Sommaire

Présidence de M. Alain Marc

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

1. Procès-verbal

2. Hommages à Jean-Marie Rausch et à Louis Le Pensec, anciens sénateurs

3. Modifications de l’ordre du jour

4. Organisation des travaux

5. Accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. – Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale :

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution

M. Fabien Gay

M. Henri Cabanel

Mme Nadège Havet

M. Jean-Claude Tissot

Mme Sophie Primas

M. Christopher Szczurek

M. Vincent Louault

Mme Anne-Catherine Loisier

M. Yannick Jadot

M. Christian Redon-Sarrazy

M. Pascal Allizard

Mme Amel Gacquerre

M. Jean-Jacques Panunzi

M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères

Clôture de la discussion générale.

Texte de la proposition de résolution

Vote sur l’ensemble

Adoption de la proposition de résolution.

Suspension et reprise de la séance

6. Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ? – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains

M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

Débat interactif

Mme Maryse Carrère ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Bernard Buis ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Frédérique Espagnac ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Martine Berthet ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Pierre Médevielle ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Sylvie Vermeillet ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Sylvie Vermeillet.

M. Guillaume Gontard ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Cécile Cukierman ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Denis Bouad ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Max Brisson ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; M. Max Brisson.

M. Jean-Michel Arnaud ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; M. Jean-Michel Arnaud.

M. Michaël Weber ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Fabien Genet ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Mme Anne Ventalon ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Cyril Pellevat ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; M. Cyril Pellevat.

M. Jean-Claude Anglars ; M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Conclusion du débat

M. Jean Bacci, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

7. Réforme du marché de l’électricité. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains

M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Débat interactif

M. Bernard Buis ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Franck Montaugé ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Franck Montaugé.

M. Guillaume Chevrollier ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Christopher Szczurek ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Pierre Jean Rochette ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Patrick Chauvet ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Daniel Salmon ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Fabien Gay ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; M. Fabien Gay ; M. Bruno Le Maire, ministre ; M. Fabien Gay.

M. Michel Masset ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Jean-Jacques Michau ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Christine Lavarde ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Denise Saint-Pé ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Michaël Weber ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Martine Berthet ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Mme Catherine Belrhiti ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

M. Marc Laménie ; M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Conclusion du débat

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

8. « Pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? – Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Débat interactif

Mme Émilienne Poumirol ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Émilienne Poumirol.

Mme Else Joseph ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Corinne Bourcier ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Denise Saint-Pé ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Antoinette Guhl ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Marie-Claude Varaillas ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Marie-Claude Varaillas.

M. Éric Gold ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Nadège Havet ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Hervé Gillé ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; M. Hervé Gillé.

M. Marc Laménie ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Bernard Pillefer ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Mme Viviane Artigalas ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; Mme Viviane Artigalas.

M. Jean-Claude Anglars ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Fabien Genet ; M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Conclusion du débat

Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

9. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Alain Marc

vice-président

Secrétaire :

Mme Marie-Pierre Richer.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 20 décembre 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Hommages à Jean-Marie Rausch et à Louis Le Pensec, anciens sénateurs

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec émotion que nous avons appris, vendredi 5 janvier dernier, la disparition d’une grande figure de la politique lorraine. Jean-Marie Rausch, qui fut maire de Metz pendant trente-sept ans, est décédé à l’âge de 94 ans. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, se lèvent.)

La trace que ce chef d’entreprise, féru de technologies, laissera dans sa ville est grande, tant il a mis son esprit d’innovation au service de la modernisation de Metz.

En transformant cette cité historiquement associée à la présence militaire, il n’a jamais oublié les dimensions écologique et culturelle. Il œuvra ainsi à la réussite de la première décentralisation d’un établissement culturel national, avec le Centre Pompidou-Metz.

Jean-Marie Rausch fut un grand élu local : maire de Metz à compter de 1971, il fut également président du conseil général de la Moselle, puis du conseil régional de Lorraine. C’est ainsi tout naturellement, si je puis dire, qu’il siégea à nos côtés durant vingt-trois ans, sur les travées des groupes Union Centriste et RDSE, tout d’abord de 1974 à 1988, année de son entrée au gouvernement de Michel Rocard, puis de nouveau de 1992 à 2001.

Durant les années qu’il a passées au Sénat, il travailla essentiellement sur les sujets liés à la recherche, aux technologies et aux télécommunications.

Il fut d’ailleurs, en 1982, le rapporteur de la proposition de loi portant création d’une délégation parlementaire dénommée office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). C’est dire qu’il aura su laisser une trace de modernité partout où il sera passé.

C’est avec la même émotion que nous avons appris le décès de notre ancien collègue Louis Le Pensec, qui fut sénateur du Finistère de 1998 à 2008.

Jeune élu breton de sa petite commune de Mellac, celui que l’on surnommait « le grand Louis » fut élu pour la première fois député à l’âge de 36 ans, avant de devenir une figure ministérielle socialiste connue et reconnue.

La terre et la mer : voilà le cœur de son engagement et de son action publique tant au Parlement qu’au sein des différents gouvernements auxquels il a appartenu. Il fut le premier, en 1981, à occuper la belle fonction de ministre de la mer, avant de devenir ministre des départements et territoires d’outre-mer de 1988 à 1993. C’est sous sa direction que furent négociés, en 1988, les accords de Matignon et d’Oudinot. Fils de paysan et profondément attaché au monde agricole, qu’il connaissait bien, il fut enfin ministre de l’agriculture et de la pêche de 1997 à 1998.

Élu au Sénat de 1998 à 2008, il fut pendant ce mandat membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il participa également aux travaux de la délégation pour l’Union européenne, notamment au travers de plusieurs rapports, toujours portés vers la mer, relatifs notamment au partenariat euro-méditerranéen et à l’adhésion de Chypre à l’Union européenne.

Figure tutélaire au sein de son Finistère natal, Louis Le Pensec a eu un engagement constant au service de notre pays. Tous ceux qui l’ont connu regrettent aujourd’hui un homme d’une profonde humanité.

M. le président du Sénat a souhaité, en notre nom à tous et particulièrement en celui de nos collègues mosellans et finistériens, rendre hommage à nos deux anciens collègues et avoir une pensée profonde pour leurs proches. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le ministre, observent un instant de recueillement.)

3

Modifications de l’ordre du jour

M. le président. Mes chers collègues, par courrier en date du 22 décembre 2023, le groupe Union Centriste demande le remplacement de la proposition de loi visant à lutter contre les plastiques dangereux pour l’environnement et la santé par un débat, sous forme de questions-réponses, sur les pratiques des centrales d’achat de la grande distribution implantées hors de France. Ce débat figurerait au premier point de son espace réservé.

Acte est donné de cette demande.

Par ailleurs, par lettre en date du 15 janvier, le Gouvernement demande que l’examen de la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe, initialement prévu le lundi 29 janvier à 16 heures et le soir, et éventuellement le mardi 30 janvier après-midi, soit reporté à la fin de l’ordre du jour du mardi 6 février, ainsi que le mercredi 7 février, après les questions d’actualité au Gouvernement.

Il demande également le retrait de l’ordre du jour des mardi 6 et mercredi 7 février du projet de loi relatif à la responsabilité parentale et à la réponse pénale en matière de délinquance des mineurs.

Le reste de l’ordre du jour préalablement fixé par la conférence des présidents lors de sa réunion du 13 décembre 2023 resterait inchangé.

Acte est donné de cette demande.

En conséquence, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance sur la proposition de loi relative au régime juridique des actions de groupe serait reporté au jeudi 1er février à 12 heures.

Nous pourrions fixer le délai limite d’inscription des orateurs dans la discussion générale sur ce texte au lundi 5 février, à 15 heures.

Y a-t-il des observations ?…

Il en est ainsi décidé.

L’ordre du jour de ces séances sera donc le suivant :

Jeudi 25 janvier 2024

De 10 h 30 à 13 heures et de 14 h 30 à 16 heures

(Ordre du jour réservé au groupe UC)

Débat sur les pratiques des centrales d’achat de la grande distribution implantées hors de France

• Temps attribué au groupe Union Centriste : 8 minutes

• Réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Après la réponse du Gouvernement, séquence de 16 questions-réponses :

• 2 minutes, y compris la réplique

• Possibilité de réponse du Gouvernement pour une durée équivalente

• Possibilité pour le Gouvernement de répondre à une réplique pendant 1 minute et à l’auteur de la question de répondre de nouveau pendant 1 minute

• Conclusion par le groupe Union Centriste : 5 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 24 janvier 2024 à 15 heures

Proposition de loi visant à améliorer le dépistage des troubles du neuro-développement, l’accompagnement des personnes qui en sont atteintes et le répit de leurs proches aidants, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (texte n° 908, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 janvier 2024 matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 22 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 24 janvier 2024 matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 24 janvier 2024 à 15 heures

À l’issue de l’espace réservé du groupe UC :

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi tendant à améliorer la lisibilité du droit applicable aux collectivités locales, présentée par M. Vincent Delahaye et plusieurs de ses collègues (texte n° 448, 2022-2023) (demande du groupe UC)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 janvier 2024 à 14 heures

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 22 janvier 2024 à 12 heures

• Délai limite de demande de retour à la procédure normale (pour les articles faisant l’objet de la procédure de législation en commission) : vendredi 19 janvier 2024 à 17 heures

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : mercredi 24 janvier 2024 à 15 heures

Mardi 30 janvier 2024

À 14 h 30 et le soir

Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, présentée par M. François-Noël Buffet et plusieurs de ses collègues (texte n° 202, 2023-2024) (demande du groupe Les Républicains)

• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 29 janvier 2024 à 15 heures

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 30 janvier 2024 à 12 heures 30

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France (texte n° 147, 2023-2024)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales avec une saisine pour avis de la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 15 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 17 janvier matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 26 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 30 janvier 2024 début d’après-midi et mercredi 31 janvier 2024 matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 29 janvier 2024 à 15 heures

Mardi 6 février 2024

À 9 h 30

Questions orales

À 14 h 30 et le soir

Explications de vote des groupes puis scrutin public solennel sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir en France (texte n° 147, 2023-2024)

• Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

• Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 5 février 2024 à 15 heures

• Délai limite pour le dépôt des délégations de vote : mardi 6 février 2024 à 12 heures 30

Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au contentieux du stationnement payant (texte n° 162, 2023-2024)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il est examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 31 janvier matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance, en application de l’article 47 quater, alinéa 1, du règlement : lundi 5 février 2024 à 12 heures

• Délai limite de demande de retour à la procédure normale (pour les articles faisant l’objet de la procédure de législation en commission) : vendredi 2 février 2024 à 17 heures

• Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, les représentants de la commission pendant 7 minutes et, pour explication de vote, un représentant par groupe pour une durée ne pouvant excéder 5 minutes chacun, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pour une durée ne pouvant excéder 3 minutes

• Délai limite pour les inscriptions des orateurs des groupes : lundi 5 février 2024 à 15 heures

- Deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales (texte n° 98, 2023-2024)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 31 janvier 2024 matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 5 février 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 6 février 2024 matin ou début d’après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 45 minutes

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 5 février 2024 à 15 heures

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au régime juridique des actions de groupe (texte n° 420, 2022-2023)

Ce texte a été envoyé à la commission des lois.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : vendredi 19 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 24 janvier 2024 matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 1er février 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 6 février 2024 en début d’après-midi

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 5 février 2024 à 15 heures

Mercredi 7 février 2024

À 15 heures

Questions d’actualité au Gouvernement

• Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mercredi 7 février 2024 à 11 heures

À 16 h 30 et le soir

Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative au régime juridique des actions de groupe (texte n° 420, 2022-2023)

Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à interdire les dispositifs électroniques de vapotage à usage unique (texte n° 161, 2023-2024)

Ce texte a été envoyé à la commission des affaires sociales.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 31 janvier 2024 matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 5 février 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 7 février 2024 matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 6 février 2024 à 15 heures

Projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire (procédure accélérée ; (texte n° 229, 2023-2024) et projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (procédure accélérée ; texte n° 230, 2023-2024)

Ces textes ont été envoyés à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable avec une saisine pour avis de la commission des affaires économiques.

Il a été décidé qu’ils feraient l’objet d’une discussion générale commune.

• Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 29 janvier 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour le rapport et les textes : mercredi 31 janvier 2024 matin

• Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 5 février 2024 à 12 heures

• Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 7 février 2024 matin

• Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale commune : 1 heure

• Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale commune : mardi 6 février 2024 à 15 heures

4

Organisation des travaux

M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous faudra suspendre nos travaux au plus tard à 19 heures 15 afin de permettre à chacun de se rendre à la cérémonie des vœux de M. le président du Sénat.

Je vous invite donc à bien vouloir respecter votre temps de parole.

5

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
Discussion générale (suite)

Accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur

Adoption d’une proposition de résolution

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, l’examen de la proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Sophie Primas, M. Jean-François Rapin, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Laurent Duplomb et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 775 [2022-2023]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements.)

M. Jean-François Rapin, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Sophie Primas, Anne-Catherine Loisier, Laurent Duplomb, plusieurs de nos collègues et moi-même avons souhaité, au mois de juin dernier, déposer une proposition de résolution afin de rappeler un certain nombre de lignes rouges dans les négociations menées actuellement en vue de conclure un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, bloc régional comprenant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.

Je rappelle qu’après presque vingt ans de négociations l’Union européenne et le Mercosur sont parvenus, le 28 juin 2019, à un accord politique en vue d’un tel accord. Les échanges commerciaux bilatéraux s’élevaient alors à 88 milliards d’euros par an pour les biens et à 34 milliards d’euros pour les services.

L’accord, présenté comme un grand succès de la Commission Juncker, devait permettre aux entreprises européennes de bénéficier d’un accès privilégié à un marché de plus de 260 millions de consommateurs et, à terme, d’économiser chaque année plus de 4 milliards d’euros de droits de douane. Ici, toutefois, nous nous méfions des gains affichés de manière globale, qui masquent des impacts parfois fortement négatifs pour certains secteurs. Je pense évidemment au monde agricole, sur lequel je reviendrai.

L’affaire semblait en tout cas entendue – du moins la Commission européenne, chargée de la négociation, le croyait-elle, avant que l’accord ne déraille au Conseil.

L’approche du commerce international avait manifestement changé plus vite que le logiciel des négociateurs de la Commission européenne. La déforestation massive alors engagée au Brésil entrait en conflit avec les objectifs de l’accord de Paris, que l’Union européenne entendait promouvoir avec force.

Surtout, encore une fois, l’agriculture, tout particulièrement la filière de la viande, avait servi de variable d’ajustement. Un contingent de 99 000 tonnes équivalent-carcasse (TEC) de viande bovine avait ainsi été concédé au Mercosur, avec un droit de douane réduit de 7,5 % ; le bloc sud-américain obtenait en outre la suppression du droit de douane sur le contingent Hilton, pour un volume de 61 000 TEC. Or les conditions de production en vigueur dans les pays du Mercosur ne sont pas les mêmes que celles que nous imposons à nos agriculteurs. Des concessions significatives avaient également été accordées sur le sucre, la volaille, le maïs ou encore l’éthanol.

Face au blocage constaté au Conseil, la Commission européenne a tenté de trouver une voie de sortie en négociant des engagements complémentaires. Les négociations en vue de conclure l’accord se sont intensifiées au cours du second semestre de 2023.

La Commission européenne se montrait particulièrement volontariste, tout comme la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne et notre partenaire allemand. J’ai pu le mesurer très concrètement lors des réunions de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac).

Le sommet du Mercosur qui s’est tenu au mois de décembre dernier, au cours duquel le Brésil a transmis la présidence de l’organisation au Paraguay, était perçu par ces soutiens comme le moment opportun pour conclure l’accord.

Il n’en a rien été. Le Président de la République a clairement indiqué à Dubaï, à l’occasion de la dernière COP, que l’accord ne convenait pas en l’état et qu’il ne pouvait pas « demander à nos agriculteurs et à nos industriels […] d’œuvrer à la décarbonation de leurs activités et, dans le même temps, supprimer les droits de douane sur des biens qui ne respecteraient pas ces règles ».

M. Jean-François Rapin. La question des clauses et mesures miroirs est au centre de nos préoccupations, comme en atteste notre proposition de résolution.

Les élections qui viennent d’avoir lieu en Argentine ont également changé la donne, le gouvernement sortant considérant qu’il ne pouvait s’engager sur une décision aussi fondamentale et que le dossier devrait être traité par le nouveau gouvernement.

Ce chapitre est-il définitivement clos et cette proposition de résolution est-elle par conséquent caduque ? Ce n’est pas forcément le cas, et ce pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la pression n’est pas retombée. Certains espèrent toujours pouvoir conclure un accord de la dernière chance à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février prochain.

Hier encore, alors que je me trouvais à Namur pour la réunion des présidents de la Cosac, l’entretien bilatéral que j’ai eu avec nos collègues espagnols m’a laissé penser qu’ils ont toujours espoir de voir se conclure un accord.

En outre, la semaine dernière, le chancelier allemand et le nouveau président argentin ont appelé à la conclusion de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur.

Quant à la Commission européenne, elle rêve de décrocher cet accord avant la fin de son mandat, alors qu’elle a essuyé plusieurs échecs, que ce soit avec le Mexique, dont les autorités ne s’engagent plus, ou avec l’Australie, qui a refusé dans la dernière ligne droite le projet d’accord en cours de négociation.

Bien sûr, nous entendons ici les arguments en faveur du « de-risking » de l’économie européenne et de la diversification des approvisionnements en matériaux critiques, qui est nécessaire pour réduire notre dépendance à l’égard de la Chine, notamment dans la perspective de la transition écologique et numérique.

Nous n’ignorons pas les contraintes qui s’imposent à nos partenaires de l’Union européenne et nous en tenons compte. Nous ne sommes pas non plus naïfs vis-à-vis de l’offensive chinoise en Amérique du Sud et des enjeux géopolitiques qui en découlent.

Pour autant, nous ne sommes pas prêts à sacrifier les intérêts français ni à sacrifier des pans de notre agriculture.

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Jean-François Rapin. Nous ne sommes pas non plus prêts à renoncer à exercer notre mandat dans sa plénitude.

En effet, au-delà du fond de l’accord, qui est en soi discutable, c’est la méthode suivie par la Commission européenne qui est en cause.

Le Sénat demande depuis plusieurs années que les parlements nationaux soient mieux associés aux négociations sur les accords commerciaux internationaux, faute de quoi nous irons de blocage en blocage. On ne peut ignorer ni la sensibilité de l’opinion publique ni les réalités territoriales. Enfin, en tant que parlementaire, si je comprends les contraintes de l’industrie automobile allemande, je ne les place pas au-dessus des intérêts de la filière française de la viande !

Mme Sophie Primas. Très bien !

M. Jean-François Rapin. Au travers de cette résolution, nous demandons de la cohérence. L’Union européenne s’est engagée à marche forcée sur le chemin du Pacte vert pour l’Europe, en affichant des objectifs très ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en se montrant toujours plus vertueuse en matière environnementale.

Reste que cela n’a pas de sens si ces mesures nous conduisent à affaiblir nos producteurs et à importer des produits qui ne respectent pas les normes que nous leur imposons.

Cela n’a pas de sens si les accords que nous concluons conduisent à s’écarter des objectifs de l’accord de Paris que nous nous efforçons de mettre en œuvre.

Cela n’a pas de sens si nous importons des produits dont les conditions de production ne respectent pas les valeurs humanistes que nous défendons.

Je veux enfin mettre en garde contre la tentation à laquelle la Commission européenne pourrait céder : scinder en deux l’accord afin de ne pas soumettre sa partie commerciale au vote des parlements nationaux. L’accord avec le Mercosur a été conçu comme un accord mixte. Alors que cette année sera marquée par les élections européennes, chercher à contourner les parlements nationaux serait leur adresser un bien mauvais signal, à eux comme à nos concitoyens.

Nous l’affirmons d’autant plus fortement que le volet commercial de l’accord économique et commercial global avec le Canada, le fameux Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement), est en vigueur à titre provisoire depuis le mois de septembre 2017, alors qu’il n’a toujours pas été soumis à la ratification du Sénat.

Monsieur le ministre, vous le comprenez, au travers de cette proposition de résolution, nous n’exprimons pas d’hostilité de principe au commerce international. Nous n’oublions évidemment pas les milliers d’entreprises françaises qui exportent ; nous regrettons, bien au contraire, qu’il n’y en ait pas davantage et que notre balance commerciale soit lourdement déficitaire.

Nous nous interrogeons en revanche, comme l’avait du reste fait Olivier Becht, ministre délégué chargé du commerce extérieur, de l’attractivité et des Français de l’étranger, devant notre commission des affaires européennes au mois de décembre dernier, sur la capacité de l’Union européenne à conclure, à l’avenir, des accords globaux respectant ses valeurs et ses standards en matière de développement durable, comprenant à la fois l’environnement et les droits de l’homme.

