M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Je voudrais d’abord saluer l’auteure de cette proposition de loi et le travail de notre rapporteur.

Je voudrais surtout démythifier ce débat. Je peux évidemment comprendre que l’auteur d’une proposition de loi accepte difficilement que son texte ne soit pas adopté, mais ce n’est pas parce qu’on a une approche différente qu’on n’est pas sensible à la question soulevée, en l’espèce la préservation des sols.

Nous avons tout simplement une approche différente en ce qui concerne les délais et l’articulation avec le droit européen. Gardons en tête que nous regrettons souvent les surtranspositions comme les transpositions anticipées.

Nous devons aussi savoir faire amende honorable et être attentifs aux conséquences des mesures que nous adoptons. L’exemple du ZAN est là pour nous le rappeler : bien sûr, on peut simplement se satisfaire d’avoir voté une disposition magnifique, exceptionnelle, mais chacun voit bien sur le terrain les grandes difficultés de sa mise en œuvre. Autre exemple, les zones à faibles émissions (ZFE) : je ne suis pas concerné dans mon département, mais je vois bien que de nombreux maires, de différentes sensibilités politiques, demandent un délai pour les mettre en place.

Nous devons absolument prendre en compte la lourdeur des réglementations, ainsi que les difficultés et complexités de leur mise en place sur le terrain. Les gens nous en veulent de toutes ces contraintes ! Nous devons y réfléchir en amont plutôt que de faire le constat, une fois la décision adoptée, qu’elle pose d’importants problèmes.

Quand je suis arrivé au Sénat, voilà dix ans, j’avais la conviction qu’il fallait résoudre les problèmes administratifs ; malheureusement, nous sommes encore loin du compte…

Il n’y a pas, d’un côté, les mauvais, ceux qui refusent tout, et de l’autre, les bons, même si j’accepte bien évidemment de porter la casquette du méchant !

Pour conclure, je voudrais prendre exemple sur quelqu’un pour qui je n’ai jamais voté : François Mitterrand. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol. C’est un tort !

M. Jean-François Longeot, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Laissez-moi finir, ma chère collègue.

François Mitterrand avait l’habitude de dire : laissons le temps au temps. Eh bien, appliquons cette maxime ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Hervé Berville, secrétaire dÉtat. Je voudrais tout d’abord remercier sincèrement Mme Bonnefoy pour la qualité de cette proposition de loi et le président et le rapporteur de la commission pour l’ensemble du travail qui a été fourni. Ce sujet est important et nous avons pu en débattre de façon sereine, ce dont je me réjouis.

C’est l’honneur du Sénat et de notre démocratie de débattre ainsi de la question de la préservation des sols et de le faire à un moment aussi important, alors que chacun voit bien la nécessité d’accélérer la transition écologique et se rend compte que tout est lié : le climat, la biodiversité, les océans, les mers, les sols, etc. La notion de One Health, comme on dit en bon breton, est en effet majeure, madame la sénatrice, pour nos politiques publiques.

En faisant des sols un enjeu à la fois de production agricole, de biodiversité, de contrôle de certaines maladies, de lutte contre l’érosion et de régulation du climat, le Sénat est à l’avant-garde du débat, y compris du débat européen.

Ensuite, je veux vous dire de manière très ferme que nous ne sommes pas dans la procrastination. C’est justement parce qu’il est urgent d’agir que nous ne souhaitons pas nous lancer dans l’élaboration d’une nouvelle stratégie.

Nous avons déjà tous les outils et financements qui sont nécessaires pour déployer les stratégies existantes : la stratégie nationale biodiversité sur laquelle nous pouvons notamment nous appuyer pour la renaturation et la préservation des sols ; les 2,5 milliards d’euros du fonds vert pour financer des actions au cœur de nos territoires.

Surtout, nous avons une ambition européenne. La proposition de directive en cours d’examen nous permet, je le crois, de viser une haute ambition. Si nous réussissons à créer une harmonisation européenne, nous éviterons de créer de la désespérance chez nos concitoyens.

Un agriculteur des Côtes-d’Armor – un magnifique département ! – peut, s’il voit que l’on crée, tous les trois ans, une nouvelle machinerie administrative sur un sujet qui le concerne directement au quotidien, éprouver un sentiment de désespérance ou de lassitude à l’égard des pouvoirs publics.

Nous devons continuer à défendre, au niveau européen, la question de la préservation des sols.

