M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, le monde change ! Oui, le monde change : s’il fut un temps, pas si lointain, où la presse narrait les événements de la veille, sachez, mes chers collègues, que désormais, la presse annonce ce qui va se passer le lendemain. Nous venons d’en avoir une illustration éclatante avec la présentation du rapport annuel de la Cour des comptes. Celui-ci était sous embargo jusqu’à hier matin, dix heures, pour les parlementaires, mais fort heureusement, nous en avions les meilleures pages en accès libre dans le quotidien Les Échos, avec l’interview en exclusivité du Premier président, ici présent, M. Moscovici.

L’exécutif nous avait habitués depuis quelque temps à cette forme de communication, mais je voulais souligner en préambule ce dysfonctionnement à nos yeux très dommageable pour le Parlement, consommant ainsi quelques secondes des quatre maigres minutes qui nous sont allouées dans ce débat.

C’est donc mission impossible d’analyser et de commenter les 725 pages des deux volumes du rapport annuel, mais le ton était donné en une dudit journal : « Des efforts d’économie sans précédent dans l’histoire récente sont nécessaires ». Malgré l’importance des sujets abordés dans ce rapport, mon propos se bornera à traiter de nos finances publiques.

Le Gouvernement avait déjà l’ambition de réduire la dépense publique de 16 milliards d’euros avec le PLF 2024, et des décrets d’urgence viennent de tomber, avec un coup de rabot de 10 milliards d’euros. M. Le Maire nous dit que le plus dur est devant nous et la Cour des comptes évalue à 50 milliards d’euros les économies à réaliser sur la période 2025-2027. N’en jetez plus, la cour est pleine !

Comme toujours, le regard ne se porte que sur les dépenses. Un petit rayon de soleil toutefois, une note d’espoir, un point positif : selon M. le Premier président, « la question fiscale n’est pas taboue » ; « le “circulez, il n’y a rien à voir” sur la fiscalité [lui] paraît trop rapide ». Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K…

M. Éric Bocquet. En ce qui concerne les nombreuses pistes à examiner côté recettes, la Cour a publié un excellent rapport en juillet 2023 sur le pilotage et l’évaluation des dépenses fiscales. Elle y indiquait que pas moins de 465 dispositifs, communément appelés « niches fiscales », étaient appliqués dans notre pays aujourd’hui, représentant pour le budget de la République une dépense globale de 94,2 milliards d’euros en 2022. Dans son commentaire, la Cour indiquait : « Aucune évaluation sur les onze prévues dans le programme de travail pour 2022 n’a été réalisée. Certains dispositifs […] n’ont en outre pas fait l’objet d’évaluation depuis dix ans. » Le Gouvernement a-t-il pris connaissance de ce rapport ? Je le souhaite…

Nous pourrions bien sûr évoquer à ce stade l’indispensable renforcement de la lutte contre l’évasion fiscale, qui nous coûte plusieurs dizaines de milliards chaque année. Nous pourrions aussi évoquer les 153 milliards d’euros de profits records réalisés l’an dernier par les entreprises du CAC 40 et les 67,8 milliards d’euros de dividendes distribués.

Alors oui, nous vous suivons sur le nécessaire débat sur la fiscalité, monsieur le Premier président.

On dit que les voyages forment la jeunesse. M. Bruno Le Maire participait voilà quelques jours à une rencontre des ministres des finances du G20 à São Paulo, au Brésil. Si notre ministre est arc-bouté sur son dogme « Pas d’impôt nouveau » ici en France, là-bas, au Brésil, il a fait cette déclaration : « Nous voulons que l’Europe porte cette idée de taxation minimale des individus le plus rapidement possible et la France sera en pointe sur ces sujets ». Bruno Le Maire serait-il devenu le Dr. Jekyll et Mr. Hyde de la fiscalité ?

Entre avril 2022 et avril 2023, le nombre de milliardaires a augmenté de 7 %. Ils sont aujourd’hui au nombre de 2 544 dans le monde, selon la banque suisse UBS. Leur fortune cumulée atteint le chiffre astronomique de 13 000 milliards de dollars. Nous savons un peu mieux où faire porter les « efforts sans précédent ». (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K et des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, j’interviens dans ce débat en lieu et place de mon collègue Raphaël Daubet, qui ne peut être présent en raison d’un empêchement de dernière minute.