Nous exprimons ici une exigence de cohérence, de clarté et de respect démocratique. Nous refusons un accord conclu à tout prix pour de mauvaises raisons, qui reposerait sur un calendrier contraint propre à la Commission européenne.

Monsieur le ministre, nous vous demandons de réaffirmer devant la représentation nationale que vous ne sacrifierez pas les intérêts français et que vous défendrez les lignes rouges qui ont été proclamées au cours des derniers mois.

Nous vous invitons donc à refuser tout accord commercial avec le Mercosur en l’état et nous insistons pour que les parlements nationaux soient consultés, en temps et en heure ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, INDEP et GEST.)

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’ouverture, en 1999, des discussions sur le projet de traité de libre-échange avec les pays du Mercosur, la Commission européenne a mené chaque étape du processus dans l’opacité la plus totale.

Du mandat initial de négociation au contenu de l’accord, désormais verrouillé, l’information du public et la consultation des parlements nationaux n’ont jamais été entreprises. Cette pratique est désormais courante, puisque, au mépris de son rôle, le Sénat n’a jamais été saisi de la ratification du Ceta.

Après le rejet du texte, en l’état, par le Parlement européen et afin de contourner d’éventuels vetos de certains États membres, la Commission européenne souhaite découper le traité pour forcer sa ratification, comme elle l’avait fait pour l’accord-cadre conclu avec le Chili.

Cela fragilise encore l’assise démocratique, déjà quasi inexistante, de ce traité, le plus important jamais conclu par l’Union européenne.

Les accords de libre-échange riment donc avec opacité et anti-démocratie, ce qui est inacceptable, car leurs enjeux sont d’intérêt public et national.

Le contenu de ce traité nous lie à un modèle de société dépassé, datant des années 1990, et perpétue un système économique nocif pour l’humain et le vivant, qui exacerbe les injustices sociales et climatiques à l’échelle mondiale.

Le gouvernement français a annoncé conditionner son approbation à l’absence d’augmentation de la déforestation importée, notamment au Brésil, à la mise en conformité du traité avec l’accord de Paris, ainsi qu’à l’instauration de mesures miroirs tant sanitaires qu’environnementales.

Le Gouvernement se montre, en revanche, bien moins bavard quand il est question de la lutte contre la déforestation en Guyane française, en proie à l’orpaillage, ce qui entraîne des pollutions au cyanure et au mercure.

Avec les auteurs de cette résolution, nous appelons à ce que le rapprochement avec le président Lula ne rende pas le Gouvernement oublieux de ses engagements, d’autant que la situation géopolitique est une nouvelle fois bouleversée par l’arrivée au pouvoir du nouveau président argentin, Javier Milei, un climatosceptique revendiqué.

Outre la carence d’assise démocratique de ce traité, il nous faut considérer les risques pour la santé qui découlent de l’importation de produits alimentaires dont la production n’est pas soumise aux mêmes normes qu’en Europe.

Alors que l’explosion du nombre de maladies graves notamment liées à l’alimentation est avérée, une ratification de l’accord en l’état ouvrirait la porte à des produits qui ne répondent pas au principe de précaution. Cela ferait peser des risques sur les consommateurs, en particulier dans un contexte d’inflation où l’achat de denrées à moindre coût est privilégié par les classes populaires, qui n’ont pas d’autre choix en raison du blocage des salaires. (Mme Sophie Primas applaudit.)

Plus largement, les risques pour la santé s’accroîtraient du fait de l’impact climatique d’un tel accord, qui promeut des flux commerciaux incompatibles avec les objectifs de réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre et favorise le commerce de biens polluants alimentant les crises environnementales.

Son contenu est donc incompatible avec les objectifs de l’accord de Paris et du Pacte vert pour l’Europe.

En outre, cet accord ferait peser un autre risque, sur les pays du Mercosur cette fois, lesquels pourraient se voir cantonner dans un rôle d’agroexportateur et de fournisseur de ressources minières et énergétiques. On les enfermerait ainsi dans un modèle néfaste pour les populations locales comme pour l’environnement.

Ces problématiques se télescopent avec l’effet qu’aurait ce traité sur les paysans et éleveurs français, à l’heure où l’évolution vertueuse de notre modèle agricole est déjà engagée.

Alors que nos agriculteurs sont de plus en plus contraints par les réglementations sanitaires et environnementales, ratifier ce traité sans prévoir de mesures miroirs en matière environnementale enverrait un message délétère. Non seulement cela affecterait négativement le développement de la production locale et des circuits courts, mais cela créerait une situation de concurrence déloyale à laquelle il leur serait impossible de faire face.

Nous nous joignons donc à la proposition de généralisation du principe de réciprocité des méthodes de production, pour garantir une concurrence équitable avec les pays tiers.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, la ratification de ce traité de libre-échange soulève de multiples difficultés dont nous devrions être saisis.

Je rappelle que ces problématiques dépassent largement ce seul traité et ont déjà été soulevées à l’occasion d’autres accords de libre-échange.

Il serait illusoire de croire que ces difficultés se régleront sans assise démocratique, sans consultation du Parlement ni des citoyens, sans évaluation des effets cumulés de cette politique commerciale et sans sa mise en cohérence avec la politique environnementale et agricole communautaire.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !

M. Fabien Gay. Or ce point d’ajustement n’est pas le seul : le renforcement des contrôles des importations aux frontières et le développement de mécanismes équilibrés de résolution des conflits doivent également faire l’objet d’un travail approfondi.

Pour toutes ces raisons, nous voterons pour cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Primas applaudit également.)

M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trente-quatre ans que l’idée d’un régionalisme ouvert est la priorité politique des nations sud-américaines. Voilà vingt-cinq ans que le mandat de négociation de cet accord est actif et que les discussions patinent. Et pour cause !

Les parlementaires que nous sommes n’ont jamais cessé d’alerter les pouvoirs publics sur les zones grises de l’accord entre les pays du Mercosur et l’Union européenne.

Le groupe du RDSE est, depuis toujours, très préoccupé de la multiplication de ce type d’accord de libre-échange. La résolution adoptée par notre assemblée en 2018 sur l’initiative de Jean-Claude Requier appelait le Gouvernement à ne pas contribuer à la signature précipitée d’un accord déstabilisateur de l’équilibre des productions agricoles de nos territoires ruraux et ultramarins.

Dans un contexte géopolitique mettant en péril notre souveraineté alimentaire, la présente proposition de résolution est à son tour bienvenue. Elle met en lumière des préoccupations majeures et souligne des lacunes démocratiques, économiques et sociales, ainsi qu’au regard des exigences environnementales que la France s’est engagée à honorer dans le cadre de l’accord de Paris.

Le RDSE se joint donc aux signataires de cette proposition de résolution pour inciter le Gouvernement à maintenir une position ferme et juste.

Le 4 décembre dernier, Olaf Scholz appelait les dirigeants européens à faire preuve de « pragmatisme » pour trouver les termes d’un accord. De quel accord parlons-nous ? Quelles sont nos lignes rouges et quelles méthodes seront employées pour dialoguer avec les consommateurs et les agriculteurs ?

L’agriculture française représente une immense source de fierté. Notre production se distingue par son excellence, grâce à la qualité exceptionnelle de ses exploitations en matière sanitaire et environnementale. Bien que nous soutenions le multilatéralisme et la régulation du commerce international au travers d’accords de libre-échange, il est évident que l’accord de principe entre l’Union européenne et le Mercosur, tel qu’il a été envisagé en 2019, est loin d’être satisfaisant.

En cas d’accord, les parties doivent s’engager à respecter toutes nos préoccupations sans léser nos agriculteurs. Nos partenaires commerciaux doivent se conformer aux mêmes règles et obligations que nous pour garantir des échanges équitables.

Aussi, monsieur le ministre, quelles clauses miroirs vous engagez-vous à défendre pour continuer à commercer sans tuer la souveraineté agricole européenne ? Comment négocier le virage des transitions de sorte qu’elles garantissent la durabilité environnementale et économique de notre agriculture ? Quand allons-nous enfin entendre la voix du Président de la République affirmer à Bruxelles qu’un accord avec les pays du Mercosur n’est pas possible sans l’application stricte du principe de réciprocité ?

Pour le RDSE, l’accord n’est acceptable ni en l’état ni même après l’ajout de la déclaration additionnelle de la Commission européenne, qui contient des mesures environnementales non contraignantes.

La question des pesticides n’est, elle non plus, toujours pas réglée et soulève des inquiétudes légitimes. La quantité de pesticides épandue au Brésil est significativement plus élevée qu’en France et l’Union européenne n’a toujours pas clarifié sa position sur les procédures d’évaluation des limites maximales de résidus de produits phytosanitaires pour les importations. Nous demandons que des normes sanitaires et environnementales cohérentes avec nos valeurs soient préservées dans les accords de libre-échange.

Si nous profitons de cette tribune pour réaffirmer, très largement, notre désaccord sur le fond, nous n’oublions pas pour autant la méthode par laquelle la machine européenne se soucie du sort de nos agriculteurs. La Commission européenne a fait connaître son intention de séparer le volet commercial du reste de l’accord d’association pour, nous dit-on, accélérer sa mise en œuvre. Toutefois, cette démarche permettrait de solliciter une approbation par un vote à la majorité qualifiée du Conseil et ne nécessiterait pas l’assentiment des parlements nationaux.

La pratique de la Commission européenne de découper les accords pour isoler les dispositions relevant de sa compétence exclusive affaiblit considérablement l’assise démocratique de la politique commerciale commune. Elle entaille un dialogue absolument inaudible pour nos agriculteurs comme pour les consommateurs et bafoue le mandat de négociation que lui avait confié le Conseil en 2018.

Dois-je rappeler que le Ceta n’a toujours pas été ratifié par notre assemblée, de sorte que ses dispositions ne s’appliquent que de manière provisoire ?

Monsieur le ministre, quand allez-vous enfin associer les parlementaires, de façon continue, au processus de négociation des accords commerciaux ? Qu’attend le Gouvernement pour demander l’inscription du Ceta à l’ordre du jour du Sénat ?

M. Henri Cabanel. Ainsi, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le RDSE soutiendra toutes les initiatives parlementaires qui nous placent du côté des agriculteurs comme des consommateurs et qui honorent notre exception française en matière agricole.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Henri Cabanel. La présente proposition de résolution est fidèle aux principes que nous défendions en 2018 sur le même sujet.

Vous comprenez donc bien que nous voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Michel Savin. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après un long processus de négociation, qui s’est étendu sur une vingtaine d’années, un accord commercial a été trouvé entre l’Union européenne et le Mercosur, le 28 juin 2019.

Ce texte a un double objectif : d’une part, accroître les relations commerciales entre les deux marchés, par un abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires ; d’autre part, promouvoir un dialogue politique entre les deux alliances sur des questions diverses, que ce soit en matière de migrations, d’économie numérique et de cybercriminalité, de recherche et d’éducation, de droits humanitaires, ou encore de protection de l’environnement. Je reviendrai sur ce dernier point.

Cet accord est d’une ampleur considérable, puisqu’il concerne près de 780 millions de personnes. Le volume d’échanges couverts s’élèverait à 40, voire à 45 milliards d’euros, importations et exportations confondues. Il s’agirait ni plus ni moins que de créer la plus grande zone de libre-échange de la planète.

En outre, plus de 1 000 entreprises françaises sont actives au Brésil. Le Mercosur, à proximité immédiate de plusieurs de nos territoires d’outre-mer, constitue un ensemble économique émergent qui dispose de ressources précieuses, en particulier en métaux rares, utiles pour mener à bien la transition énergétique sur notre continent.

Cet accord n’a cependant pas été ratifié. Si le volet politique de l’accord précédemment évoqué ne soulève pas de difficultés, son volet économique suscite, lui, des inquiétudes.

La France, notamment, estime que le texte négocié par la Commission européenne ne va pas assez loin s’agissant des garanties environnementales, en particulier en matière de lutte contre la déforestation amazonienne. La balance écologique n’est donc pas à l’équilibre.

Le 28 octobre dernier, à Paris, lors de sa déclaration sur la protection des forêts tropicales, le Président de la République a rappelé ceci : « Moins de 14 % de la surface de la planète concentre 75 % des stocks de carbone irrécupérable et 91 % des écosystèmes des espèces vertébrées. Ces stocks de carbone et de biodiversité, largement concentrés dans les trois plus grands bassins forestiers du monde, sont des trésors dont l’Humanité ne peut tout simplement pas se passer. »

Face à la menace que cet accord constituerait pour la forêt amazonienne, poumon de notre planète, il a été décidé, avec constance, de ne pas l’approuver, sauf si trois conditions étaient respectées : que les produits issus de la déforestation ne puissent pas être importés dans l’Union européenne ; que l’accord soit rendu conforme à l’accord de Paris ; que des mesures miroirs soient instaurées en matière sanitaire et environnementale.

Le texte est aussi problématique en matière de distorsions de concurrence commerciale. Les gouvernements argentin et brésilien ont de nouveau déclaré en 2022 qu’ils souhaitaient parvenir à un accord, en particulier depuis le retour à la tête du Brésil du président Lula. Les négociations ont repris sous la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui a fait de cette question une priorité.

En ce début d’année, le chancelier allemand et le nouveau président argentin ont appelé de leurs vœux une conclusion rapide des négociations sur l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.

Pour notre part, nous maintenons notre position.

Le 13 juin 2023 déjà, une proposition de résolution relative à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur a été adoptée à l’Assemblée nationale. Nos collègues députés ont également considéré que le volet commercial de l’accord n’était compatible ni avec les engagements de l’Union européenne dans la lutte contre le réchauffement climatique ni avec l’objectif de souveraineté alimentaire.

Ils se sont ainsi opposés à l’adoption de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur dans le cas où les produits en provenance du Mercosur ne seraient pas conformes aux normes de production européennes. De même, ils se sont opposés à l’adoption séparée du volet commercial de l’accord. C’est l’intégralité de l’accord qui devra être soumis à la procédure de ratification, c’est-à-dire à un vote à l’unanimité des États membres, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des États membres, par l’Assemblée nationale et le Sénat selon la procédure prévue par la France.

Les députés ont également demandé la généralisation du principe de réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux.

Il nous revient, cet après-midi, de nous prononcer sur une initiative conjointe des groupes Les Républicains et Union Centriste. Votre proposition de résolution européenne, mes chers collègues, vise à alerter sur plusieurs points.

Vous estimez tout d’abord que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas toutes réunies pour la conclusion d’un tel accord. Vous mettez ensuite en avant ses effets potentiellement négatifs pour les filières agricoles françaises et les risques de dumping social pour les agriculteurs français et européens.

En Amérique du Sud, les exploitations peuvent compter des dizaines de milliers de têtes. Les antibiotiques de croissance y sont autorisés, ainsi que de nombreux produits phytosanitaires dont l’usage est interdit au sein de l’Union européenne. L’asymétrie des conditions de production conduirait à une situation de concurrence déloyale.

Vous demandez par conséquent l’adoption de mesures miroirs sur certaines normes sanitaires, environnementales et relatives au bien-être animal, de telles mesures étant essentielles pour les produits agricoles importés. Vous demandez également une augmentation des contrôles aux frontières afin de pouvoir vérifier que ces mesures sont effectivement respectées par les pays exportateurs.

Vous soulevez enfin un problème de méthode de la part de la Commission européenne, à savoir la découpe des accords commerciaux afin de séparer les dispositions relevant de sa compétence exclusive de celles qui relèvent d’une compétence partagée avec les États.

Notre groupe votera cette proposition de résolution.

Mme Sophie Primas. Très bien !

Mme Nadège Havet. Les problématiques agricole et environnementale sont à nos yeux fondamentales. La France devra évaluer ce projet d’accord en prenant en compte ces impératifs lorsqu’il sera transmis au Conseil de l’Union européenne. Elle se positionnera lorsque le Conseil donnera son accord pour sa signature par la Commission européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quelques mois après l’Assemblée nationale, nous avons l’occasion, via cette proposition de résolution, de débattre du potentiel accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.

Bien que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne se soit achevée à la fin de l’année 2023 et que la situation politique ait évolué en Amérique du Sud, notamment en Argentine, les négociations de cet accord commercial se poursuivent et nécessitent un suivi tout particulier de la part de la représentation française.

Nous avons tous en tête, monsieur le ministre, la non-présentation d’un projet de loi autorisant la ratification de l’accord économique et commercial global, le Ceta, devant le Sénat. Il s’agit là à notre sens d’un contournement inacceptable du Parlement. Nous avons pourtant demandé le dépôt d’un tel texte à plusieurs reprises sur l’ensemble de nos travées. Les accords commerciaux d’une telle ampleur ne peuvent se passer d’une validation par les parlements nationaux.

À cet égard, rappelons que, en cas de ratification, le traité entre l’Union européenne et le Mercosur deviendrait l’accord le plus important pour l’Union européenne, en termes démographiques – 780 millions de personnes seraient concernées –, mais aussi de volumes d’échanges couverts – les importations et les exportations représenteraient entre 40 et 45 milliards d’euros.

Je partage plusieurs constats dressés par les auteurs de la proposition de résolution.

Ainsi, il est rappelé à l’alinéa 52 du texte que le monde agricole a trop souvent été la variable d’ajustement, voire le laissé-pour-compte des traités de libre-échange et de l’ultralibéralisme débridé.

Les échanges ont bien sûr été au cœur du développement de l’humanité et des différentes sociétés, tout particulièrement dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation, mais la mondialisation sans limites a aussi de nombreuses conséquences : délocalisation, perte de savoir-faire, disparition de notre souveraineté alimentaire, effets sur notre biodiversité.

Face aux enjeux que sont la transition écologique et la lutte contre les inégalités en tous genres, nous ne pouvons plus penser les accords commerciaux comme nous le faisions voilà trente ans.

Nous devons revoir notre logiciel à l’aune de ces nouveaux enjeux et de ces nouveaux objectifs. Cela signifie non pas ne plus échanger ou ne plus négocier d’accords avec de nouveaux partenaires, mais faire autrement.

Je reprendrai donc mot pour mot les termes du dernier alinéa de la résolution adoptée à l’Assemblée nationale sur ce sujet : généralisons le « principe de réciprocité des normes de production dans les échanges commerciaux ».

Les clauses miroirs, comme cela est rappelé dans la proposition de résolution, sont une part importante de la solution pour aboutir à un accord commercial plus juste et plus vertueux.

En l’état, il est totalement inacceptable de voir arriver sur le sol européen des produits qui, par leur origine ou leur mode de production, seraient dangereux pour les consommateurs et constitueraient une concurrence déloyale pour les agriculteurs européens.

Accepter ces produits-là dans notre espace commun, c’est contraindre les agriculteurs à utiliser des produits nocifs pour leur santé pour des considérations purement économiques.

De nombreux exemples ont été cités, notamment ceux des poulets dopés aux antibiotiques et du maïs traité à l’atrazine, mais l’abus le plus emblématique de cet accord concerne, me semble-t-il le bœuf. Ainsi, près de 100 000 tonnes de viande bovine pourraient être exportées vers l’Europe, avec des tarifs douaniers très avantageux. Les élevages français et européen s’en trouveraient totalement perturbés.

Alors que les quatre pays membres du Mercosur fournissent déjà un tiers du marché mondial de la viande bovine, l’avantage tarifaire qui leur est consenti porterait un coup de massue à l’ensemble de la filière, d’autant plus qu’une part importante de l’élevage bovin sud-américain a pour effet la terrible déforestation de l’Amazonie.

La préservation de la biodiversité et des forêts est pourtant l’une des priorités de l’Union européenne, qui a fait adopter en 2023 un règlement afin d’interdire la mise sur le marché européen de produits issus de la déforestation.

Monsieur le ministre, il est indispensable que l’accord commercial avec le Mercosur prenne en compte cette nouvelle législation européenne.

Par ailleurs, un autre point est particulièrement inquiétant : les seuils d’usage par les agriculteurs des pays du Mercosur de nombreux produits phytosanitaires interdits par l’Union européenne.

Si nous voulons faire évoluer notre modèle agricole pour qu’il rémunère mieux les agriculteurs tout en préservant leur santé et celle des consommateurs, il est inconcevable d’accepter de tels produits, qui représenteraient une terrible régression.

Pour favoriser l’émergence d’un modèle agricole alternatif, l’encadrement des traités de libre-échange est indispensable et doit être une priorité pour l’Union européenne et pour le Gouvernement.

