Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ». Il convient de cohabiter au mieux avec ses voisins, y compris sur ses travées. (Sourires.)

La proposition de loi que nous examinons découle d’une réflexion engagée de longue date en vue de codifier le régime de la responsabilité sans faute du trouble anormal de voisinage. Cette notion juridique, consacrée par la jurisprudence de la Cour de cassation, s’appuie sur l’appréciation du juge au fond, qui, seul, détermine la nature du trouble – bruits, odeurs, entraves à la vue…

Elle est caractérisée, comme l’a rappelé la rapporteure, par l’existence d’un dommage, l’anormalité du trouble, la relation de voisinage entre le défendeur et le demandeur, selon l’appréciation du juge. Des exonérations existent, la plus importante étant la condition de pré-occupation, c’est-à-dire la préexistence de l’activité entraînant un trouble anormal de voisinage.

Chacun peut trouver logique que, dès lors qu’une activité existait avant l’installation d’un nouveau voisin, le trouble qu’elle occasionne ne puisse constituer un trouble anormal de voisinage. Toutefois, cette logique a des limites.

Aussi, si le groupe GEST salue le principe d’une codification de cette notion, qui était attendue, il est moins enclin à accepter l’inscription dans la loi d’exonérations absolues et étendues, comme le prône la commission des lois.

L’Assemblée nationale avait déjà assoupli formellement le critère de poursuite, mais la commission des lois du Sénat est allée plus loin – trop loin, à notre sens. Comme vous le savez, le groupe GEST prône pour un contrôle du juge. Aussi l’exonération spécifique pour les activités agricoles introduite par la commission paraît-elle trop large.

Les juristes Geneviève Viney, Patrice Jourdain et Suzanne Carval, dans leur traité de droit civil publié en 2017, considèrent que ces dispositions établissent vis-à-vis du premier occupant une « servitude légale de pollution », tendant à « pérenniser les situations nuisibles à l’environnement ».

L’idée de la commission est donc la suivante : lorsqu’un exploitant agricole modifie les conditions d’exercice de son activité pour la mettre en conformité avec les lois et les règlements, sa responsabilité ne peut pas être engagée du fait du trouble anormal en résultant. Il s’agit certes d’une position forte de la part du Sénat, mais elle nous semble pour le moins différenciée et, de ce fait, excessive.

Nous, écologistes, avons maintes fois souligné l’ambivalence qui prévaut dans l’application de ce principe de trouble anormal. Par exemple, la majorité de cet hémicycle souhaite vraisemblablement instaurer une exonération légale dans le cas de l’épandage de pesticides – sujet sur lequel nous avons, en vain, appelé à ouvrir aux maires la possibilité d’adapter les règles de distance lors de l’examen de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite 3DS –, considérant qu’une activité légale ne pourrait être perçue comme un trouble anormal de voisinage.

Admettons. À l’aune de ce raisonnement, que penser de l’interdiction d’installer des éoliennes ? Cette activité, tout aussi légale que l’épandage et tellement essentielle pour répondre à l’urgence environnementale, serait limitée ou sanctionnée au prétexte d’un préjudice visuel. Cette différenciation nous semble inégalitaire.

Nous regrettons ce réarmement juridique qui, encore une fois, a pour principal objectif et pour conséquence de protéger ceux qui commettent des nuisances et polluent, dès lors qu’ils le font au service d’une certaine idée de l’activité économique.

Sous couvert de traiter les conflits de voisinage entre néoruraux et citadins et les nuisances provoquées par les chants des coqs, cette proposition de loi pourrait emporter des conséquences très importantes sur des contentieux qui impliquent des exploitations agricoles polluantes – qui seraient, par exemple, passées d’un élevage moyen à un élevage intensif – ou des activités industrielles. Ce texte ne doit pas offrir un droit à polluer !

L’image quelque peu fantasmée des néoruraux ne doit pas cacher le fait que les conditions de vie des personnes qui habitent en milieu rural depuis très longtemps sont également menacées. Elles aussi subissent des pollutions environnementales, à l’instar des algues vertes, en Bretagne, qui sont la conséquence de nitrates d’origine agricole dans des bassins versants.

De plus, le groupe GEST regrette que ce texte soit examiné avant même que des politiques publiques nouvelles sur le sujet aient été évaluées. En effet, le recours à la conciliation pour répondre aux troubles anormaux du voisinage a été rendu possible il y a à peine deux ans. Avons-nous seulement évalué cette mesure avant d’en adopter une qui serait davantage restrictive pour ceux qui s’estiment lésés ?

