M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Ils l’ont fait bruyamment… (Sourires.)

Mme Audrey Linkenheld. … parce que les collectifs de riverains, urbains comme ruraux, continuent de s’interroger sur l’utilité de modifier nos codes, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain considère que, en l’état, le statu quo (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) est peut-être le meilleur moyen de garantir la façon dont notre droit régit notre vie en société, c’est-à-dire le meilleur service à rendre à notre vivre ensemble.

Cependant, comme respecter l’autre, c’est aussi l’écouter, nous verrons si la discussion fera évoluer notre position. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, selon l’exposé des motifs, cette proposition de loi vise ainsi à « introduire dans le code civil le principe de responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage, consacré par la jurisprudence, afin de garantir une application homogène ».

Après la loi du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises, nous avons en effet besoin de clarifier encore la situation pour répondre notamment à l’inquiétude des organisations agricoles. Cela passe par l’inscription dans le marbre de la loi d’une adaptation de la responsabilité civile aux enjeux actuels, car nous sommes encore trop souvent témoins de recours abusifs de nombreux voisins à l’encontre d’agriculteurs.

Aussi, l’Assemblée nationale a proposé la rédaction d’un nouvel article 1253 du code civil définissant le principe de la responsabilité « de plein droit » de certaines personnes « à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage », rédaction à laquelle a été ajoutée une clause exonératoire de responsabilité s’appliquant lorsque le trouble anormal causé à la personne lésée provient d’activités, quelle que soit leur nature, préexistantes à son installation, qui se sont poursuivies dans les mêmes conditions et sont conformes aux lois et règlements.

Rappelons qu’actuellement la notion juridique de « trouble de voisinage » n’existe pas dans le code civil. Pour s’adapter aux changements de vie de notre société, un régime de responsabilité particulier et autonome a été progressivement créé par le droit jurisprudentiel.

De ce fait, il revient au juge d’apprécier in concreto et de manière objective l’anormalité du trouble en question. En 1976, en introduisant des dispositions contenues dans l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation, le législateur a expressément prévu des situations où la responsabilité ne saurait être engagée, notamment par la réunion de trois critères concomitants : l’antériorité du trouble, l’adaptation à la législation en vigueur et la poursuite de l’activité, qu’elle soit agricole, industrielle, artisanale, commerciale, touristique, culturelle ou aéronautique.

Dans ce contexte juridique, un arrêt de la Cour de cassation de 2023 a considéré que, dans un village de l’Oise, les nuisances consécutives à la construction d’un hangar à moins de cent mètres des habitations pour laquelle l’agriculteur a bénéficié d’une dérogation de la préfecture du département « excédaient […] les inconvénients normaux du voisinage ». L’agriculteur a finalement été condamné à verser plus de 100 000 euros de dommages et intérêts aux plaignants.

Cette affaire n’est malheureusement pas isolée, puisque la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a recensé près de cinq cents procédures opposant les agriculteurs français au voisinage.

Si, pour la commission des lois, la rédaction d’une codification en la matière semble opportune, il lui est apparu que la formulation actuelle de la clause exonératoire n’était pas satisfaisante, notamment en ce qu’elle ne se concentrait pas sur les activités économiques et qu’elle ne prenait pas suffisamment en compte les spécificités liées aux activités agricoles. Elle a donc apporté des précisions spécifiques aux conditions d’application de ce texte à ces mêmes activités agricoles.

À l’article unique de la proposition de loi, la commission a ajouté les alinéas 8 et 9 insérant un article L. 311-1-1 au code rural et de la pêche maritime qui dispose que la responsabilité « n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles qui se sont poursuivies, postérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage, dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements ».

Il apparaît en effet anormal qu’un exploitant agricole puisse être condamné pour trouble du voisinage, alors qu’une disposition législative ou réglementaire viendrait l’obliger à modifier les conditions d’exercice de son activité.

Toutefois, pour éviter toute dérive, deux limites précises et nécessaires ont cependant été posées à la clause exonératoire par la commission.

Mes chers collègues, un certain nombre d’associations ou de collectifs représentant les victimes de troubles de voisinage se sont inquiétés du risque que la rédaction du texte issu de l’Assemblée nationale faisait peser sur le principe de trouble anormal de voisinage. En effet, il était initialement prévu que la clause exonératoire s’appliquerait dès lors que ce trouble proviendrait d’activités, « quelle qu’en soit la nature ». Cette formulation trop imprécise privait le juge de toute marge d’appréciation et risquait d’empêcher des recours susceptibles d’être véritablement justifiés.