Avant de conclure, je tiens à faire part de mon étonnement s’agissant des ambiguïtés de nos collègues LR. Dans cette proposition de résolution, ils utilisent allégrement l’argument de la défense de l’environnement et de la biodiversité…

M. Michel Savin. Nous y sommes très attachés !

M. Jean-Claude Tissot. … pour justifier leur propos, alors que, dans bien d’autres occasions, comme lors de l’examen, au Sénat, de la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France ou, au Parlement européen, du règlement sur les pesticides, ils ont défendu des positions bien moins ambitieuses en matière de protection de l’environnement !

Mme Sophie Primas. Il y a une marche !

M. Laurent Duplomb. Ça, c’est bien la gauche !

M. Michel Savin. La polémique…

M. Jean-Claude Tissot. Pour conclure, nous espérons que les engagements qu’a pris le Président de la République lors du salon de l’agriculture en 2023 sur la réciprocité des normes environnementales et sanitaires ne seront pas de nouvelles promesses non tenues par l’exécutif.

M. Michel Savin. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Claude Tissot. Nous vous demandons donc, monsieur le ministre, de la clarté sur les négociations de cet accord et, surtout, une réelle association du Parlement.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage les objectifs des auteurs de cette proposition de résolution, qu’il soutiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – MM. Henri Cabanel et Yannick Jadot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’approbation par le Parlement européen et l’adoption par le Conseil de l’Union européenne de l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, avant la modernisation des accords avec le Mexique et le Chili, l’accord commercial avec le Mercosur n’est-il qu’un simple accord de libre-échange de plus ? Nous sommes convaincus que non, monsieur le ministre.

Permettez-moi de vous présenter très rapidement trois raisons parmi des centaines qui démontrent qu’il ne s’agit en effet pas d’un simple accord de plus.

D’abord, ce n’est pas un simple accord de plus, parce que l’on n’a toujours pas mesuré à ce jour les effets cumulés des accords de libre-échange sur certains secteurs, en particulier sur celui de l’agriculture. Rien ne dit que cet accord ne sera pas l’accord de trop.

Selon les théories du commerce international, le libre-échange permet des gains économiques globaux – je suis assez d’accord –, mais ces derniers sont toujours obtenus au prix de réallocations entre pays, entre entreprises et entre secteurs plus ou moins productifs. Or, à ce jeu, l’agriculture européenne, en particulier l’agriculture française, est bien souvent perdante. Je fais ici allusion à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de notre collègue Laurent Duplomb.

On comprend bien la logique qui consiste à obtenir, par exemple, l’accès à certains marchés pour les automobiles allemandes en échange de quotas supplémentaires de bœuf ou de poulet brésiliens. Quoi de plus rationnel, en apparence ?

À en croire la communication du Gouvernement, une telle logique permettrait au secteur de l’agriculture d’y gagner : la reconnaissance d’indications géographiques protégées sur des marchés tiers ferait plus que compenser en valeur les importations de produits agricoles, qui ne seraient que des virtualités. Or les indications géographiques protégées représentent moins de 3 % de notre production agricole.

Et le Gouvernement de ressasser à l’envi l’exemple de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, qui ouvre des quotas supplémentaires de viande ovine exemptés de droits de douane à l’importation, alors que les quotas déjà accordés n’étaient, pour l’heure, pas atteints.

Soyez toutefois certains que, même lorsqu’ils ne sont pas pleinement exploités par nos partenaires commerciaux, les quotas supplémentaires sont loin d’être une simple virtualité : c’est une réalité, un droit opposable sur lequel nous ne pourrons plus revenir ! Nos filières seront attaquées non pas la première, la deuxième, la troisième ou la quatrième année, mais au fil du temps. Elles sont profondément affaiblies. Regardez, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui pour la filière du sucre.

Pour nos agriculteurs, c’est d’autant plus réel que cela s’ajoute aux aléas, en particulier normatifs, mais aussi économiques, qui les placent en situation de concurrence déloyale, alors que les clauses miroirs ne sont pas actionnées et que les contrôles aux frontières sont inefficaces.

Qui n’a pas compris cette réalité fondamentale n’a rien compris à l’état moral de la ferme France. J’en veux pour preuve les 1 000 agriculteurs réunis aujourd’hui sur la place du Capitole à Toulouse.

La décroissance de la production européenne et française, désormais organisée, conduira à la délocalisation de notre production alimentaire et à la mise en danger de notre propre souveraineté.

Ensuite, cet accord n’est pas un simple accord de plus, parce que le Mercosur est un géant économique, plus grand que n’importe lequel des partenaires avec lesquels nous avons déjà conclu un accord commercial. Du fait de leur taille, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay sont susceptibles de perturber jusqu’à nos filières les plus solidement structurées, comme celle du sucre.

Avec plusieurs collègues ici présents, j’ai eu l’occasion au printemps dernier, lors d’un voyage d’études de la commission des affaires économiques au Brésil, de voir de mes propres yeux ce qu’est l’agriculture industrielle et intensive, la vraie – je me tourne vers M. Jadot (M. Yannick Jadot acquiesce.) –, que certains se piquent de voir en France. Pour ma part, je n’ai jamais rien vu de tel en France. Nous avons été pris de vertige devant ces exploitations agricoles de plusieurs centaines de milliers d’hectares, aux pratiques très éloignées de nos standards et plus encore de notre principe de précaution ou de nos interdictions.

Pour prendre un seul exemple, chaque année, l’Argentine et le Brésil exportent à eux seuls la même quantité de maïs que celle qui est produite dans toute l’Union européenne. Rien que cela ! Le Mercosur est un rouleau compresseur agricole, dont les capacités de production peuvent encore doubler, voire tripler, pour déferler sur l’Europe.

Enfin, cet accord n’est pas un simple accord de plus, monsieur le ministre : recherché activement depuis plus de vingt ans par la Commission européenne, il est un symbole, en cette année d’élections européennes, d’une forme de fuite en avant au sommet de l’exécutif.

La nouvelle approche, prétendument plus assertive et durable de la politique commerciale, n’est qu’un leurre, car, dans les faits, la Commission européenne semble prête à faire plusieurs concessions, notamment dans le domaine agricole, pour aboutir à un accord.

Voilà, en somme, pourquoi l’accord avec le Mercosur n’est pas un simple accord de plus. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 juin 2019, l’accord d’association qui a été trouvé entre la Commission européenne et le Mercosur a été refusé par la France, car il ne remplissait pas les trois conditions suivantes : ne pas augmenter les importations de produits issus de la déforestation dans l’Union européenne ; mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris ; instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Cette position, une fois n’est pas coutume, a encore été rappelée lors du salon international de l’agriculture par le Président de la République lui-même le 25 février dernier.

Alors que la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui s’est achevée voilà quelques jours, a fait de cet accord une priorité, il est urgent de nous battre contre ce projet.

En effet, les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont toujours pas réunies pour la conclusion d’un tel accord. Même si cet accord comportait certains avantages, tels qu’une proximité immédiate du Mercosur avec plusieurs territoires d’outre-mer, il convient de rappeler au Brésil ses engagements à l’égard du monde agricole et en matière de défense de l’environnement, trop souvent mis de côté.

Alors que les mesures miroirs à certaines normes sanitaires, environnementales et relatives au bien-être animal ne figurent pas dans l’accord, elles ne semblent toujours pas en voie d’être inscrites dans l’instrument additionnel négocié en parallèle avec le Mercosur sur les questions environnementales.

En effet, l’accord prévoit l’octroi de quotas supplémentaires de denrées alimentaires. À titre d’exemple, cela a été dit, 99 000 tonnes équivalent-carcasse de bœuf pourraient être exportées sur le marché européen par les pays d’Amérique latine, sans que des mesures miroirs soient prévues. Ces pays pourraient ainsi écouler des denrées sans avoir respecté les méthodes de production ayant cours en Europe.

L’agriculture française ne pourrait faire face à une telle concurrence déloyale, que ce soit sur le bœuf, que je viens d’évoquer, ou sur l’éthanol, sujet qui inquiète particulièrement les producteurs du département du Pas-de-Calais.

Enfin, nous dénonçons la pratique de la Commission européenne consistant à découper les accords commerciaux pour isoler les dispositions qui relèvent de sa compétence exclusive de celles qui relèvent d’une compétence partagée avec les États membres. Il s’agit là, encore une fois, d’une atteinte à la souveraineté et aux intérêts des peuples et des Nations.

Même si cette proposition de résolution ne va pas au bout de la logique qui s’impose à nos yeux, à savoir la fin des discussions avec le Mercosur, nous la voterons sans réserve. (MM. Guislain Cambier et Joshua Hochart applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Louault. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Vincent Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier Jean-François Rapin et ses collègues d’avoir déposé cette proposition de résolution.

Il n’est pas de prospérité sans puissance et il n’y aura pas de puissance économique et commerciale sans souveraineté alimentaire européenne effectivement garantie. Cessons de considérer l’agriculture française et européenne comme un sujet de second rang dans les accords de libre-échange et réveillons-nous !

Dans moins de six mois, les Européens seront appelés aux urnes et les accords de libre-échange seront au premier plan comme outils d’action européenne à l’échelle internationale et reflets de nos choix en matière de souveraineté. Si nous voulons poursuivre la construction européenne, nous devons lui éviter de devenir sa propre caricature. L’Union européenne et les Européens méritent mieux que cela. Ne confondons donc pas vitesse et précipitation.

La vitesse, c’est continuer d’utiliser notre puissance économique et commerciale comme levier d’action, comme outil de politique internationale. C’est s’en servir notamment pour asseoir le rôle de cheffe de file de l’Union européenne dans les transitions environnementales et climatiques qu’il nous faut mener, en faisant respecter l’accord de Paris et en étant vigilants sur les conséquences sur la déforestation d’un accord avec le Mercorsur.

La vitesse, c’est faire à l’échelle internationale ce que les pères fondateurs de l’Union européenne ont fait à l’échelle européenne : utiliser les intérêts économiques des pays pour rapprocher les peuples, accroître leur prospérité et tisser des liens de fraternité.

La précipitation – et l’on parle pourtant d’un accord dont les négociations ont débuté en 1999, soit il y a plus de vingt ans –, c’est rêver en fonçant tout droit vers un mirage.

La précipitation, c’est nier la réalité des divergences trop importantes, trop structurelles pour pouvoir envisager une telle convergence en l’état. Ce serait précipiter notamment nos agriculteurs, dont j’entends et je partage les craintes, dans l’incompréhension et la confusion.

Tous savent ce qu’ils doivent à la construction européenne, mais, à l’heure où se livre une véritable bataille agricole mondiale sur les denrées alimentaires, où l’on parle sans cesse de souveraineté alimentaire, où, pour la première fois de notre histoire républicaine, cette notion figure depuis 2022 dans l’intitulé d’un ministère, quelle est la cohérence d’un tel accord ? En l’état, il ne comporte pas de clauses miroirs. En outre, rien ne garantit qu’un système de contrôle structuré et effectif permette demain de s’assurer, le cas échéant, que ces clauses seront bien respectées.

Rappelons que nos agriculteurs subissent déjà une certaine concurrence européenne : en raison de la tendance française à la surtransposition des directives européennes, ils doivent respecter des normes environnementales et sociales qui ne s’imposent pas toutes aux autres pays européens.

La conclusion d’un tel accord en l’état constituerait donc une double peine, pour tous et partout. Pour autant, cet accord n’aurait pas pour effet de contraindre ceux qui ne respectent pas les exigences environnementales et sociales à le faire, bien au contraire. Nous sacrifierions ainsi ceux qui les appliquent sur le sol européen et travaillent avec passion.

Nous n’avons pas troqué pour rien le mot « commerce » inscrit au fronton du ministère de l’agriculture sous la IIIe République contre ceux de « souveraineté alimentaire » !

Monsieur le ministre, nous sommes à vos côtés pour porter une voix crédible, convaincante et puissante, même, et peut-être surtout, quand elle est singulière. Il y va aussi de la survie de l’Union européenne. Il s’agit non pas d’un choix d’opportunité ou de tendance en vue des prochaines élections, mais d’un choix d’avenir.

Il est important que l’État français, concernant cet accord entre le Mercosur et l’Union européenne, reste extrêmement vigilant, comme il a su le faire ces dernières années.

La proposition de résolution qui nous est soumise est bien évidemment une nécessité : nous demandons des clauses miroirs, le respect de l’accord de Paris, ainsi qu’un contrôle effectif et un mécanisme de règlement des différends clair et efficace. Nous en partageons l’esprit. C’est pourquoi, bien évidemment, le groupe Les Indépendants – République et Territoires la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC. – M. Laurent Duplomb applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution, déposée conjointement par les groupes Union Centriste et Les Républicains au mois de juin dernier, visait à réaffirmer les lignes rouges du Sénat sur les conditions d’un accord commercial avec le Mercosur, à l’occasion de la visite du président brésilien Lula.

Je rappelle que cette visite s’était accompagnée de signaux de l’exécutif laissant penser que l’accord, conclu au mois de juin 2019, pourrait être adapté et adopté moyennant un instrument additionnel supposé le verdir. Le problème, c’est que cet addendum avait tout l’air d’un artifice, car il ne comportait aucune mesure réellement contraignante et prévoyait une scission de l’accord mixte.

Six mois plus tard, comme l’a rappelé Jean-François Rapin, la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, soucieuse de rapprocher l’Europe de l’Amérique latine, a démontré que nos craintes étaient justifiées.

En effet, sans l’élection du nouveau président argentin Javier Milei, qui a provisoirement retardé le processus, un accord aurait vraisemblablement été déjà conclu à la fin de l’année 2023.

Soyons clairs : loin de nous l’idée de nier tout intérêt économique et stratégique aux accords de libre-échange, y compris avec le Mercosur. Ce dernier est un marché de plus de 250 millions de consommateurs, grâce auquel nous pourrons diversifier nos approvisionnements. De plus, dans le contexte d’incertitude qui caractérise notre relation avec les États-Unis, « partenaire, concurrent stratégique et rival systémique », il associe de potentiels alliés géopolitiques.

Le but de cette proposition de résolution est de réaffirmer le respect des nécessaires conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales de l’accord et de mesurer leurs effets en totale transparence. Ces conditions, définies par le gouvernement français lui-même au regard de ses différents engagements nationaux, européens et internationaux, ne sont pas négociables et doivent être garanties préalablement à la ratification de l’accord.

Il s’agit, cela a été dit, de ne pas augmenter les importations dans l’Union européenne de produits issus de la déforestation, de mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris et d’instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Ces dispositions sont déterminantes pour la réussite et la cohérence de l’accord. Je me réjouis donc que l’exécutif ait depuis redit publiquement son opposition à l’adoption de cet accord en l’état.

Je rappelle que les accords commerciaux, lorsqu’ils sont mixtes, comme c’est le cas de l’accord avec le Mercosur, conformément à l’engagement pris par la Commission européenne devant les États membres au mois de mai 2018, sont adoptés après leur approbation par le Parlement européen, la décision à l’unanimité du Conseil et la ratification par les parlements nationaux.

Une adoption contre l’avis de la France soulèverait donc de légitimes questionnements sur les pratiques démocratiques de l’Union européenne. Je rappelle en effet que nous avons déjà connu un malheureux précédent : alors qu’il est partiellement entré en vigueur depuis 2017, le Ceta n’a toujours pas fait l’objet d’un projet de loi tendant à autoriser sa ratification et n’a donc toujours pas été soumis au Parlement. Monsieur le ministre, peut-être aurez-vous à cœur de corriger cet outrage aux règles démocratiques. (M. le ministre sourit.)

Une adoption de l’Union européenne contre l’avis de la France poserait enfin une question de cohérence de notre agenda européen interne, matérialisé par des contraintes lourdes imposées aux agriculteurs dans le cadre du très ambitieux Pacte vert pour l’Europe, avec l’agenda politique international, qui prévoit la multiplication d’accords commerciaux sans réciprocité en termes de conditions de production, les fameuses clauses miroirs n’étant pas adoptées. Nous n’en maîtriserions pas alors les conséquences à court, moyen et long termes sur nos filières d’élevage et sur notre souveraineté alimentaire.

Pour tous ces motifs, mes chers collègues, qui appellent des éclaircissements et de la transparence de la part du Gouvernement et de l’Union européenne, je vous invite à soutenir cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Jadot.

M. Yannick Jadot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parlons d’un accord dont la négociation a été engagée il y a près d’un quart de siècle. Il s’agit donc d’un accord « dinosaure », antérieur aux dégâts provoqués par la mondialisation libérale, aux manifestations les plus dramatiques du dérèglement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, au covid-19, à la guerre en Ukraine – bref, d’un accord négocié dans le monde d’avant !

Durant ces vingt ans de négociations, c’est l’équivalent de la surface de la péninsule ibérique – l’Espagne et le Portugal – qui a disparu en Amazonie.

En 2019 – vous siégiez alors au Parlement européen, monsieur le ministre –, alors que la Commission européenne était prête à signer avec enthousiasme un accord avec Jair Bolsonaro, les négociations ont été arrêtées, sous la pression des opinions publiques, du Parlement européen et de certains gouvernements, dont celui de la France, il faut le dire. Il est donc incompréhensible qu’on les reprenne avec Javier Milei, qui, en la matière, surpasse Jair Bolsonaro – et de loin !

L’accord a souvent été qualifié de « viande contre voitures ». Et pour cause : il vise à libéraliser le commerce de viandes de bœuf et de poulet, de soja ou d’éthanol issu de la canne à sucre du Mercosur vers l’Europe et à libéraliser celui des biens industriels, dont l’automobile, les marchés publics et les services de l’Europe vers le Mercosur.

Les effets, on le sait, seront dramatiques.

Côté Mercosur, l’accord renforcerait un modèle de développement agroexportateur complètement déséquilibré, au détriment de l’industrie, des services, des cultures vivrières, donc des classes populaires et moyennes. Le cycle soja-bœuf ne ferait que succéder au cycle brésilien du caoutchouc, puis du café.

En effet, c’est bien la question agricole qui est la plus problématique. Cet accord serait un désastre pour l’agriculture en général, pour notre agriculture en particulier, et pour le Pacte vert pour l’Europe. Cet accord, s’il était mis en œuvre, contribuerait au dérèglement climatique, à la mondialisation de la malbouffe, à la contamination chimique de la nature et de nos organismes, à un accroissement des souffrances animales et à la disparition des paysans en Amérique latine et en Europe.

Aux termes de cet accord, 99 000 TEC de bœuf pourraient être exportées vers l’Europe, ce qui représente une augmentation de 50 % du quota. Qui plus est, il ne s’agirait pas de n’importe quels morceaux : seraient exportés la longe et le rumsteck, c’est-à-dire l’aloyau. De fait, le bœuf du Mercosur représenterait alors non plus 13 %, mais 26 % du marché européen. Or, nous le savons, c’est là où nos paysans font de la valeur ajoutée. Il s’agit donc, encore une fois, d’un danger absolu pour notre secteur de l’élevage.

Mme Primas a fait référence à sa visite au Brésil. Je m’y suis moi-même rendu avec une délégation parlementaire. À cette occasion, nous avons pu observer les effets de la déforestation sur le Cerrado. On parle toujours de l’Amazonie, qui est devenue iconique et qui est protégée, même si elle ne l’est pas suffisamment. Le Cerrado quant à lui, c’est le château d’eau de l’Amazonie. Or il est déjà détruit aux deux tiers. C’est la nouvelle frontière du soja. Il nous faut absolument le protéger et, partant, refuser cet accord.

Nous savons ce que sont les conditions de production dans le Mercosur. Je pourrais évoquer le travail forcé, qui est courant. Dans les abattoirs – peut-être avez-vous eu l’occasion d’en visiter –, des personnes sont en situation de semi-esclavage et les règles de bien-être animal n’existent pas. C’est totalement contraire au modèle voulu par les Européens.

Pour rappel, sur un demi-millier de pesticides utilisés au Brésil, 150 sont interdits en Europe. Cynisme et cupidité : nous exportons une partie des pesticides que nous interdisons vers le Brésil et les pays du Mercosur !

Nous devons donc revoir, mais surtout stopper cet accord. Il n’existe aucune possibilité de le faire évoluer tel qu’il a été conçu. La tentative de la Commission européenne de faire une lettre interprétative, sachant que cela n’aura aucune force juridique, relève de la mascarade. En cas de ratification de l’accord, il sera possible de suspendre les échanges si le nombre de poulets importés est insuffisant, mais pas si l’Amazonie brûle ou si les salariés sont maltraités !

Nous devons rejeter l’accord. Le Gouvernement doit défendre à Bruxelles auprès de la Commission européenne et du Conseil le refus de la France de le signer.

Pour toutes les raisons que je viens d’indiquer, nous voterons cette proposition de résolution, même si elle n’est pas parfaite. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Presque parfaite !