Par ailleurs, ai-je besoin de rappeler que les personnes les plus précaires sont souvent celles qui subissent les plus grands dommages liés à des troubles du voisinage ? Je pense notamment à la pollution liée à une surfréquentation routière ou à la présence de sites de production industrielle près de leur logement, qu’elles ne peuvent pas quitter par manque de moyens.

Loin de se limiter à une structuration juridique nécessaire, le texte se drape dans une défense qui nous paraît caricaturale de la ruralité et de l’agriculture qui serait perturbée et empêchée par l’arrivée des rats des villes.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !

M. Guy Benarroche. Vous connaissez la fable : Le Rat de ville et le rat des champs.

Il peut et il doit y avoir un contrôle du juge sur les préjudices que subissent nos concitoyens du fait des activités de leur voisinage. Les conditions d’exemptions prévues par ce texte étant trop larges, le groupe GEST ne le votera pas. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Quelle surprise ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les querelles de voisinage sont aussi vieilles que les relations humaines.

Parfois, le bon sens et le dialogue permettent de régler un différend, mais, dans certains cas, les enjeux économiques, moraux, esthétiques et psychologiques sont tels que le trouble ne peut qu’être porté devant les tribunaux.

Pour ce qui nous concerne, nous sommes de ceux qui analysent l’explosion des litiges entre voisins comme le symptôme d’un climat social dégradé et d’un affaiblissement du lien social dans notre pays.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !

M. Ian Brossat. Bien souvent, les premiers remparts contre ces phénomènes sont les collectivités locales : les maires et les autres élus locaux endossent le rôle – souvent ingrat, il faut bien le dire – de médiateurs et de conciliateurs pour tenter, tant bien que mal, d’y faire face.

Il reste que les troubles de voisinage sont la cause de querelles et d’actions judiciaires qui pourrissent le quotidien d’un trop grand nombre de foyers, en ville comme à la campagne. Dès lors, nous ne pouvons que saluer la volonté d’intégrer dans le code civil, par l’adoption de cette proposition de loi, le trouble anormal de voisinage. Cette codification est une manière de garantir une application homogène de la jurisprudence sur le territoire. Nous sommes convaincus qu’il s’agit d’une démarche utile.

Toutefois, dans la mesure où il s’agit de légiférer sur l’obligation de réparer un dommage causé à son voisin, nous devons prendre des précautions. Notre rôle est aussi de garantir le droit au recours pour les nombreuses victimes de nuisances anormales.

La rédaction initiale du texte exonérait de la responsabilité civile toute activité préexistante à l’installation d’une personne, quelle que soit sa nature. Tout acteur déjà installé n’aurait donc plus à réparer les dommages qu’il pourrait causer à son nouveau voisin du fait de son activité.

Cette rédaction déniait tout droit de recours à une partie de la population victime d’un trouble anormal de voisinage et créait, en quelque sorte, un nouveau droit à polluer ou à faire du bruit. Le travail en commission a permis de réécrire le texte en veillant à n’inscrire dans le code civil qu’une transcription stricte de la jurisprudence, ce dont je me réjouis.

Compte tenu de cette réécriture, nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes nombreux au sein de cette assemblée à avoir connu la réalité des conflits de voisinage : les oies de Monlaur-Bernet, dans le Gers, le coq Maurice de l’île d’Oléron, les ânes, les chiens, les exploitations agricoles, les élevages, les industries, les artisans… Il faut comprendre que chaque territoire a son propre patrimoine.

Toutefois, les conflits de voisinage augmentent et, quand la zizanie s’installe, l’ensemble de la collectivité en pâtit. Dans ma commune de Damazan, dont j’ai eu l’honneur d’être le maire pendant quinze ans, j’ai bien sûr connu ce type de conflits délicats, notamment lors de la création d’entreprises.

Cette proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels fait suite à de nombreuses autres initiatives parlementaires et nous rappelle la nature de ces enjeux.

Il s’agit tout d’abord d’enjeux écologiques, qui nous conduisent à renforcer les normes pour préserver notre nature et notre climat.

Il s’agit ensuite d’enjeux sociétaux. Le visage de nos départements change et une nouvelle population, autrefois urbaine, s’installe dans les campagnes. Ce nouvel exode est une bonne nouvelle pour l’attractivité de nos territoires, mais il met parfois à l’épreuve notre capacité à vivre ensemble.