Rappelons que l’objectif de ce texte est aussi de mieux protéger les citoyens des effets néfastes liés aux troubles de voisinage.

La version sénatoriale du texte semble donc mieux répondre aux inquiétudes exprimées par nos agriculteurs, en leur offrant un environnement juridique plus sûr et plus visible. Elle prend en compte le contexte de fortes mutations liées à la défense de notre souveraineté alimentaire que connaît le monde agricole.

Nous devons mettre fin à la judiciarisation excessive, pour ne pas dire abusive, liée à la surréaction de certains néoruraux, d’autant plus quand ces troubles ont précédé l’installation de ces nouveaux arrivants.

Même s’il sanctuarise particulièrement les activités agricoles, ce texte renforce la sécurité juridique du droit français et conforte plus généralement le droit de chacun de nos concitoyens à pouvoir jouir paisiblement de son bien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis est court – un article unique –, mais il est important, puisqu’il vient codifier dans le code civil un point essentiel : le régime de responsabilité pour troubles anormaux de voisinage. Ce régime, dégagé dès le milieu du XIXe siècle par la jurisprudence, et affiné depuis, prévoit, pour reprendre la formulation de la Cour de cassation, que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

Le législateur est néanmoins d’ores et déjà intervenu pour encadrer ce régime, qu’il a inscrit dans le code de la construction et de l’habitation, en l’accompagnant d’une clause exonératoire de responsabilité en cas de pré-occupation, c’est-à-dire dans le cas où une activité causant un trouble anormal préexiste à l’installation du voisin demandeur. Il s’agit là d’une conciliation nécessaire entre le droit à la quiétude, d’une part, et les nécessités de l’activité économique, d’autre part.

La codification aujourd’hui proposée constitue l’aboutissement logique et bienvenu de nombreuses réflexions, et s’inscrit dans un contexte de crise agricole, sur la gravité de laquelle on ne dira jamais assez combien le Sénat a alerté le Gouvernement, rapport d’information après rapport d’information.

L’une des manifestations de cette crise est sans nul doute le sentiment de rupture du lien entre le monde agricole et une partie des Français. En témoigne la multiplication dans les journaux des affaires de contentieux entre un agriculteur et son voisinage.

Je n’évoquerai pas à mon tour l’affaire de l’agriculteur de l’Oise condamné pour nuisances sonores et olfactives, relatée par M. Bonhomme. C’est justement cette multiplication des conflits de voisinage entre ce que l’on appelle parfois les néoruraux, qui ont une image bucolique de la campagne, et les agriculteurs qui confère au présent texte une forte actualité.

Cependant, bien que le Premier ministre ait annoncé une adoption rapide de ce texte comme élément de réponse à la crise agricole, je n’identifie pas, à l’issue des travaux de l’Assemblée nationale, de dispositifs nouveaux de nature à prévenir l’inflation contentieuse dont sont victimes nos agriculteurs : pas un amendement du Gouvernement à l’Assemblée nationale ni même au Sénat pour traduire la volonté du Premier ministre. (M. François Bonhomme sexclame.)

Tâchons donc, ici, au Sénat, de traduire en actes concrets les annonces et les mots puissants de la communication gouvernementale : « mettre l’agriculture au-dessus de tout ».

M. Laurent Duplomb. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Je salue à ce titre l’amendement adopté en commission des lois, sur l’initiative de sa rapporteure, qui prévoit, au sein du code rural et de la pêche maritime, une clause exonératoire spécifique à l’agriculture, relative aux troubles résultant d’une mise en conformité de l’exploitation. Comment imaginer en effet qu’un agriculteur ait à choisir entre se conformer aux nombreuses normes en vigueur et s’exonérer de sa responsabilité ?

Néanmoins, je considère qu’il reste possible de pousser le curseur un cran plus loin, dans le respect du droit au recours effectif, pour prévenir les contentieux résultant de la vie normale d’une exploitation, notamment de l’évolution de ses activités ou de son agrandissement.