M. Yannick Jadot. Après tout, nul n’est parfait ! (Sourires.) Nous la voterons avec un immense plaisir, car le signal que le Sénat doit envoyer sur un tel dossier m’apparaît absolument essentiel ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, RDSE, RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne a affiché comme priorité de parvenir à un accord au Conseil sur le projet d’accord commercial entre l’Union européenne et ses États membres et les pays du Mercosur, dont les négociations ont débuté voilà vingt-trois ans.

Les élections en Argentine ont donné un sursis, mais il semble que se soient dessinées les conditions d’un accord, en particulier sur une déclaration annexée entre la Commission européenne et les États du Mercosur, sans d’ailleurs que nous en connaissions la dernière version.

Rappelons que la France a obtenu en 2015 l’exigence d’une plus grande transparence des négociations commerciales conduites au nom de l’Union européenne. Une telle exigence doit être maintenue.

Pour autant, nous considérons que cet accord UE-Mercosur n’est pas plus acceptable qu’en 2019, et ce à plusieurs titres.

Il s’agit, faut-il le rappeler, d’un projet d’accord fondé sur un mandat de négociation adopté en 2000, dans un contexte économique, commercial, climatique totalement différent.

Les garanties qui auraient été négociées ne sont pas suffisantes. Elles restent non contraignantes et ne prévoient pas non plus de clause suspensive en cas de non-respect des normes. Nous ne pouvons pas tergiverser sur ce point. Les normes ne peuvent pas être considérées comme étant à géométrie variable. Nous devons assurer à l’accord une assise démocratique et permettre à l’Europe d’avancer s’agissant de son objectif de rendre les accords commerciaux qu’elle conclut plus vertueux, négociés sur des mandats robustes et exigeants.

Nous ne devons pas céder aux manœuvres consistant à tenter de scinder l’accord en deux, avec une partie commerciale qui serait d’application provisoire et le reste qui serait soumis à la ratification des parlements nationaux. Je vous rappelle à cet égard que, malgré les demandes réitérées du Sénat, la ratification du Ceta n’a toujours pas été inscrite à l’ordre du jour.

Nous devons respecter le statut de cet accord d’ancienne génération. Monsieur le ministre, nous vous demandons de faire en sorte que la ratification par le Parlement ne puisse pas être contournée par quelque manœuvre que ce soit. Nous connaissons les ficelles. Alors qu’auront lieu dans six mois les prochaines élections européennes, il serait dommageable de favoriser une contorsion antidémocratique, au risque que les citoyens s’interrogent sur la capacité de l’Union européenne à faire accepter ses exigences et à protéger ses normes. L’adhésion de nos concitoyens est un élément à prendre en compte absolument.

Le monde a évolué ; les exigences que l’Union européenne s’est imposées et défend sur la scène internationale en matière de durabilité également ! Comment l’Union européenne pourrait-elle ratifier un accord commercial d’ancienne génération tout en prônant un renforcement des normes sociales et environnementales à l’échelon mondial et en se contentant d’une déclaration sans caractère contraignant en la matière en annexe du traité Mercosur ?

La France a émis des conditions à l’approbation de cet accord : une production agricole qui ne doit pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne ; une mise en conformité avec l’accord de Paris ; l’instauration de mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale qui imposent les mêmes contraintes aux producteurs. C’est essentiel pour éviter de créer les conditions d’une concurrence déloyale pour nos productions agricoles.

Être cohérents, c’est respecter les lignes rouges définies. La question est simple : ces lignes rouges ont-elles été prises en compte dans les négociations finales – dans ce cas, pouvez-vous nous exposer les garanties ? – ou bien ont-elles été franchies ?

Depuis 2015, nous sommes parvenus, de haute lutte – je dois le dire –, à intégrer des critères de durabilité dans l’exercice de la politique commerciale commune. Les conditions de production et les exigences de la transition climatique impliquent aujourd’hui de défendre un commerce plus équitable qui respecte des normes sociales, sanitaires et environnementales. Nous progressons aujourd’hui en ce sens : normes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), interdiction des produits issus du travail forcé, taxe carbone aux frontières de l’Union européenne. Ces nouvelles exigences doivent avoir un sens.

D’ailleurs, ces exigences ne sont pas que pour nous-mêmes. Elles sont destinées à assurer des conditions de vie plus dignes des producteurs et travailleurs des pays tiers avec lesquels nous concluons des accords. Elles sont de notre responsabilité.

Monsieur le ministre, je crois que nous ne parviendrons pas à faire du neuf avec du vieux. Nous ne pouvons pas accepter le rafistolage d’un accord qui aurait des conséquences majeures à la fois pour nos économies et nos agricultures, mais aussi pour la capacité de l’Union européenne à peser en matière de normes à l’échelon international.

Dans ces conditions, nous soutiendrons la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe Les plus Républicains. – M. Guislain Cambier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au temps de la « mondialisation heureuse » et de la dérégulation, l’Union européenne a entrepris d’accroître ou de développer ses échanges avec certaines régions du monde par le biais d’accords, qui ont déjà été mentionnés.

Il est vrai que le commerce, dit-on, contribue à la richesse des nations et préserve de la guerre ! La France, dont la balance commerciale est depuis longtemps déficitaire, sait toute l’importance de l’export pour l’économie.

En réalité, au fil des ans, les préoccupations ont évolué sous la pression des événements : réchauffement climatique, tensions géopolitiques, crise sanitaire, essor des pays producteurs à bas coûts…

Les attentes sociétales des citoyens, qui sont aussi les consommateurs européens, ne sont plus les mêmes. L’évidence du commerce intercontinental sans entrave par transport maritime de base, voire par avion-cargo est remise en question.

Les sujets de souveraineté, de normes sociales et environnementales, de bien-être animal, de traçabilité ou de concurrence équilibrée sont désormais au premier plan.

C’est particulièrement vrai s’agissant du secteur agricole, activité dans laquelle la France conserve des intérêts majeurs dans la diversité de ses territoires et que l’on ne peut pas traiter comme n’importe quelle autre.

La crise sanitaire a mis en lumière les problèmes de dépendance dans différents domaines et les aléas des transports. L’instabilité géopolitique, comme autour du détroit de Bab-el-Mandeb, montre combien les flux maritimes mondiaux et les coûts du transport sont sensibles aux événements extérieurs.

Le conflit en Ukraine nous rappelle cruellement, surtout pour les pays méditerranéens, que les denrées alimentaires sont une arme de la guerre hybride. Dès lors, ne pas en disposer est une faiblesse stratégique.

Ayant parcouru l’Amérique du Sud dans ma vie professionnelle, je sais que le Mercosur est un marché considérable et particulièrement attractif. Pour autant – cela n’aura échappé à personne –, ses États membres n’ont pas les mêmes pratiques que les nôtres. D’ailleurs, le Président de la République ne dit désormais pas autre chose.

Ne commettons donc pas l’erreur de nous mettre dans une situation délicate de dépendance ou de concurrence déloyale, alors même que nos producteurs se voient imposer normes et contrôles sanitaires et environnementaux drastiques. Nos agriculteurs ne déforestent pas nos campagnes ; ils n’élèvent pas des milliers de têtes de bétail, comme en Amazonie. Au contraire, ils entretiennent les paysages, limitent l’urbanisation et concourent à la vie locale, en plus de nourrir la population. Beaucoup se mettent d’ailleurs aux circuits courts. C’est une bonne chose pour leurs revenus et leur empreinte carbone, car il est aberrant de faire venir du bout du monde certaines productions en tous points inférieures aux nôtres.

Les demandes formulées dans le présent texte, comme les mesures miroirs, le renforcement de la qualité et la quantité des contrôles aux frontières, ainsi qu’une meilleure association des parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux sont adaptées aux enjeux, alors que l’Union européenne fait désormais de l’environnement et de la souveraineté des priorités communautaires.

Peut-être faudrait-il aussi sortir les productions agricoles, ou certaines d’entre elles, de ces accords.

En 2018, en tant que rapporteur de la proposition de résolution européenne en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne, d’une part, et le Mercosur, d’autre part, j’avais déjà appelé l’attention sur les risques pour les filières bovine, sucrière et bananière notamment. Il nous faut donc continuer à faire preuve de vigilance en la matière, en particulier vis-à-vis de la Commission européenne.

Cosignataire de la présente proposition de résolution, je la soutiens totalement et vous invite à faire de même, mes chers collègues.

Monsieur le ministre, nous attendons du nouveau gouvernement de la fermeté dans la défense de nos intérêts à l’international et dans la sauvegarde de nos filières agricoles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 10 décembre dernier, l’investiture du nouveau président argentin Javier Milei assombrissait encore les perspectives d’un accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.

En effet, le président nouvellement élu à Buenos Aires estime que des chapitres entiers de l’accord, notamment en matière environnementale, ne sont pas acceptables pour son pays.

De telles affirmations nous alarment. Nous ne pouvons pas céder sur nos exigences environnementales et introduire de facto de nouvelles distorsions de concurrence pour nos producteurs et nos agriculteurs.

La présente proposition de résolution, dont je salue les collègues auteurs, a été déposée au mois de juin dernier à l’occasion de la visite du président Lula à Paris. Elle est plus que jamais d’actualité.

Trois inquiétudes fortes y sont exprimées.

D’abord, les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales pour la conclusion d’un tel accord ne semblent pas réunies.

Nous ne devons plus conclure d’accord sans intégrer l’ensemble des acteurs de l’écosystème agricole à la réflexion. Il est impératif d’œuvrer pour plus de transparence et d’impliquer l’ensemble des parties prenantes.

Nous devons également sanctuariser un certain nombre d’acquis et de principes : la traçabilité des produits alimentaires, l’affirmation du principe de concurrence non faussée entre les produits quelle que soit leur origine et le renforcement des obligations d’information à destination du consommateur.

Ensuite, l’absence dans le projet d’accord de mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal, alors qu’il s’agit d’un impératif, demeure regrettable.

Nous ne pouvons pas imposer à nos agriculteurs des contraintes dans ces domaines sans faire de même pour les produits qui arrivent dans notre pays. Nous ne sommes pas à l’abri du scénario cauchemardesque d’un marché français qui serait envahi par les volailles dopées aux molécules de synthèse. Les mécanismes de mesures miroirs et de réciprocité des exigences réglementaires de production doivent être inscrits dans l’accord.

Enfin, autre exigence de bon sens, et pourtant loin d’être effective, les États membres doivent être davantage intégrés dans l’élaboration de la politique commerciale commune. Paris, Rome ou Varsovie doivent être pleinement impliqués lorsque le sort de millions de consommateurs et d’agriculteurs est en jeu.

Nous connaissons la répartition des compétences en droit primaire, mais il est important d’affirmer qu’il y a, certes, la loi, mais, surtout, l’esprit de la loi. Compétence exclusive ne rime pas avec exclusion des États membres.

L’enjeu aujourd’hui est d’agir de manière concertée et collective en faisant de la politique commerciale commune l’objet de tous, et non pas uniquement une décision prise entre Bruxelles et Strasbourg.

Le groupe Union Centriste partage pleinement les recommandations de la présente proposition de résolution. C’est pourquoi ses membres la voteront et appellent vivement le Gouvernement à prendre ces dernières en compte. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Louault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur l’accord en question, y compris dans le texte de la proposition de résolution très complète qui a été présentée par les sénateurs du groupe Les Républicains et par ceux du groupe Union Centriste.

Je fais évidemment miennes l’ensemble des objections très sérieuses qui ont été soulevées. Cependant, je m’autorise quelques remarques.

Il m’apparaît tout d’abord que l’accord négocié par la Commission européenne et annoncé comme « conclu » dès le mois de juin 2019 n’est pas du meilleur intérêt pour la France. Parlons clair, au risque de ne pas faire montre du meilleur esprit européen : l’accord UE-Mercosur est surtout un accord voulu et promu par l’Allemagne et configuré pour ouvrir de grands marchés latino-américains à ses exportations automobiles et d’équipement industriel !

Plutôt que d’assumer cette divergence d’intérêts commerciaux au sein de l’Union européenne et d’affirmer ouvertement son opposition à la conclusion d’un tel accord, le gouvernement français a préféré tergiverser et se cacher derrière des arguments qui ne sont, pour l’essentiel, que des prétextes. (M. le ministre le conteste.)

Premier argument, l’accord proposé par la Commission européenne ne serait pas suffisamment vertueux dans les domaines climatique et environnemental. Il conviendrait par conséquent de le compléter pour obtenir des pays du Mercosur des engagements additionnels en matière de respect de l’accord de Paris et de lutte contre la déforestation. Dont acte.

Un projet de protocole additionnel est à présent sur la table, mais les pays du Mercosur rechignent encore à l’accepter. Le danger est toutefois réel pour la France que l’accord amélioré ne soit bientôt finalisé et que cet argument à l’encontre de sa conclusion ne tienne plus.

Deuxième argument, les produits agricoles originaires des pays du Mercosur et libéralisés au titre de l’accord n’obéiraient pas aux mêmes normes et standards de production que ceux qui sont imposés aux producteurs européens. Il conviendrait donc d’inclure dans l’accord des clauses dites miroirs, comme préalable à une telle ouverture commerciale. Soit.

Sauf que ce concept même de clauses miroirs est une invention franco-française, un gadget qui n’a jamais été clairement entériné par nos partenaires européens et a fortiori accepté par les pays avec lesquels nous sommes appelés à conclure des accords commerciaux. Des obstacles autant pratiques que juridiques empêchent que l’on puisse généraliser, comme certains voudraient le faire croire, l’imposition aux produits importés de tous les standards de production appliqués dans l’Union européenne. Certes, la Commission européenne a un rapport semblant ouvrir la voie à des progrès dans ce sens. Néanmoins, elle a bien insisté sur les difficultés de l’entreprise et souligné que des dispositions ne pourraient être prises qu’au cas par cas, produit par produit, norme par norme, accord par accord, selon des critères de faisabilité.

Il n’est donc pas étonnant que ce projet français n’ait connu que de très faibles avancées sous les présidences suivantes de la République tchèque, de la Suède et de l’Espagne.

Mes chers collègues, le gouvernement français devrait cesser d’avancer masqué et assumer clairement son opposition ferme à cet accord UE-Mercosur sans chercher de prétextes autres que la défense de nos intérêts nationaux et la protection de nos secteurs agricoles les plus sensibles, déjà lourdement affectés par les accords conclus avec le Canada et la Nouvelle-Zélande. À cet égard, il est important d’empêcher que la Commission européenne ne scinde l’accord, ne mette éventuellement la France en minorité au Conseil et n’ouvre la voie à sa conclusion sur la base de la seule approbation du Parlement européen.

Au risque de paraître politiquement incorrect, y compris aux yeux des membres de mon propre groupe, je considère que les clauses miroirs sont surtout un miroir aux alouettes ! Si l’on veut véritablement ne pas infliger à nos producteurs agricoles la concurrence déloyale de produits brésiliens et autres obtenus dans des conditions très différentes de celles qu’eux-mêmes doivent respecter, il suffit de ne pas réduire ou éliminer les droits de douane qui les protègent et de ne pas ouvrir les contingents tarifaires prévus dans le projet d’accord. C’est à la fois plus honnête et, surtout, plus efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (M. Bernard Buis applaudit.)

M. Stéphane Séjourné, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir inscrit à l’ordre du jour des travaux du Sénat l’examen de la présente proposition de résolution, dont je salue les auteurs, Sophie Primas et Jean-François Rapin. Cela nous permet de faire le point sur le potentiel accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Ce sujet, auquel la société civile de même que le Gouvernement prêtent une grande attention, nous mobilise particulièrement.

En effet, un tel débat illustre très concrètement le travail mené par la France pour rendre la politique commerciale européenne plus durable et plus équilibrée. Il s’agit de faire en sorte qu’elle soit bénéfique à tous, et d’abord aux Français, donc à nos intérêts nationaux, monsieur le sénateur Panunzi ; j’entendais vos arguments, qui sont totalement loyaux.

En premier lieu, la France œuvre à renforcer la protection du climat – ce n’est pas incompatible ! – et de l’environnement en général, ainsi que celle des droits des travailleurs au sein de la politique commerciale européenne.

C’est un travail de longue haleine, entamé dès 2017. Il s’est notamment concrétisé avec la nouvelle stratégie de la Commission européenne pour une politique commerciale « ouverte, durable et assertive ». Cette politique s’est aussi traduite par des avancées sous présidence française du Conseil de l’Union européenne, avec, par exemple, l’adoption par la Commission européenne d’une nouvelle approche en matière de commerce et développement durable. Celle-ci est depuis progressivement déclinée dans les nouveaux accords, par exemple avec la Nouvelle-Zélande, le Chili et le Kenya, et dans les négociations en cours.

Il me faut mentionner deux règlements entrés en vigueur en 2023 : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) – certains l’ont mentionné – et le règlement « zéro déforestation ». Je sais que ce dernier rejoint vos préoccupations : il vise à interdire la mise sur le marché européen des produits ayant contribué à la déforestation en Europe comme dans les pays tiers.

Ce sont des avancées majeures et réelles.

Dans le cas du potentiel accord entre l’Union européenne et le Mercosur, le Président de la République a rappelé à la COP28, au mois de décembre dernier, sa position constante : l’accord n’est pas acceptable en l’état. Il n’est pas envisageable de conclure un accord qui ne serait pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux d’aujourd’hui et qui ne protégerait pas nos intérêts économiques.

Nous avons signalé à de nombreuses reprises la nécessité d’avoir des engagements additionnels contraignants et ambitieux sur le développement durable. Nous continuerons de le faire.

Je me félicite par conséquent de la convergence de vues entre le Gouvernement et le Sénat sur le sujet.

En second lieu, l’ouverture commerciale reste nécessaire à l’économie française, mais elle ne doit pas s’effectuer au détriment de l’environnement.

L’ouverture reste nécessaire pour nos entreprises françaises, mais aussi pour la sécurité de nos approvisionnements. Toutefois, il ne serait pas compréhensible que les efforts consentis par les producteurs européens se traduisent par une hausse des importations en provenance de pays moins-disants en matière environnementale.

Nous avons obtenu des avancées majeures en ce sens durant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. La promotion des mesures miroirs est un élément significatif de ce bilan.

Comme vous le savez, il s’agit de mesures de politique sectorielle : elles sont incluses dans la législation de l’Union européenne et distinctes des accords de commerce. Elles consistent à appliquer certains standards environnementaux et sanitaires européens à l’ensemble des produits importés de tous les pays tiers. De telles mesures sont mises en place lorsqu’elles sont jugées nécessaires. Rien n’empêche les États tiers d’exercer leur souveraineté réglementaire. Nous défendons la nôtre. Lorsque des mesures sont indispensables pour protéger la santé publique ou l’environnement en Europe, nous les assumons.

Je constate que les auteurs de la présente proposition de résolution formulent des regrets quant au manque d’avancées en matière de mesures miroirs. Je ne partage pas une telle analyse. Nous avons des premiers résultats : d’abord – c’est une victoire française –, une mesure miroir concernant l’interdiction d’importer des viandes bovines traitées avec des antimicrobiens ; ensuite – c’était un combat du Parlement européen et des institutions européennes, et la France y a participé –, l’interdiction d’importer des biens agricoles contenant des traces de deux néonicotinoïdes néfastes pour les pollinisateurs.

Ce sont de premiers résultats qu’il convient de conforter : chaque proposition ou révision de législation sectorielle doit faire l’objet d’un réflexe mesure miroir au stade de l’étude d’impact. Je pense qu’il s’agit d’un point essentiel dans notre réflexion collective.

C’est à ce moment-là que la Commission européenne doit s’interroger sur l’utilité d’étendre sa proposition aux importations. Je me félicite que votre texte soutienne ce travail de généralisation.

Cependant – il faut en avoir conscience –, c’est un travail qui demande du temps : de telles mesures doivent reposer sur un fondement scientifique solide. Il y a un risque de rétorsions de la part de nos partenaires. Il faut nécessairement laisser à ces pays le temps de s’adapter aux dispositions que nous adoptons. Nous-mêmes, nous n’accepterions pas non plus que nos exportations soient soumises à de brusques changements de législation des pays tiers sans période de transition.

Nous ne devons pas craindre un agenda commercial ouvert tant qu’il reste durable et équilibré ! La négociation entre l’Union européenne et le Mercosur en est l’illustration concrète : nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix. En l’état actuel, l’accord devra être profondément amélioré sur ces thématiques : c’est une position constante du Gouvernement.

Mme Cécile Cukierman. Dans ce cas, autant renoncer à toute idée de souveraineté alimentaire !

M. Stéphane Séjourné, ministre. Je souhaite profiter de l’occasion que vous m’offrez aujourd’hui – c’est mon premier débat en tant que ministre dans cet hémicycle – pour dissiper un doute. Oui, on peut s’opposer à l’accord avec le Mercosur en l’état et, en même temps (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.), chercher à approfondir nos liens avec l’Amérique latine !