Préserver l’harmonie d’un lieu signifie non seulement préserver le cadre de vie et le droit de propriété des citoyens, mais également protéger nos entreprises, qui font vivre nos territoires. Si l’intitulé ambitieux de cette proposition de loi peut paraître en décalage avec son dispositif, qui se limite à un pan spécifique de la responsabilité civile, les questions abordées relèvent au fond de sujets majeurs pour la ruralité.

Il est proposé de consacrer dans le code civil un régime de responsabilité prétorien pour les dommages causés par les troubles de voisinage dits anormaux. Si l’on trouve la première mention de ces troubles dès 1844, conséquence de la révolution industrielle et de la mutation de nos modes de vie, de consommation et de production, le législateur s’est tenu éloigné de cette question.

Le juge judiciaire a ainsi construit un régime autonome du droit commun de la responsabilité civile extracontractuelle disposé dans le code civil. Qualifié de souple, ce régime laisse au seul juge la faculté d’apprécier le critère de gravité de la nuisance, au cas par cas. Il s’agit donc d’un réel enjeu de sécurité juridique pour tous les justiciables, y compris pour nos entreprises.

J’ai pu constater, durant l’élaboration du rapport d’information intitulé Difficultés daccès au foncier économique : lentreprise à terre ?, que l’expansion des zones d’habitat, qui rapproche les habitants des locaux artisanaux et industriels expose parfois les entreprises à de nombreuses plaintes, au point de les contraindre au départ, et ce malgré la réalisation d’investissements importants pour limiter les nuisances.

Certains projets font même l’objet d’une présomption de nuisance au nom de laquelle des justiciables portent plainte devant la justice en amont de leur réalisation, ce qui empêche de nombreuses entreprises de s’implanter.

Pour en revenir au texte qui nous occupe, je tiens d’abord à saluer le travail de Mme la rapporteure.

M. Michel Savin. Très bien !

M. Michel Masset. Si les principes de la jurisprudence établie sont conservés, la limitation de la cause exonératoire aux seules activités économiques bouleverse l’équilibre qui a été trouvé à l’Assemblée nationale. Ce changement, qui exclut les activités privées, fera sûrement l’objet de débats, que ce soit dans cet hémicycle ou au cours de la navette parlementaire.

Par ailleurs, je souligne la prévoyance de notre commission, qui a tenu à remédier à l’imprécision de la notion d’« installation » et à préserver la compétence de l’administration – donc du juge administratif – pour les troubles autorisés par elle.

Enfin, je souligne un unique point de vigilance sur l’ajout d’une cause exonératoire au profit des agriculteurs pour les troubles causés par une mise en conformité avec les lois et les règlements. Je m’interroge sur l’aspect restrictif de cette mesure qui vise, en somme, à instaurer une forme de solidarité pour prendre en charge les conséquences des réglementations qui pèsent sur un secteur d’intérêt général.

Cette mutualisation en faveur d’un secteur essentiel à la vie de la Nation, l’agriculture, pourrait faire l’objet d’une plus ample réflexion. Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres filières particulièrement importantes, notamment dans le secteur industriel et agroalimentaire ?

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe RDSE votera ce texte qui nous invite, au travers d’un sujet quelque peu technique, à réfléchir à la manière dont nous faisons société. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Olivier Bitz. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Olivier Bitz. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens à exprimer publiquement, au nom de l’ensemble du groupe RDPI qui a tenu sa réunion hebdomadaire ce matin, notre soutien à notre président, François Patriat, qui a été victime de dégradations devant son domicile.

S’attaquer au domicile d’un élu, quelles que soient ses prises de position et son appartenance politique, la nuit de surcroît, est tout simplement inqualifiable et inacceptable. Je sais que cette réaction est partagée sur toutes les travées de cet hémicycle.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Absolument !

M. Olivier Bitz. La proposition de loi que nous examinons vise à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels. Ce texte, à portée générale, concerne tout particulièrement nos espaces ruraux.

Chacun en est convaincu dans cet hémicycle : la ruralité française est magnifique. Elle constitue un espace de repos, de loisir, de détente et de vie pour de nombreux Français.

