépendance de certains pays d’Europe au gaz russe ; souveraineté stratégique, enfin, avec l’adoption de la boussole commune que constitue le premier Livre blanc de la défense européenne.

Le résultat est clair : nous sommes plus unis, plus forts et plus indépendants qu’avant, même si nous avons encore du chemin à parcourir. L’Europe puissance se construit et avance ; elle protège la France et les Français. Vladimir Poutine n’y croyait pas ; nous lui apportons la démonstration qu’il se trompait.

En lançant sa guerre, Vladimir Poutine pensait aussi diviser l’Otan. Une fois de plus, il avait tort. L’Alliance atlantique s’est renforcée, et des pays dont l’adhésion était impensable il y a encore deux ans, la Suède et la Finlande, l’ont depuis lors rejointe.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sous l’impulsion du Président de la République, nous avons apporté un soutien massif, constant et déterminé à l’Ukraine.

Un soutien politique, tout d’abord. La France est depuis les premiers jours aux avant-postes de la communauté internationale pour organiser et mobiliser le soutien à l’Ukraine. Elle se tient à l’écoute des demandes de son allié et tente d’y répondre au mieux. C’est d’ailleurs à Paris, sur l’initiative du Président de la République, que s’est tenue ces dernières semaines une conférence de soutien à l’Ukraine réunissant vingt-sept chefs d’État ou de gouvernement ou leurs représentants.

Notre soutien est humanitaire, ensuite. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères aura l’occasion d’y revenir plus en détail. Nous avons fourni plus de 210 tonnes de matériels et de médicaments et mené plus de cinquante opérations d’urgence répondant aux priorités fixées par Kiev : envois médicaux et évacuations sanitaires, appui à la sécurité civile ukrainienne, envois de semences agricoles et de produits alimentaires.

Sous la coordination de la cellule interministérielle de crise, nous avons pu accueillir 100 000 réfugiés ukrainiens et scolariser en France près de 18 000 enfants.

Nous n’aurions pu réussir cet accueil sans la mobilisation et la solidarité des Français, dont la réaction a été à la hauteur. Nous n’aurions pu y parvenir non plus sans l’engagement exceptionnel des collectivités locales, qui ont pris de nombreuses initiatives, collecté des dons et rendu possible l’accueil des réfugiés ukrainiens.

Notre soutien, bien sûr, est également militaire. Nous avons répondu présent. Les faits et les chiffres sont là qui le prouvent. Nous avons livré des équipements à l’Ukraine en respectant toujours les trois mêmes critères : livrer ce dont l’Ukraine a besoin, sans fragiliser nos propres armées et en faisant tout pour éviter l’escalade.

Depuis le début du conflit, nous avons livré pour plus de 2,6 milliards d’euros d’équipements militaires à l’Ukraine, toujours dans la même perspective : répondre avant tout aux besoins opérationnels des Ukrainiens sur le terrain en leur proposant des équipements complets, en leur permettant de se former à leur emploi et en veillant à leur maintien en condition opérationnelle.

J’ajoute que la France n’a qu’une parole : ce que nous nous sommes engagés à livrer aux Ukrainiens, nous l’avons effectivement livré.

De plus, nous avons participé de manière particulièrement active aux mécanismes européens mis en place pour fournir des équipements à l’Ukraine. Nous sommes ainsi le deuxième contributeur à la Facilité européenne pour la paix, avec plus de 1,2 milliard d’euros engagés entre le début de la guerre et la fin de l’année 2023. Au total, en 2022 et 2023, de manière bilatérale et par l’intermédiaire de l’Europe, la France a donc apporté une aide militaire à l’Ukraine à hauteur de 3,8 milliards d’euros.

Concrètement, dès les premières heures de l’offensive, nous avons livré des matériels déterminants pour permettre à l’Ukraine de se défendre et de résister : des missiles antichars, des missiles antiaériens, des équipements de protection et de l’armement individuel.

Nous avons ensuite livré des équipements décisifs, plus lourds et plus complexes, pour renforcer la défense aérienne ukrainienne, avec les systèmes de missiles sol-air Crotale.

Nous avons aussi contribué à renforcer son artillerie, avec des canons Caesar (camions équipés d’un système d’artillerie) et des lance-roquettes unitaires.

Nous avons en outre fourni à l’Ukraine des armements pour qu’elle reprenne les territoires perdus, notamment des blindés légers et des missiles Scalp (système de croisière conventionnel autonome à longue portée), déterminants pour des frappes dans la profondeur.

Nous allons poursuivre ces livraisons, qui sont indispensables à l’Ukraine. Le Président de la République a demandé aux industriels d’accélérer leur passage dans une économie de guerre et d’augmenter leur capacité à produire.