Pourquoi un jeune agriculteur qui s’installe avec soixante vaches, pour débuter dans le métier, ne pourrait-il pas, comme tout entrepreneur souhaitant développer son activité, dégager du revenu et amortir le coût de ses investissements en passant à cent vaches ? (M. Laurent Duplomb acquiesce.) Pourquoi ne pourrait-il pas décider de diversifier son activité, pour sécuriser davantage son revenu ?

C’est précisément ce que M. Duplomb entend permettre au travers de son amendement. (M. Laurent Duplomb opine.) Sa rédaction s’inspire non seulement de textes précédemment déposés ici, au Sénat, mais aussi des réflexions du Conseil d’État, pour une meilleure sécurisation des activités agricoles.

M. Laurent Duplomb. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Il y a là, monsieur le garde des sceaux, de quoi véritablement revenir vers le monde agricole en lui disant : voilà ce que nous avons fait pour vous !

Du concret, du concret, encore du concret : voilà ce qu’attendent nos agriculteurs. Ne manquons pas l’occasion, par ce texte, de leur en donner. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour ambition de limiter les conflits de voisinage, mais aussi de répondre aux préoccupations urbaines. Cette initiative, empreinte d’une volonté de progrès, mérite notre attention. Bien que l’intention qui préside à cette réforme soit louable, puisqu’il s’agit d’apporter clarté et sécurité en matière de troubles anormaux de voisinage, je m’interroge sur l’approche retenue et sur ses implications potentielles.

Je tiens à souligner que, dans un contexte où la modernisation de notre droit est une nécessité, nous devrions aspirer à une réforme qui intègre de manière cohérente l’ensemble du droit de la responsabilité civile. L’exemple de la Belgique, qui a récemment entrepris une révision globale de ce droit, nous montre qu’une modernisation exhaustive et réfléchie est non seulement possible, mais également bénéfique.

L’accent mis par la proposition de loi sur une facette particulière du droit de la responsabilité civile, sans tenir compte de la complexité et des nuances des relations de voisinage, soulève des questions importantes. En adoptant une vision plus large, englobant à la fois le droit de la responsabilité civile et le droit des biens, nous pourrions parvenir à une compréhension plus nuancée et à des solutions plus adaptées à la diversité des situations que nos concitoyens rencontrent au quotidien.

En outre, l’absence, dans cette proposition de loi, de précisions concernant les sanctions associées aux troubles anormaux de voisinage mérite une attention particulière. Sans une définition claire des conséquences juridiques, nous risquons en effet de laisser place à une incertitude qui pourrait affaiblir l’efficacité de la réforme et miner la confiance dans notre système législatif. Il est impératif que nous nous penchions sur cette lacune, pour nous assurer que la législation apporte une réponse adéquate et juste à ceux qu’elle cherche à protéger.

Il est également essentiel de souligner que notre objectif commun est de trouver des solutions pragmatiques qui répondent aux besoins réels de notre société, sans précipitation ni partialité. Dans cette optique, cette proposition de loi pourrait constituer un premier pas vers une réforme plus complète et équilibrée, qui saura tenir compte des enjeux actuels. Une telle démarche nous permettrait de répondre de manière plus adéquate aux besoins de tous les secteurs de notre société, en tenant compte spécifiquement des défis posés par la crise agricole qui viennent d’être évoqués.

Vous me permettrez de citer un défi que nous devrions affronter prochainement, celui du « zéro artificialisation nette » (ZAN), puisque les experts ne cessent de nous alerter sur l’explosion des troubles anormaux de voisinage, du fait d’une densité mal pensée. Voilà un défi qui dépasse ce texte et qu’il nous faudra relever. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels
Article unique (fin)

Article unique

I. – Le sous-titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Les troubles anormaux du voisinage

« Art. 1253. – Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

« Cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités économiques existant antérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa, conformes aux lois et aux règlements et qui se sont poursuivies, sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal.

« Lorsqu’une activité économique à l’origine du trouble mentionné au premier alinéa du présent article a été autorisée par l’autorité administrative, le juge peut accorder des dommages et intérêts et ordonner les mesures permettant de réduire ou faire cesser ce trouble, sous réserve qu’elles n’aient ni pour objet ni pour effet de contrarier les prescriptions édictées ou de priver d’effet les autorisations ainsi délivrées par l’autorité administrative. »

II. – (Non modifié) L’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.

III (nouveau). – Après l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 311-1-1. – La responsabilité prévue au premier alinéa de l’article 1253 du code civil n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités agricoles qui se sont poursuivies, postérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage, dans des conditions nouvelles résultant de la mise en conformité de l’exercice de ces activités aux lois et aux règlements. »

M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, sur l’article unique.