Le rapport public annuel de la Cour des comptes est passionnant et ô combien nécessaire, mais sa publication intervient toujours dans un délai trop restreint avant la tenue de ce débat, a fortiori au vu de son volume : plus de 700 pages !

Cette année surtout, sa publication la veille même du débat a empêché les parlementaires de préparer des interventions approfondies, alors même que des articles avaient été publiés dans la presse dès lundi dernier. S’ajoutent à cela les contraintes liées à la tenue, juste après celui-ci, d’un débat encore plus fondamental, sur l’accord de sécurité franco-ukrainien.

Malgré ces différentes réserves, plusieurs commentaires peuvent être faits sur ce rapport public annuel.

Tout d’abord, sans surprise, celui-ci présente une analyse de la situation dégradée de nos finances publiques. Les constats qu’il dresse avaient déjà été faits avant l’examen du projet de loi de finances pour 2024 et du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Ils ont de nouveau été évoqués après l’annulation de 10 milliards de crédits accomplie par décret le 21 février dernier.

Le rapport annuel a le mérite d’effectuer une comparaison avec nos principaux voisins et partenaires, à l’exception notable du Royaume-Uni : si la hausse du déficit structurel depuis la crise sanitaire s’est révélée relativement limitée, car ce déficit était déjà important en France, c’est surtout notre endettement public qui a beaucoup augmenté relativement aux autres pays européens, dont certains se sont même désendettés au cours des quatre dernières années.

L’essentiel du rapport est concentré sur l’adaptation de l’action publique au changement climatique, ce qui m’inspire plusieurs remarques.

Tout d’abord, nombre de préconisations visent, assez prosaïquement, à améliorer le suivi des différents indicateurs relatifs aux politiques publiques menées face au changement climatique. Encore aujourd’hui, il semble que la puissance publique ne dispose pas de mesures et de données suffisamment précises ; le monitoring reste donc une priorité.

Pourtant, les effets du changement climatique sont déjà bien réels et l’heure est non plus seulement à l’accumulation de connaissances, même si la recherche française semble y exceller, notamment en sciences du climat, ce qui est heureux, mais à de véritables actions d’atténuation à ce changement et d’adaptation ; on n’ose plus dire « d’inversion »…

De bonnes tendances sont à noter. Ainsi des moyens alloués chaque année à la rénovation énergétique des bâtiments : seuls 3 milliards d’euros y étaient encore consacrés en 2015, contre environ 7 milliards aujourd’hui. Il faut accélérer cette trajectoire !

Un autre exemple apparemment positif est la réduction significative de la consommation d’énergie des armées : cette baisse atteint 20 % en dix ans. Toutefois, cette tendance va-t-elle se poursuivre avec le changement de contexte géopolitique ?

Enfin, il faut rappeler la nécessité d’associer les acteurs locaux et les collectivités à la mise en œuvre de ces politiques d’atténuation et d’adaptation. La gestion du recul du trait de côte en est une illustration concrète, ainsi que la difficile articulation de ces politiques avec la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations).

Voilà, mes chers collègues, les quelques réflexions que je souhaitais faire à l’occasion de la publication de ce rapport annuel, dans le temps limité qui nous est imparti. Bien d’autres sujets abordés dans ce rapport auraient pourtant mérité d’être évoqués ; ainsi des analyses de la Cour sur les stations de ski, qui ont fait du bruit dans nos montagnes, ou encore sur l’agriculture, dans un contexte de crise politique importante dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud.

M. Didier Rambaud. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, qu’il soit question de la situation générale des finances publiques ou de l’adaptation de nos politiques publiques aux conséquences du dérèglement climatique, notre groupe de la majorité présidentielle partage la principale conclusion de ce rapport : les efforts à fournir sont considérables et nous devons dégager des marges de manœuvre afin de financer l’avenir.

