M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote. (Exclamations et sifflements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne suis pas sûre que siffler une sénatrice soit tout à fait à la hauteur du débat. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Nous ne voterons pas cet amendement. J’ai indiqué dans mon intervention précédente les raisons juridiques pour lesquelles nous ne le voterions pas, mais je tiens à dire à notre collègue Bas, qui en a peut-être convaincu certains, qu’il n’est pas exact que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse serait la seule qui soit garantie par la Constitution.

Alinéa 3 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme. »

Mme Silvana Silvani. Ce n’est pas gagné !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Alinéa 11 : « Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »

Alinéa 13 : « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. »

Bref, votre argument, cher collègue, ne tient pas. Vous pouvez contester l’usage du mot « garantie », mais non prétendre qu’il ne figure pas déjà dans la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Pierre Barros et Mme Patricia Schillinger applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote. (Vives protestations sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

M. Rachid Temal. Il y avait longtemps…

M. Stéphane Ravier. J’ai au moins le mérite de réveiller la gauche : merci pour votre accueil chaleureux !

Mes chers collègues, il y a un an, vous aviez choisi la formulation « liberté » d’avorter, car elle vous semblait être un compromis par rapport à l’ouverture d’un droit proposé par Mme Panot de La France insoumise.

Cependant, depuis, le Conseil d’État a invalidé cette distinction dans son avis rendu le 7 décembre 2023 et indiqué ne pas faire de différence entre un droit et une liberté : « Au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui ne retient pas, en la matière, une acception différente des termes de droit et de liberté, le Conseil d’État considère que la consécration d’un droit à recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas une portée différente de la proclamation d’une liberté. » Monsieur Bas, mon cher collègue, je tiens cet avis à votre disposition si nécessaire.

De plus, si les femmes ont recours au drame que constitue un avortement – car c’est un drame, ne l’oubliez pas ! – sans être soutenues sur les plans économique, juridique, social et surtout psychologique, peut-on considérer qu’il s’agit systématiquement d’une liberté ? Comment doivent le prendre les personnes les plus défavorisées qui y sont poussées par manque de ressources ou par crainte de l’abandon ?

Je vous rappelle que, selon l’Ifop, 47 % des femmes avortent pour des raisons économiques. Il faut ajouter à ces femmes celles qui subissent des pressions familiales ou sociales. Il n’y a ni liberté ni liberté garantie dans ces cas-là. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) conforte, par des études de terrain, la corrélation entre précarité et contrainte d’avorter.

Cet amendement spécieux n’a pour but que de masquer votre refus de vous opposer sur le fond à l’esprit général de ce texte. Le terme « garantie » ne fait que renforcer une synonymie littérale, mais le terme « liberté » seul assure déjà une synonymie juridique.

C’est pourquoi je voterai contre cet amendement.

M. Mickaël Vallet. Allez, retournez sur CNews !

M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo, pour explication de vote.

Mme Evelyne Corbière Naminzo. Le groupe CRCE-K s’oppose à la suppression du terme « garantie », car le texte perdrait alors tout son sens. L’objet même de ce projet de loi constitutionnelle est bien de protéger les droits des femmes et d’empêcher le législateur futur de les remettre en question.

Ce texte ne crée pas de droit opposable. Pourtant, le chemin pour avoir accès à une IVG est de plus en plus difficile, notre système de santé manquant de moyens. C’est une réalité. En France, cent trente centres pratiquant des IVG ont fermé en quinze ans en raison de restructurations hospitalières.

Je pense aussi à la loi de 2000 censée garantir la gratuité de la contraception et de la contraception d’urgence pour les mineurs. Elle n’est pas effective. Or, dès qu’il y a défaillance, le droit recule. La non-application de cette loi et les manques en matière de contraception d’urgence expliquent de nombreuses grossesses non désirées et des grossesses précoces, qui peuvent conduire les femmes à devoir avorter.

Ce phénomène touche particulièrement mon département, La Réunion, où 12 % des IVG concernent des mineures, soit deux fois plus que dans l’Hexagone.

En conclusion, il faut poursuivre la lutte et renforcer notre système de santé afin de protéger les femmes, notamment, et de faciliter l’accès à l’IVG. Ce sera la prochaine étape, je l’espère.

En attendant, nous ne voterons pas cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je tiens à mon tour à vous rassurer, cher Philippe Bas, chers collègues, même si le garde des sceaux l’a fait beaucoup mieux que je ne le ferais.

Certains d’entre vous sont bien entendu favorables à la constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse, mais craignent de faire un saut dans l’inconnu et ce dernier pas consistant à voter le texte conforme aujourd’hui afin de nous permettre lundi de graver la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution.

