M. Pierre-Alain Roiron. Cet amendement va dans le même sens que le précédent, mais il me semble aller plus loin. Le groupe socialiste, et tout particulièrement M. le rapporteur Éric Kerrouche, défend cette mesure avec constance depuis 2019. Il est encourageant de constater que de nombreux élus locaux se rallient à cette position.

La protection que nous devons à celles et à ceux qui concilient l’exercice de leur mandat et une activité professionnelle doit s’exprimer également dans le domaine social et dans le droit du travail.

Par le passé, les élus locaux ont déjà bénéficié de cette protection. Malheureusement, comme l’avait noté la délégation aux collectivités territoriales en 2018, ce statut était inapplicable, faute de dispositions inscrites dans le code du travail.

Plutôt que de corriger cette anomalie, la loi Engagement et proximité a supprimé le statut de salarié protégé applicable aux élus du code général des collectivités territoriales pour lui substituer des dispositions visant à étendre l’application du principe de non-discrimination.

Pour nous, cette mesure est essentielle. La loi, aujourd’hui, n’est pas suffisamment protectrice. Les élus locaux doivent pouvoir bénéficier d’une protection effective et, de ce fait, être inscrits sur la liste des salariés protégés prévue par le code du travail, afin de se prémunir de tout risque de licenciement au motif qu’ils exercent des fonctions électives.

Cette analyse est aussi valable pour l’après-mandat. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que le plus grand nombre d’entre vous, mes chers collègues, se rallient à cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 29 rectifié, présenté par Mmes L. Darcos et Lermytte et MM. Grand, Chasseing, Chevalier, Wattebled, L. Vogel, Rochette, V. Louault et Capus, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° Les articles L. 2411-1, L. 2412-1, L 2421-2 et L. 2422-1 sont complétés par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Élu local mentionné au chapitre 1er du titre II du livre 1er de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales, au chapitre 1er du titre II du livre 1er de la troisième partie et au chapitre 1er du titre III du livre 1er de la quatrième partie du même code. » ;

2° Après l’article L. 2411-25, est insérée une section ainsi rédigée :

« Section…

« Licenciement d’un salarié investi d’un mandat d’élu local

« Art. L. 2411 –… – Le licenciement d’un salarié investi d’un mandat d’élu local ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. » ;

3° Après l’article L. 2412-16, est insérée une section ainsi rédigée :

« Section…

« Salarié investi d’un mandat d’élu local

« Art. L. 2412 –… – La rupture du contrat de travail à durée déterminée d’un salarié investi d’un mandat d’élu local avant son terme en raison d’une faute grave ou de l’inaptitude constatée par le médecin du travail, ou à l’arrivée du terme lorsque l’employeur n’envisage pas de renouveler un contrat comportant une clause de renouvellement, ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. » ;

4° Après l’article L. 243-3-11-1, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :

« Chapitre…

« Salarié investi d’un mandat d’élu local

« Art. L. 243-12 –… – Le fait de rompre le contrat de travail d’un salarié investi d’un mandat d’élu local mentionné au chapitre 1er du titre II du livre 1er de la deuxième partie du code général des collectivités territoriales, au chapitre 1er du titre II du livre 1er de la troisième partie et au chapitre 1er du titre III du livre 1er de la quatrième partie du même code en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d’autorisation administrative prévues par le présent livre, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros. »

La parole est à Mme Laure Darcos.

Mme Laure Darcos. Dans de nombreuses communes de France, les élus locaux continuent d’exercer, par nécessité, une activité professionnelle. Les indemnités de fonction, la plupart du temps très modestes, ne peuvent en effet constituer un revenu de remplacement.

Or, si des dispositions légales existent pour permettre aux élus locaux ayant conservé une activité salariée de disposer du temps nécessaire pour l’exercice de leur mandat – je pense notamment aux crédits d’heures trimestriels et aux autorisations d’absence –, la protection qu’offre le code du travail leur fait actuellement défaut.