Dans les prochains mois, nous livrerons à l’Ukraine 150 drones, 100 munitions téléopérées et six canons Caesar – sachant que 12 autres seront financés par la France. Nous produirons jusqu’à 3 000 obus par mois au profit de l’Ukraine. Nous allons livrer près de 600 bombes A2SM (armement air-sol modulable), à raison d’une cinquantaine par mois, ainsi qu’une quarantaine de missiles Scalp.

Enfin, comme l’a confirmé le Président de la République lors de sa visite en République tchèque, la France participera au financement de l’achat d’obus en masse proposé par notre allié tchèque.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai évoqué notre soutien politique, humanitaire et militaire, mais notre soutien s’est également déployé à l’échelon européen. Je le disais, la réaction de l’Europe a été immédiate et puissante. Nous avons tout d’abord agi pour sanctionner la Russie. Nous en sommes à treize paquets de sanctions, tous adoptés à l’unanimité des États, qui frappent l’économie russe au cœur et l’affaiblissent de manière profonde et structurelle, n’en déplaise au Kremlin, qui orchestre une campagne de désinformation afin de faire croire l’inverse.

Dans le même temps, nous avons décidé d’actions fortes pour soutenir l’Ukraine. Cette aide concerne tous les domaines : protection temporaire octroyée aux réfugiés ukrainiens, aide économique, aide humanitaire, aide militaire. Au total, les Vingt-Sept ont apporté jusqu’à présent plus de 85 milliards d’euros d’aide à l’Ukraine.

Ce soutien, je veux le dire, se poursuit résolument. Le mois dernier, le Conseil européen a décidé d’une nouvelle aide pour l’Ukraine, à hauteur de 50 milliards d’euros. Ce soutien, essentiel, permettra au pays de tenir dans son fonctionnement quotidien, mais aussi de réaliser les investissements et les réformes nécessaires à son redressement.

Nous voulons également aller plus loin dans le soutien militaire de l’Union à l’Ukraine. En acceptant de livrer des armes, l’Europe a procédé à une véritable révolution copernicienne. Jamais nous n’aurions pu l’envisager il y a quelques années. Les ennemis de l’Europe comptaient là-dessus ; ils y voyaient une preuve de son impuissance. Les choses ont changé. Grâce à la Facilité européenne pour la paix, 7,1 milliards d’euros d’armement ont d’ores et déjà été engagés pour l’Ukraine.

Nous voulons maintenant franchir une nouvelle étape et réformer cet instrument pour en faire un véritable outil européen de production militaire. Tel est l’objet des négociations en cours, qui doivent aboutir à l’occasion du Conseil européen des 21 et 22 mars prochains.

Enfin, soutenir l’Ukraine, c’est reconnaître qu’elle se bat tous les jours pour nos valeurs et qu’elle fait partie de la famille européenne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si nous avons tenu à ce que ce débat et ce vote se tiennent aujourd’hui, c’est parce que nous sommes à un moment de bascule dans ce conflit. Nous le savons, cette guerre s’inscrit dans la durée : une guerre de positions se joue dorénavant.

Pour la Russie, le temps est désormais un allié. Elle compte sur la lassitude des amis de l’Ukraine et des opinions publiques désinformées par des organes orchestrés par des prorusses. Elle compte sur des échéances électorales prochaines, aux États-Unis comme en Europe. Elle compte sur l’efficacité à long terme de son travail de sape et de désinformation.

Dans le même temps, la Russie durcit sa position. Elle le fait tout d’abord sur son territoire national, en renforçant plus encore la chape de plomb qui pèse sur la société russe. À quelques jours de l’élection présidentielle en Russie – si l’on peut parler d’élection ! –, je souhaite rendre hommage à Alexeï Navalny. (Vifs applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC, Les Républicains, GEST et SER. – Mme Michelle Gréaume et M. Pierre Ouzoulias applaudissent également.)

Avec la mort tragique en prison de cet opposant, mort qui porte la marque de la responsabilité du Kremlin, avec l’interdiction faite à tout candidat des oppositions de participer à la prochaine élection présidentielle, le message est clair et s’impose à tous, me semble-t-il : le régime autoritaire russe est déterminé à combattre nos valeurs et nos intérêts.

Sur le terrain, en Ukraine, la Russie durcit également sa position, multipliant les attaques et les exactions. Parce que les forces russes ont repris la ville d’Avdiïvka, à un coût exorbitant pour elles, elles veulent faire croire qu’elles ont repris l’initiative.

La Russie durcit également sa position en devenant un acteur méthodique de la déstabilisation du monde, en Syrie, dans le Caucase, en Asie centrale ou en Afrique, notamment grâce à ses faux nez et à ses mercenaires – nous ne l’avons que trop vu au Sahel.