Madame la sénatrice, le débat que nous venons d’avoir dans cet hémicycle donnera de la force au Gouvernement dans la discussion du projet de directive européenne. Je vous propose, lorsque viendra le temps de sa transposition, que nous travaillions ensemble pour que les priorités qui étaient les vôtres, ainsi que les priorités des groupes Les Républicains, Union Centriste et Les Indépendants – République et Territoires soient placées au cœur du dispositif, afin d’assurer notre souveraineté alimentaire, de préserver la biodiversité et de lutter contre le défi du siècle, qui est celui du réchauffement climatique et de notre indépendance.

Article 3 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à préserver des sols vivants
 

4

Mise au point au sujet d’un vote

Mme la présidente. La parole est à M. Saïd Omar Oili.

M. Saïd Omar Oili. Lors du scrutin n° 124 sur l’article 1er de la proposition de loi visant à préserver des sols vivants, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) souhaitait s’abstenir.

Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique du scrutin.

5

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Discussion générale (suite)

Santé et bien-être des femmes au travail

Rejet d’une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail
Article additionnel avant l'article 1er - Amendements n° 6 rectifié bis et n° 14 rectifié bis

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 537 rectifié bis [2022 2023], résultat des travaux n° 315, rapport n° 314).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Madame la présidente, mes chers collègues, le Parlement et le Gouvernement ont la responsabilité collective de répondre aux attentes des femmes, qui continuent au XXIe siècle de se battre pour l’égalité des chances, notamment dans leur milieu professionnel.

Depuis toujours, elles ont été forcées d’invisibiliser le fait qu’elles ont leurs règles, alors même que celles-ci sont douloureuses pour une femme sur deux et souvent incapacitantes, jusqu’à les empêcher de travailler de façon optimale, voire créer de véritables obstacles dans leur carrière.

Par cette proposition de loi, nous tentons d’apporter une réponse concrète à la fois aux employées et aux employeurs, en proposant l’instauration d’un arrêt de travail menstruel. Deux principes nous animent : améliorer la santé des femmes et, par voie de conséquence, leur bien-être au travail.

Ce texte nous offre l’opportunité de faire un pas supplémentaire pour les droits des femmes et l’égalité des chances au travail. Il s’inscrit dans la suite de la loi adoptée le 7 juillet 2023, qui visait à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes après une interruption de grossesse.

Le Sénat démontrera une nouvelle fois, s’il adopte ce texte – le cas échéant dans une rédaction améliorée grâce aux débats que nous allons avoir –, qu’il est attentif tant aux souhaits de nos concitoyennes qu’aux besoins des collectivités et des entreprises.

En effet, c’est bien à l’échelle locale qu’est née cette initiative, fondée sur les besoins exprimés sur le terrain et mise en place par les élus locaux.

La mairie de Saint-Ouen-sur-Seine a été précurseur, suivie par près d’une trentaine de villes et par le conseil départemental de Seine-Saint-Denis ou la région Nouvelle-Aquitaine. Je tiens à saluer l’engagement de Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen-sur-Seine, et de notre collègue Adel Ziane, qui ont œuvré avec leurs équipes à la mise en place de ce dispositif prometteur.

Mes chers collègues, allons-nous rester sourds à cette demande, qui émane de nos communes et de nos départements, alors que nous représentons les territoires ? N’est-il pas de notre devoir d’être en phase avec l’évolution de la société en votant des lois qui instaurent et encadrent au mieux les dispositions dont nous avons besoin ?

Des entreprises ont pris la même initiative.

Or il n’existe actuellement aucun cadre légal, dans notre pays, qui permette aux femmes de s’arrêter de travailler sans perte de salaire lorsqu’elles souffrent de dysménorrhée. Différents acteurs réclament une loi, afin de pérenniser ce dispositif ou d’avoir simplement le droit d’en mettre un en place.

Différents groupes politiques à l’Assemblée nationale ont préparé des textes pour répondre aux demandes relayées depuis les circonscriptions. Allons-nous attendre de recevoir le texte qu’auront adopté les députés pour l’examiner ou sommes-nous prêts à nous mettre d’accord maintenant sur un texte qui réponde au mieux à ce que nous souhaitons ?

Monsieur le ministre, la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose, mise en place par le gouvernement d’Élisabeth Borne en février 2022, et qu’il convient de saluer, suscite l’espoir, pour des millions de filles et de femmes, d’une meilleure qualité de vie.