C’est pourquoi je propose, avec cet amendement, de placer les élus locaux salariés, qu’ils soient ou non membres d’un exécutif, sous le statut de salarié protégé mentionné dans le code du travail. Cette protection serait effective pendant toute la durée de leur mandat.

M. le président. L’amendement n° 170 rectifié bis, présenté par M. Reichardt, Mme Noël, MM. Burgoa et Lefèvre, Mme Muller-Bronn, MM. Klinger et J.P. Vogel, Mmes Puissat, Dumont et N. Goulet, MM. Daubresse, Houpert, Saury, Michallet, Reynaud, Duplomb et J.M. Boyer, Mme Micouleau, MM. Courtial, Frassa, Chatillon et Belin, Mme Drexler, MM. Laménie, H. Leroy et D. Laurent, Mme Josende, M. Cambier, Mme Sollogoub, MM. Anglars, Longeot, Somon, Genet, Mizzon, Tabarot et Folliot, Mme Schalck, MM. Panunzi, Cadec, Paccaud et Henno, Mme Jacques, M. Rojouan, Mme Estrosi Sassone et MM. Bleunven et Sido, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 2411-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Titulaire d’un mandat électif. » ;

2° Après l’article L. 2411-25, il est inséré un article L. 2411-… ainsi rédigé :

« Art. L. 2411 –… – Le licenciement du salarié titulaire d’un mandat électif ne peut intervenir qu’après autorisation de l’inspecteur du travail. »

La parole est à M. Laurent Burgoa.

M. le président. L’amendement n° 21 rectifié bis, présenté par M. Bilhac, Mme N. Delattre, M. Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Fialaire et Guérini, Mme Guillotin, MM. Guiol, Laouedj et Masset, Mme Pantel, M. Roux, Mme Girardin et MM. Gold et Grosvalet, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2411-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Salariés investis d’un mandat de conseiller municipal, de conseiller départemental ou de conseiller régional. »

La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Cet amendement va dans le sens des amendements qui ont été présentés à l’instant.

La présente proposition de loi encourage la mise en place de mécanismes incitant les entreprises à se mobiliser en faveur des élus. Toutefois, nous pensons qu’il est possible d’aller plus loin, en étendant à ces élus des dispositifs existant pour les salariés protégés.

Cet amendement tend à renforcer la protection des maires et des élus locaux contre les risques de licenciement, à l’instar des dispositions applicables aux salariés titulaires d’un mandat d’élu syndical.

M. le président. L’amendement n° 223, présenté par M. Benarroche, Mme Senée, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2411-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Salariés investis d’un mandat de conseiller municipal, de conseiller départemental ou de conseiller régional et maires et adjoints des communes de plus de 10 000 habitants. »

La parole est à Mme Monique de Marco.

Mme Monique de Marco. Cet amendement, qui a pour objet de conférer le statut de salarié protégé aux élus locaux, va dans le même sens que les précédents.

M. Laurent Burgoa. Très bien !

Mme Monique de Marco. Pour rappel, la mission d’information sur le statut de l’élu local de l’Assemblée nationale préconise de réintroduire ce statut, afin de prémunir les élus locaux contre les risques de licenciement au motif qu’ils exercent des fonctions électives.

M. le président. Les quatre amendements suivants sont identiques.

L’amendement n° 58 rectifié est présenté par MM. Mizzon, Henno, Laugier, Levi, Duffourg et J. B. Blanc, Mme Sollogoub, MM. Cambier, J.M. Arnaud, Capo-Canellas, Chauvet, Folliot, Kern, Pillefer et Khalifé, Mme Belrhiti et M. Bleunven.

L’amendement n° 293 est présenté par MM. Hochart, Szczurek et Durox.

L’amendement n° 306 rectifié quater est présenté par Mme Bourcier, M. Capus, Mme Lermytte et MM. Chasseing, Brault, A. Marc, V. Louault, Chevalier et Daubet.