Pourquoi ? Tout d’abord, parce que l’Union européenne et les États du Mercosur partagent des liens historiques et politiques anciens et étroits. Nous partageons aussi des valeurs, celles de l’État de droit et du respect de la personne humaine.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique commerciale de l’Union européenne a un rôle important à jouer pour ouvrir des débouchés pour nos entreprises, mais aussi pour sécuriser nos approvisionnements. Pour autant, nous ne soutiendrons pas un accord à tout prix, même avec des pays amis. Le Gouvernement partage en cela les préoccupations que vous avez exprimées dans cette proposition de résolution. Nous sommes à l’œuvre sur de nombreux points qui sont mentionnés dans ce texte.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis de sagesse bienveillante (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) sur la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.

proposition de résolution relative aux négociations en cours en vue d’un accord commercial entre l’union européenne et le mercosur

Le Sénat,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 50 bis du Règlement du Sénat,

Vu l’Accord d’association conclu entre la Commission européenne et le Mercosur le 28 juin 2019,

Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce du 30 octobre 1947,

Vu le traité d’Asunción du 7 mars 1991 fondant le marché commun du Sud entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206 et 207,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 22 juin 2022, intitulée « La force des partenariats commerciaux: ensemble pour une croissance économique verte et juste », COM(2022) 409 final,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 18 février 2021, intitulée « Réexamen de la politique commerciale – Une politique commerciale ouverte, durable et ferme », COM(2021) 66 final,

Vu l’avis politique relatif à la consultation publique lancée par la Commission européenne, intitulée « Commerce et développement durable dans les accords commerciaux de l’Union européenne : réexamen de l’approche actuelle », adopté par la commission des affaires européennes du Sénat le 28 octobre 2021, et la réponse de la Commission européenne du 2 février 2022,

Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre-échange avec Singapour,

Vu la Charte des droits fondamentaux, et notamment son article 37,

Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,

Vu le cadre mondial sur la biodiversité de Kunming-Montréal du 18 décembre 2022,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l’Europe », COM(2019) 640 final,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 sur la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, intitulée « Ramener la nature dans nos vies », COM(2020) 380 final,

Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,

Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 mai 2020 sur la stratégie « De la ferme à la table », intitulée « Pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement », COM(2020) 381 final,

Vu la note du 4 février 2022, présentée par la France lors du Conseil de l’Union européenne en formation « Agriculture et pêche » du 21 février 2022, intitulée « Renforcer la cohérence entre le Pacte vert, la PAC et la politique commerciale pour soutenir la transition vers des systèmes alimentaires durables »,

Vu le rapport de la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil du 3 juin 2022, intitulé « Application des normes sanitaires et environnementales de l’Union aux produits agricoles et agroalimentaires importés », COM(2022) 226 final,

Vu l’article 118 du règlement (UE) 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif aux médicaments vétérinaires et abrogeant la directive 2001/82/CE,

Vu l’arrêté du 21 février 2022 portant suspension d’introduction, d’importation et de mise sur le marché en France de viandes et produits à base de viande issus d’animaux provenant de pays tiers à l’Union européenne ayant reçu des médicaments antimicrobiens pour favoriser la croissance ou augmenter le rendement,

Vu l’article L. 236-1 A du code rural et de la pêche maritime,

Vu l’article 12 bis de la proposition de loi n° 349 (2022-2023) pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France,

Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,

Vu la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée 2018-2030, adoptée le 14 novembre 2018,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Alimentation durable et locale », n° 620 (2020-2021) – 19 mai 2021 – de MM. Laurent Duplomb, Hervé Gillé, Daniel Gremillet, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Frédéric Marchand et Mme Kristina Pluchet, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des affaires économiques,

Vu le rapport du Sénat intitulé « Cinq plans pour reconstruire la souveraineté économique », n° 755 (2021-2022) – 6 juillet 2022 – de Mmes Sophie Primas, Amel Gacquerre et M. Franck Montaugé, fait au nom de la commission des affaires économiques,

Vu la réponse de Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, à la question posée au Sénat par M. Jean-François Rapin le 21 juin 2023,

Vu la résolution de l’Assemblée nationale relative à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur du 13 juin 2023,

Considérant que le président de la République fédérative du Brésil, M. Luiz Inácio Lula da Silva, en visite officielle en France les 22 et 23 juin 2023, a jugé la signature de cet accord « urgente et hautement indispensable » pour son pays et qu’il a indiqué souhaiter « soulever [avec le président de la République française] la question du durcissement de l’accord par le Parlement français » ;

Considérant que la Commission européenne, dans son programme de travail pour l’année 2023, plaide en faveur de la ratification intégrale des accords commerciaux, notamment ceux conclus avec le Chili, le Mexique et la Nouvelle-Zélande, afin de renforcer la résilience de l’Union et de diversifier ses chaînes d’approvisionnement, et qu’elle souhaite présenter un nouveau programme pour l’Amérique latine et les Caraïbes ;

Considérant que la présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, a déclaré, le 13 juin 2023, espérer une ratification de l’accord conclu avec le Mercosur le 28 juin 2019 d’ici la fin de l’année 2023 ;

Considérant que la signature puis la ratification de l’accord avec le Mercosur constitueront, pour des raisons géopolitiques et d’affinités culturelles, l’une des priorités de la présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui débutera le 1er juillet 2023 ;

Considérant que l’Union européenne s’est fixé comme objectif de contribuer, « grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux » ;

Considérant que les accords de libre-échange offrent l’opportunité de stimuler les exportations, de développer la concurrence et l’innovation au sein du marché intérieur et, ainsi, de créer des emplois et de la richesse ;

Considérant que le Mercosur constitue un ensemble économique dynamique, de plus de 250 millions de consommateurs, disposant également de ressources, en particulier en métaux rares, utiles pour mener à bien la transition énergétique ;

Considérant que plus de 1 000 entreprises opèrent sur le marché brésilien et que la France est le troisième pourvoyeur d’investissements directs étrangers au Brésil ;

Considérant qu’un accord commercial avec le Mercosur constituerait une opportunité pour les départements, les régions et les collectivités d’outre-mer de la zone caribéenne, leur permettant de renforcer leurs liens économiques avec l’Amérique du Sud ;

Considérant que les surfaces boisées ont diminué de 129 millions d’hectares entre 1990 et 2015 dans le monde, que la déforestation contribue, pour environ 11 %, aux émissions mondiales de gaz à effet de serre et à l’effondrement de la biodiversité, et que le changement d’usage des terres en Amérique latine, en particulier pour l’élevage bovin ou la production de soja, est un facteur majeur d’aggravation de la déforestation ;

Considérant les promesses de l’Union européenne d’une contribution de 20 millions d’euros au fonds pour l’Amazonie ;

Considérant que la quantité de pesticides épandue est de 6 kg/ha au Brésil, contre 3,6 kg/ha en France, et que l’Union européenne n’a toujours pas renoncé à ses procédures d’évaluation des limites maximales de résidus (LMR) de produits phytosanitaires sur les produits importés, dites « tolérances à l’importation » ;

Considérant que l’Union européenne recense 1 498 substances actives, en interdit 907, et que le plan de contrôle européen, décliné par les États membres, ne prévoit que 176 substances à analyser ;

Considérant la nécessité d’une mise en cohérence de la politique commerciale commune avec les autres politiques de l’Union européenne, en particulier sa politique environnementale et la PAC ;

Considérant le caractère paradoxal d’un tel accord, qui entrerait en contradiction avec l’agenda environnemental et social de la Commission, et établirait une concurrence déloyale pénalisant d’autant plus les États et les acteurs économiques qu’ils se sont investis dans l’amélioration de leurs standards de production ;

Considérant les déclarations du président de la République au Salon international de l’agriculture, le 25 février 2023, selon lesquelles « un accord avec les pays du continent latino-américain n’est pas possible s’ils ne respectent pas comme nous les Accords de Paris et s’ils ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu’on impose à nos producteurs » ;

Considérant cependant que les mesures miroirs constituaient une priorité de la présidence française de l’Union européenne au premier semestre 2022, mais qu’elles n’ont connu que de très faibles avancées depuis lors, sous les présidences tchèque puis suédoise, traduisant la perte d’influence de la France au sein de l’Union européenne ;

Considérant l’absence d’évaluation globale de l’impact cumulé des accords de libre-échange à l’échelle d’un secteur économique, alors que l’accord avec la Nouvelle-Zélande ou celui, en cours de négociation, avec l’Australie octroient déjà ou envisagent d’octroyer des quotas supplémentaires pour les produits agricoles ;

Considérant les distorsions de concurrence qui résulteraient de la souplesse des réglementations relatives aux méthodes d’élevage et de transport des animaux dans les pays du Mercosur, comparée au haut degré d’exigence de la législation européenne sur le bien-être animal, que l’Union s’apprête à réviser et qui proscrit notamment l’élevage en cage ;

Considérant que les États parties au Mercosur sont de grandes puissances agricoles ayant le potentiel de déstabiliser le marché européen et que l’accord avec le Mercosur ouvrirait des quotas supplémentaires sans droits de douane ou avec droits de douane réduits pour 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre, 1 million de tonnes de maïs, 650 000 tonnes d’éthanol et 180 000 tonnes de volaille ;

Considérant qu’un tel afflux, sur le marché européen, de produits alimentaires issus de pays ne connaissant pas les mêmes contraintes sur leurs méthodes de production exposerait nos entreprises et nos exploitants agricoles à une concurrence déloyale ;

Considérant que le secteur primaire a trop souvent été par le passé la variable d’ajustement des accords de libre-échange, les gains macroéconomiques globaux masquant un impact parfois fortement négatif pour le monde agricole, en particulier pour certaines filières de production animale à l’équilibre économique déjà fragile ;

Considérant ainsi le risque substantiel que cet accord ferait peser sur la sécurité des approvisionnements agricoles et la traçabilité alimentaire en France et en Europe, portant de ce fait atteinte à la souveraineté alimentaire de l’Union et à la bonne information des consommateurs au sein du marché intérieur ;

Considérant que l’Accord économique et commercial global (Comprehensive Economic and Trade Agreement, CETA), adopté en juillet 2016, est entré en application, à partir de 2017, pour les aspects de l’accord qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union, soit environ 90 % de l’accord, sans avoir jamais été soumis à la ratification du Sénat, malgré ses demandes répétées ;

Considérant que l’Union européenne exerce une compétence exclusive en matière de politique commerciale, dans les limites et sous les réserves précisées par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa jurisprudence dite « Singapour » ;

Considérant que certains accords de commerce, enrichis de dispositions allant au-delà de la seule réduction des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges de biens et de services, sont des accords mixtes, nécessitant la ratification expresse du Parlement européen à la majorité et des États membres à l’unanimité, selon leurs procédures constitutionnelles respectives ;

Considérant que la pratique de la Commission européenne consistant à découper les accords commerciaux pour isoler les dispositions relevant de sa compétence exclusive de celles relevant d’une compétence partagée avec les États membres fragilise l’assise démocratique de la politique commerciale commune ;

Considérant que la Commission européenne a suivi ce mode opératoire pour l’accord-cadre avec le Chili en décembre 2022, qui ne sera soumis à la ratification des États membres que de façon tronquée, et qu’elle envisage de faire de même pour l’accord avec le Mexique ;

Considérant que la résolution n° 1173 (2022-2023) adoptée par l’Assemblée nationale pose, elle aussi, trois conditions, à savoir l’instauration de mesures miroirs, l’intégration de clauses suspensives en cas de non-respect de l’accord et la ratification de cet accord conformément à la procédure prévue pour les accords mixtes ;

Estime que les conditions démocratiques, économiques, environnementales et sociales ne sont pas réunies pour la conclusion de l’accord trouvé avec le Mercosur le 28 juin 2019 ;

Rappelle que la France a posé trois conditions à la signature de l’accord, à savoir : ne pas augmenter la déforestation importée dans l’Union européenne, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris et instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale ;

Demande au Gouvernement de tenir avec fermeté cette ligne lors des négociations à venir au Conseil, en conformité avec les conclusions de ce dernier du 17 octobre 2022, qui affirment que l’Union doit être à l’avant-garde des efforts en faveur du développement durable et soulignent que la durabilité est l’une des principales priorités de l’Union et constitue, avec l’ouverture et la fermeté, l’un des trois piliers de la stratégie de l’Union européenne en matière de politique commerciale ;

Invite donc le Gouvernement à refuser tout accord commercial avec le Mercosur tant que des mesures miroirs en matière environnementale, sociale et de bien-être animal ne seront pas appliquées pour empêcher la concurrence déloyale des importations d’Amérique du Sud ;

Appelle de manière plus générale le Gouvernement à accentuer ses efforts au sein du Conseil pour obtenir l’adoption et l’application systématiques de mesures miroirs dans nos relations commerciales avec les États tiers et à renforcer la qualité et la quantité des contrôles aux frontières, une fois ces mesures miroirs instaurées, pour en assurer l’effectivité ;

Insiste sur l’importance, afin d’assurer la solidité de l’accord dans la durée, de se doter d’un mécanisme de règlement des différends efficace, crédible, rapide et dissuasif, ainsi que de moyens effectifs pour son application, incluant des sanctions ;

Considère que l’accord mixte conclu avec le Mercosur doit faire l’objet d’une ratification par les États membres ;

S’oppose en conséquence fermement à toute scission de l’accord pour contourner le contrôle démocratique exercé par les Parlements nationaux et demande instamment au Gouvernement de refuser toute démarche en ce sens, conformément à la position qu’il a affirmée devant le Sénat le 21 juin 2023 ;

Appelle de manière plus générale à une meilleure association des Parlements nationaux au processus de négociation des accords commerciaux internationaux et invite le Gouvernement à refuser à l’avenir toute scission d’un accord mixte ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil.

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
 

6

Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ? »

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une particulière gravité que j’ouvre ce débat sur l’avenir du pastoralisme face à la prédation du loup.

Si certains n’en avaient pas encore conscience, je peux certifier que, sur le terrain, la situation est particulièrement dramatique.

Je vous le dis en tant qu’élue du département des Alpes-Maritimes, où, au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, près de 600 constats d’attaques indemnisables ou en cours d’instruction ont été dénombrés, pour plus de 1 500 bêtes victimes de la prédation. Je vous le dis en tant qu’élue d’un département champion de France en la matière, un titre dont il se passerait bien.

D’année en année, la prédation du loup prend de l’ampleur géographiquement et numériquement, si bien qu’il n’existe plus véritablement ni territoires en première ligne ni territoires préservés.

Plus de cinquante départements sont aujourd’hui concernés. Or, dans nombre d’entre eux, les mesures de protection ont disparu des habitudes.

C’est en particulier le cas dans les plaines, où le loup évolue non pas nécessairement en meute, mais de façon isolée, sans pour autant causer moins de dégâts.

Autant dire que la question agite fortement et légitimement la ruralité dans son ensemble. Mes chers collègues, en tant que sénateurs, vous connaissez mieux que quiconque la détresse et l’inquiétude que provoque le retour du loup à une telle échelle.

Bien sûr, le sujet est difficile, car plusieurs logiques s’affrontent : d’une part, la survie d’une espèce sauvage protégée, d’autre part, la viabilité du pastoralisme dans certaines régions, voire tout bonnement – j’ose le dire – celle de l’élevage. Ce dernier est en effet déjà confronté à une crise polyfactorielle, la décapitalisation n’ayant pas attendu le loup pour se manifester.

Les dynamiques sont ainsi faites qu’elles évoluent vite et les discours que l’on entend, de-ci, de-là, sur la gestion du loup ne me semblent plus adaptés aux observations de terrain.

Or, en tant que responsable politique, j’affirme comme Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Nous devons cette honnêteté à nos concitoyens, par-delà les idéologies ou les a priori.

Or que voit-on ? Alors que le seuil de préservation de l’espèce lupine était fixé à 500 individus, 1 104 individus ont été officiellement – j’insiste sur ce terme – recensés depuis le mois de septembre 2023.

Sans remettre en question les comptages officiels, dont les résultats sont toujours sous-estimés, force est de constater que la population de loups a subitement augmenté de 198 unités entre les mois de juillet et de septembre 2023. L’objectif est donc plus que doublement atteint.

Quand une politique de préservation des espèces porte ainsi ses fruits – c’est malheureusement suffisamment rare pour être souligné –, il faut aussi savoir l’acter.

Signe des temps, la Commission européenne elle-même, elle que l’on peut difficilement soupçonner d’être une ennemie de la nature depuis l’adoption du Pacte vert pour l’Europe, a proposé, au mois de décembre dernier, de sortir le loup de l’annexe II de la Convention du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite convention de Berne.

Le plan national d’actions (PNA) 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage, ou plan Loup, présenté par le Gouvernement au mois de septembre dernier, s’en tenait, quant à lui, au lancement d’une réflexion sur l’opportunité de cette évolution.

Mes travaux au sein du groupe de travail sur le loup lancé par mon groupe politique m’en ont convaincue : il faut enfin sortir des ambiguïtés et emprunter clairement cette voie.

Faiblir sur le loup, c’est ouvrir la voie pour l’ours – nos collègues des Pyrénées ne le savent que trop bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ayons néanmoins conscience que cette démarche prendra nécessairement plusieurs mois : elle devra aller de concert avec une révision, à l’unanimité des États membres, de la directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite Habitats-faune-flore. Elle nécessitera, par ailleurs, des adaptations réglementaires en droit interne.

Dans l’attente de cette évolution, il nous faut exploiter toutes les possibilités offertes par le droit international et par le droit européen.

En la matière, force est de reconnaître qu’il ne s’est pas rien passé en 2023 : d’une part, une seconde brigade « grands prédateurs terrestres » de l’Office français de la biodiversité (OFB) a été installée à Rodez, en complément de celle de Gap, d’autre part, la nouvelle version du plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage contient quelques avancées, notamment pour ce qui concerne les protocoles de tir et les procédures simplifiées.

Ainsi, pour protéger les bovins dans les territoires les plus touchés, des tirs dérogatoires sans attaque préalable ni mise en œuvre des moyens de protection ont été autorisés.

Par ailleurs, deux, voire trois tireurs peuvent désormais procéder aux tirs de défense simples, contre un seul auparavant.

Enfin – c’est un élément important –, les louvetiers pourront tirer sans éclairer la cible au préalable.

Nous ne pouvons que regretter que ces mesures n’aient pas reçu l’onction des associations de protection de la nature. Elles s’inscrivent pourtant dans la continuité de notre histoire républicaine.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. En effet, créées sous la Révolution française, les primes de destruction du loup ont été multipliées, sous la Troisième République naissante, par six à huit, pour atteindre l’équivalent de soixante journées de travail. La loi du 3 août 1882 imposait également leur versement sous quinze jours.

En comparaison, le soutien public actuel aux lieutenants de louveterie, entièrement bénévoles, paraît bien maigre.

Je forme le vœu que les conclusions de la mission d’inspection en cours sur les louvetiers permettent enfin une meilleure prise en charge de leurs frais.

Sans reproduire les erreurs du siècle passé – elles ont conduit à fixer pour objectif l’éradication du loup –, ne pourrait-on pas, enfin, chercher un meilleur équilibre ?

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Pourquoi ne pas reconnaître qu’entre le loup et la brebis le loup est l’agresseur, et la brebis, la victime ?

Pourquoi ne pas reconnaître la violence que représente la prédation pour des éleveurs amoureux de leur métier, que tous les chèques d’indemnisation du monde ne suffiront jamais à apaiser ?

Ne pourrait-on pas admettre que nos éleveurs et nos bergers subissent une forme de harcèlement, les astreignant à une veille constante et les soumettant à l’angoisse perpétuelle du lendemain matin ?

L’amélioration de leurs conditions de travail ne devrait-elle pas constituer le premier des leviers pour l’attractivité des métiers du vivant, à l’aube d’une loi sur le renouvellement des générations, devenu le défi majeur de notre agriculture ?

Nos éleveurs ont le droit à la tranquillité et à la sécurité !

Pour conclure, je dois vous avouer ce qui m’attriste le plus dans la situation actuelle : que le pastoralisme soit toujours plus réduit à son face-à-face avec le loup, à l’heure où la transhumance a été reconnue au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Frédérique Espagnac, ainsi que MM. Olivier Bitz et Vincent Louault applaudissent également.)

MM. Jean-Michel Arnaud et Max Brisson. Bravo !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Trop souvent, la question de la prédation emporte tout cela, laissant accroire qu’il existe un débat pour ou contre le loup ou l’ours, alors que, je le répète, celui-ci n’a pas lieu d’être.

