M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 72.

M. Fabien Gay. Ce projet de loi présente une difficulté majeure. Il passe à côté de l’essentiel : la question des moyens humains et financiers.

Nous sommes d’accord pour dire que la future autorité, si nous votons sa création, connaîtra un surcroît de travail par rapport aux vingt dernières années : le grand carénage, les EPR2, et tant d’autres choses…

Monsieur le ministre, vous avez pris comme référence le Canada. Le Canada, aujourd’hui, compte 19 réacteurs nucléaires et son autorité 670 salariés. L’ASN française contrôle 56 réacteurs nucléaires et compte 550 salariés. Si nous voulions être au même niveau que les Canadiens, il nous faudrait 1 974 salariés ! Le problème est bien là. La question des moyens financiers et humains se pose.

Vous connaissez notre opposition à la fusion – nous y reviendrons –, mais la question des moyens va être posée. Fusionner deux entités pauvres ne fait pas un champion !

Autre difficulté : au regard des incertitudes actuelles, concernant notamment l’IRSN, un certain nombre de chercheurs de droit privé s’en détournent et ne voudront pas travailler au sein dans la future autorité.

Il faut donc nous dire quels moyens humains et financiers significatifs vous allez donner à cette future entité, pour qu’elle puisse exercer ses missions dans les meilleures dispositions possible.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur. Je partage l’objectif des auteurs de cet amendement, qui est de garantir que la future ASNR soit dotée des moyens nécessaires pour assurer ses missions, qu’ils soient financiers ou humains. Je l’ai rappelé à de multiples reprises : que cette réforme se fasse ou non, il faudra être au rendez-vous sur la question des moyens.

M. Fabien Gay. Tout à fait !

M. Pascal Martin, rapporteur. Je le martèle chaque année, en tant que rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits relatifs à la prévention des risques : la sûreté nucléaire doit disposer de moyens adéquats.

Le vecteur législatif ne me semble pas le bon : plutôt que d’exprimer un vœu pieux dans le code de l’environnement, nous devons continuer à veiller chaque année à ce que le projet de loi de finances (PLF) dote l’ASNR de moyens suffisants.

J’émets donc un avis défavorable sur ces amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Béchu, ministre. Mon avis est défavorable, mais je vais répondre à votre question sur les moyens, qui est très légitime. La question des moyens budgétaires, au-delà de la forme juridique, a un sens.

Ce projet de loi prévoit – le texte est explicite – 15,7 millions d’euros de progression des rémunérations pour les agents après la fusion. Je ne parle que des agents de droit privé – j’en viendrai plus tard aux agents de droit public. (Mme Sophie Primas sétonne.)

M. Fabien Gay. Oui, nous en parlerons tout à l’heure !

M. Christophe Béchu, ministre. Cela représente 10 000 euros par salarié !

M. Franck Montaugé. Ce n’est pas le sujet !

M. Christophe Béchu, ministre. Je peux comprendre que vous considériez que cela représente peu de choses, mais voilà la réalité : 15 millions d’euros pour les agents de l’IRSN et 700 000 euros pour les agents de droit privé de l’ASN. C’est dans le texte.

Ensuite se pose la question des fonctionnaires de l’ASN, question qui n’est pas traitée par la loi, mais par des décrets. Il va de soi que les discussions ont vocation à se poursuivre, compte tenu de ce que nous envisageons pour les agents de droit privé et pour des raisons d’équité et d’accompagnement des compétences des agents de l’ASN, au service de la sécurité nucléaire dans ce pays.

J’émets donc un avis défavorable sur vos amendements. Cependant, pour ce qui concerne les moyens, le Gouvernement prend ses responsabilités : ces sommes portent bien sur l’année 2024 !

M. Fabien Gay. C’est la carotte…

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, nous allons en effet être devant un mur, et je ne sais pas si nous arriverons à le franchir : un parc vieillissant, qui va demander des visites décennales, de nouveaux EPR, qui n’ont plus grand-chose à voir avec l’EPR1, qui a été un fiasco – je ne vais pas remuer le couteau dans la plaie –, et puis d’hypothétiques SMR, de l’inconnu que l’on va placer on ne sait trop où, dans des zones d’activité, impliquant des problèmes de sûreté et de sécurité énormes !