L’amendement n° 353 rectifié bis est présenté par MM. Grosvalet, Roux, Laouedj et Bilhac, Mme N. Delattre, M. Guérini, Mmes M. Carrère et Pantel et MM. Masset, Gold, Guiol et Cabanel.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 9

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 2411-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« …° Maire et adjoint au maire d’une commune. »

La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour présenter l’amendement n° 58 rectifié.

M. Jean-Marie Mizzon. Avant la promulgation de la loi Engagement et proximité, l’article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales prévoyait que les maires, d’une part, et les adjoints au maire, d’autre part, des communes de plus de 10 000 habitants étaient « considérés comme des salariés protégés au sens du livre IV de la deuxième partie du code du travail ».

Cet amendement vise à rétablir cette disposition, à l’étendre aux élus de toutes les communes et à la renforcer en l’inscrivant directement dans le code du travail, à l’instar du dispositif prévu pour les élus syndicaux.

M. le président. L’amendement n° 293 n’est pas soutenu.

La parole est à M. Vincent Louault, pour présenter l’amendement n° 306 rectifié quater.

M. Vincent Louault. Il est défendu.

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour présenter l’amendement n° 353 rectifié bis.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Il m’est difficile d’émettre l’avis de la commission après de tels plaidoyers.

L’objectif que nous partageons tous est de faciliter et de sécuriser l’engagement des élus. Nous souhaitons que, demain, ceux qui ont envie de s’engager le fassent en toute tranquillité.

Nous avons un travail important à mener auprès des entreprises.

Je rappelle que nous proposons, à l’article 10, la création d’un label « employeur partenaire de la démocratie locale », afin que l’entreprise fasse preuve de bienveillance à l’égard de ses salariés élus.

Nous avons également introduit dans le texte une mesure prévoyant un entretien professionnel – M. Kerrouche en parlera tout à l’heure –, qui permettra d’engager la discussion et d’apaiser certaines situations ; parmi les nombreuses dispositions que nous avons votées figurent par ailleurs l’extension du champ des autorisations d’absence et divers dispositifs étendant les congés des salariés élus.

On peut certes toujours aller un pont plus loin. Cependant, bien que vous ayez brillamment évoqué le sujet, madame la présidente Cukierman – j’entends bien ce que vous dites –, en dépit de la réponse que vous pressentiez, vos propositions nous perturbent au plus haut point et nous restons défavorables au statut de salarié protégé.

Je pense sincèrement, mes chers collègues, qu’en dotant un élu qui, en cours de mandat, se retrouverait à la recherche d’un emploi, de ce statut de salarié protégé, nous pourrions le desservir. L’élu devra expliquer à son futur patron, menuisier, patron d’une entreprise artisanale, n’employant que quelques salariés – car beaucoup de nos collègues élus ne travaillent pas dans des multinationales ou de grandes entreprises, mais dans de petites entreprises, qui ne comptent que trois ou quatre salariés –, qu’en cas de problème – nous savons tous que les situations compliquées, ça existe ! –, il aura affaire à un inspecteur du travail.

En somme, nous rétablissons une relation de défiance ou de méfiance au sein de l’entreprise.

La commission propose, je l’ai dit, un label « employeur partenaire de la démocratie locale ». Avec M. Olivier Rietmann, président de la délégation sénatoriale aux entreprises, nous souhaitons entretenir un dialogue très nourri avec les organisations patronales, pour les sensibiliser et bien leur expliquer la situation. Nous envisageons notamment de travailler avec les sections locales du Medef. L’entreprise impliquée dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) valorisera cet engagement.

Cela vous semblera peut-être incongru, peut-être allez-vous me huer, mais, pour protéger l’élu et tenir compte de la diversité à la fois des entreprises et des situations, la commission émet un avis défavorable – je l’assume ! – sur ces amendements.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Dominique Faure, ministre déléguée. Malgré tout le respect que je dois à ceux qui ont déposé ces amendements, je vous informe que le Gouvernement y est défavorable, et ce pour plusieurs raisons qui viennent s’ajouter à celles que Mme le rapporteur a exposées de façon très pertinente.

De quoi parle-t-on ? Vous proposez d’inscrire les élus locaux sur la liste des salariés protégés. Or ces termes sont trompeurs !