D’autres avancent un autre argument : cette constitutionnalisation, dans la rédaction qui nous est proposée, n’aurait qu’une portée symbolique. Mais c’est déjà bien ! Notre pays a souvent été dans le passé – et j’espère qu’il le sera encore dans le futur – le premier à défendre un certain nombre de libertés, de lumières – il a même parfois été le seul. Il est un phare dans le monde pour d’autres pays. Le symbole me paraît donc important.

Toutefois, cette constitutionnalisation n’est pas uniquement symbolique. Si le texte est voté conforme, il permettra de garantir, cher Philippe Bas, qu’il ne sera plus possible d’interdire l’IVG ni de priver cette liberté de toute portée. Tel est, en fait, le sens du mot « garantie ».

Le texte du Gouvernement n’impose pas au législateur l’obligation de renforcer le droit actuel. Il ne prévoit pas non plus une modification de l’équilibre entre les trois principes que vous avez définis et dont nous avons parlé, à savoir le respect de la dignité humaine, la liberté de conscience et la liberté de recourir à l’IVG.

En résumé, tel qu’il est formulé, le texte permet seulement de nous assurer que le législateur ne pourra pas à l’avenir interdire totalement l’IVG ni restreindre cette liberté au point de lui ôter toute portée.

Enfin, chère Françoise Gatel, si le pire n’est pas certain, il est possible. Et nous devons lutter contre le pire dès maintenant, pas au moment où il adviendra.

C’est pour cela que nous ne voterons pas cet amendement et que nous souhaitons que cette assemblée vote le texte conforme à celui de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER, RDPI et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. Pour l’instant, nous avons beaucoup discuté de droit, peut-être un peu trop. Cet amendement s’inscrit dans la même veine, comme si la Constitution était uniquement un ensemble de règles juridiques. Or tel n’a jamais été le cas.

Juristes et politistes s’accordent sur le fait que c’est également dans la Constitution qu’une société se raconte. Toute constitution, dont la nôtre, retrace aussi l’histoire d’une Nation, parce qu’elle affirme une conception du monde, en énonçant notamment certains droits et certaines valeurs qui se veulent souvent universels.

En l’espèce, et cela a déjà été dit, il est évident que la conjoncture politique actuelle, même dans les démocraties occidentales, invite à mettre le droit en position de résistance face à des risques de glissement qui se manifestent partout.

Quand il parlait de la Constitution de son pays, Walter Bagehot, célèbre analyste des institutions britanniques de la fin du XIXe siècle, définissait les choses ainsi. Selon lui, une constitution, c’est l’alliage de deux éléments : d’une part, une « partie efficace », qui assure le bon fonctionnement des institutions ; d’autre part, une composante symbolique, mais qui n’en est pas moins importante et qu’il nommait la « partie qui suscite le respect ».

Voilà, mes chers collègues, ce qu’il nous est tout simplement proposé aujourd’hui de faire en constitutionnalisant la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Il ne s’agit pas d’une querelle de terme. Il s’agit juste de faire en sorte que notre constitution suscite encore plus le respect en protégeant les droits des femmes, de chaque femme, de ce pays.

C’est ce choix que je propose que nous fassions collectivement. Il faut pour cela que nous écartions cet amendement, pour les raisons que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées du groupe SER et sur des travées des groupes GEST et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je voudrais dire en quelques mots, en avançant des arguments complémentaires, les raisons pour lesquelles je voterai l’amendement présenté par Philippe Bas.

De deux choses l’une : soit, comme l’a affirmé le garde des sceaux, le terme « garantie » ne crée pas de « droit absolu, sans limites ou encore opposable ». Mais alors pourquoi y êtes-vous tant attaché ? Soit, comme l’ont démontré un certain nombre de juristes, et comme nous le pensons nous aussi, il ne s’agit pas seulement d’une bataille juridique.

Je pense en effet que ce texte n’a pas seulement une visée symbolique, mais qu’il aura une portée effective, juridique, tout simplement parce que, en droit – mes chers collègues, nous faisons du droit ! –, les mots ont un sens, surtout s’ils sont inscrits dans la Constitution – ils revêtent dès lors une puissance supérieure.

Sur le plan juridique, une garantie, c’est une obligation, celle d’assurer quelque chose à quelqu’un.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est l’accès à la liberté !

M. Bruno Retailleau. Dès lors, en cas de manquement, le garant peut évidemment être mis en cause. Tel est le problème.

Notre crainte, mes chers collègues, c’est qu’une jurisprudence créative puisse instaurer un droit opposable. Nul ne peut aujourd’hui garantir, pas même le garde des sceaux, que cela n’arrivera pas demain. En utilisant le mot « garantie », monsieur le garde des sceaux, le constituant s’en remet finalement au juge et à la jurisprudence.