Oui, il faut bien reconnaître que la situation macroéconomique actuelle est moins positive que celle que l’on espérait. Est-il pour autant pertinent, de la part des oppositions, d’intenter au Gouvernement un procès en insincérité budgétaire ? Je ne le crois pas. Au regard de la chute rapide de nos recettes à la fin de l’année dernière et de la dégradation du contexte économique international, mais aussi des choix similaires de nos voisins européens, gardons-nous de tout jugement hâtif et injuste !

La conjoncture s’est bien assombrie depuis la présentation du projet de loi de finances pour 2024, comme vous le soulignez dans votre rapport, monsieur le Premier président. C’est pourquoi nous partageons votre constat : il faut agir rapidement afin d’assainir la trajectoire des dépenses publiques.

Le Gouvernement a commencé à le faire, en lançant par exemple des projets structurels visant à faire des économies dans nos dépenses. Ces efforts commencent à se matérialiser cette année : je pense notamment à la réforme de l’assurance chômage. Cette volonté de redressement de la trajectoire s’est également traduite, cette année, par l’effort important, en cours de gestion, que constitue le décret d’annulation de 10 milliards d’euros de crédits de l’État.

La consolidation budgétaire progressive prévue par le Gouvernement devra évidemment se poursuivre afin de permettre le redressement de la trajectoire. Pour espérer ramener le déficit sous la barre des 3 % du PIB en 2027, nous devrons impérativement faire des choix difficiles en matière de dépense publique, afin de dépenser moins, mais surtout de dépenser mieux ! Oui, il faut mettre fin à cette addiction des Français aux largesses de l’État, qui engendre chaque jour de nouvelles revendications !

Au-delà d’un éventuel projet de loi de finances rectificative que le Parlement pourrait examiner cet été, je suis, comme vous, mes chers collègues, impatient de travailler sur la revue des dépenses publiques que le Gouvernement présentera bientôt. Cette nouvelle vague de revue des dépenses, engagée dès la fin de l’année 2023, permettra de renforcer la crédibilité de l’action publique et son efficacité. N’oublions pas qu’il est très difficile, en France, de revenir sur une dépense.

M. Jean-François Husson. Demandez-le à Bruno Le Maire !

M. Didier Rambaud. Dès que l’on commence à le faire, toutes les oppositions se lèvent pour arguer, au contraire, que l’on n’en fait jamais assez !

L’association de la Cour des comptes à ce projet, comme l’année dernière, sera précieuse pour atteindre l’objectif d’une maîtrise plus volontariste de la dépense. Des économies structurelles sont nécessaires ; nous devons continuer d’y travailler, car, quel que soit le secteur concerné, les choix seront difficiles, d’autant que nous sommes en réalité confrontés à une équation complexe : il faut à la fois aplanir notre montagne de dettes et franchir le mur d’investissements dressé devant nous.

La principale brique de ce mur sera l’adaptation au changement climatique, thème central du rapport public annuel qui nous est présenté par la Cour des comptes. Comme la Cour le rappelle, le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz est très clair : nous devrons investir 66 milliards d’euros supplémentaires d’ici à 2030 pour adapter notre pays au dérèglement climatique.

La lecture du rapport public annuel nous rappelle qu’il y a encore fort à faire. C’est notamment le cas pour ce qui est du modèle économique des stations de montagne. Élu isérois, je sais que ce sont des lieux où les conséquences de la hausse des températures sont particulièrement visibles : cette année, 67 % des stations ont été fermées avant même la fin des vacances de février.

Si la vulnérabilité des stations varie selon les massifs, force est de constater une diminution générale du taux d’enneigement. Auparavant construit autour de l’activité du ski, le modèle économique des stations de montagne doit désormais s’adapter, en s’orientant vers un tourisme « quatre saisons ». Mais à quel prix ? Selon le rapport de la Cour, le coût des premières mesures d’adaptation au changement climatique dans les stations est estimé à plus de 91 millions d’euros par an.

Le rapport pointe également la nécessité de repenser la gouvernance et le financement des stations de ski. Il y est notamment proposé de mettre en place un fonds d’adaptation au changement climatique qui serait alimenté par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques.