Certes, vous voulez protéger les salariés, mais c’est tout autant notre cas… Personne ne souhaite ici qu’un élu par ailleurs salarié soit laissé sans protection.

Le statut de salarié protégé vise à assurer l’effectivité de la démocratie sociale, du droit syndical et du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, ainsi qu’à la gestion des entreprises. Voilà ce à quoi sert ce statut qui, je le rappelle, relève du code du travail : il permet de garantir aux représentants du personnel l’indépendance nécessaire à l’exercice de leur mandat et de les protéger contre les mesures arbitraires auxquelles leurs fonctions les exposent.

Ainsi, les élus locaux n’ont pas vocation à intégrer la liste des bénéficiaires du mécanisme de protection prévu à l’article L. 2411-1 du code du travail, lesquels doivent obligatoirement obtenir l’autorisation d’un inspecteur du travail avant toute rupture ou tout transfert de leur contrat de travail.

Une telle protection avait été instituée dans le code général des collectivités territoriales par la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, et ce pour des élus n’ayant pas cessé leur activité professionnelle. Elle protégeait, entre autres, les élus suivants : les maires et les adjoints aux maires des communes de plus de 10 000 habitants, les membres des conseils d’arrondissement des communes de Paris, Marseille et Lyon, ou encore les présidents ou vice-présidents d’un exécutif.

Ces dispositions ont été abrogées par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.

En effet, constatant que la reconnaissance d’un statut de salarié protégé aux élus ne leur assurait pas une protection effective, et que, par ailleurs, elle pouvait contribuer à dissuader les employeurs d’embaucher des candidats titulaires de mandats locaux – Mme le rapporteur l’a remarquablement expliqué –, la commission des lois avait proposé, en 2019 – ce n’était pas il y a un siècle ou il y a vingt ans – de lui substituer un dispositif les protégeant contre toute discrimination en matière d’embauche, de formation, de licenciement, de rémunération, d’intéressement, de reclassement, de promotion ou de mutation professionnelle, inscrit à l’article L. 1132-2 du code du travail. Cette disposition devait renforcer la sécurité des élus, sans toutefois créer de nouvelles contraintes pour l’employeur.

Par ailleurs, la Charte d’Amiens du 13 octobre 1906 – nous revenons cette fois-ci bien longtemps en arrière – établit une distinction stricte, et essentielle selon moi, entre syndicalisme et engagement politique.

Enfin, d’autres dispositifs prévoient déjà des mesures de protection spécifiques aux élus, comme ceux qui figurent à l’article L. 2123-8 du code général des collectivités territoriales.

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Ce texte a été élaboré collectivement sur la plupart des points, sinon tous ; toutefois, si je m’exprime depuis les travées de mon groupe, c’est qu’il demeure une petite difficulté d’appréciation sur le statut de salarié protégé.

J’ai déposé une proposition de loi visant précisément à inscrire les élus locaux sur la liste des salariés protégés : vous comprendrez donc aisément que je sois favorable à cette disposition.

Malgré les apparences, les choses ne sont pas aussi tranchées qu’il y paraît. Il y a à la fois du pour et du contre. Néanmoins, il nous semble que le statut de salarié protégé qui, je le rappelle, a déjà figuré dans la loi par le passé, pourrait être utile à certains élus. D’où ma prise de parole.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Je crois qu’il est urgent de sortir de quelques faux débats.

Premièrement, j’entends parfaitement les arguments de Mme le rapporteur et de Mme la ministre.

Deuxièmement, tous les chefs d’entreprise ne maltraitent pas leurs salariés élus. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Laurent Burgoa. Tout à fait !

Mme Cécile Cukierman. Cela étant dit, passons aux choses sérieuses…

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Vous faites en quelque sorte du « en même temps » ! (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. Oui, mais un « en même temps » progressiste, révolutionnaire, oserais-je dire ! (Nouveaux sourires.)