C’est la raison pour laquelle nous préférerions, comme l’a proposé Philippe Bas, que le terme « garantie » ne figure pas dans le texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.

Mme Dominique Vérien. Je vais rebondir sur les propos de Bruno Retailleau. La crainte, c’est effectivement d’en arriver à un droit opposable. Mais que fait le juge constitutionnel quand il doit interpréter un point de la Constitution ? Il se penche sur nos débats pour savoir quelle était notre intention. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Pas toujours ! (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains renchérissent.)

Mme Dominique Vérien. Le garde des sceaux l’a dit : le texte n’ouvre pas un droit opposable. Si cela ne suffit pas, je le dis moi-même comme nous avons été nombreux à le faire.

Le juge constitutionnel se fondera, je le redis, sur nos débats, ce qui doit dissiper vos craintes. Nous pouvons donc rejeter cet amendement sereinement.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.

Mme Sophie Primas. Pour éviter toute polémique, j’indique d’emblée que je voterai ce texte.

M. Kerrouche a dit que la constitutionnalisation permettra de protéger le droit des femmes de recourir à l’IVG. Non, monsieur Kerrouche, c’est nous qui protégeons les droits des femmes en votant des budgets leur permettant d’avoir accès à des centres pratiquant l’IVG et à des informations sur la contraception.

On ne peut pas se payer de mots, monsieur le garde des sceaux : faire une belle réforme constitutionnelle, communiquer sur la réunion du Congrès à Versailles lundi – nous serons heureux de vous accueillir dans notre département –, probablement promulguer la loi le 8 mars à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes et puis en même temps – en même temps ! – procéder par décret à des réductions budgétaires ayant pour effet de restreindre l’accès des femmes à certains droits.

On ne peut pas faire cela ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K. – Mme Laure Darcos applaudit également.)

Monsieur le garde des sceaux, je ne suis pas une juriste comme vous, je n’ai pas de qualités juridiques comme M. Bas ou d’autres dans cet hémicycle. Je voterai cet amendement, mais également le texte, que l’amendement soit adopté ou non.

Ne nous payons pas de mots, ne faisons pas de communication, regardons la réalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour explication de vote.

Mme Mélanie Vogel. L’amendement sur lequel nous allons nous prononcer dans quelques instants a pour objet, au fond, de rétablir quasiment à l’identique la version du texte qui avait été votée par le Sénat le 1er février l’année dernière.

S’il était adopté, cela reviendrait en fait à considérer que, dans le cadre de ce débat bicaméral, l’Assemblée nationale devrait abandonner 100 % de ce qu’elle a voté, quand le Sénat devrait, lui, tout conserver.

Je m’adresse aux deux premiers signataires de cet amendement, qui l’ont présenté.

Monsieur Bas, je ne vous ferai pas un procès en insincérité. Je suis persuadée que, bien que ni le Conseil d’État, ni l’Assemblée nationale, ni le garde des sceaux, ni la plupart des juristes que vous avez consultés ne soient d’accord avec vous, vous êtes toujours convaincu de ce que vous dites.

Monsieur Retailleau, cet amendement vise à rétablir la rédaction issue de l’amendement de Philippe Bas du 1er février de l’année dernière. À son sujet, vous disiez alors : « Si le garde des sceaux a des doutes, j’ai une certitude : cela a été dit à plusieurs reprises, l’amendement de Philippe Bas est superfétatoire. »

Vous ajoutiez : « En politique, la constance et la cohérence sont vertus. » Avouez, cher collègue, que les vôtres aujourd’hui sont un peu mal en point.

La réalité, c’est que celles et ceux qui, dans cet hémicycle, souhaitent voter pour l’introduction du droit à l’IVG dans la Constitution savent qu’il faut pour cela un vote conforme et qu’ils doivent donc ne pas voter les amendements. Mais celles et ceux qui sont contre l’introduction du droit à l’IVG dans la Constitution, pourquoi iraient-ils voter un texte qu’ils ont combattu et rejeté il y a un an ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. J’ai écouté attentivement Sophie Primas et je pense, comme elle, qu’il arrive qu’on inscrive dans la Constitution des règles ne correspondant pas forcément à ce qu’on observe dans l’action publique réelle – l’exemple de l’accès aux soins est, à cet égard, parlant.

J’ai aussi écouté Bruno Retailleau, qui souligne – c’est en tout cas ce que j’en comprends – qu’une garantie doit s’assortir de moyens et que le juge constitutionnel pourrait considérer que le Gouvernement, les pouvoirs publics en général, doit prévoir ces moyens. Pour ma part, j’estime donc que le terme « garantie » est absolument nécessaire ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour explication de vote.