Toutefois, l’endométriose, dont souffre une femme sur dix, ne doit pas occulter toutes les autres formes de pathologies et de douleurs menstruelles, regroupées sous le nom de « dysménorrhées », qui touchent près d’une femme sur deux entre 15 et 49 ans, soit plus de 7 millions de nos concitoyennes.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à poursuivre l’action de l’ancienne Première ministre, qui appelait également à « encourager et faciliter l’engagement des entreprises » ayant mis en place l’arrêt menstruel, tout en allant plus loin ?

La dysménorrhée, comme le déclarait le Président de la République à propos de l’endométriose, « ce n’est pas un problème de femmes, c’est un problème de société ».

C’est pourquoi nous croyons à la portée transpartisane de notre proposition de loi, qui répond à cet enjeu de santé publique. Nous espérons que le Gouvernement et une majorité de parlementaires y apporteront leur soutien.

La France n’est pas novatrice en la matière, puisque voilà tout juste un an, le 16 février 2023, l’Espagne adoptait une loi instaurant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses – c’était une première en Europe, alors que d’autres initiatives avaient été mises en place dans d’autres pays. Ce jour-là, l’Espagne a répondu à l’appel de millions de femmes et a montré l’exemple en ouvrant la voie, sur notre continent, à un débat sur le sens que nous souhaitons donner à une communauté européenne sociale, solidaire, inclusive et résolument féministe.

Aujourd’hui, mes chers collègues, il nous revient à notre tour de nous poser cette question : quel message voulons-nous adresser à nos concitoyennes ? J’aime à penser que la France demeure ce pays qui sait se rassembler autour de sa devise Liberté, Égalité, Fraternité et que nous ferions honneur, en adoptant ce texte, aux valeurs humanistes et progressistes qui font l’histoire de notre pays.

L’ambition de cette proposition de loi, que j’ai l’honneur de vous présenter, est d’abord d’améliorer la santé des femmes : pour obtenir un arrêt mensuel valable un an, elles devront consulter, souvent pour la première fois, un médecin ou une sage-femme. Elles décriront leurs symptômes et obtiendront un accompagnement médical qui leur permettra de mieux gérer les douleurs et, peut-être, de diagnostiquer une pathologie. Il faut espérer qu’un an plus tard, elles n’auront pas besoin de renouveler l’arrêt menstruel. Ce texte contribuera ainsi indirectement, mais certainement à l’amélioration du suivi médical.

Aujourd’hui, les femmes atteintes d’endométriose qui bénéficient de la reconnaissance de leur pathologie comme affection de longue durée (ALD) sont minoritaires, car de nombreuses femmes souffrant de menstruations incapacitantes n’ont pas reçu de diagnostic et attendent en moyenne sept ans pour en obtenir un. Leur unique solution est de bénéficier d’un arrêt maladie sans prise en charge spécifique.

Elles sont alors confrontées à une double contrainte : la récurrence des visites chez le médecin et une perte financière induite par le délai de carence. Cette réalité dissuade bon nombre d’entre elles de consulter et de s’arrêter de travailler, malgré les douleurs, parfois insoutenables, qui ont un impact négatif sur la qualité de leur travail. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le délai de carence.

Cette proposition de loi vise aussi à reconnaître l’existence de ces douleurs et à accompagner au quotidien les femmes qui en souffrent, en leur permettant d’adapter leur poste de travail quand cela est possible ou d’obtenir, en recours ultime, un arrêt de travail quand les douleurs sont trop sévères. Elles pourront désormais planifier et adapter leur travail en équipe, en lien avec leurs employeurs.

D’ailleurs, toutes les entreprises qui ont déjà instauré le dispositif témoignent, après plusieurs mois ou années de pratique, que celui-ci ne pose pas de problème d’organisation. Comment pourrait-il en être autrement, alors que les RTT et le développement du télétravail ont conduit les employeurs à gérer avec intelligence et souplesse le temps de travail de leurs collaborateurs ?

Nous devons également comprendre que les jeunes générations et les talents de demain sont à la recherche de structures qui évoluent avec leur temps, que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur privé.

Les entreprises, avec lesquelles nous avons longuement échangé pour construire ce texte et mieux comprendre leurs attentes, sont unanimes. L’arrêt menstruel, au même titre que tout autre dispositif améliorant le bien-être au travail, renforce la productivité des salariés et a un effet catalyseur sur le recrutement et donc sur l’attractivité de ces entreprises, ce qui pourrait, si un tel dispositif venait à être généralisé à l’échelle du pays, profiter à terme à l’ensemble de l’économie.