Si gouvernance et financement des stations peuvent être améliorés, il me semble néanmoins important d’accompagner davantage les acteurs – sociétés gestionnaires des remontées mécaniques et des domaines skiables ou collectivités – qui souhaitent s’adapter et survivre. Faut-il pour cela créer un énième fonds dont les modalités de redistribution feront débat ? Je n’en suis pas certain.

Ce dont je suis sûr, en revanche, c’est que les acteurs concernés demandent plus d’accompagnement et de confiance pour réussir les transitions qui s’imposent. Sur ce sujet comme sur les autres, à nous, parlementaires, de travailler ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Briquet. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme Isabelle Briquet. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, l’examen du rapport public annuel de la Cour des comptes est toujours un moment important pour les parlementaires.

Cette année, le thème central du rapport est l’action publique en faveur de l’adaptation au changement climatique. En tant que membre du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je ne peux que me réjouir d’un tel choix.

Avant d’aborder ce thème, je note que le rapport conserve une tradition : celle de consacrer son premier chapitre à l’état de nos finances publiques. Aujourd’hui, nous sommes forcés de constater que la situation est particulièrement délicate : une croissance morose, un déficit public supérieur à 5 % et une dette publique qui dépasse 110 % du PIB et dont la charge ne fait que croître.

Cette année encore, le rapport insiste essentiellement sur le niveau de la dépense publique dans notre pays. Certes, je suis pleinement consciente de la nécessité de travailler sur cette question afin de gagner en efficacité et ainsi de limiter cette charge. Toutefois, dans ce contexte dégradé, si la maîtrise des dépenses publiques est indispensable, la hausse des prélèvements obligatoires ne doit plus être un tabou.

Monsieur le Premier président, comme vous, je crois aux paroles de Pierre Mendès France : « Un pays qui n’est pas capable d’équilibrer ses finances publiques est un pays qui s’abandonne. » Notre déséquilibre économique n’est pas uniquement lié à notre niveau de dépense ; il est aussi le résultat du désarmement fiscal méthodiquement organisé par le Gouvernement. En effet, depuis 2017, la perte fiscale pour l’État est, en moyenne, supérieure à 60 milliards d’euros par an.

La petite musique néolibérale, selon laquelle la France prélèverait trop, est une ritournelle dont le disque commence à être rayé. Oui, les recettes fiscales représentent 46 % du PIB, ce qui fait de nous le pays de l’OCDE où ce ratio est le plus élevé. Néanmoins, si l’on ramène l’ensemble de ces recettes au nombre d’habitants, la France se classe plutôt autour de la dixième place. Dès lors, je m’étonne que la possibilité d’augmenter, de façon socialement juste, les prélèvements obligatoires ne soit pas évoquée dans ce rapport.

En conséquence, le Gouvernement trouve une succession de prétextes pour continuer la forte contraction budgétaire de notre économie. Jusqu’où et à quel rythme devons-nous réduire notre déficit public pour maîtriser notre dette ? Fortement et très vite, selon l’exécutif. Ce gouvernement fait le choix d’un néolibéralisme dépassé, dont les classes populaires et moyennes paieront, une nouvelle fois, la note.

En effet, les coups de rabot de plusieurs milliards dégradent nos services publics, si utiles aux plus modestes, et pénalisent souvent la croissance. Une telle politique économique, qui s’accroche à l’austérité pour des raisons doctrinales, nourrit le risque de dérives populistes. En Italie, la brutalité de la contraction budgétaire de la décennie 2010 a porté l’extrême droite au pouvoir.

Je crois que la situation de nos finances publiques nécessite une action prudente des États, à la fois de réduction de la dépense et de hausse des recettes, afin de sauver le peu de croissance dont la France dispose.

Nous pouvons retrouver des marges de manœuvre pour financer la transition écologique, ne serait-ce qu’en limitant les dépenses fiscales défavorables au climat. Leur montant est tout de même estimé entre 8 milliards et 19 milliards d’euros, pour les seules dépenses de l’État ! La Cour des comptes, le Gouvernement et les parlementaires doivent faire des propositions ambitieuses pour réduire ces dépenses fiscales. Nous devons créer les conditions d’une acceptation de la fiscalité écologique par les différents acteurs de la vie économique, d’autant que les besoins en investissement public sont colossaux : le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz les évalue à 34 milliards d’euros d’ici à 2030.