Pour le même parc, les États-Unis comptent 4 000 salariés au sein de l’autorité équivalente à l’ASN.

M. Christophe Béchu, ministre. Idem pour l’ASNR !

M. Daniel Salmon. Nous n’en sommes encore qu’à l’ASN, qui compte environ 2 200 salariés. Vous parlez d’augmentations de salaire – bien entendu, il faut le faire –, mais il faut aussi recruter de la compétence ! C’est bien là que le bât blesse.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. C’est un tout autre débat !

M. Daniel Salmon. Cette réorganisation n’est pas du tout étrangère à ce mur, qui, je pense, vous fait couler quelques gouttes de sueur. (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. M. Salmon prend les États-Unis pour modèle, or c’est précisément le pays où il n’y a plus qu’une seule autorité nucléaire, issue d’une fusion des agences. Vous appelez de vos vœux des recrutements massifs pour accompagner la relance du nucléaire. C’est un pas dans la bonne direction.

M. Daniel Salmon. Je parle de sûreté !

M. Christophe Béchu, ministre. Nous assumons – cela est écrit tel quel dans le texte – des augmentations pour les salariés présents dans les structures, à hauteur de 15 millions d’euros pour l’IRSN et de 700 000 euros pour l’ASN ; la discussion va se poursuivre au sujet des fonctionnaires, pour lesquels les évolutions passeront par décret.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

M. Fabien Gay. Si j’étais syndicaliste à l’IRSN ou à l’ASN, je vous dirais que ces 15,7 millions d’euros, c’est la carotte pour faire avaler la fusion. Mais, comme je ne suis pas syndicaliste,…

Mme Sophie Primas. Du moins à l’ANS ! (Sourires.)

M. Fabien Gay. … je ne vous le dis pas. Quoi qu’il en soit, la question n’est pas là, monsieur le ministre. Nous y reviendrons à l’article 11, car nous avons des propositions à vous faire.

Revaloriser les salariés de l’IRSN et de l’ASN… pas de problème, nous sommes pour ! Cependant, l’autorité aura de nouvelles missions, comme la construction des six plus huit, soit quatorze EPR, et le grand carénage.

Je suis d’accord avec M. le rapporteur : il y a déjà des problèmes d’effectifs ; qu’il y ait fusion ou non, le même problème se pose chaque année.

Je ne suis pas un grand spécialiste, mais j’écoute les agents de l’IRSN et de l’ASN. Tous disent qu’il faudra recruter entre 500 et 1 200 personnes au cours des prochaines années. Ce processus est long. Il faudra proposer des emplois attractifs, d’abord grâce aux salaires, puis en donnant envie de rester dans la structure, notamment aux chercheurs de droit privé ; beaucoup font des allers-retours – c’est une bonne chose, mais il faut aussi savoir garder nos compétences.

Allez-vous ouvrir des concours ? Combien d’argent allez-vous mettre sur la table ? Voilà les questions auxquelles il faut répondre, au lieu de nous parler de ces 15 millions d’euros destinés à faire avaler la fusion aux salariés déjà présents. Combien allez-vous recruter d’agents au cours des prochaines années, pour assurer les missions existantes comme les futures missions ? Là, vous ne répondez pas…

Vous allez faire cette fusion demain, alors que les salariés s’interrogent et que certains partent ! Qu’allez-vous faire pour rendre cette future autorité attractive ? Ces 15 millions d’euros de revalorisation n’y suffiront pas. Peut-être faudra-t-il en débattre lors de l’examen du prochain budget, pour allouer les moyens nécessaires à cette future entité.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Je rejoins les propos de M. Gay. Ce débat est fondamental.

Quelle est votre projection budgétaire à court terme pour le futur établissement ? Le facteur multiplicateur pour les dossiers à traiter serait de dix. Est-ce le bon chiffre ? Ce qui est incontestable, c’est l’ampleur des chantiers rappelés par M. Gay.

Au-delà des apports financiers bienvenus pour une partie des personnels aujourd’hui en poste, quelle est la projection budgétaire de votre ministère pour le court terme ? Je parle bien de court terme, à l’échéance de cinq à dix ans.