Un nombre grandissant de nos concitoyens décident de rejoindre cet espace durant leurs fins de semaines – qui sont, du fait du développement du télétravail, de plus en plus longues et commencent parfois le jeudi soir, voire le mercredi soir – pour trouver un repos mérité. D’autres décident de l’habiter définitivement, en faisant la navette avec leur lieu de travail situé en milieu urbain.

Ce mouvement d’installation vers la ruralité est compréhensible : de plus en plus de Français éprouvent une forme de rejet de la vie en ville, de ses contraintes, de son bruit et de sa pollution.

Ceux qui font le choix de la vie en milieu rural croient faire le choix du calme absolu. Souvent, lorsqu’ils achètent leur nouvelle résidence, qu’elle soit principale ou secondaire, leur conception de la ruralité relève en quelque sorte de la carte postale : rien ne devrait plus bouger.

C’est oublier que la ruralité, avant d’être un espace de repos ou de loisir, est un espace de production artisanale et industrielle, tout particulièrement agricole. La cohabitation entre ceux qui s’installent à la campagne, car ils aspirent au calme, et ceux qui veulent conserver et développer leur activité productive en milieu rural ne doit pas porter préjudice à l’activité économique, qui fait vivre nos territoires et qui nourrit les Français.

Pour assurer cette cohabitation malgré des aspirations aussi différentes, le premier outil à mobiliser est bien évidemment le dialogue. Nombre de crispations peuvent se résoudre par l’échange. À cet égard, je tiens à saluer les efforts auxquels ont consenti, depuis des années, la plupart de nos agriculteurs, en adoptant et en respectant des chartes d’épandage et en portant une attention constante à leur voisinage.

Malheureusement, cela n’empêche pas la naissance de tensions, de crispations, parfois de contentieux, auxquels la jurisprudence qui s’est développée sur les troubles anormaux de voisinage répond déjà très largement. Aussi ce texte vise-t-il à la conforter, à en assurer une application homogène sur tout le territoire national et à offrir au point d’équilibre trouvé par le juge une rédaction claire, qui permette la pédagogie.

En effet, il est important de rendre la règle plus intelligible pour envoyer un message clair à tous ceux qui font le choix de s’installer à la campagne : s’ils choisissent de vivre à proximité d’une activité de production, ils doivent accepter de cohabiter avec elle et avec les nuisances qu’elle occasionne, ainsi qu’avec d’autres activités consubstantielles à la ruralité, à l’instar de la chasse. Le choix de la ruralité présente de nombreux avantages, mais aussi des contraintes, qu’il faut assumer.

Ainsi, ce texte est bienvenu et le groupe RDPI le soutiendra. J’en profite pour saluer le travail de Mme la rapporteure, qui est en ce moment sur tous les fronts.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il faut que cela cesse ! (Sourires.)

M. Olivier Bitz. L’amendement introduit en commission concernant la cause exonératoire de responsabilité spécifique aux activités agricoles me semble particulièrement nécessaire. Cette disposition tiendra compte de la nécessité pour les exploitants d’adapter leur installation pour la mettre en conformité avec des lois et des règlements qui leur ont été imposés par la puissance publique. Comment reprocher à un agriculteur une transformation de son exploitation guidée par la volonté de respecter les lois et les règlements ?

Nous défendrons un amendement visant à aller un peu plus loin en intégrant au dispositif toute évolution d’une exploitation, même si elle n’est pas motivée par une mise aux normes. Je suis d’ailleurs intervenu en commission sur ce sujet très important à mes yeux.

En effet, bloquer le développement d’une exploitation au niveau d’activité qui existait au moment de l’installation d’un nouveau voisin, c’est la condamner. Une exploitation qui ne peut pas se développer, c’est une exploitation qui ne peut pas s’adapter aux évolutions et aux besoins du secteur.

Cela pose également des difficultés en cas de potentielle reprise : un jeune agriculteur ne peut s’engager pleinement sans perspective de développement. Nous sommes d’ailleurs tous conscients de la nécessité d’encourager et de faciliter la reprise d’exploitation.

Dans le même esprit, pour protéger encore davantage les activités préexistantes, nous défendrons également un amendement visant à étendre la protection contre les recours abusifs aux activités non économiques. Le principe général serait ainsi le suivant : celui qui choisit de s’installer, en toute connaissance de cause, à proximité d’une source de nuisances, quelle qu’en soit la cause, économique ou non, ne peut pas engager une procédure fondée sur les troubles anomaux de voisinage.