Malheureusement, le décret annulant 10 milliards d’euros de crédits au sein du budget pour 2024 affecte grandement l’écologie, en diminuant notamment d’un milliard d’euros les montants alloués au dispositif MaPrimeRénov’, pourtant particulièrement utile : en 2022, selon la Cour, il aurait généré, « en moyenne et par logement, une baisse supplémentaire des émissions de gaz à effet de serre de 53 % et des économies d’énergie supplémentaires de 60 % ».

Avec ce décret, l’État va contraindre le rythme de la rénovation énergétique, et ce au détriment des ménages les plus pauvres, qui auraient le plus à gagner des économies d’énergie. L’immense chantier de la rénovation des passoires thermiques et, progressivement, du reste du parc immobilier est pourtant un enjeu écologique et social majeur.

L’État met aussi en péril la capacité d’investissement local, alors que celui-ci est l’un des leviers les plus efficaces pour la transition écologique. Les collectivités locales sont touchées de plein fouet par la réduction du fonds vert. Nous devons pourtant leur garantir des recettes pérennes pour porter des projets structurants. Retirer, en février, aux élus locaux des ressources pourtant annoncées trois mois plus tôt est un mauvais signal au regard des investissements nécessaires pour le climat.

Nous le voyons donc bien, la réduction de la dépense publique, à elle seule, n’est pas tenable et ne nous permettra pas de faire face collectivement aux enjeux de demain. Il est urgent que le Parlement soit associé aux décisions qui concernent la Nation. En l’absence d’un projet de loi de finances rectificative, le groupe socialiste a donc sollicité du Gouvernement l’organisation au Parlement d’un débat sur le budget, au titre de l’article 50-1 de la Constitution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – M. Éric Bocquet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, mes chers collègues, on peut lire le chapitre du rapport public annuel de la Cour consacré à la « situation d’ensemble des finances publiques » comme un vibrant hommage à Turgot, qui contemple nos débats. (Loratrice désigne la statue de Turgot qui surplombe lhémicycle.)

En 1774, tout juste nommé contrôleur général des finances, celui-ci posait en effet, dans une lettre adressée au roi Louis XVI, un constat dont l’acuité demeure intacte deux cent cinquante ans plus tard et que je ne peux manquer de citer à cette tribune : « Pour remplir ces trois points, » – à savoir « point de banqueroute, point d’augmentation d’impôts, point d’emprunts » – « il n’y a qu’un moyen. C’est de réduire la dépense au-dessous de la recette […]. On demande sur quoi retrancher, et chaque ordonnateur, dans sa partie, soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons ; mais comme il n’y en a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l’économie. » Il me semble que ces mots résument bien ce premier chapitre de votre rapport, monsieur le Premier président ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde. Quelques mots reviennent régulièrement dans ce rapport : « optimiste » – quinze occurrences –, « risque » – quatorze occurrences – ou encore « effort » – vingt-deux occurrences. Mais la rareté d’autres mots m’a également marquée : « réalisme » n’est employé qu’à deux reprises, « confiance » et « courage » une seule.

Pourtant, après l’optimisme des dernières années, il est urgent d’opter pour le réalisme, c’est-à-dire d’avoir du courage politique. La réalité, celle sur laquelle le groupe Les Républicains alerte le Gouvernement depuis longtemps, c’est que la France dépense trop, que les prévisions de croissance sont trop élevées et que le recours au levier fiscal est impossible, compte tenu du fait que le niveau d’imposition est déjà très élevé.

Il est urgent d’avoir le courage de s’attaquer aux réformes indispensables contribuant à la baisse de la dépense publique, tout en gardant à l’esprit l’impérieuse nécessité d’adapter notre économie au changement climatique. Cette baisse de la dépense doit porter sur des crédits structurels et non conjoncturels.