Ce débat, mes chers collègues, c’est un peu le bal des hypocrites. Hier soir, plusieurs d’entre vous ont donné des exemples d’élus salariés en difficulté : celui d’un maire s’étant vu imposer une rupture conventionnelle, d’un maire nouvellement élu ayant dû trouver un arrangement avec son employeur… Les exemples ne manquent pas, nous en connaissons tous !

Je le répète, c’est un débat d’hypocrites ! (Mme le rapporteur sétonne.) Vous le savez aussi bien que moi, madame le rapporteur : le problème, c’est que ce statut de salarié protégé ne s’applique pas aux entreprises de moins de dix salariés.

Laissons ces entreprises de côté et parlons des grandes entreprises, de ces entreprises où les relations hiérarchiques, les relations entre ceux qui décident et ceux qui doivent obéir, sont susceptibles de causer une gêne. C’est un vrai problème de fond.

Permettez-moi de faire un peu de politique : je suis élue d’un département où un certain nombre de maires de sensibilité communiste, fraîchement élus, ont été convoqués, parce qu’ils posaient problème. Après qu’on leur a demandé de trouver une solution, ils sont partis d’eux-mêmes pour éviter d’être licenciés.

M. le président. La parole est à M. Simon Uzenat, pour explication de vote.

M. Simon Uzenat. Je partage complètement les propos de mes collègues Pierre-Alain Roiron et Éric Kerrouche – cela ne vous surprendra pas. La volonté de sécuriser le statut des élus, qui est au cœur de cette proposition de loi, semble très largement partagée, ici, au Sénat.

J’irai dans le sens de la présidente Cukierman. Nous avons tous de multiples exemples en tête. J’en ai moi-même donné un, hier, celui d’une rupture conventionnelle qui donnait l’apparence du consentement, alors que, si elle avait eu le choix, la salariée concernée aurait préféré rester dans l’entreprise qui l’employait. C’est la preuve qu’il est absolument nécessaire de protéger plus efficacement les élus qui acceptent de s’engager dans la vie publique.

C’est la qualité d’élu qui est en jeu, mais aussi l’engagement politique et la couleur de cet engagement. Là encore, les témoignages foisonnent. Et tel salarié d’expliquer que, simplement parce qu’il n’était pas du même bord politique que son patron, il s’est vu mener une vie infernale et, à la fin, a dû partir. Tout cela s’organise de façon très diplomatique, grâce aux apparences que préserve la rupture conventionnelle. Cependant, nous sommes là pour protéger celles et ceux qui sont en difficulté et qui ont besoin que la puissance publique leur vienne en aide.

Je suis d’accord avec vous, madame la ministre, il ne s’agit pas de confondre l’engagement syndical et l’engagement politique. Pour autant, nous devons veiller à la défense des corps intermédiaires, des syndicats et des élus qui, parfois, même si ce n’est pas l’objet de ce texte, sont malmenés.

Cette protection est d’autant plus nécessaire que les employeurs, pour une très large part, jouent le jeu, ne serait-ce que parce qu’ils attendent d’être représentés au sein des collectivités. Ils sont les premiers à dire – nous aurons l’occasion d’en rediscuter lors de l’examen de l’article 10 – que les entreprises n’ont pas suffisamment voix au chapitre dans les collectivités locales. Il est possible d’agir en la matière : tout comme mes collègues, je soutiens donc très activement ces amendements.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno, pour explication de vote.

M. Olivier Henno. Comme le sénateur Kerrouche l’a dit avec beaucoup de sagesse, ce sujet n’est pas complètement tranché.

Contrairement à ce que je viens d’entendre sur les travées du groupe communiste, la question soulevée, celle du rôle citoyen des entreprises, n’est pas une question de couleur politique. Les difficultés que rencontrent certains élus en entreprise sont largement partagées, quelles que soient leurs convictions.

Le véritable problème, c’est le recul de ce que l’on appelait, quand j’étais étudiant, la dimension sociétale des entreprises du fait de la pression économique. On constate que l’entreprise s’inscrit de moins en moins dans cette perspective globale, qui excède les seules questions économiques. Voilà le cœur du sujet.