Mme Muriel Jourda. Je suis désolée de devoir ajouter cette explication de texte, mais nous ne nous comprenons pas d’un bord de l’hémicycle à l’autre. L’accord que nous avons eu avec Mélanie Vogel aura été de courte durée, comme je le prévoyais.

Il n’y a aucune inconstance à ne pas avoir voulu voter l’amendement de Philippe Bas l’année dernière et à le voter aujourd’hui. En effet, si ce texte doit être adopté, nous souhaitons qu’il le soit dans sa rédaction la plus sécurisante.

Or le terme « garantie », comme cela a été expliqué à maintes reprises, n’offre aucune sécurité juridique et nous n’avons aucune certitude sur la façon dont il pourrait être interprété par le Conseil constitutionnel.

Nous souhaitons que ce texte soit adopté dans sa version la moins préjudiciable. Quant à la constance, nous la montrerons, sans doute, dans le vote final.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 2 rectifié.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains et, l’autre, du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 134 :

Nombre de votants 342
Nombre de suffrages exprimés 318
Pour l’adoption 104
Contre 214

Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. Cédric Chevalier et Mme Elsa Schalck applaudissent également.)

L’amendement n° 1 rectifié sexies, présenté par MM. Milon, Retailleau et Mouiller, Mmes Imbert, Deseyne et Gruny, M. Somon, Mmes Lassarade, Puissat et M. Mercier, M. Khalifé, Mmes Noël, Eustache-Brinio et Micouleau, MM. Houpert, de Nicolaÿ et Chaize, Mme Garnier, M. Chatillon, Mmes Petrus, Malet et Pluchet, MM. Gueret et de Legge, Mmes Dumont et Berthet, MM. Panunzi et Duplomb, Mme Aeschlimann, M. Favreau, Mme F. Gerbaud, M. Sol, Mme Belrhiti, MM. Karoutchi et Rapin, Mme Gosselin et MM. Klinger, Szpiner et Tabarot, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Compléter cet alinéa par les mots :

et aux professionnels de santé de ne pas être tenus de la pratiquer ou d’y concourir

La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le garde des sceaux, comme certains collègues, vous avez parlé d’une attente populaire et dit que les Françaises et les Français nous regardaient. Si cette attente populaire avait été respectée, y aurait-il eu le 18 juin 1940 ? Y aurait-il eu, en 1974, un vote sur l’IVG ? Y aurait-il eu, en 1982 ou 1983, un vote sur l’abolition de la peine de mort ?

M. Rachid Temal. En 1981 !

M. Alain Milon. Et, il y a quelques années, y aurait-il eu le vote sur le mariage pour tous ?

Vous nous avez indiqué que le Conseil constitutionnel reconnaissait la liberté de conscience. Mme Veil savait fort bien que la liberté de conscience était reconnue et c’est la clause de conscience qu’elle a prévue dans sa loi pour que les professionnels de santé puissent refuser de pratiquer une IVG.

Vous avez dit que la Constitution devait protéger la loi Veil. Je vous propose de reprendre le texte de cette loi plus largement et d’insérer également dans la Constitution la protection des professionnels qui refusent de pratiquer une IVG dans le cadre de la clause de conscience.

Monsieur le garde des sceaux, si certains estiment que le droit à l’IVG pouvait un jour être contesté, n’oublions pas que d’autres pourraient également contester la clause de conscience des professionnels de santé ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement a pour objet d’assurer le parallélisme des formes.

Puisque nous inscrivons dans la Constitution, noir sur blanc, la liberté de recourir à l’IVG, qui aujourd’hui n’est protégée par le Conseil constitutionnel qu’en tant que dérivé de la liberté de la femme inscrite à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens, il vise à ce qu’il en aille de même de la clause de conscience des médecins, qui découle, elle, de la liberté de conscience mentionnée à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens.

Il s’agit donc de constitutionnaliser ce qui fait l’équilibre de la loi Veil : la clause de conscience des médecins.

Cependant, la commission des lois a émis un avis défavorable sur cet amendement, pourtant inspiré par la recherche de conciliation et de compromis.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Mme la rapporteure vient d’évoquer le parallélisme des formes, mais l’IVG n’est pas garantie constitutionnellement. Dans la décision dont nous avons déjà parlé, le Conseil constitutionnel n’a opéré que par rattachement. (M. Alain Milon sexclame.) Vous protestez, monsieur Milon, mais laissez-moi aller jusqu’au bout et je vais vous démontrer que vous n’avez pas raison, pour ne pas dire que vous avez tort.