Ce rapport est un appel au courage politique, au courage de dire non. Sans ce courage, notre pays courra, année après année, de lois de finances optimistes en prévisions de croissance irréalistes, à sa perte. Le pacte de stabilité et de croissance, une fois révisé, sera peut-être notre meilleur allié pour ne pas dévier du chemin. En effet, nous ne pouvons pas continuer d’avoir une stratégie divergente de celle de nos voisins, au risque de mettre en péril la cohésion de la zone euro.

Les 10 milliards d’euros d’économies annoncés à la fin du mois de février se font au détriment de la transition écologique. Comme ce point a déjà été évoqué dans le débat, sans m’attarder sur les sommes retirées à la mission « Écologie, développement et mobilité durables », je me contenterai de faire remarquer que les autres ministères concernés, quand ils doivent restreindre leurs dépenses, font porter en premier lieu l’effort sur leur politique immobilière, c’est-à-dire sur les crédits qui devraient permettre à leur parc immobilier de s’adapter aux risques climatiques et de présenter un meilleur bilan carbone. La partie du rapport annuel consacrée à la politique immobilière de l’État porte d’ailleurs sur elle un regard sévère, mais juste.

Il est facile de supprimer des crédits dont les effets sont de moyen ou de long terme, plutôt que de faire porter l’effort sur ceux qui financent le présent. Mais la facilité n’est pas bonne conseillère. Les revues de dépenses, par lesquelles on doit identifier les 20 milliards d’euros d’économie à trouver pour 2025, ne doivent pas faire oublier que ne pas s’adapter, ou mal s’adapter, pourrait se révéler à terme bien plus coûteux. En décembre dernier, M. Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, évaluait, en ne considérant que les effets directs, le coût annuel de l’absence d’action à 10 % du PIB à la fin du siècle, soit à 260 milliards d’euros par an.

Pour une action efficace et efficiente à court terme, la Cour développe le triptyque : connaître, informer, planifier.

Si j’en crois M. Béchu, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, bientôt soumis à la consultation des citoyens, sera l’alpha et l’oméga, « la grammaire du temps long, de la stratégie, de la planification ».

Une chose est certaine : plus la phase de transition sera longue, plus elle sera coûteuse. À ce jour, ni l’Union européenne ni la France ne se sont encore dotées d’une doctrine d’emploi des fonds publics à l’appui de la transition. C’est pourtant un point de très grande importance. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune, dette financière et dette climatique ont une dimension intergénérationnelle : les générations futures risquent d’hériter à la fois de finances publiques catastrophiques et d’un climat invivable.

Cette stratégie devra prendre en compte, avec la même importance, l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et l’adaptation. On ne peut pas continuer à raisonner en silos ! Comment peut-on, aujourd’hui encore, envisager de financer plus de 100 000 euros de réparations de dommages liés au retrait-gonflement des argiles dans une maison qui est une passoire énergétique ? C’est pourtant le principe réaffirmé dans une ordonnance du 8 février 2023 !

Je ne dis pas que ce sera facile ; j’en sais quelque chose pour travailler, depuis un certain temps, sur les catastrophes naturelles. En effet, les politiques d’adaptation sont par nature multiformes, puisqu’elles concernent des phénomènes très divers – les tempêtes, la hausse des températures, la sécheresse, mais aussi les inondations – et sont soumises à la spécificité des territoires, ainsi qu’à la capacité de prévoir.

Monsieur le Premier président, ce rapport annuel pose avec acuité un terrible constat : ni nos finances publiques ni notre stratégie ne sont prêtes à affronter le défi de la transition écologique. Ce constat suscite également des questions sensibles : la solidarité nationale devra-t-elle jouer lorsqu’il faudra faire déménager les habitants rendus vulnérables par le recul du trait de côte ?

M. le président. Il faut conclure !

Mme Christine Lavarde. En avril 2022, le candidat Emmanuel Macron avait déclaré : « La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas. » J’ai le sentiment qu’elle n’est pas ! (M. Yannick Jadot applaudit.) L’échec final rappelle ce mot désabusé du général de Gaulle : « En France, on ne fait pas de réformes. On ne fait que des révolutions. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et GEST. – Mme Évelyne Perrot et M. Sebastien Pla applaudissent également.)