Je forme donc le vœu d’une baisse de pression et d’une véritable régulation de la prédation. C’est à cette seule condition que la cohabitation sera vivable entre la faune sauvage et le pastoralisme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER. – MM. Olivier Bitz et Vincent Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis vraiment très heureux – ce n’est pas une formule de style – que le groupe Les Républicains ait souhaité l’organisation au Sénat d’un débat sur l’élevage, en particulier sur le pastoralisme.

Madame Estrosi Sassone, dans votre conclusion, vous avez mentionné le signal favorable que constituait l’inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, le 6 décembre dernier. Cette décision est le résultat d’un travail collectif de longue haleine commencé en 2019 par les acteurs du pastoralisme et de l’élevage.

Cette inscription, que je tiens à saluer, permettra de reconnaître le rôle social, économique, culturel et touristique de la transhumance et du pastoralisme. Elle viendra par ailleurs conforter les politiques publiques que nous essayons de développer au travers du nouveau plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage.

Après avoir été présenté au groupe national Loup au mois de septembre dernier, puis avoir fait l’objet d’une consultation publique, ce plan doit être publié dans les prochains jours.

Comme vous le savez, et même si le sujet du loup ne relève pas entièrement du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire,…

M. Marc Fesneau, ministre. … j’ai souhaité le prendre à bras-le-corps dès ma prise de fonction. Ce faisant, compte tenu du caractère épineux du sujet depuis une décennie, j’ai, en quelque sorte, pris des risques.

La prédation occasionne en effet une grande détresse chez les éleveurs, qui se sentent souvent incompris. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment qu’aux yeux des pouvoirs publics l’indemnisation vaudrait quitus.

Par ailleurs, ce sujet alimente le sentiment d’abandon qu’éprouvent nos agriculteurs et éleveurs, singulièrement dans les zones difficiles concernées par la prédation.

L’enjeu est donc majeur : il dépasse de très loin la seule question de l’indemnisation. Au fond, il s’agit avant tout de la désespérance de ces hommes et de ces femmes auprès desquels je me suis rendu à plusieurs reprises.

Il faut mesurer – vous la connaissez bien, madame la sénatrice – la détresse d’un éleveur dans les instants qui suivent la prédation.

M. Michel Savin. Bien sûr !

M. Marc Fesneau, ministre. Saluons, à cet égard, l’accompagnement que proposent les organisations professionnelles et les services de l’État, y compris l’OFB d’ailleurs, aux éleveurs dans ces moments très difficiles.

Il faut mesurer la désespérance de ces hommes et de ces femmes qui ont investi dans du matériel de prévention, se sont dotés de chiens de protection, ont respecté les règles relatives aux tirs de défense et qui ne voient pas venir pour autant la fin de leurs difficultés. Ils ont le sentiment que ces efforts et ces règles ne suffisent plus à protéger leurs animaux et que les outils dont ils disposent ne sont plus adaptés à la situation.

Plus encore, vous le constatez dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs : le loup est devenu un sujet de tension territoriale, parfois symptomatique de l’incompréhension entre le monde urbain et le monde rural. Il s’agit là d’un défi redoutable.

Revenons au point de départ. Après quatre plans Loup qui ont eu pour objet de protéger strictement une espèce disparue de notre territoire voilà cent ans environ avant d’y revenir naturellement, ce cinquième plan Loup ne pouvait pas en être un simple prolongement.

Le loup est réapparu en 1992. Trente ans plus tard, il n’était pas possible de continuer comme avant, compte tenu des évaluations de la population réalisées notamment par les services de l’OFB.

C’est un fait avéré : la conservation de l’espèce est aujourd’hui assurée. Pour le dire clairement, ce sont non plus les loups qui sont menacés de disparition, mais les activités d’élevage.

Ces cinq dernières années, la population de loups a doublé, passant de 510 à 1 104, tandis que 55 départements sont aujourd’hui concernés par la prédation, contre 31 autrefois.

Chaque année, 12 000 à 14 000 animaux sont tués. Après les ovins puis les caprins, les bovins, les asins et les équins sont à leur tour victimes des attaques du prédateur. En un mot, la progression géographique du loup s’accompagne d’une progression des dégâts.

Le nouveau plan affiche donc une ambition d’équilibre et se fonde sur un nouveau paradigme : il s’agit non plus seulement de conserver l’espèce, mais également de sauver l’élevage, en particulier le pastoralisme.

Pour tenir cet équilibre, les acteurs du débat public doivent prendre conscience des réalités vécues au quotidien par nos éleveurs. Nul doute que vous y contribuerez au travers de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes en première ligne face aux difficultés que soulève l’expansion du loup.

Vous savez ce qu’elle induit comme usure, traumatisme, désespérance et crispations dans les territoires.

À un tel degré, la coexistence avec le loup n’est parfois plus compatible avec le maintien d’une activité d’élevage.

En toile de fond, les éleveurs, mais aussi le monde rural en général, ont parfois le sentiment que les réalités vécues sur le terrain sont niées. Nous devons y être attentifs.

C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur les priorités suivantes, désormais inscrites dans le plan national d’actions 2024-2029.

Premièrement, il s’agit de mettre l’élevage et le pastoralisme au cœur de ce plan d’actions : nous avons besoin non pas seulement d’un nouveau « plan Loup », mais d’un « plan national d’actions pour le pastoralisme et la prédation du loup ».

Deuxièmement, nous voulons interroger, puis réviser le statut de l’espèce. Madame la sénatrice, vous avez indiqué que cet objectif était absent du plan Loup. Permettez-moi de vous en lire un passage : « Suite aux annonces le 4 septembre 2023 de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la France se mobilisera et sera force de proposition de manière à adapter le statut de l’espèce à son état de conservation sur la base des données scientifiques disponibles. »

Je vous informe d’ailleurs – nous venons de l’apprendre – que la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen se saisira de cette question à la fin du mois de janvier prochain.

S’ouvrira alors un processus qui débouchera sur une position européenne, laquelle permettra d’étudier la question dans le cadre de la convention de Berne et ensuite de revenir sur la directive Habitats-faune-flore.

Je vous le concède, cela peut paraître long.

M. Marc Fesneau, ministre. Disons-le : l’attente aura duré trente ans. Jusqu’à présent, aucun plan Loup n’avait interrogé le statut de l’espèce.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Oui !

M. Marc Fesneau, ministre. On peut trouver le temps long, toujours est-il que nous sommes à l’origine de cette démarche.

Puisqu’il s’agit désormais d’une question de mois, nous sommes, me semble-t-il, dans une phase d’accélération.

Chaque groupe politique doit désormais se saisir de la question du statut de l’espèce. Nous pourrions alors passer d’une logique de tirs de défense dérogatoires à une logique de prévention par tirs de gestion.

De ce sujet fondamental découlera notre politique en la matière. Si le statut du loup évolue à l’échelle européenne, nous pourrions réviser le PNA sans attendre 2029, selon des modalités assez simples qui sont déjà prévues dans ce plan. Nous pourrions alors instaurer des quotas de tirs, ce qui constituerait une grande nouveauté.

Seul le passage de l’espèce de « strictement protégée » à « protégée » permettra cette évolution, qui me paraît indispensable.

Troisièmement, il s’agit d’intégrer les enjeux liés à la présence du loup dans de nouveaux territoires, appelés les fronts de colonisation, qui concerne de nouveaux élevages. Il semble important de mieux prendre en compte certaines particularités territoriales – le bocage ou encore les petites parcelles – qui rendent difficile la protection dans le respect des contraintes imposées jusqu’à présent.

Quatrièmement, la direction des affaires juridiques de mon ministère travaille à l’adaptation du cadre législatif et réglementaire des chiens de protection. Les éleveurs ne doivent plus craindre d’être mis en cause pénalement pour le seul fait d’avoir acquis, comme cela leur a été demandé, des chiens de protection des troupeaux.

Cinquièmement enfin, il s’agit de simplifier les protocoles de tirs. L’arrêté prévoyant la fin de l’obligation d’éclairage préalable de l’animal et permettant le passage à deux ou trois tireurs contre un seul aujourd’hui, sera publié dans les prochains jours. Nous veillerons également à raccourcir les délais et les procédures.

Je l’ai dit cette année à plusieurs de mes interlocuteurs : cessons de déplorer en fin d’année de ne pas avoir procédé aux prélèvements prévus. Cessons de « cavaler », alors que la prédation s’est développée tout au long du printemps. Posons-nous la question d’agir en amont plutôt qu’en aval : un loup prélevé au mois de février, c’est un loup qui ne viendra pas faire de la prédation les mois suivants !

En 2023, le plafond de prélèvement a été fixé à 209 loups ; 207 ont été prélevés, en grande majorité dans votre département, madame Estrosi Sassone – je ne vous apprends rien.

Par ailleurs, une circulaire est en préparation pour améliorer les conditions de travail et la formation des louvetiers.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Marc Fesneau, ministre. Les louvetiers sont des auxiliaires précieux : nous devons penser leur statut, leur formation et leur développement.

En conclusion, je le répète, ce plan est un document d’orientation qui, pour employer un terme à la mode, change le paradigme. L’espèce doit être protégée,…

M. Michel Savin. Elle l’est !

M. Marc Fesneau, ministre. … mais, dès lors que l’état de conservation du loup est satisfaisant, nous n’avons plus besoin d’un statut de protection aussi renforcé.

En même temps, nous devons nous poser sérieusement la question du pastoralisme…

M. Michel Savin. Et celle du tourisme !

M. Marc Fesneau, ministre. … et de notre capacité à développer ou à maintenir l’élevage dans les zones concernées.

M. le président. Il faut vraiment conclure, monsieur le ministre ! Le temps imparti est largement dépassé.

M. Marc Fesneau, ministre. Voilà les enjeux : procédure de révision, simplification, non-protégeabilité.

Tels sont nos axes de travail. Je suis prêt à répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le ministre, vous avez pris conscience du problème. Nous en avons discuté ensemble : vous connaissez les contraintes et les difficultés propres au pastoralisme. Vous avez pu également mesurer la détresse des éleveurs qui sont confrontés aux prédations, qu’il s’agisse de celles du loup ou de l’ours.

Plusieurs mesures novatrices ont été proposées en vue de répondre à l’épineux dilemme entre la protection des espèces conformément à la convention de Berne et le maintien de l’activité agricole et pastorale.

Je rappelle, à mon tour, la mise en place de la brigade loup en Aveyron, le nouveau plan Loup et le travail sur le statut du chien de protection qui tarde à voir le jour.

En 2013, le Sénat a adopté une proposition de loi déposée au nom de mon groupe parlementaire, le RDSE, par le regretté Alain Bertrand, ancien sénateur de la Lozère. L’article unique de ce texte prévoyait la création de zones d’exclusion pour le loup, regroupant les communes dans lesquelles les activités pastorales sont gravement perturbées par les attaques.

Cette mesure permettrait de définir un plafond annuel spécifique d’abattement de loups, afin d’en réguler plus précisément et efficacement les populations présentes et agir plus rapidement.

Monsieur le ministre, ma question est double.

Pouvez-vous nous préciser davantage l’organisation de la réponse aux problèmes de prédation pour les élevages, notamment dans les territoires en phase de colonisation ?

La mise en place de zones d’exclusion indépendamment du prélèvement défini à l’échelon national telles qu’elles ont été prévues dans la proposition de loi sénatoriale de 2013 est-elle envisageable, voire envisagée ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu sur le déploiement et la philosophie du plan Loup, y compris dans les zones situées sur le front de colonisation.

Vous m’interrogez par ailleurs sur les zones d’exclusion. J’émets de sérieux doutes sur cette solution. En effet, celle-ci suppose de déterminer les zones concernées. Or les éleveurs qui seront situés en dehors de ces zones demanderont des explications. Comment voulez-vous, par ailleurs, éviter « l’effet débord » d’une zone à l’autre ?

Une autre stratégie pourrait être de limiter le front de colonisation. Il faudrait alors expliquer aux départements des Alpes-Maritimes, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes que les loups seront présents chez eux et pas chez les autres. (Mme Dominique Estrosi Sassone sexclame.)

M. Marc Fesneau, ministre. Je pressens que ces débats ne seront pas faciles… (Sourires.)

En revanche, si nous parvenons à modifier le statut de l’espèce, nous pourrons augmenter les prélèvements dans les zones où la prédation est la plus forte. Nous créerions alors non pas des zones d’exclusion, mais, à l’inverse, des zones de régulation.

Je le redis : je ne suis pas favorable à une logique d’exclusion. Nous aurions quelques difficultés à dessiner la carte et les éleveurs s’interrogeraient légitimement : ils ne comprendraient pas que, parce qu’ils ont été les premiers à subir la colonisation lupine, ils devraient être les seuls à accueillir ces populations.

Explorons de préférence la voie du changement de statut de l’espèce.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque les activités humaines rencontrent celles de la biodiversité, certaines cohabitations se révèlent moins évidentes que d’autres.

En témoigne l’exemple du pastoralisme et du loup, qui cristallise les tensions depuis des siècles. Disparu en France au cours du XXe siècle, le loup est aujourd’hui bel et bien revenu – ou a été réintroduit – dans nos territoires, plus seulement dans les zones avec relief, mais aussi en plaine.

Selon une estimation de l’Office français de la biodiversité, en 2023, 1 104 loups ont été recensés en France et 55 départements sont soumis au défi de la prédation lupine. Autant d’informations qui démontrent que le loup n’est plus une espèce en danger d’extinction dans notre pays.

Cette victoire a toutefois des conséquences sur le pastoralisme et sur nos éleveurs. S’il faut préserver l’espèce du loup comme toutes les autres, nous devons nous poser la question suivante : comment mieux organiser la coexistence du loup et du pastoralisme ?

Les chiens de protection des troupeaux ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans cette coexistence. Éduqués non pas pour l’attaque, mais pour la dissuasion, ces chiens aux aptitudes remarquables limitent considérablement le nombre d’attaques de loups, donc les pertes, mais ils ne peuvent pas être utilisés partout.

La question se pose ainsi du statut des chiens de protection des troupeaux. Le plan national d’actions entérine la création d’un statut de protection des chiens de protection des troupeaux au regard de la responsabilité civile et pénale des bergers.

Monsieur le ministre, pour que le pastoralisme de demain puisse être préservé, comment le statut juridique des chiens de protection des troupeaux doit-il évoluer ? Cette évolution interviendra-t-elle rapidement dans le cadre du plan Loup 2024-2029 ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous êtes élu d’un département, la Drôme, qui est, lui aussi, fortement concerné par la question de la prédation du loup.

Le loup est, comme vous l’avez rappelé, le symbole d’une biodiversité retrouvée. Nous avons à cet égard plutôt réussi, car le loup qui était auparavant une espèce très menacée n’a plus ce statut. Il est d’ailleurs nécessaire d’engager une réflexion au niveau européen sur ce sujet, car il n’est pas normal qu’un seul pays héberge les populations de loups ; la charge doit être partagée entre tous les États.

La biodiversité ayant été rétablie, la question qui se pose désormais – vous avez raison, monsieur le sénateur – est celle de l’équilibre entre le loup et les élevages.

Nous travaillons à l’élaboration d’une disposition législative sur le statut des patous, même si je ne connais pas encore la forme qu’elle prendra – projet de loi ou proposition de loi. Ayant été ministre chargé des relations avec le Parlement, je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement se saisisse directement de cette question : ce serait très bien ainsi ! (Mme Dominique Estrosi Sassone approuve.)

Il convient de ne plus appliquer aux patous les règles de la divagation, auxquelles sont soumis les autres chiens, puisque, comme vous le savez, chaque propriétaire est responsable de son chien.

Il faut éviter aussi que les propriétaires ne fassent l’objet de poursuites pénales, alors que les territoires sujets à la prédation lupine nécessitent une présence importante de patous. Le statut de chien de protection des troupeaux n’exonérerait pas le propriétaire de sa responsabilité en cas de faute, mais celui-ci serait couvert lorsque le patou a, face à un randonneur, l’attitude normale d’un chien qui protège son troupeau – dans ce cas, on ne peut lui en faire le grief. Le comportement de la victime permettrait donc d’éviter les poursuites pénales.

Il faudra également faire évoluer le statut des patous au regard des règles relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), qui constituent un élément de complexité pour les éleveurs.

Il convient d’avancer sur ces sujets. Il n’est pas nécessaire, à mon sens, de recourir à un véhicule législatif démesuré, mais l’adoption de telles mesures permettrait de rassurer.

Récemment encore, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un éleveur a été renvoyé devant un tribunal pour des faits de ce type…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre. Ce n’est pas normal, car c’est la puissance publique qui a demandé aux éleveurs d’avoir recours à des patous.

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le ministre, chaque jour, les élus des territoires de montagne font face aux inquiétudes et à la détresse des éleveurs dont les troupeaux ont été attaqués par le loup. Ces attaques se multiplient, comme l’attestent les chiffres présentés chaque année au groupe national Loup. Le coût des indemnisations augmente également.

La surprotection dont bénéficie actuellement le loup, en application de la directive Habitats et de la convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite convention de Berne, a entraîné l’intensification de sa présence sur toujours plus de territoires, dont certains ne sont, hélas ! pas préparés et n’ont donc pas mis en place les moyens de protection nécessaires pour que les éleveurs puissent être indemnisés.

Les éleveurs ovins et bovins, qui voient des années de sélection génétique anéanties par la répétition des actes de prédation, sont désespérés. Bon nombre d’entre eux abandonnent leur activité, ce qui met à mal l’économie agropastorale, qui est pourtant indispensable à l’aménagement des territoires de montagne et qui contribue à l’entretien de 1,5 million d’hectares de prairies naturelles d’altitude.

Si l’agropastoralisme disparaît, l’accessibilité des espaces d’altitude, ainsi que leur biodiversité et leur sécurisation contre les risques naturels seront compromises.

Les élus de montagne, que je représente aujourd’hui, n’ont pas cessé d’alerter les pouvoirs publics sur l’impossible cohabitation de ce prédateur avec un mode d’élevage pastoral traditionnel, qui fait la fierté de nos montagnes. Dans le massif des Pyrénées, on observe en outre la présence d’autres prédateurs, comme l’ours.

L’inscription, en décembre dernier, de la « transhumance, déplacement saisonnier des troupeaux » au patrimoine culturel immatériel de l’humanité illustre parfaitement la philosophie du nouveau plan national d’actions sur le loup 2024-2029, auquel l’Association nationale des élus de la montagne (Anem) a contribué. Celui-ci prévoit le lancement d’une étude sur la possibilité de faire évoluer le statut du loup au niveau européen, ce qui va dans le sens de la demande de la Commission européenne qui a proposé, le 20 décembre dernier, que le loup passe du statut d’espèce « strictement protégée » à celui d’espèce « protégée », une perspective envisageable si les États membres de l’Union européenne donnent leur accord.

Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, si le Gouvernement compte défendre clairement le déclassement du statut de protection du loup ?

Par ailleurs, au niveau national, le nouveau plan Loup 2024-2029 prévoit une révision de la méthode de comptage des loups, ainsi qu’une simplification du protocole des tirs de défense, le renforcement des tirs de prélèvement en début de saison et des indemnisations plus justes. Ce plan prévoit aussi la prise en compte de l’impact de la prédation sur la santé des éleveurs.

M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !

Mme Frédérique Espagnac. Ces actions et ces indemnisations ont un coût. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, quel sera le financement de la mise en œuvre des actions concrètes de protection ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, merci de porter la voix des élus de montagne.

Voilà trente ans que le loup est réapparu. Je ne saurais dire combien de Premiers ministres, de Présidents de la République et de ministres de l’agriculture se sont succédé depuis lors, mais, en tout cas, c’est la première fois que l’on se préoccupe du pastoralisme, un sujet loin d’être mineur.

La population des loups augmente : nous aurions dû réfléchir à cette question depuis le début, parce que cela fait bien longtemps que les départements concernés, que vous connaissez bien madame la sénatrice, reconnaissent qu’ils ne savent plus comment faire face. (Mme Dominique Estrosi Sassone le confirme.)

Tout est parti d’un certain nombre d’ambiguïtés ou d’incompréhensions à la fois sur le système de comptage des loups, sur les attendus qui étaient les nôtres, ou encore la place du loup dans nos territoires.

Vous avez évoqué le statut de l’animal. Nous devons dire, avec raison, sans démagogie – ce n’est pas mon genre, vous le savez –, que le loup est une espèce remarquable, un symbole de la biodiversité, mais qu’il convient de le gérer différemment, et donc de faire évoluer son statut, en raison de l’évolution dynamique de sa population que, si nous ne faisons rien, nous ne saurons pas enrayer. Une régulation est donc nécessaire.

J’ajoute qu’il est aujourd’hui temps, en France, dans tous les territoires, d’arrêter de décider contre les gens !