Dans sa décision très claire du 27 juin 2001, le Conseil constitutionnel, se fondant sur l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et sur le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, affirme que la liberté de conscience est un « principe fondamental reconnu par les lois de la République », ce qu’on appelle parfois un PFRLR. Tous les juristes savent qu’un PFRLR a valeur constitutionnelle.

Je comprends que vous vous préoccupiez de la liberté de conscience des médecins et des sages-femmes. Mais nul ne songe à leur imposer d’aller là où leur conscience leur interdit d’aller. Nous respectons tous la liberté de conscience, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Vous ne pouvez pas déposer cet amendement en excipant d’un parallélisme des formes, puisque ce principe a une valeur constitutionnelle, alors que l’avortement ne l’a pas encore. Cet amendement, déjà satisfait par la décision que je viens de mentionner, est donc superfétatoire.

La Constitution comporte-t-elle un article évoquant les droits de la défense ? Nullement. Pourtant, ils font l’objet d’un principe ayant valeur constitutionnelle – et heureusement !

Je vous l’assure : le Conseil constitutionnel a dit à tous les médecins et à toutes les sages-femmes de France que leur liberté est déjà inscrite dans la Constitution.

Cet amendement est donc superfétatoire, pour ne pas dire inutile, et je vous demande de le retirer. Sinon, le Gouvernement émettra un avis défavorable sur son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

M. Philippe Bas. Monsieur le garde des sceaux, j’aurais scrupule à vous contredire et je ne dirai pas que votre raisonnement est spécieux, mais j’ai bien écouté Alain Milon : il n’a pas parlé de la liberté de conscience, mais de la clause de conscience.

Votre conscience est libre, même lorsque vous exécutez un acte qui n’est pas conforme à vos convictions, par exemple parce que vous êtes lié par un contrat de travail ou que vous êtes fonctionnaire.

La clause de conscience est de nature différente : elle est une sorte de droit de retrait, elle permet de ne pas accomplir un acte que votre conscience réprouve. Ce n’est pas du tout la même chose !

J’ajoute, monsieur le garde des sceaux, que vous auriez pu faire le même raisonnement pour dire qu’il ne faut pas inscrire la liberté de la femme dans la Constitution, puisque celle-ci a déjà valeur constitutionnelle, comme la liberté de conscience ! (Protestations sur des travées du groupe SER. – Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.

M. Stéphane Ravier. Je soutiens totalement cet amendement (Exclamations ironiques sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.) tendant à inscrire dans la Constitution l’objection de conscience des personnels de santé, notamment des médecins. Il prend en compte l’une des premières conséquences néfastes de ce projet de révision constitutionnelle et vise à la limiter.

Déjà, en septembre 2018, les sénateurs macronistes, socialistes, communistes et écologistes – la fameuse brochette… – avaient cosigné une proposition de loi de Mme Rossignol – évidemment ! – visant à supprimer la clause de conscience en matière d’IVG. (Protestations sur les mêmes travées.)

Ceux qui prétendent défendre les libertés, voire incarner la liberté, sont ceux qui, en réalité, sont ses pires ennemis. Car, en supprimant l’article L. 2212-8 du code de la santé publique, ils voulaient forcer médecins, gynécologues obstétriciens, sages-femmes, infirmiers et auxiliaires médicaux à ce choix cornélien : violer leurs convictions personnelles, constitutionnellement garanties, ou prendre la porte de leur établissement et de leur profession.

Voilà la volonté liberticide clairement exprimée de la gauche. Dans leur marche forcée vers la prétendue émancipation, ils nous passent le carcan ! La menace illibérale est donc bien de ce côté-là de l’hémicycle ! (Huées sur les mêmes travées.)

Chers collègues socialistes, vous qui scrutez attentivement les discriminations en ce beau monde, n’êtes-vous pas capables de voir celles que vous causez par votre idéologie ? Vous devriez vous rebaptiser parti sociétaliste, car vous n’avez rien de social – au contraire, vous piétinez le social ! (Brouhaha croissant sur les mêmes travées.)

Dans le cadre du dépôt de cette proposition de loi de 2018, le Comité consultatif national d’éthique, l’Ordre national des médecins et le Syndicat national des gynécologues obstétriciens de France se sont opposés à la suppression de la double clause de conscience des professionnels de santé.

Le projet de loi constitutionnelle menace donc, en l’état, notre système médical, déjà si fragile. Il suffira d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) après son adoption pour remettre en cause toutes les limites en termes de délai et de liberté de conscience. (Marques dimpatience et protestations sur les mêmes travées.)