M. Olivier Paccaud. En tant que sénateurs de l’Oise, Mme Valente Le Hir et moi-même souhaitons intervenir, car le cas de M. Verschuere, évoqué par Mme le rapporteur, M. Bonhomme et Mme Estrosi Sassone, nous mobilise depuis maintenant plus de dix ans.

Il est triste d’avoir à légiférer sur le « vivre ensemble » et le « travailler ensemble » – le bon sens paysan devrait l’emporter. C’est triste, mais nécessaire. Nous avons voté, il y a trois ans, un beau texte, afin de définir et de protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Hélas ! ce texte est resté lettre morte.

Le cas de M. Verschuere est emblématique – son avocat se trouve d’ailleurs dans nos tribunes – : son seul délit est d’avoir agrandi son étable. Pendant dix ans, il a vécu un calvaire judiciaire et a été condamné à verser 106 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que la Cour de cassation l’a confirmé au mois de décembre dernier. Son seul crime ? Avoir voulu travailler.

Mes chers collègues, les troubles de voisinage existent. Je tiens à saluer le travail de la commission des lois et l’amendement de M. Duplomb, tout comme d’autres amendements de grande qualité qui ont été déposés sur ce texte.

Que voulons-nous ? Que nos campagnes deviennent des musées ? Des paysages de carte postale sans saveur ni odeur ? Non, ce n’est ni ce que nous souhaitons ni ce dont nous avons besoin !

Je conclurai sur une note un peu lyrique dans ce palais de Marie de Médicis, en citant Sully : tous, nous souhaitons que « labourage et pâturage [demeurent] les deux mamelles dont la France est alimentée » et soient, comme jadis, « les vraies mines et trésors du Pérou ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Bitz, Mme Schillinger, MM. Mohamed Soilihi, Buis et Buval, Mmes Cazebonne et Duranton, M. Fouassin, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lemoyne et Lévrier, Mme Nadille, MM. Omar Oili, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Rohfritsch, Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Remplacer les mots :

économiques existant antérieurement à l’acte ouvrant le droit de jouissance de la personne qui allègue subir le dommage mentionné au premier alinéa,

par les mots :

, quelle qu’en soit la nature, préexistant à l’installation de la personne lésée, qui sont

La parole est à M. Olivier Bitz.

M. Olivier Bitz. Par cet amendement, il est proposé de revenir au texte de l’Assemblée nationale, pour ne pas limiter son application aux seules activités économiques.

En effet, le principe selon lequel l’arrivant doit s’adapter à l’existant peut être tenu pour général – c’est très largement le cas aujourd’hui. Les signataires de cet amendement considèrent qu’il est inutile de restreindre l’application de la clause exonératoire ; il convient donc de revenir à la rédaction de l’Assemblée nationale.

Par ailleurs, l’expression « l’acte ouvrant le droit de jouissance » pose des difficultés juridiques. Si elle permet de dater précisément la mesure de l’état des nuisances, elle semble en revanche trop restrictive au regard de potentielles modifications ultérieures des installations.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Cher collègue, vous avez vous-même laissé pressentir que l’avis de la commission ne serait pas favorable, ce qui est exact…

Vous proposez de revenir à la version initiale du texte, alors même que la commission des lois a souhaité en éclaircir et en garantir les dispositions. C’est d’ailleurs pour en sécuriser le périmètre qu’elle y a fait figurer la notion d’« activités économiques ».

Une telle mesure a été inspirée par la présidente de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui, lors de son audition par la commission, a fait part de ses interrogations sur la notion d’« activités » qui figurait dans la rédaction initiale et qui lui semblait instaurer un champ indéfini. La commission des lois reste donc attachée au principe d’activités économiques.

Ensuite, vous revenez sur la notion de datation que nous préférons à celle d’« installation ». Celle-ci pose en effet problème : il suffirait qu’une personne ayant acheté une maison y installe trois ou quatre meubles pour se déclarer victime de troubles anormaux de voisinage.