M. Fabien Gay. Il n’y en a pas !

M. Franck Montaugé. Ces éléments seraient de nature à nous éclairer, et surtout à rassurer les personnels, voire rendre les postes attractifs pour de futurs candidats. La question ne me semble pas résolue.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends vos arguments : je suis prêt à discuter, même si je suis parfois en désaccord. S’il faut répondre pied par pied, je vais le faire. Vous regrettiez qu’il n’y ait pas de ministre capable de vous répondre, et vous m’obligez maintenant à entrer dans des points de détail qui dépassent le texte que nous examinons. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE-K et GEST.)

M. Fabien Gay et Mme Sophie Primas. Ce ne sont pas des détails !

M. Christophe Béchu, ministre. Je veux commencer par revenir sur des comparaisons hâtives. Les États-Unis comptent 93 réacteurs nucléaires, et 2 900 personnes travaillent dans l’organisme équivalent de l’ASNR. La démonstration de M. Salmon conduirait plutôt à prouver que notre ratio d’emplois par rapport au nombre de réacteurs serait supérieur à celui des États-Unis. Or il utilise cet argument pour aboutir à une conclusion exactement contraire. Je ne vais tout de même pas devoir entrer dans le détail du salaire moyen des salariés canadiens ou américains !

Quelle est l’intention du Gouvernement ? Il dit, assume et reconnaît que, tout d’abord, nous devons rendre les carrières et les salaires plus attractifs. Même si vous n’êtes pas syndicaliste, je m’excuse de devoir dire que je connais peu de syndicalistes qui ne se satisfont pas d’augmentations de rémunération de 9 % sur une seule année. (M. Fabien Gay proteste.) En tout cas, si vous considérez que ce n’est pas suffisant, voilà qui repousse de manière considérable toute perspective d’accord social dans beaucoup de domaines !

Ensuite, à aucun moment le Gouvernement n’a nié la nécessité d’augmenter les effectifs de l’agence au regard de ses missions de sûreté.

Cependant, je refuse cette contradiction : d’une part, l’AAI voit ses effectifs déterminés par la loi de finances, recrutés au fur et à mesure de l’avancée des procédures administratives et corrélés au calendrier de déploiement de la loi d’accélération sur le nucléaire ; d’autre part, on nous reproche de ne pas disposer d’une projection budgétaire à la minute même où nous parlons, alors que certains pensent que six EPR sont suffisants, d’autres qu’il faut au contraire en ajouter huit, et que les SMR – je redis au président Piednoir qu’ils sont au cœur du dispositif et de la stratégie de relance du nucléaire dans le pays – doivent encore être modélisés.

Le fond de l’histoire, c’est que nous considérons que nous devons avoir ce dialogue avec l’Autorité indépendante de sûreté nucléaire et de radioprotection. (M. Franck Montaugé proteste.) Nous aurons ce débat, y compris avec les équipes.

M. Fabien Gay. C’est comme cela que vous allez les rassurer ?

M. Christophe Béchu, ministre. À aucun moment, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, n’ont manqué à leur responsabilité, qui consiste à doter les agences des moyens nécessaires en matière de sûreté.

Quelles que soient les alternances, l’engagement que nous prenons devant vous est simple : c’est celui de la souveraineté énergétique de notre pays, de la baisse de nos émissions pour sortir des énergies fossiles et du maintien d’un niveau de sûreté qui conduira aux recrutements nécessaires.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6 et 72.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er
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Article 2

Après l’article 1er

M. le président. L’amendement n° 65, présenté par MM. Devinaz, Fagnen et Montaugé, Mmes Bélim et Bonnefoy, MM. Gillé, Jacquin, Ouizille, Uzenat et M. Weber, Mme Artigalas, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Tissot, Stanzione, Redon-Sarrazy, Pla, Lurel, Kanner et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Après l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au troisième alinéa de l’article L. 593-19 du code de l’environnement, après le mot : « exploitant », la fin de la deuxième phrase est ainsi rédigée : « au titre de l’article L. 593-10, de nouvelles prescriptions techniques proportionnées. »

La parole est à M. Gilbert-Luc Devinaz.