Elle durcit aussi ses attaques dans le champ de l’information, n’hésitant pas à propager de fausses nouvelles pour tenter de diviser les peuples. La France n’y fait pas exception : elle est une cible de choix pour la Russie, qui n’hésite pas à intervenir dans notre pays pour tenter de semer la discorde.

La Russie durcit sa position dans le cyberespace, en lançant des cyberattaques de plus en plus nombreuses. Elle durcit sa position en se lançant dans une militarisation de l’espace qui peut mettre en danger nos satellites, en dépit de toutes les règles et de toutes les conventions internationales.

Nous sommes donc dans un moment décisif. La Russie est une menace, non seulement pour l’Ukraine, mais aussi, directement, pour nous : pour l’Europe, pour la France et pour le peuple français. Si nous faiblissons face à cette puissance impérialiste et révisionniste, les conséquences seront dures. Il n’y a que la détermination politique et la posture stratégique qui comptent, pour la tenir en respect. Et la première ligne de défense, c’est en Ukraine qu’elle se situe.

Je le répète, la Russie ne peut ni ne doit gagner. Que voudrait dire concrètement, pour les Français, une victoire de la Russie ? Je ne parle pas seulement d’arguments moraux, de l’abandon d’une démocratie, de la trahison de nos valeurs. Je parle de conséquences concrètes, qui pèseraient sur la vie des Français.

Une victoire de la Russie, c’est la fin d’un ordre international fondé sur le droit et un blanc-seing donné à toutes les puissances animées d’instincts révisionnistes.

Une victoire de la Russie, c’est le signal qu’attendent les régimes autoritaires pour sonner la fin de l’histoire des démocraties libérales.

Une victoire de la Russie, c’est le danger constant des appétits insatiables, une sécurité européenne affaiblie et un nombre de cyberattaques qui augmente encore, jusqu’à empêcher nos services publics de fonctionner.

Une victoire de la Russie, c’est le risque de nouveaux conflits, plus proches et plus menaçants encore, ainsi que de la prolifération à quelques centaines de kilomètres de nos frontières.

Une victoire de la Russie, c’est la plus grande vague migratoire de l’histoire sur le continent européen : des millions de réfugiés ukrainiens et des pays voisins, craignant pour leur propre sécurité, se déplaceraient sur le continent européen.

Une victoire de la Russie, c’est un danger direct pour notre sécurité alimentaire. La Russie et l’Ukraine sont en effet les deux plus grands producteurs de céréales au monde. Si la Russie prenait le contrôle des céréales ukrainiennes, elle serait libre de fixer les prix comme bon lui semble, en réponse à nos sanctions, menaçant directement nos agriculteurs et le pouvoir d’achat des Français.

Une victoire de la Russie, c’est aussi le risque de la panne énergétique généralisée. Nous avons réussi à tenir face au chantage gazier de la Russie, mais si cette dernière se trouvait en position de force après l’avoir emporté sur l’Ukraine, elle serait en mesure de déstabiliser davantage encore le marché, avec, à la clé, des factures d’énergie et des prix à la pompe qui exploseraient plus encore pour les Français.

Je le dis clairement, la guerre a évidemment déjà des conséquences dans la vie quotidienne de nos compatriotes, mais une victoire de la Russie, ce serait un cataclysme pour le pouvoir d’achat des Français.

La liste est encore longue. Je pourrais continuer longtemps à énumérer, un à un, les risques concrets, tangibles et directs d’une victoire de la Russie pour la vie quotidienne des Français.

Je le répète, dans un monde où la Russie gagnerait, les Français vivraient moins bien, avec des aliments plus chers, de l’énergie plus coûteuse et une insécurité croissante. Cette guerre a évidemment un coût dans notre vie quotidienne, mais celui-ci serait décuplé, sans commune mesure, si la Russie l’emportait sur l’Ukraine. Le succès de l’Ukraine, c’est aussi l’intérêt des Français.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons réagir. C’est pourquoi le Président de la République a appelé ces dernières semaines à un sursaut collectif pour aider l’Ukraine et pour éviter le scénario du pire. La Russie ne peut ni ne doit gagner la guerre.

Dans un esprit de lucidité, en veillant à refuser toute escalade, nous prenons donc nos responsabilités. C’est le sens de l’accord de sécurité conclu entre le Président de la République et le président Zelensky à Paris, le 16 février dernier.

Cet accord bilatéral, sur lequel nous vous demandons de vous prononcer, mesdames, messieurs les sénateurs, porte sur des engagements mutuels entre la France et l’Ukraine.

Il s’agit tout d’abord d’un engagement politique très fort de la France à renforcer structurellement et à long terme les capacités de l’Ukraine sur tous les plans : militaire, économique, mais aussi pour la reconstruction du pays. L’objectif est d’accroître la capacité de l’Ukraine à résister, de renforcer sa résilience et de décourager tout acte d’agression à l’avenir.