J’entends que certains de mes collègues craignent les abus qui pourraient naître de l’instauration d’un tel droit. Il n’y a pourtant rien à craindre : seulement 10 % des femmes au sein des entreprises sondées ont sollicité un accompagnement.

À Saint-Ouen-sur-Seine, sur les 891 agentes de la ville, 212 sont concernées par les dysménorrhées : 28 seulement se sont signalées à la médecine du travail et bénéficient d’un protocole spécifique, tandis que 6 ont bénéficié d’une adaptation de leur poste de travail, 6 d’une réduction du temps de travail et 16 ont eu recours à un arrêt de travail.

Les abus n’existent pas ; il est temps de faire confiance à la responsabilité des femmes de notre pays.

Certains pourraient aussi rétorquer que l’adoption de ce texte risquerait de créer une discrimination, notamment à l’embauche. Mais ni plus ni moins, vous dirais-je, que le congé maternité.

Ce qui serait stigmatisant, ce serait de laisser penser que les employeurs refusent aujourd’hui de recruter une femme parce qu’elle pourrait avoir des enfants, souffrir de règles douloureuses ou d’autres contraintes de santé liées, par exemple, à la ménopause.

Toutefois, ce qui est véritablement stigmatisant, et nous le savons, nous les femmes, c’est d’être pénalisées en raison de ce que nous ne contrôlons pas ou d’être suspectées de vouloir profiter d’un nouveau droit.

Mes chers collègues, ne nous privons pas de mettre en place un système juste et nécessaire au prétexte qu’il engendrerait un risque de discrimination qui n’existe pas dans la réalité.

Nous devons soutenir et encadrer un mouvement enclenché avec courage, dans les secteurs public et privé, pour répondre à une attente forte, légitime et exprimée de longue date par 66 % des femmes. Les femmes doivent pouvoir travailler, comme leurs collègues masculins, dans des conditions optimales.

Lever les tabous, rendre audible et visible la détresse de millions de femmes, améliorer notre compréhension des cycles menstruels et leur incidence dans le monde du travail, tel est l’esprit de notre proposition de loi.

Nous connaissons tous cette affirmation de l’auteure du Deuxième Sexe selon laquelle « on ne naît pas femme, on le devient ». Avec modestie, j’ai la certitude qu’en votant ce texte nous aiderons nos concitoyennes à être un peu plus elles-mêmes, dans le regard que les autres portent sur elles et, plus encore, dans le leur. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mmes Maryse Carrère et Annick Billon applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Rossignol, rapporteure de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, 10 %, telle est la perte de salaire mensuel qu’encourt une salariée en cas d’arrêt maladie, à cause de l’application du délai de carence.

Dans ces conditions, quand on connaît ce chiffre, on ne peut ignorer ni le phénomène de non-recours à l’arrêt de travail de la part d’assurées, qui pourtant en auraient besoin, ni les répercussions préjudiciables de cette situation sur la santé des femmes. On ne peut non plus fermer les yeux sur les risques accrus d’accidents du travail qui découleraient directement de ce non-recours.

Face à ce constat, la proposition de loi de notre collègue Hélène Conway-Mouret vise à mettre en place les conditions d’une meilleure prise en compte de la santé des femmes au travail, via la création d’un arrêt maladie plus adapté à la situation des femmes souffrant de dysménorrhées, c’est-à-dire, en langage courant, de règles douloureuses.

Ce texte résulte d’une conviction profonde. Quand le système d’indemnisation de l’assurance maladie ne répond pas à la situation particulière d’un salarié, c’est parfois une injustice, souvent une tragédie individuelle, mais ce n’est pas forcément une carence législative. En revanche, quand il exclut de fait, par une indemnisation inadaptée, 15 % des femmes salariées qui souffrent de douleurs menstruelles incapacitantes, il me semble que le législateur ne peut se contenter de compatir et qu’il doit agir. C’est ce que nous faisons ce matin.

Cette proposition de loi est à mettre en parallèle avec différentes initiatives, en France comme à l’étranger, pour répondre à cette attente, à ce besoin trop longtemps passé sous silence en raison de l’invisibilité des douleurs menstruelles.