M. Marc Fesneau, ministre. Il faut que les mesures soient acceptables pour les habitants, lesquels ne doivent pas avoir le sentiment d’en revenir au combat qui a été, pendant des millénaires, celui des éleveurs. Nous devons être vigilants sur ce point et trouver le bon équilibre. C’est tout le sens du plan Loup.

La recherche permettra peut-être de trouver des solutions alternatives, afin d’effaroucher ou d’éloigner les loups, même si, pour l’instant, celles-ci n’existent pas. On peut aussi réfléchir à la manière de mieux former les chiens.

Enfin, vous m’avez interrogé sur les moyens consacrés à la protection des élevages. L’enveloppe prévue est de 40 millions d’euros environ – ce sont des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) – et sert simplement à acheter des patous, à les nourrir et à installer des clôtures. L’indemnisation, elle, relève du ministère de l’environnement et s’élève à 5 millions d’euros…

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre ! Un autre débat est prévu à la suite de celui-ci. Chacun doit respecter le temps qui lui est imparti.

M. Marc Fesneau, ministre. La passion m’emporte, mais je serai plus concis la prochaine fois…

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, comme vous le savez, le pastoralisme est un mode d’élevage vertueux, qui favorise, en principe, le bien-être animal, procure des productions locales de qualité en viande, fromages et laitages, avec de nombreuses appellations d’origine protégée (AOP) et indications géographiques protégées (IGP), entretient les paysages, mais aussi les pistes de ski, comme c’est le cas chez moi, en Savoie, ou dans d’autres départements de montagne.

La prédation par le loup, à l’origine d’une énorme pression sur les éleveurs, leurs familles et leurs troupeaux, remet en question ces éléments positifs et bouscule une agriculture et une économie vertueuses. Comment, en effet, nos éleveurs pourraient-ils avoir envie de poursuivre leur activité, alors que 500 constats de dommages ont été dressés pour la seule année 2023 rien que dans mon département, dont seulement 300 avaient donné lieu à une indemnisation à la fin du mois de décembre. Les avances financières sont versées bien trop tard, ce qui oblige nos agriculteurs à effectuer des dépenses qu’ils ne peuvent plus assumer.

Si le loup exerçait déjà des ravages sur les troupeaux d’ovins depuis le début des années 1990, il s’en prend désormais aussi, depuis une petite dizaine d’années, aux troupeaux de bovins, ce qui accroît les pertes financières des éleveurs et entraîne aussi plus de souffrances animales. Les animaux tués se comptent déjà par centaines : près de 130 bêtes ont ainsi été tuées chaque année, et ce depuis deux ans, dans mon département.

Les bovins en alpage ne peuvent pas être protégés comme les ovins ou les caprins. C’est pourquoi un certain nombre d’expérimentations ont été mises en place dans le parc naturel régional des Bauges par exemple, en Savoie : colliers d’effarouchement, chiens de protection, autorisation de procéder à des tirs de défense simple sans attaque préalable. Cette dernière expérimentation semble être très efficace, si bien que la demande est forte pour qu’elle soit généralisée. À l’inverse, celle qui concerne le déploiement de chiens de troupeaux pour la protection des bovins n’est pas du tout souhaitée.

Aussi, monsieur le ministre, afin de faire baisser la pression que subissent les éleveurs et leurs troupeaux et de conserver cette formidable forme d’agriculture qu’est le pastoralisme, pouvez-vous me confirmer que le nouveau plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage permettra de généraliser les tirs de défense simple sans attaque préalable ? Permettra-t-il également d’accélérer les indemnisations et de débloquer suffisamment en amont les avances aux éleveurs, afin qu’ils ne soient plus pénalisés financièrement ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Parmi les différents éléments que vous venez d’évoquer, madame la sénatrice, j’insisterai sur le sujet des tirs.

Il ne faut pas affranchir ces tirs de tout cadre d’exercice. C’est la raison pour laquelle nous devons nous interroger sur le statut du loup : la nature des tirs diffère en effet selon que l’espèce est très protégée ou simplement protégée.

En revanche, nous avons décidé de procéder à un certain nombre de simplifications.

Tout d’abord, le préfet coordonnateur du plan Loup pourra, en lien avec le préfet de département, faire en sorte que les procédures d’autorisation de tir soient plus rapides, afin de pouvoir agir lorsqu’un loup exerce une pression. Nous avons analysé l’expérimentation que vous avez mentionnée, madame la sénatrice, mais le statut actuel de l’espèce ne permet pas sa généralisation. Nous devons donc améliorer les procédures.

Il est aussi prévu dans le plan Loup de renforcer l’équipement des louvetiers, leur formation, d’accroître les effectifs, afin qu’ils soient plus nombreux sur le terrain.

Il sera par ailleurs possible de passer d’un à deux, voire trois tireurs dans certains cas dérogatoires.

Toutes ces mesures sont compatibles avec le statut actuel de l’espèce. Si ce dernier évoluait, on pourrait évidemment prendre des mesures de nature différente.

Enfin, vous avez évoqué un point à propos sur lequel je ne m’étais pas encore exprimé : il s’agit, d’une part, de la rapidité des procédures d’indemnisation – un certain nombre d’évolutions, que plan Loup vise à amplifier et à déployer, sont en cours – et, d’autre part, du versement des avances aux éleveurs, en particulier pour la protection de leurs troupeaux.

Ce second sujet est très complexe. Je n’entrerai pas dans le détail, car il s’agit de crédits européens, mais nous réfléchissons à des mesures qui permettraient aux éleveurs de ne plus percevoir ces avances douze ou dix-huit mois plus tard, ce qui leur cause de réels problèmes de trésorerie. Le problème est loin d’être simple ; la preuve en est que mes prédécesseurs n’ont pas su le résoudre.

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le ministre, l’objectif du plan Loup 2018-2023 était ambitieux – trop ambitieux certainement. Sauvegarde de l’espèce et protection des troupeaux sont des objectifs parfois difficiles à concilier. Si j’en juge par tout ce que j’entends dans cet hémicycle et, surtout, sur le terrain, nous en sommes loin !

En Occitanie, pas moins de dix départements ont déclaré la présence du loup. Sa prolifération prend aujourd’hui une dimension nationale. Pour les éleveurs, particulièrement ceux de brebis, elle constitue un véritable fléau, auquel ils doivent faire face.

Je prends l’exemple de la Haute-Garonne et des départements voisins des Hautes-Pyrénées, des Pyrénées-Atlantiques et de l’Ariège. Nous avons le triste privilège de cumuler toutes les formes de prédation : celles des loups, des ours et des vautours.

Les lenteurs et les hésitations de la Commission européenne ne sont pas de nature à favoriser la réactivité dont nous devrions faire preuve pour conserver notre pastoralisme et l’attractivité de ce métier. La sauvegarde de nos éleveurs est une condition sine qua non au maintien de nos surfaces de pâturage et d’estive. C’est un vrai sujet pour l’aménagement du territoire et le maintien d’activités touristiques.

Le phénomène d’hybridation des loups avec des chiens errants n’avait pas non plus été anticipé. Quid, monsieur le ministre, d’un véritable plan de régulation évolutif et réaliste pour le loup, mais aussi pour les autres prédateurs ? Quelles sont les conclusions de la consultation publique menée en fin d’année sur le plan Loup 2024-2029 ?

Nos éleveurs ont besoin de solutions pragmatiques à court et moyen terme ; à défaut, les abattages clandestins ne cesseront de se multiplier. D’où ma question : à quand une vraie régulation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, j’ai déjà répondu sur un certain de nombre de points, mais votre question me donne l’occasion d’approfondir ma réponse.

Il est vrai que vous êtes élu d’un département où l’on observe la présence de plusieurs grands prédateurs, même si les problématiques ne sont pas de même nature.

Si nous pouvons débattre aujourd’hui de la prédation lupine, c’est parce que le dénombrement des loups a été réalisé. Il faut à cet égard saluer le travail de comptage qui est réalisé, ce qui n’est, hélas ! pas le cas pour l’ours.

La question qui se pose dans un département comme le vôtre, monsieur le sénateur, est celle de l’action conjuguée de l’ensemble de ces prédateurs. L’enjeu est donc de trouver un équilibre pour que la présence du loup, même si son statut pourrait évoluer, ne se surajoute pas à d’autres facteurs de prédation déjà très importants.

En ce qui concerne la consultation publique sur le plan Loup 2024-2029, nous avons reçu près de 14 000 réponses, que nous sommes en train d’étudier.

Celles-ci sont plutôt défavorables : certains tenaient apparemment à exprimer leur point de vue sur le sujet, comme ils en ont le droit.

Toutefois, nous devons avancer sur ce dossier, car nous sommes dans une impasse. Nous savons tous – je l’ai déjà dit – comment cela se termine quand on décide contre les gens. (Mme Frédérique Espagnac acquiesce.) Un certain nombre de règles existent. Nous avons tous intérêt à ce que chacun reste dans le cadre de la loi. Il convient donc de veiller à ce que toutes les exigences soient compatibles. Or, dans certains territoires, elles ne le sont pas.

J’en viens au dénombrement. Nous devons travailler, comme je l’ai demandé, à une harmonisation du comptage des loups à l’échelle européenne. On ne peut pas à la fois réfléchir à la question du loup au niveau européen et accepter que les dénombrements suédois, italien ou autrichien soient différents du nôtre. Ce dernier est plutôt assez performant, nous dit-on – et je crois que c’est assez juste –, mais il faut qu’il soit compatible avec les autres si l’on veut procéder à des comparaisons ; à défaut, un dénombrement au niveau européen n’aurait aucun sens.

Nous devrons aussi réexpliquer comment fonctionne notre système de comptage, parce que certains acteurs, notamment les éleveurs, ont des doutes – il faut bien le dire. C’est ainsi que l’on recréera de la confiance à son égard. À mes yeux, c’est très important. (M. Pierre Médevielle acquiesce.)

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.

Mme Sylvie Vermeillet. Tout d’abord, permettez-moi de remercier nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir choisi de consacrer ce débat à la question du loup et de sa cohabitation avec l’élevage français.

Sénatrice du Jura, présidente de comité de massif, j’associe à ma question mon collègue du Doubs, Jean-François Longeot.

Nous pouvons témoigner, monsieur le ministre, que la prédation du loup sur les bovins et les équins est devenue en quelques années un enjeu majeur dans nos départements respectifs. Plus de cent animaux ont été tués en deux ans. La prédation croît de manière exponentielle, traumatisant les troupeaux et les éleveurs.

Dans le massif du Jura, le pâturage des bovins repousse l’enfrichement. Il est à l’origine de paysages typiques : les pré-bois. La biodiversité qu’ils abritent est particulièrement remarquable. Une politique spécifique visant à les préserver est d’ailleurs déployée conjointement par l’État et les régions depuis plus de vingt ans.

En raison de ce mode d’élevage extensif et éloigné des bâtiments d’exploitation, les troupeaux de bovins et de chevaux concernés sont, par nature, non protégeables. Il n’est donc pas possible de mettre en place des mesures de protection strictes, comme les clôtures. Les élevages restent donc sans défense face aux attaques du loup.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, quand peut-on espérer la mise en place d’un zonage général des espaces d’élevages bovins et équins non protégeables, lequel pourrait être annexé au plan Loup et encadrer spécifiquement les tirs de défense simple en cas d’attaques constatées ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre région est, d’une certaine façon, un front de colonisation – je le dis sous le contrôle du président Longeot. Des élevages qui n’étaient pas du tout concernés par cette problématique sont désormais touchés. C’est pourquoi nous avons soulevé dans le plan Loup la question de la non-protégeabilité de certains espaces.

Je me suis rendu récemment chez un éleveur du Doubs dont le troupeau avait été victime d’une attaque dans la nuit : avec des parcelles de 1 000 ou 2 000 mètres carrés, parce que l’usage est de faire des lots, il m’apparaissait évident que ni la présence de patous ni l’installation de clôtures ne pourraient protéger ces espaces, sauf à arracher des haies, ce qui serait original et iconoclaste. Il convient, à mon sens, de mettre fin à ce genre de pratiques, qui sont susceptibles d’agacer, et de tenir compte du parcellaire. (M. Guillaume Gontard proteste.)

C’est la réalité, monsieur Gontard ! Il faut décrire la réalité telle qu’elle est, sinon on crée de la désespérance ! Lorsque les parcelles font 1 500 mètres carrés et sont entourées de haies, il faut expliquer comment on peut installer des clôtures pour empêcher les loups de passer. (Marques dapprobation sur les travées du groupe UC.)

Une circulaire est en cours d’élaboration. Je ne suis pas sûr que l’on puisse circonscrire de grandes zones, mais il faut que l’on définisse des types d’élevage et de structures agricoles qu’il n’est pas possible de protéger, car telle est la réalité – M. Patriat le sait – de la Bourgogne-Franche-Comté et de bien d’autres territoires.

Dans les fronts de colonisation, c’est un sujet très important. Nous y travaillons : la circulaire devrait être prête dans les semaines qui viennent.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.

Mme Sylvie Vermeillet. Merci, monsieur le ministre, pour votre lucidité à ce sujet.

Je tiens particulièrement à appeler votre attention sur l’indemnisation des éleveurs. Il importe de prendre en compte la valeur génétique des animaux, ainsi que l’évacuation des carcasses des animaux victimes de prédation, enjeu qui s’ajoute au traumatisme moral des éleveurs.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.

M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre, il est frustrant de ne disposer que de deux minutes pour ce débat qui est certes passionnant,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Et passionné ! (Sourires.)

M. Guillaume Gontard. … mais dont les termes sont mal posés : plus de 50 % de la viande ovine consommée en France est importée. Hasard du calendrier, nous venons d’adopter une proposition de résolution relative au projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Les mêmes élus qui soutiennent le libre-échange nous expliquent maintenant que tous les maux de l’élevage sont liés au loup ! (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Les données sont pourtant formelles. Alors que le nombre de loups augmente dans les zones où il est déjà présent, le nombre d’attaques stagne, voire baisse. (Protestations sur les mêmes travées.)

M. Guillaume Gontard. Le dernier plan Loup, œuvre de Nicolas Hulot, semble avoir plutôt bien fonctionné : il a favorisé l’indispensable cohabitation entre le loup et les activités humaines et a surtout permis de redynamiser l’élevage ovin et le pastoralisme. Pourquoi ne pas en avoir dressé le bilan ?

Essayons tout de même. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), le secteur ovin est l’un des secteurs agricoles où le renouvellement des exploitations est le plus important : de l’ordre de 90 %, alors qu’il n’est que de 50 % pour l’élevage bovin – il atteint parfois 150 % dans certains territoires. Les départements où l’élevage ovin diminue, – la Haute-Vienne, l’Allier, le Lot – ne sont d’ailleurs pas ceux où la présence du loup est importante.

En proposant un plan Loup axé sur la seule facilitation des tirs, vous avez donc réussi l’exploit, monsieur le ministre, de réunir contre vous les éleveurs et les associations environnementales ! (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Certes, le retour de ce prédateur constitue une contrainte réelle pour les éleveurs, mais ils y font résolument face. Plutôt que de vous battre à Bruxelles pour un – inutile ! – déclassement du statut de protection du loup,…

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ce n’est pas inutile !

M. Guillaume Gontard. … qui ne changera d’ailleurs rien, vous feriez mieux de vous mobiliser contre les traités de libre-échange et pour une refonte de l’incohérent mode de calcul des surfaces pastorales éligibles à la PAC. Nos éleveurs attendent des réponses concrètes et un accompagnement, notamment pour les frais et les contraintes engendrés par les chiens de protection. Ils n’ont pas besoin de démagogie !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Qui fait de la démagogie ?

M. Guillaume Gontard. Reposons les termes de ce débat, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir réellement l’avenir du pastoralisme ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur Gontard, vous êtes pourtant élu d’une région où la prédation est forte.

M. Guillaume Gontard. Cela fait vingt-cinq ans que l’on attend des réponses !

M. Marc Fesneau, ministre. Je ne vous fais pas grief de tenir ce discours, mais quand vous êtes éleveur ovin et que vous êtes attaqué quinze fois par an, croyez-vous vraiment que vous avez envie de poursuivre votre activité dans la joie, le bonheur et l’allégresse ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Monsieur Gontard, il faut décrire la réalité, parce qu’à force de proférer des contre-vérités vous nourrissez tous les populismes ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Vincent Delahaye. Absolument !

M. Marc Fesneau, ministre. C’est exactement ce que vous êtes en train de faire et c’est précisément ce que je ne veux pas.

Je ne souhaite pas que l’on revienne sur la présence du loup : il doit rester sur notre territoire, mais dans des conditions acceptables pour tous. La démagogie que vous dénoncez, monsieur le sénateur, n’est donc pas de mon côté !

La problématique de l’élevage ne se résume pas à la présence lupine, mais quand une pression excessive du loup s’ajoute, dans certaines zones, à des contraintes importantes, en raison notamment du changement climatique…

M. Guillaume Gontard. On supprime le loup alors ?

M. Marc Fesneau, ministre. Je n’ai jamais dit cela, et vous le savez très bien ! Relisez mes discours. De grâce, pour une fois, arrêtez la caricature ! Cela fera le plus grand bien au débat public.

Nous devons faire évoluer le statut de l’espèce, parce que cela changera les choses.

M. Marc Fesneau, ministre. Cela ne signifie pas que l’on compte éradiquer le loup, monsieur Gontard, mais que l’on tient compte de la réalité ! (M. Guillaume Gontard proteste vivement.) Laissez-moi finir, je ne vous ai pas interrompu !

Dans certains territoires, la pression lupine est telle que l’élevage ne peut pas se maintenir,…

M. Marc Fesneau, ministre. … que les éleveurs – on le sait très bien – ne s’installent plus, que la friche progresse. Quand des incendies se déclareront, monsieur Gontard, qu’aurez-vous gagné en termes de biodiversité ? Rien ! (Mme Dominique Estrosi Sassone acquiesce.) Tout cela parce que vous n’aurez pas été capable, et que nous n’aurons pas été capables ensemble, de changer d’attitude.

Changez de posture, monsieur le sénateur ! Si nous parvenons à travailler ensemble sur ces questions et à faire évoluer notre regard, nous pourrons avancer sur d’autres sujets relatifs à la biodiversité. À force de polariser l’attention sur le loup, on ne peut plus débattre de rien…

M. Guillaume Gontard. Tout à fait !

M. Marc Fesneau, ministre. Or nous devons pouvoir parler du reste, et pas seulement des traités de libre-échange.

Je vous rappelle à cet égard que les accords dont vous parlez n’existent pas aujourd’hui. (M. Guillaume Gontard manifeste sa désapprobation.) Le traité avec le Mercosur n’existe pas, monsieur Gontard ! Ces accords ne peuvent donc pas être la cause des problèmes que nous connaissons aujourd’hui, même si nous devons être vigilants pour la suite. Un peu de lucidité, monsieur le sénateur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éleveurs d’animaux victimes de prédations vivent un enfer. Il faudrait aussi de parler des éleveurs qui sont victimes d’attaques et qui ne sont pas reconnus comme tels. Tout cela freine l’installation des jeunes éleveurs dans de nombreux territoires, notamment dans les zones de montagne.

Les préjudices causés par les attaques de loups sont directs, mais aussi indirects : stress des troupeaux, avortements des animaux, problème de la gestion des cadavres, etc.

Aujourd’hui, le statut juridique de protection du loup empêche de mener une véritable politique d’élevage.

Il est par ailleurs indispensable de reconnaître aux patous un véritable statut. La multiplication de ces chiens est à l’origine de nombreux conflits entre éleveurs et randonneurs ; elle crée aussi une multitude de problèmes aux élus locaux, qui sont de plus en plus souvent interpellés par leurs administrés ou des touristes au sujet de la présence de ces chiens qui, pour les observateurs non avertis, ressemblent beaucoup à des loups.

Quant à la méthode de comptage, déjà évoquée, elle demeure discutable.

Il est donc urgent d’avancer sur cette question. Il y va de l’avenir de l’élevage et, donc, de notre souveraineté alimentaire, qui nous est chère à toutes et tous dans cet hémicycle, et de l’aménagement du territoire. Nous savons que la baisse du pastoralisme rime souvent avec la fermeture des territoires et, donc, la prochaine apparition de vrais problèmes en matière de biodiversité. (Mme Dominique Estrosi Sassone opine.)

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à autoriser la saisine directe des louvetiers par les éleveurs pour procéder à des tirs de défense, à faire en sorte que l’État prenne à sa charge le coût du ramassage des cadavres, et à élaborer un statut du chien de protection ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Frédérique Espagnac applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison d’évoquer la question des patous : plus de 6 500 chiens protègent les troupeaux.