Dans le prolongement des engagements pris par les pays du G7 dans une déclaration adoptée le 12 juillet 2023 en marge du sommet de l’Otan à Vilnius, cet accord s’inscrit dans une logique collective. En plus des pays du G7, vingt-cinq pays ont adhéré à cette démarche. En comptant la France, sept pays ont déjà conclu des accords similaires : l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada, l’Italie, les Pays-Bas et le Danemark.

C’est donc bien sur un élan de solidarité internationale que nous vous demandons de vous prononcer, mesdames, messieurs les sénateurs.

Quel est l’engagement des pays signataires d’un accord de ce type ? Il s’agit, en cas de nouvelle agression russe contre l’Ukraine, de lui fournir une assistance rapide, notamment en matière de sécurité, d’équipements militaires et d’assistance économique.

En matière d’aide militaire, cet accord prévoit, pour l’année 2024, jusqu’à 3 milliards d’euros de soutien militaire additionnel ; c’est pratiquement une fois et demie ce que nous avons fourni en 2023 et près de deux fois ce que nous avons fourni en 2022.

Par votre vote, nous vous demandons d’affirmer que la France est un partenaire militaire fiable de l’Ukraine, un partenaire capable de prendre l’initiative – je pense notamment à la livraison de chars légers –, un partenaire capable de livrer des capacités qui font la différence sur le terrain – je pense notamment à nos canons Caesar et aux missiles à longue portée Scalp.

En contrepartie de ces engagements financiers importants, l’Ukraine s’engage pour sa part à poursuivre sa trajectoire ambitieuse de réformes. Cela implique la poursuite des efforts importants engagés par les autorités ukrainiennes en matière de lutte anticorruption, de réforme judiciaire, de consolidation de l’État de droit, de décentralisation, de modernisation de son secteur de la défense, ou encore de transformation de son agriculture vers les standards européens.

Cet accord est un acte fort. Il réaffirme le soutien de la France à l’Ukraine dans la durée. Et s’il n’est juridiquement pas soumis à la ratification du Parlement, le Président de la République a souhaité qu’il vous soit présenté, que vous puissiez en débattre et que vous puissiez voter, mesdames, messieurs les sénateurs.

En effet, derrière cet accord, c’est non pas seulement l’avenir de l’Ukraine qui est en jeu, mais aussi la défense de nos intérêts et de notre sécurité. Cet accord les protège. J’en appelle à l’esprit de responsabilité de chacun au moment de voter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de cet accord, qui fera l’objet de votre vote, la France prend ses responsabilités en mobilisant la communauté internationale. Lors de la réunion qui s’est tenue à Paris le 26 février dernier, avec les chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept États et de leurs représentants, de nouveaux engagements ont été pris.

Collectivement, nous avons décidé de continuer à renforcer notre soutien à l’Ukraine.

Collectivement, nous avons choisi de renforcer nos efforts pour fournir à l’armée ukrainienne les munitions dont elle a besoin.

Collectivement, nous avons décidé de renforcer la défense antiaérienne et les capacités de frappe dans la profondeur des forces ukrainiennes. Une neuvième coalition internationale sera créée en ce sens.

Enfin, de nouveaux axes d’efforts ont été identifiés et proposés, sur lesquels chacun pourra s’engager comme il le souhaite et autant qu’il le souhaite : il s’agit de renforcer la défense cyber et les capacités de déminage ukrainiennes, de coproduire des armes en Ukraine, d’assurer la défense des pays directement menacés par l’offensive russe, comme la Moldavie, et de soutenir l’Ukraine pour qu’elle puisse continuer de sécuriser sa frontière avec la Biélorussie.

Ces engagements ont porté leurs fruits. Loin des caricatures des partisans de la défaite permanente et du déclin, la France a donné un élan nouveau au soutien à l’Ukraine.

Lors de la conférence ministérielle de suivi organisée la semaine dernière sous l’égide du ministre de l’Europe et des affaires étrangères et du ministre des armées, des dizaines d’États partenaires ont accepté de se saisir de nos réflexions, de s’engager et même de prendre la tête des travaux sur certains chantiers.

Grâce à la volonté du Président de la République et à l’engagement du Gouvernement, la France est à l’initiative, elle est un moteur.

Nous avons posé toutes les options sur la table, sans logique d’escalade et sans faux-semblants. Cela a permis un électrochoc salutaire, qui a donné un coup d’accélérateur à la réaction internationale.

Nous avons assumé notre rôle. Les travaux sont lancés. Nous proposons et nos partenaires sont libres de participer, d’avancer et de contribuer.

Je veux le dire clairement : dans un moment aussi grave, dans une situation aussi complexe, il n’y a pas de place pour l’instrumentalisation. (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et Les Républicains.)