M. Gilbert-Luc Devinaz. Nous proposons de préciser que les prescriptions techniques de la future autorité doivent être proportionnées.

L’ajout du mot « proportionnées » donnerait un fondement solide aux propositions de la future autorité et permettrait aux autorités nationales compétentes – le Gouvernement, le Parlement, la Cour des comptes – de mieux apprécier le bien-fondé desdites propositions.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur. L’amendement semble satisfait. La proportionnalité des actes administratifs est un principe général du droit public, il s’impose à l’ensemble des autorités administratives et donc aux décisions de l’ASN. L’absence de proportion d’une décision peut entraîner son annulation contentieuse. La mention explicite de cette exigence n’aurait donc aucun impact, que ce soit sur les décisions de l’autorité ou sur le régime contentieux de ces décisions.

Par ailleurs, le cadre juridique relatif à la prolongation du fonctionnement des installations existantes a déjà été réformé par la loi d’accélération du nucléaire, promulguée il y a moins d’un an. Pour assurer une certaine stabilité juridique, il convient de ne pas revenir sur ce cadre.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Béchu, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 65.

(Lamendement nest pas adopté.)

Après l’article 1er
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Article 2 bis (nouveau)

Article 2

La section 3 du chapitre II du titre IX du livre V du code de l’environnement est ainsi modifiée :

1° A (nouveau) L’intitulé est ainsi rédigé : « Fonctionnement de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection » ;

1° L’article L. 592-13 est ainsi rédigé :

« Art. L. 592-13. – Hormis celles expressément confiées à la commission des sanctions ou au président de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection, les attributions de cette autorité sont exercées par son collège.

« Le règlement intérieur de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection prévoit les conditions dans lesquelles le collège peut donner délégation de pouvoirs à son président ou, en son absence, à un autre membre du collège, ou à un membre des services de l’autorité, ainsi que celles dans lesquelles le président peut déléguer sa signature à des personnels des services de l’autorité. Toutefois, ni les avis mentionnés à l’article L. 592-25, ni les décisions à caractère réglementaire ne peuvent faire l’objet d’une délégation. » ;

2° Après le même article L. 592-13, sont insérés des articles L. 592-13- 1 à L. 592-13- 3 ainsi rédigés :

« Art. L. 592-13-1. – L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection définit, dans son règlement intérieur, les dispositions nécessaires à la mise en œuvre des articles 12 à 14 de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, y compris en ce qui concerne les activités d’expertise et de recherche, afin de prévenir les conflits d’intérêts.

« Lorsque l’instruction recourt à une expertise réalisée par ses services, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection opère une distinction entre, d’une part, la personne responsable de l’expertise et, d’autre part, la personne ou les personnes responsables de l’élaboration de la décision et de la prise de décision.

« Le règlement intérieur définit les modalités de distinction et d’interaction entre les personnels chargés des activités d’expertise et les personnels chargés des activités d’élaboration de la décision et de prise de décision.

« Art. L. 592-13- 2 (nouveau). – L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection met en place une commission d’éthique et de déontologie chargée de conseiller le collège pour la rédaction du règlement intérieur, de suivre son application et, dans les conditions définies par le règlement intérieur, de garantir le respect des règles fixées aux articles L. 592-13- 1 et L. 592-14.

« Art. L. 592-13- 3 (nouveau). – L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection s’appuie en tant que de besoin sur des groupes permanents d’experts, nommés à raison de leurs compétences. Le règlement intérieur définit les modalités de nomination de ces experts et les règles propres à assurer la diversité de l’expertise et à prévenir les conflits d’intérêts. » ;

3° L’article L. 592-14 est ainsi rédigé :

« Art. L. 592-14. – L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection publie les résultats des expertises réalisées dans le cadre de ses instructions, ainsi que les avis des groupes permanents d’experts prévus à l’article L. 592-13- 3. Le règlement intérieur définit les modalités de publication de ces résultats et des résultats de ses activités d’instruction.

« Les avis rendus dans le cadre prévu à l’article L. 592-29 sont rendus publics dans des conditions définies par l’autorité de saisine mentionnée au même article L. 592-29.