Dans un monde idéal, une protection supplémentaire serait certes la bienvenue, mais la réalité s’impose à nous tous.

Je suis sensible aux arguments de Mme le rapporteur et de Mme la ministre. J’ai moi-même été confronté à des situations analogues à celles que nos collègues décrivent ; j’ai échangé avec des élus subissant ces difficultés : n’allons pas alourdir le droit actuel, car, comme le dit le dicton, « le mieux est l’ennemi du bien ». Nous ne servirions pas la cause que nous souhaitons défendre.

Certes, il faut tenir compte des élus qui travaillent déjà pour une entreprise, mais il convient aussi de prendre en considération ceux qui veulent se faire embaucher. Dans ce cas, le monde étant ce qu’il est, nous rendrions les choses plus complexes et nous prendrions le risque de rigidifier les rapports entre le monde de l’entreprise et les élus.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

M. Henri Cabanel. J’ai bien entendu vos arguments, madame la ministre, mais nous touchons aux limites de cette proposition de loi.

Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, ce texte vise à créer un statut de l’élu ; or, de fait, il ne contient qu’une collection de mesures. Les avancées prévues permettront certes aux citoyens engagés de faire de la politique en toute liberté, mais, avec cette proposition de loi, nous ne créons pas encore de véritable statut.

Il existe un code de la fonction publique ; nous devrions créer le code de la fonction élective. Ainsi, nous protégerions complètement les citoyens les plus engagés, en leur permettant d’exercer leur mandat en toute tranquillité.

M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour explication de vote.

M. Michel Canévet. La conciliation d’une activité professionnelle et de l’exercice d’un mandat électif est un vrai sujet de préoccupation, tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

Samedi dernier, je recueillais le témoignage d’un élu, premier adjoint au maire d’une commune du Finistère, qui m’expliquait qu’il avait dû démissionner de la fonction publique hospitalière à la suite de brimades, de mises à l’écart et du rejet de plusieurs de ses demandes d’aménagement de son temps de travail.

Nous sommes là au cœur du sujet : nous devons épauler et soutenir tous ceux qui pâtissent de ces situations, si nous voulons, demain, favoriser l’engagement de nos concitoyens au travers des mandats électifs.

M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour explication de vote.

Mme Céline Brulin. Chacun d’entre nous a des exemples précis en tête de salariés élus locaux en difficulté. Pour ma part, je me souviens de l’audition par la délégation aux collectivités territoriales d’un employé du secteur bancaire – je ne stigmatise en rien ce secteur, car le phénomène existe partout –, qui nous a expliqué par le menu ce qu’il a dû affronter pour pouvoir exercer convenablement son mandat d’élu, et tous les obstacles, pour ne pas dire pire, qu’il a dû surmonter. Cela justifie pleinement que nous réfléchissions à ce statut de salarié protégé.

Certes, les dispositions applicables au monde syndical ne sont pas directement transposables aux élus locaux, mais il n’est pas question d’une transposition point par point. Plusieurs pistes ont été explorées et traduites dans le code du travail : elles méritent d’être examinées à l’aune des besoins des élus locaux.

Une maire de mon département, sachant que nous nous livrions à cet exercice législatif, a demandé au directeur des ressources humaines (DRH) de sa ville, ce qu’il serait pertinent de faire pour améliorer l’articulation entre vie professionnelle et mandat électif. Ce DRH lui a répondu que l’une des pistes à creuser consisterait à étudier les dispositions en vigueur pour les délégués syndicaux, que ce soit en termes de décharges horaires, de mises en disponibilité, voire de rémunération – évidemment, cette rémunération ne saurait être prise en charge par l’entreprise, mais elle pourrait, par exemple, être assumée par un fonds mutualisé.

Nous ne pouvons pas balayer ces pistes d’un revers de la main. Nous avons cité l’excellent exemple de la retraite des sapeurs-pompiers. Pourquoi ne pas regarder ce qui se passe dans le monde de l’entreprise et dans le monde syndical pour améliorer la situation des élus salariés ?