Au Sénat, la question a été abordée lorsque la délégation aux droits des femmes a travaillé sur le rapport d’information Santé des femmes au travail : des maux invisibles. Je tiens d’ailleurs à saluer la présidente de la délégation aux droits des femmes de l’époque, ainsi que mes corapportrices. Nous n’étions pas parvenues à une position consensuelle sur la création de ce congé menstruel, mais nous étions toutes d’accord sur le constat suivant : les pathologies menstruelles représentent un sujet d’égalité professionnelle et sociale qui est insuffisamment pris en compte dans le monde du travail.

Cette prise de conscience a eu lieu aussi à l’Assemblée nationale, où plusieurs propositions de loi, émanant de plusieurs groupes, ont été déposées. J’espère, monsieur le ministre, que le Gouvernement partage également ces préoccupations légitimes, défendues de longue date par l’action remarquable de nombreuses associations féministes, et que nous œuvrerons ensemble à une adaptation du droit.

Sur le plan international, six pays ont déjà décidé d’agir et d’adopter des dispositifs spécifiques. Dans quatre d’entre eux, dont le Japon et la Corée du Sud, il s’agit à proprement parler d’un congé menstruel, le cas échéant rémunéré par l’employeur. Dans les deux autres, Taïwan et l’Espagne, il s’agit plutôt d’un arrêt de travail menstruel, médicalement constaté et pris en charge par la solidarité nationale.

C’est d’ailleurs cette voie de l’arrêt maladie que la proposition de loi a retenue. J’éviterai donc de parler de « congé menstruel », termes qui peuvent prêter à confusion. Croyez-moi, pour les femmes qui en ont besoin, il ne s’agit nullement d’une période de vacances, de loisirs ou d’inactivité.

Je précise – c’est important pour lever un certain nombre de préventions – que cet arrêt maladie concernerait évidemment non pas l’ensemble des femmes, mais seulement celles qui souffrent de dysménorrhées incapacitantes, c’est-à-dire de douleurs menstruelles suffisamment aiguës pour perturber leurs activités quotidiennes ou scolaires, au point d’entraîner des absences.

De telles douleurs concerneraient, selon un sondage de l’Ifop de mai 2021, 16 % des femmes en âge de procréer. Pour plus de la moitié d’entre elles, ces douleurs découlent d’une pathologie menstruelle telle que l’endométriose, les fibromes utérins, le syndrome des ovaires polykystiques ou encore le syndrome prémenstruel.

Je vous épargne l’inventaire des symptômes associés, qui ne s’arrêtent d’ailleurs pas systématiquement aux douleurs éprouvées, parfois assez violentes pour clouer au lit les femmes, souvent avec des céphalées sévères. Je ne reviens pas non plus sur les errances thérapeutiques associées. Je vous assure, en revanche, que, quitte à choisir, aucune femme ne souhaiterait avoir besoin de cet arrêt et que toutes préféreraient aller travailler et ne pas souffrir.

En France, si l’idée d’une meilleure prise en compte de la santé menstruelle au travail commence enfin à progresser chez les employeurs, rares sont ceux qui proposent un véritable dispositif pour accompagner les salariées concernées.

Comme en tant d’autres domaines, les collectivités territoriales – Hélène Conway-Mouret l’a souligné – ont joué un rôle précurseur : la commune de Saint-Ouen-sur-Seine, dont je salue le maire, a par exemple instauré une autorisation spéciale d’absence de deux jours par mois sur présentation d’un justificatif médical, avant que la commune de Bagnolet et les métropoles de Lyon et Strasbourg ne l’imitent.

Cependant, en l’absence de dispositions spécifiques dans le droit français, ces collectivités ont des craintes pour la sécurité juridique de leur dispositif. C’est pourquoi, la semaine dernière, un collectif de maires, rassemblant des élus de droite comme de gauche, a appelé le législateur à adopter un cadre juridique adapté.

Les entreprises ne sont pas en reste. On a beaucoup parlé de l’exemple très médiatique de Carrefour, mais celui-ci ne concerne – il faut bien le reconnaître – que les salariées ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : or les femmes qui ont des règles douloureuses ne se considèrent pas pour autant comme des handicapées.

Des entreprises de plus petite taille, comme la coopérative La Collective, sont également pionnières en la matière.

Si ces initiatives louables restent rares, il faut dire qu’il revient habituellement à la sécurité sociale de couvrir les risques d’absence au travail pour raisons de santé : ces employeurs particulièrement soucieux de la santé menstruelle de leur personnel ne sont donc amenés à agir que du fait de la carence de notre système de protection sociale.