Évidemment, ce texte n’épuise pas le sujet des conflits de voisinage, lesquels doivent d’abord se régler par le dialogue et par des négociations à l’amiable – c’est l’objectif que nous poursuivons tous ; en particulier, les maires de nos zones rurales agissent en ce sens. Néanmoins, il permettra de clarifier et d’améliorer la situation actuelle.

C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels.

Derrière cet intitulé se cachent tout simplement, nous l’avons bien compris, les troubles de voisinage d’une société contemporaine qui prône le respect de l’autre et le vivre ensemble, mais qui, pourtant, butte au quotidien, voire se fracasse sur les délicats accommodements entre les hommes, sur la cohabitation parfois douloureuse de l’homme et de son environnement ou encore sur la difficile conciliation de la vie humaine avec les activités économiques, agricoles ou commerciales.

Cette proposition de loi a donc pour objectif ambitieux de contribuer à apaiser cette cohabitation, ainsi que l’a souligné le garde des sceaux. L’intention est louable, reconnaissons-le. Pour autant, après avoir suivi les débats qui se sont tenus en séance publique au Palais-Bourbon, puis ceux qui ont eu lieu en commission au Palais du Luxembourg, force est de reconnaître que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain reste circonspect. Sans y être farouchement hostile, il s’interroge sur l’utilité d’un tel texte.

Depuis près de quarante ans, la Cour de cassation a fait valoir le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Il s’agit d’un régime de responsabilité objectif, qui requiert la démonstration non pas d’un comportement fautif, mais d’un trouble permanent et continu, excédant la gêne normalement attendue dans le cadre des relations de voisinage.

Cette gêne doit être évaluée par le juge, en tenant compte des circonstances spécifiques dans lesquelles le plaignant se trouve. Celle-ci peut être d’ordre sonore, olfactif, esthétique, visuel, diurne ou nocturne, et a trait à une notion élargie du voisinage.

Cette proposition de loi a pour objet de consacrer tous ces éléments jurisprudentiels en introduisant un nouvel article dans le code civil, qui comprendrait à la fois le principe de responsabilité civile fondé sur les troubles anormaux de voisinage et son exception liée à l’antériorité du trouble constaté, décrite à l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation.

Notre circonspection tient au fait que ce texte, qui est censé graver dans le marbre une jurisprudence établie, une construction prétorienne élaborée au fil des ans et associée à un article connu du code de la construction et de l’habitation, ne semble pas faire l’unanimité. Comment une telle codification pourrait-elle simplifier et pacifier les relations de voisinage, dès lors que le bon sens convoqué par les auteurs de la proposition de loi et par le garde des sceaux ne fait pas consensus ?

En effet, il convient de le souligner : il n’existe pas de consensus ni de concorde.

Certes, les agriculteurs semblent satisfaits. Cette proposition de loi est faite pour eux, nous l’avons compris – et ce d’autant plus depuis la création en commission d’un régime d’exception spécifique. Je ne reviendrai pas à mon tour sur le célèbre coq Maurice de l’île d’Oléron ni sur les canards, les vaches, les tracteurs et autres fauteurs de troubles.

Toutefois, d’autres citoyens semblent s’inquiéter de cette proposition de loi, notamment les habitants de nos villes et les associations de locataires. Nous ne pouvons pas ignorer complètement leurs craintes en prétendant faire une loi pour désengorger les tribunaux et favoriser les résolutions à l’amiable.

En effet, les collectifs de riverains qui ne sont pas convaincus après la tentative de médiation iront au contentieux. Ils ne gagneront peut-être pas toujours, d’autant moins si la charge de la preuve leur incombe désormais au premier chef, mais ils se lanceront dans une procédure.

Aussi, est-ce vraiment donner sa meilleure chance au vivre ensemble dans notre pays, dans nos villes et dans nos campagnes que de voter une proposition de loi qui ne convainc pas pleinement ? N’est-ce pas, au contraire, contre-productif ?

Ne serait-il pas préférable de continuer de faire œuvre pédagogique en nous appuyant sur la subtile expertise des juges et leur bonne connaissance des articles en vigueur, tant dans le code civil que dans le code de la construction et de l’habitation ?

Évidemment, nos agriculteurs ont besoin de poursuivre leurs activités sereinement, à condition qu’ils respectent, comme le fait une grande majorité d’entre eux, les codes de l’urbanisme, de l’environnement et de la santé publique.