La mention d’un acte juridique sécurise davantage le texte. La commission des lois estime qu’il serait dommageable de revenir purement et simplement à la rédaction initiale de la proposition de loi. Nous l’avons enrichie sans ego, mais parce qu’il nous semblait nécessaire d’en conforter les dispositions.

Monsieur le garde des sceaux, vous évoquerez sans doute la notion de permis de construire, qui, à ses yeux, ne serait pas couverte par notre rédaction. Ce n’est pas faire offense à votre compétence que de dire que je ne suis pas certaine que la notion d’« installation » couvre à coup sûr l’obtention d’un permis de construire ; à première vue, l’installation de son titulaire semble nécessaire.

Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Bitz, le Gouvernement émet un avis favorable sur votre amendement.

M. André Reichardt. Voilà qui est étonnant ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Madame le rapporteur, certes, vous avez auditionné un haut magistrat de la Cour de cassation, mais la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) ne partage absolument pas cette analyse.

Monsieur le sénateur, je fais pleinement mienne votre proposition, qui consiste à rétablir, à l’alinéa 5, la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.

Il me semble en effet extrêmement important d’appliquer à l’ensemble des activités le principe de responsabilité civile pour troubles anormaux du voisinage et de ne pas limiter ce principe aux seules activités économiques.

Je partage également votre proposition de suppression de la notion d’« acte ouvrant le droit de jouissance ». Cette notion ne permet pas de faire référence de manière claire et précise à l’acte juridique concerné. Par ailleurs, elle ne couvre pas toutes les situations envisagées.

Un retour à une rédaction plus large me semble donc préférable pour englober toutes les situations, et pas uniquement celles qui octroient un droit de jouissance.

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour explication de vote.

Mme Audrey Linkenheld. La discussion autour de cet amendement illustre bien la difficulté à laquelle nous sommes confrontés et que j’ai soulignée lors de mon intervention liminaire.

Cette proposition de loi cherche à concilier deux problématiques.

La première d’entre elles a trait au trouble anormal de voisinage. Pourquoi devrions-nous considérer que ce trouble ne pourrait être le fait que d’activités économiques, et non d’activités privées ? Chacun d’entre nous peut être à l’origine d’un trouble anormal de voisinage.

La seconde concerne l’exonération de la responsabilité en matière de trouble anormal de voisinage et le droit à réparation auquel cette responsabilité ouvre, le cas échéant.

En l’espèce, l’article auquel fait référence le sénateur Bitz, qui relève du code de la construction et de l’habitation, et non du code civil, porte précisément sur la clause exonératoire et sur les cas où la demande de réparation n’est pas possible. Les dispositions qu’il contient ne sont en effet circonscrites qu’aux activités économiques, à savoir les « activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques ».

Voilà le genre de confusion que l’on crée quand on veut, au sein de plusieurs alinéas d’un même article, mélanger la jurisprudence des juges en matière civile et un article du code de la construction et de l’habitation, qui porte sur d’autres sujets.

C’est la raison pour laquelle nous voterons contre cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :

Alinéa 5

Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :

Les installations classées pour la protection de l’environnement sont exclues des exonérations de responsabilité pour trouble anormal de voisinage.

La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Cet amendement a pour objet d’exclure les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) – il s’agit des exploitations industrielles ou agricoles susceptibles de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains et l’environnement – du régime des exonérations de responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Ces installations répondent à un régime d’autorisation environnementale spécifique prévu aux articles L. 511-1 A à L. 511-2 du code de l’environnement, car elles peuvent présenter des dangers ou des inconvénients pour la commodité du voisinage.

En l’espèce, l’article unique prévoit d’exonérer de responsabilité les activités agricoles et les activités économiques qui bénéficient de la théorie de la pré-occupation.

Il convient toutefois de ne pas fragiliser les équilibres existants, issus de la jurisprudence. Je citerai comme exemple le procès pour trouble anormal de voisinage à Fos-sur-Mer, qui opposa ArcelorMittal à quatorze riverains se plaignant de la pollution industrielle du site.

Le régime d’exclusion de responsabilité prévu par le texte pourrait, dans certains cas, heurter le principe du droit d’agir en responsabilité et, plus généralement, celui du droit au recours effectif, en privant les victimes d’un trouble anormal de toute possibilité juridictionnelle de le faire cesser. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)