Il n’en demeure pas moins que nous avons besoin de légiférer. La proposition de loi qui vous est soumise a pour principal objet de créer un nouveau régime d’arrêt maladie, à la charge de la sécurité sociale, pour les femmes souffrant de dysménorrhées.

L’article 1er constitue le cœur du dispositif. Il prévoit que le médecin ou la sage-femme puissent prescrire un arrêt de travail cadre d’une durée d’un an aux femmes souffrant de dysménorrhées. Cette prescription ouvrirait droit à l’assurée de bénéficier de deux jours au plus d’arrêt de travail par mois, chaque fois que la douleur le rend nécessaire, sans avoir à consulter de nouveau un professionnel médical.

Une telle mesure allégerait les démarches médicales de l’assurée et libérerait du temps médical, ce dont nous avons bien besoin dans le contexte actuel.

Certes, cette mesure s’écarte du droit commun, mais elle semble nécessaire, étant donné l’état de tensions sur l’offre de soins, d’une part, et la spécificité des dysménorrhées, d’autre part.

L’article 2 prévoit qu’aucun délai de carence ne s’applique aux arrêts de travail prescrits en cas de dysménorrhée, tant pour les salariées du secteur privé que pour les agentes des collectivités publiques : il s’agit de permettre une indemnisation dès le premier jour d’arrêt.

L’application du délai de carence a un effet dissuasif pour les femmes qui souhaiteraient s’arrêter : une perte de 10 % du salaire, c’est important ! La seule solution pour les femmes est aujourd’hui de suivre un parcours du combattant pour faire reconnaître comme affection de longue durée leur endométriose : environ 10 000 femmes sur les 2,5 millions qui souffrent de cette pathologie y sont parvenues.

L’arrêt de travail doit cesser d’être un luxe et retrouver son but originel : permettre à celles qui ne peuvent pas travailler momentanément de ne pas le faire !

Cette mesure n’aurait d’ailleurs rien d’incongru : nous avons, mes chers collègues, déjà adopté, en 2023, la suppression du délai de carence pour les arrêts de travail consécutifs à une interruption spontanée de grossesse ou à une interruption médicale de grossesse, pour les mêmes raisons. Le délai de carence ne s’applique pas davantage pour les affections de longue durée à compter du deuxième arrêt de travail.

L’article 3 prévoit que les arrêts de travail dans le cadre du congé menstruel soient pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Je vous proposerai de le supprimer. Il n’y a pas de raison que la prise en charge par la sécurité sociale soit plus favorable que les arrêts de travail de droit commun. La suppression du jour de carence semble suffisante à cet égard.

Enfin, l’article 4 dispose que l’accord collectif applicable, ou à défaut la charte de l’employeur, précise les modalités d’accès des salariées souffrant de dysménorrhée à une organisation en télétravail. Ce dispositif s’inscrit dans la ligne de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 novembre 2020 relatif à la mise en œuvre réussie du télétravail. Nous aurons à examiner un amendement sur l’adaptation du poste de travail.

Cette proposition de loi est prometteuse et, par certains aspects, je le reconnais, novatrice. Elle nécessite donc que nous ayons un débat fécond pour préciser quelques éléments.

J’avais indiqué clairement en commission que j’étais prête, avec l’accord de l’autrice de la proposition de loi, à faire évoluer le contenu du texte via des amendements. Je crois que je suis restée fidèle à cet esprit d’ouverture : je n’ai émis, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, des avis défavorables que sur trois des treize amendements déposés.

Si les divergences d’appréciation concernant le périmètre de cet arrêt maladie, ses modalités et sa prise en charge sont, me semble-t-il, inévitables, inscrire le principe d’un arrêt menstruel dans la loi constituerait un grand progrès pour les femmes concernées. Une telle évolution permettrait que cette phrase que les femmes se disent de génération en génération : « Prends tes cachets et serre les dents », soit enfin renvoyée à l’histoire. L’adoption ce texte ferait honneur au travail sénatorial.

Certains de nos collègues jugeaient préférable, lors de l’examen en commission, de renvoyer cette question à la négociation collective. Certes, mais ce n’est pas possible ! Les deux sujets traités dans cette proposition de loi sont du ressort exclusif de la loi.

La proposition de loi n’a pas été adoptée en commission, mais grâce aux amendements que nous allons examiner ce matin, grâce à la volonté d’ouverture de l’autrice, de moi-même et des auteurs des amendements, je suis très optimiste et ai bon espoir que nous adopterons un texte à l’issue du débat, ce qui ouvrira la navette parlementaire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)