Évidemment, les habitants aspirant à vivre à la campagne doivent entendre que cette vie est une vie de tous les jours, pas une vie de vacances. À ce titre, elle peut être bruyante, odorante et, parfois, dérangeante.

De même, les habitants préférant la vie en ville, parce qu’elle offre une foultitude de services et d’équipements, doivent comprendre que ces avantages ont quelques effets secondaires : rires en terrasses, cris des enfants, bruits des ballons ou des assiettes qui s’entrechoquent…

En tant qu’élus, nous savons que, même s’ils restent très attachés à la défense des libertés collectives, les Français sont aussi de plus en plus exigeants quant à leur liberté individuelle et à leur bien-être ou confort personnel. En somme, cette proposition de loi révèle une autre facette d’un phénomène déjà bien connu : le Nimby (Not in my backyard).

Tout le monde est pour les panneaux solaires, les bornes de tri, les bancs publics, les logements sociaux, la campagne nourricière, les bistrots du coin, mais personne ne les veut trop près de chez soi, trop près de son jardin, trop près de sa cour.

« L’enfer, c’est les autres », déclarait Sartre. Malheureusement, aussi louable que soit l’intention de cette proposition de loi, le groupe SER n’est pas convaincu qu’elle parviendra à transformer certains voisinages infernaux en paradis sur terre.

On aura beau faire le procès des néoruraux qui ne s’accommodent pas de leurs voisins agriculteurs, seront-ils plus conciliants si on les renvoie en ville, là où l’on prône la densification pour éviter l’étalement urbain ?

Qui plus est, si l’on ne répond pas aux angoisses des urbains, quand on refait la ville sur la ville, où iront-ils, si ce n’est dans le périurbain ou le rural ? Au fond, ne partons-nous pas un peu trop du principe que tous ces voisins râleurs, futurs ou actuels, auraient le choix de leur habitation ? Je ne reviens pas sur la crise immobilière ou sur la pénurie généralisée de logements abordables.

Dans nos villes comme dans nos villages, on n’a pas franchement le privilège de pouvoir choisir son voisin et son voisinage… Les Français les plus aisés, oui ; les autres – et ils sont majoritaires –, rarement.

Dès lors, il est évident que certains habitants, qui vivent à côté d’activités gênantes, les ont un jour acceptées, parce que c’était cela ou rien ! Pour autant, doivent-ils les subir toute leur vie, parce qu’elles étaient préexistantes, alors qu’ils savent désormais que ces activités sont polluantes, dangereuses ou anormales ?

Demander à de futurs occupants de se renseigner de manière plus précise sur l’environnement de leur futur chez-soi, à l’aide des notaires par exemple, est évidemment pertinent, mais, je le répète, cela ne vaut que pour ceux qui ont véritablement le choix. C’est rarement le cas du demandeur d’un logement social, de l’étudiant qui cherche une chambre ou du salarié qui ne veut pas être trop éloigné de son emploi ou d’un établissement scolaire.

C’est la raison pour laquelle la disparition pure et simple de l’article L. 113-8 du code de la construction et de l’habitation nous semble délicate, et ce d’autant que la commission des affaires économiques n’a pas été saisie, ne serait-ce que pour avis ; or son avis en matière d’agriculture, de commerce, d’urbanisme ou d’habitat eût été intéressant.

Tenir compte du déjà-là, faire avec le déjà-là : ces expressions et démarches sont appréciées des architectes et urbanistes qui pensent la ville durable. Nous y souscrivons pleinement.

Parfois, nous devons protéger le déjà-là : c’est notamment le rôle des défenseurs du patrimoine, que celui-ci soit architectural, sensoriel, vert ou autre. Parfois, nous devons au contraire ne pas figer le déjà-là, mais l’enrichir – étendre un bâtiment, agrandir une ferme, surélever un immeuble ou bâtir en fond de parcelle.

Tout cela est d’abord du travail de dentelle. Je ne suis donc pas sûre qu’un nouvel article du code civil, forcément concis, mais peu consensuel, voire un peu abscons, saisisse la finesse des situations autant qu’ont pu le faire jusqu’à présent les juges dans des décisions sur mesure.

Aussi, parce que les associations de locataires se montrent manifestement réservées, même sur le texte issu de notre commission des lois, parce que des membres du Conseil national du bruit ont exprimé leur opposition,…