« Elle organise la publicité, sous réserve des secrets protégés par la loi, des données scientifiques résultant des programmes de recherche dont elle prend l’initiative. » ;

4° (nouveau) L’article L. 592-16 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le règlement intérieur de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection prévoit les conditions dans lesquelles le président peut donner délégation de pouvoir à un membre des services de l’autorité en matière de passation de convention utile à l’accomplissement des missions de l’autorité. »

M. le président. L’amendement n° 22, présenté par MM. Salmon et Dantec, Mme Guhl, MM. Benarroche et G. Blanc, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique, Gontard, Jadot et Mellouli et Mmes Ollivier, Poncet Monge, Senée, Souyris et M. Vogel, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Toujours dans la lignée de notre opposition résolue à ce texte, nous proposons la suppression de l’article 2.

Maintenir et approfondir le système dual est pour nous la seule voie – point de vue assez partagé – pour améliorer notre système de sûreté nucléaire et de radioprotection. Cette piste n’a malheureusement fait l’objet d’aucune étude sérieuse. Cet article 2 ne vient en aucun cas nous rassurer sur le niveau d’exigence de qualité, d’expertise et de décision prévu pour la future ASNR.

Les partisans d’une fusion des deux organismes reconnaissent eux-mêmes que des garde-fous doivent être mis en place pour séparer les différentes étapes du processus d’expertise et de décision. C’est ce que nous a indiqué en audition le président de l’ASN, M. Bernard Doroszczuk.

À cet égard, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a tenté d’améliorer le texte, mais les ajustements opérés ne sont pas suffisants. Il serait nécessaire d’inscrire dans la loi l’obligation de publication des travaux d’évaluation des risques et des recommandations techniques, en amont des processus de décision ; idem pour l’exigence de publication des positions scientifiques et techniques de l’ASNR.

Je dis bien en amont de la décision ! Monsieur le ministre, sans la publication des avis, que se serait-il passé concernant la falsification des certificats pour la cuve et le couvercle de l’EPR2 ? Que se serait-il passé concernant les défauts de soudure ? S’agit-il d’une démarche d’accélération ou de simplification ? J’aimerais disposer d’éléments supplémentaires.

De plus, au-delà de la distinction entre le processus d’expertise et le processus de décision, il convient de garantir dans la loi l’indépendance des personnes responsables de l’expertise, ce qui n’est pas prévu dans le texte. L’obligation de publication visant les avis de l’IRSN est inscrite dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte de 2015 ; j’espère qu’elle le restera…

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur. Cet article 2 était, dans sa version initiale, perfectible. Cependant, nous avons, grâce au travail de la commission, apporté des garanties importantes sur la distinction entre l’expertise et la décision, la publication des résultats d’expertise, la consécration dans la loi des groupes permanents d’experts, la mise en place d’une commission d’éthique et de déontologie ou encore la prévention des conflits d’intérêts, grâce à la possibilité donnée au président de déléguer ses pouvoirs pour la signature de conventions de recherche.

Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Christophe Béchu, ministre. Ma réponse à M. Salmon vaudra avis pour la totalité des amendements de suppression sur chaque article.

Une grande partie des arguments que vous évoquez ce soir ont fondé, en 2006, l’opposition des Verts à la création de l’ASN. Vous avez voté contre la création de cette agence, en considérant qu’elle n’apportait pas suffisamment de garanties, qu’il n’était pas souhaitable de créer une haute autorité et que la transparence était insuffisante. Je ne vais donc pas, ce soir, refaire le débat de 2006, article par article, avec Mme Dominique Voynet. Aujourd’hui vous êtes devenus des défenseurs de l’ASN : je veux croire que, dans vingt ans, vous serez des défenseurs de l’ASNR. (M. le rapporteur pour avis rit.)

Avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

M. Daniel Salmon. Monsieur le ministre, nous nous sommes déjà expliqués sur ce point ; ce qui nous importe, c’est la sécurité et la sûreté de notre parc nucléaire…

M. Daniel Salmon. Je pense que cette préoccupation est partagée – je ne vous ferai pas cette injure-là, bien entendu.

Toutefois, à force de côtoyer les agents de l’IRSN et d’examiner le train des choses, nous avons constaté, au fil des ans, qu’ils faisaient preuve d’un vrai souci de transparence. Nous l’avons reconnu, de même que leur effort en matière de formation et de partage des connaissances. Voilà qui est fort intéressant.

Il serait dommage de se priver de cette transparence, y compris – à commencer par vous-mêmes – pour ceux qui souhaitent relancer le nucléaire – ce n’est pas notre cas –, car ils ont besoin d’un peu d’acceptabilité… Aujourd’hui, les planètes semblent assez alignées, mais nous en reparlerons dans quelque temps.

Mme Sophie Primas. Des menaces ? (Sourires.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 22.

(Lamendement nest pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 34, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 9

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre. Je reconnais que la commission a réalisé un travail d’orfèvre pour arrêter la rédaction de cet article 2, à l’exception de l’alinéa 9.

Vous avez tenté de savoir comment obtenir le meilleur de l’expertise, de la « distinction » – j’insiste sur la différence avec le mot « séparation », nous parlons en effet de démarcation entre le conseil et la décision – sans isoler les uns des autres, car bénéficier d’expertises conjointes est bénéfique.

Cependant, cet alinéa 9, en quelques mots, préjuge des conclusions la discussion entre l’ASN et l’IRSN. Vous dites que la distinction doit concerner non les processus, mais les personnes. Pour notre part, nous souhaitons laisser l’ASN et l’IRSN libres de décider si la distinction doit concerner les processus ou les personnes, tout en respectant les principes contenus dans la totalité des autres alinéas.

Autrement dit, faisons confiance aux experts, en actant la quasi-totalité de votre rédaction, mais en acceptant que ceux qui connaissent le mieux le dispositif déterminent de façon plus fine ses modalités d’application. Il suffit de retirer l’alinéa 9, ce qui ne remet pas en cause la totalité du dispositif. Ainsi, nous laissons une chance au dialogue en cours entre les experts des deux structures, afin qu’ils déterminent les modalités d’application de cette distinction, que nous soutenons.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Pascal Martin, rapporteur. Nous sommes au cœur de la réforme.

Il me semble important de rappeler la position d’équilibre de la commission sur le sujet essentiel de la distinction entre l’expertise et la décision.

Position d’équilibre, car nous souhaitons préserver la fluidité permise par la fusion des deux entités, tout en garantissant la confrontation des doutes, indispensable à la sûreté.

Premier avantage du texte adopté en commission : il étend le champ de la distinction à l’ensemble des dossiers à enjeux, et pas seulement aux trente sujets annuels nécessitant une décision du collège. Cet ajout me semble consensuel.

Deuxième avantage : nous proposons une distinction des responsabilités, monsieur le ministre, plutôt que des processus, notion particulièrement floue contenue dans le texte initial. Ainsi, nous assurerions que le signataire de l’expertise ne soit pas le même que le signataire de la décision. Sur ce point, les amendements déposés ne me semblent pas remettre en cause cet ajout important.

Toutefois, la distinction des responsabilités, et donc des signataires, ne suffit pas. Notre objectif est de consacrer une distinction entre l’expertise et la décision qui ne soit pas que « de papier ». Ce principe doit se traduire concrètement dans l’organisation des instructions.

C’est pourquoi nous avons souhaité préciser que le règlement intérieur fixera les modalités organisationnelles de distinction et d’interaction des personnels chargés de l’expertise et de la décision. Cette précision garantira, sur un dossier donné, que les personnels chargés de l’expertise, d’une part, et ceux qui sont chargés de la décision, d’autre part, soient bien identifiés.

Notre idée n’est pas de recréer, au sein de l’ASNR, un pôle d’expertise distinct d’un pôle de décision : cela reviendrait à rejouer au sein de l’ASNR le face-à-face entre l’ASN et l’IRSN. Nous perdrions alors tous les bénéfices de la réforme.

Je suis donc naturellement, monsieur le ministre, opposé à l’amendement n° 34 du Gouvernement, qui remet en cause la distinction, pour une instruction donnée, entre les personnes chargées de préparer l’expertise et les personnes chargées de préparer la décision.