On ne s’en est pas aperçu au début, mais cette situation commence à créer des tensions très fortes entre randonneurs et éleveurs, mais aussi entre ces derniers et les élus : un certain nombre d’entre eux ne veulent plus donner certaines zones à bail, préférant les laisser sans élevage plutôt que de prendre le risque qu’un randonneur soit mordu par un patou. Cette problématique, je vous l’accorde, madame la sénatrice, est centrale : nous devons travailler sur le statut de ces chiens.

Il faudra aussi mettre en place une filière de formation de ces animaux, sélectionner une lignée génétique, afin qu’ils soient davantage « spécialisés » face au loup. Peut-être faudrait-il également recourir à d’autres chiens… Bref, les sujets sont nombreux, mais la question du statut des patous est cruciale.

Il existe en effet, madame la sénatrice, un risque élevé de fermeture des espaces, s’ils ne sont plus pâturés, comme je le disais à l’instant au président Gontard, avec toutes les conséquences que l’on peut craindre dans un contexte de dérèglement climatique.

Nous allons par ailleurs réfléchir à la question des louvetiers, comme à l’ensemble des sujets que vous venez d’évoquer.

Le déclassement du statut de l’espèce serait source d’évolutions : le mode de gestion du loup en serait amélioré et des amodiations seraient possibles, toujours dans une logique de préservation de l’espèce.

Enfin, je voudrais répondre, car je ne l’ai pas fait, à la question de Mme Vermeillet sur le pastoralisme. Actuellement, on indemnise la perte de l’animal visible. Le nouveau plan Loup permettra de mieux prendre en compte les effets induits, les coûts indirects, notamment ceux qui sont liés au stress, à la perte de valeur génétique – y compris d’ailleurs pour les bovins – ou aux avortements, qui sont aujourd’hui négligés.

Mme Cécile Cukierman. Or cela compte beaucoup !

M. Marc Fesneau, ministre. Absolument !

M. le président. La parole est à M. Denis Bouad.

M. Denis Bouad. Monsieur le ministre, nous sommes confrontés à la difficulté de faire reposer nos débats politiques sur des données scientifiques précises, fiables et partagées par tous.

Pour autant, on peut difficilement nier l’augmentation du nombre de loups et surtout, de manière plus inquiétante, l’augmentation du nombre d’attaques. Le risque à l’avenir serait que les territoires reconquis par le loup soient désertés par le pastoralisme.

Or le maintien de la biodiversité, c’est avant tout le maintien d’un équilibre. Le pastoralisme, au-delà de l’activité économique qu’il suscite, participe pleinement à l’entretien de nos espaces ruraux. Dans les Cévennes, territoire inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco pour son agropastoralisme, on observe déjà que des éleveurs abandonnent leur activité à la suite de ces attaques. Les petites exploitations qui peuvent perdre jusqu’à un quart de leur cheptel dans une attaque sont les premières concernées. Il faut absolument apporter des réponses à ces hommes et à ces femmes qui vivent de l’élevage extensif.

L’indemnisation, si elle est nécessaire, ne doit pas être une réponse en soi. On ne pourra jamais indemniser le traumatisme de l’éleveur qui fait face à des cadavres de bêtes victimes d’une mort violente. Rien ne peut compenser ces morsures invisibles.

À terme, notre objectif devrait donc être le « zéro indemnisation », ce qui nécessite de revoir notre système de prévention qui, actuellement, cesse d’être subventionné à partir du moment où il est efficace et empêche les attaques. La mise en place effective de la brigade « grands prédateurs terrestres » pour l’ouest du Rhône est à cet égard très attendue.

Enfin se posent les questions du statut de protection du loup et de l’adaptation des taux de prélèvement. Sur ce dernier point, nous devons tenir compte tant de l’efficacité du dispositif que de la quantité prélevée. Il convient de cibler plus spécifiquement les meutes de loups qui ont incorporé les animaux d’élevage et, donc, les attaques de troupeaux, dans leurs habitudes alimentaires.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler vos ambitions sur ces différents sujets ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Au risque de me répéter, la question centrale est celle de la compatibilité entre le loup et l’élevage. Comment faire dans les zones où la prédation est très forte ?

Dans la mesure où, dans certaines zones, la prédation est plus forte, nous pourrons mieux intervenir si le statut de protection du loup évolue.

Je me permets d’ailleurs de dire, notamment à M. Gontard, qu’en 2023 les attaques ont été plus nombreuses dans les départements où les loups sont davantage présents, si bien qu’on ne peut pas considérer l’année 2022 comme représentative de la réalité actuelle. Dans beaucoup de départements, en particulier dans ceux qui sont traditionnellement concernés par cette question, il y a eu beaucoup plus d’attaques en 2023. Je ne me hasarderai pas à en tirer une quelconque conclusion ; je dis simplement qu’il faut faire attention aux caricatures.

Alors, peut-on atteindre un objectif de « zéro attaque » et de « zéro prédation » ? Nous n’en sommes pas encore là aujourd’hui, mais nous devons essayer de faire baisser la pression dans les zones où il y a le plus de prédation, notamment par la mise en œuvre de dispositifs de protection. Pour autant, vous avez tous entendu des témoignages d’éleveurs qui subissent des prédations, alors qu’ils ont mis en place toutes les mesures que l’on peut imaginer.

Le loup est un animal redoutable : c’est un prédateur, un grand carnivore – on ne peut évidemment pas le lui reprocher. N’entrons pas dans la logique de ceux qui voudraient le rendre végétarien ! (Rires.) Je le dis sérieusement : je vous assure que j’ai vraiment entendu certaines personnes parler ainsi.

Nous devons trouver un équilibre territoire par territoire. Pour cela, la révision du statut de protection de l’espèce peut nous aider. Nous devons aussi renforcer, dans un certain nombre d’endroits, les mesures de protection et mettre en œuvre des techniques ou des technologies adaptées.

Aujourd’hui, la présence du loup est telle dans certaines zones qu’il y a un problème de compatibilité. Réévaluer le statut de protection de l’espèce permettra sans doute d’avancer sur cette question, en particulier dans les zones les plus en difficulté.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson.

M. Max Brisson. Monsieur le ministre, dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, cela grogne, en basque et en béarnais, en raison du maintien du loup comme espèce vulnérable malgré les effectifs désormais recensés.

Dans les Pyrénées-Atlantiques aussi, on s’inquiète de la pérennité du pastoralisme qui est associé à une culture, un mode de vie, une identité, laquelle s’est d’ailleurs manifestée, voilà deux ans, sur les Champs-Élysées en présence du Premier ministre, Jean Castex.

Deux ans après, les éleveurs et les bergers sont toujours aussi inquiets. Ils s’interrogent sur une réglementation trop exigeante et difficilement applicable, notamment pour ce qui est du recours au tir, trop strictement encadré, et dans des conditions trop aléatoires, pour être réellement efficace.

Surtout, ils s’inquiètent des critères en vigueur pour obtenir le classement en zone difficilement protégeable, essentiellement centré sur la densité ovine, ce qui ne correspond pas aux pratiques pyrénéennes d’élevage en plein air tout au long de l’année.

Aussi, dans l’attente de mesures plus fortes, comme le changement de statut, le Gouvernement est-il prêt à étendre les critères de classement en zone difficilement protégeable pour les territorialiser et les adapter aux particularismes locaux, à l’instar du pastoralisme pratiqué dans les Pyrénées ?

En outre, comme l’a déjà demandé Dominique Estrosi Sassone, le Gouvernement envisage-t-il de procéder au recrutement et à la formation de davantage de lieutenants de louveterie ? Envisage-t-il de financer le matériel, les déplacements et de verser une indemnité d’intervention pour décharger les éleveurs de la gestion de la prédation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Je vous remercie, monsieur le sénateur, de ces questions qui me permettent de compléter certaines de mes précédentes réponses.

Tout d’abord, nous devons en effet former davantage de louvetiers et améliorer les équipements. Je pense notamment aux lunettes thermiques de visée ou de vision, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. J’ai vu ces lunettes à l’œuvre, si je puis m’exprimer ainsi, et je peux vous dire qu’elles diffèrent sensiblement des moyens empiriques dont on disposait traditionnellement jusqu’ici : les précédents équipements ne permettaient pas de discerner et de tirer dans des conditions optimales, ce qui pouvait poser des problèmes en termes de sécurité.

Ensuite, en ce qui concerne la protégeabilité des troupeaux, la circulaire qui est en préparation vise à identifier les types d’élevage qui peuvent être protégés et ceux pour lesquels cela est plus difficile, ce qui a évidemment un lien avec la réalité du territoire. Nous devons pouvoir dire : ici, c’est possible ; là, non. Ce que l’on exigera des éleveurs différera donc selon les endroits.

Il importe aussi de regarder ce que les autres pays européens ont mis en place, que ce soit en Allemagne ou en Italie. Dans certains cas, les résultats sont positifs ; dans d’autres, moins.

Enfin, au sujet des tirs de défense, nous en revenons à la question du statut de l’espèce, que j’ai évoquée dans mon propos liminaire. Je le redis, un premier rendez-vous européen aura lieu à la fin du mois de janvier ; les choses pourraient donc aller vite. En tout cas, il me semble que nous devons aller aussi vite que possible. De cette question découle en effet, en partie, la simplification que vous réclamez, monsieur le sénateur. Le plan Loup prévoit d’ailleurs que notre stratégie devra être adaptée en cas de changement de statut.

M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.

M. Max Brisson. Au-delà des aspects techniques, je crois qu’il faut envoyer un message clair et rassurer les bergers et les éleveurs. Il faut affirmer très clairement que, dans nos vallées, dans nos montagnes, le pastoralisme est une nécessité, un mode de vie, une économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Jean-Michel Arnaud. Monsieur le ministre, vous vous êtes rendu, il y a quelques mois, dans le département des Hautes-Alpes, au col de Manse dans le Champsaur : vous y avez constaté la détresse de nos éleveurs, confrontés aux difficultés de prélèvement du loup. J’associe à ma question Loïc Hervé, qui est également concerné par ce sujet en Haute-Savoie.

Dans les Hautes-Alpes, ce sont 925 bêtes qui ont été victimes du loup en 2023, dont 844 ovins. On ne peut donc pas dire – je m’adresse notamment à notre collègue écologiste de l’Isère – que le loup est végane…

M. Guillaume Gontard. Je n’ai jamais dit cela !

M. Jean-Michel Arnaud. Il est clair que c’est un prédateur. Or la population lupine augmente de 12 % à 20 % par an depuis plusieurs années.

En 2021, le Sénat avait adopté, dans le cadre de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, un article 13 quater qui prévoyait que l’abattage de loups était autorisé dans des zones de protection renforcée, délimitées chaque année par arrêté préfectoral, indépendamment du prélèvement défini au niveau national.

L’objectif de cette mesure était de réformer le processus de décision en matière de prélèvement et non pas forcément d’augmenter le nombre global d’animaux prélevés. En somme, la Haute Assemblée proposait de déléguer en partie cette compétence au préfet de département pour assurer une réponse politique, mais aussi affective – les prélèvements ont une dimension affective, parce qu’ils touchent très directement nos éleveurs – et adaptée aux réalités de terrain.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne pourrait-il pas reprendre cette proposition, qui avait été votée ici, afin de favoriser une réponse qui soit la plus proche possible du terrain ?

Par ailleurs, vous avez longuement abordé la question de l’évolution du statut de protection du loup. Comment le Gouvernement entend-il préparer et anticiper une éventuelle décision de l’Union européenne en la matière, afin de donner des perspectives à nos éleveurs et d’être plus réactif ? (M. Philippe Folliot applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Arnaud, je me souviens très bien de ma rencontre avec les éleveurs de votre département.

Les précédents plans Loup s’inscrivaient dans une logique de préservation de l’espèce et d’augmentation du nombre d’animaux sans tenir compte des conséquences que cela pouvait avoir sur l’élevage. Le plan que j’ai présenté ne s’inscrit pas du tout dans la même logique. Je réponds aussi à cette occasion au sénateur Brisson.

En ce qui concerne le zonage, je répète ce que j’ai dit tout à l’heure : je suis en réalité assez dubitatif à ce sujet. Je souhaite d’abord bon courage à ceux qui devront élaborer la carte, d’autant que le zonage devra évoluer d’une année sur l’autre ! Ensuite, ce classement sera nécessairement vécu comme une injustice par tel ou tel.

Surtout, la principale question est celle du statut de l’espèce, parce que les dispositions sont différentes selon que le loup est « strictement protégé » ou simplement, si je puis dire, « protégé » au sens de la convention de Berne et de la directive Habitats.

Cependant, il ne vous aura pas échappé que le ministère de la transition écologique et le ministère de l’agriculture veillent à ce que les prélèvements soient plus nombreux dans les territoires qui connaissent le plus de prédations, afin de faire baisser la pression qui pèse sur eux. Il n’est pas illogique qu’il y ait plus de tirs là où il y a plus de prédations ! C’est cette mécanique qui doit, me semble-t-il, être à l’œuvre – c’est ce que j’indiquais tout à l’heure à Mme Berthet.

J’ajoute que la profession agricole est elle-même très dubitative sur l’idée d’un zonage. Que fait-on des départements d’où le loup est absent aujourd’hui ? Faut-il leur dire qu’ils n’en auront jamais ? Que faire des départements qui n’ont qu’un ou deux loups ? Si on les prélève, la question se concentrera dans les zones par lesquelles les loups sont arrivés, c’est-à-dire les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes.

Faisons attention : le zonage ne doit pas perturber la répartition naturelle des populations de loups ni être vécu comme une injustice par les éleveurs. C’est donc la question du prélèvement qui doit primer dans ces territoires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Arnaud, pour la réplique.

M. Jean-Michel Arnaud. Ma question portait aussi sur la possibilité de donner davantage de pouvoirs au préfet de département pour apprécier la situation.

J’ajoute qu’il existe déjà des zones dans lesquelles aucun prélèvement n’est autorisé bien qu’il y ait de l’élevage : ce sont les zones centrales des parcs nationaux, par exemple le parc national des Écrins. Là aussi, les éleveurs rencontrent bon nombre de difficultés.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Plus que sur le loup, le débat du jour porte sur le pastoralisme – je tiens à ce titre à saluer le fait que, depuis le début du mois de décembre, la transhumance, qui lui est liée, est classée par l’Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Néanmoins, je refuse la rhétorique simpliste qui fait du loup le seul ennemi du pastoralisme, secteur qui connaît par ailleurs des difficultés économiques structurelles. L’accès restreint au foncier, la concurrence internationale, la pénibilité, la charge de travail, le manque de valorisation économique et de perspectives, notamment en termes de carrière, sont autant de facteurs explicatifs d’une baisse d’attractivité du pastoralisme et d’un déficit de renouvellement, avec ou sans le loup.

Le constat est cependant clair : le retour du loup représente un coût financier et humain important, qui n’est pas pris en compte dans le modèle économique actuel des élevages en France.

Nous ne pouvons pas non plus nier la dimension traumatisante pour l’éleveur des attaques du loup.

L’aide de l’État est indispensable pour permettre une cohabitation durable en amont de toute prédation et dans une visée d’adaptation. Il nous faut aller plus loin dans la compensation des surcoûts induits par les changements de pratique, le gardiennage renforcé de nuit, les chiens de protection ou les clôtures électrifiées ; il nous faut aussi aller plus loin dans l’étude et le suivi de l’espèce.

Le loup n’a pas entraîné la crise du secteur, mais il représente certainement une difficulté supplémentaire dont l’État doit prendre la mesure.

En ce sens, la proposition de déclassement du statut de protection du loup formulée par la Commission européenne nécessite une étude complète préalable, aujourd’hui insuffisante, des effets qu’une telle évolution aura sur les aides aux éleveurs. La possibilité de chasser le loup ne doit pas servir de prétexte à l’État pour cesser tout soutien aux mesures d’adaptation qu’il encourage aujourd’hui : en effet, ce sont les seules dispositions permettant d’assurer une coexistence durable et pacifiée entre l’espèce et les éleveurs.

Pour tous ces motifs, la proposition de la Commission, que semble appuyer le projet de plan Loup 2024-2029, appelle à la plus grande vigilance.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que, malgré tout, l’État assurera le même soutien aux éleveurs si la proposition de la Commission européenne était adoptée ? Comment pourrions-nous anticiper la venue du loup dans les territoires actuellement non concernés ? Ne devrions-nous pas y prendre d’ores et déjà des mesures d’adaptation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je veux d’abord vous dire que les propositions de la Commission européenne reposeront sur des analyses scientifiques. Il a d’ailleurs été demandé à la France de fournir des éléments chiffrés, afin de justifier un éventuel changement de statut.

Surtout, il s’agirait de passer d’une espèce « strictement protégée » à une espèce « protégée » : il ne s’agit évidemment pas de rendre cette espèce chassable. Ne cherchons pas à nous faire peur avec quelque chose qui n’existe pas !

Un tel changement de statut n’empêcherait d’ailleurs pas la mise en œuvre des mesures que vous évoquez. À ce titre, il me semble que la prise en charge financière de la prévention est plutôt bonne aujourd’hui : 40 millions d’euros actuellement, de 60 à 70 millions d’euros dans quelques années si nous conservons la trajectoire actuelle. J’ajoute que ces dispositions sont financées, dans le cadre de la programmation en cours, par des crédits relevant de la politique agricole commune (PAC) : il n’est pas illégitime que les éleveurs s’interrogent sur l’imputation de ces dépenses sur la PAC.

En réalité, la question qui se pose est plutôt celle de la rapidité d’exécution : chacun sait bien que les dispositifs liés à la PAC sont complexes et lents. Nous devons travailler là-dessus.

Nous devons donc avancer sur trois points : l’indemnisation pour mieux couvrir les pertes indirectes, la protégeabilité – certaines zones peuvent être protégées, d’autres moins – et la rapidité d’exécution, autant d’éléments qui figurent déjà dans le plan Loup. Quoi qu’il en soit, le statut de l’espèce ne changerait pas la nature des dispositifs d’accompagnement mis en place par l’État – j’espère vous avoir rassuré à ce sujet.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet. (Mme Anne Ventalon applaudit.)

M. Fabien Genet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’excellente initiative de notre collègue Dominique Estrosi Sassone qui a proposé d’inscrire à notre ordre du jour ce débat ô combien essentiel.

J’ai particulièrement apprécié son diagnostic comme j’ai apprécié sa citation de Charles Péguy, qui écrivait aussi, me semble-t-il, qu’« une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir ».

Monsieur le ministre, reconnaissons que, sur le terrain, beaucoup de nos éleveurs craignaient une éventuelle capitulation. Capitulation en matière de souveraineté alimentaire ; capitulation devant ceux qui utilisent toujours la biodiversité et le bien-être animal pour attaquer nos éleveurs sans jamais reconnaître le rôle essentiel de ceux-ci en la matière ; capitulation face à l’impossibilité supposée de modifier le statut de protection du loup au niveau européen.

Mais reconnaissons aussi que la mobilisation des éleveurs, des organisations professionnelles, des élus et des services de l’État sur le terrain, ainsi que la vôtre, monsieur le ministre, nous donnent l’espoir qu’il y aura plus d’actions que d’explications.

Vous vous êtes déplacé à Cluny en Saône-et-Loire au mois de juin dernier pour observer ce front de colonisation qu’est devenu notre département. Des centaines d’animaux ont été tués ou blessés : des ovins, mais aussi des bovins et des équins. Vous avez rencontré les éleveurs dont on a dit cet après-midi la détresse, la colère et le désespoir : ils vous ont dit et montré combien le plan Loup est inadapté à un territoire de bocage comme le nôtre, où les exploitations sont morcelées en plusieurs parcelles et les bêtes réparties en de nombreux lots.

Comment faire pour, à la fois, protéger les haies, réservoirs de biodiversité, les prairies, puits à carbone, mais aussi promouvoir l’élevage extensif au grand air, et parquer et faire croître les animaux en stabulation, grillager et électrifier ? La non-protégeabilité des exploitations est un problème récurrent en Saône-et-Loire.

Pour conclure, la feuille de route est bien connue : l’installation de filets, dont la mise en place n’est ni suffisante ni efficace chez nous ; la promotion des chiens patous qui ne peuvent pas courir après les loups en zone de bocage à cause des clôtures et des haies ; des tirs de défense, mais de nouveaux louvetiers qui hésitent parfois à appuyer sur la gâchette de peur que toutes les conditions réglementaires ne soient pas réunies.

Ma question est simple, monsieur le ministre. Vous avez très largement relayé ce que vous nous avez dit sur le terrain en juin. Beaucoup d’éléments vont dans le bon sens. Mais cette position est-elle bien celle de l’ensemble du Gouvernement ? Est-elle en particulier partagée par le ministre de la transition écologique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur, je me souviens parfaitement de la discussion que nous avons eue avec les éleveurs à l’époque, notamment le fait qu’il y avait très peu de loups sur la zone, mais que l’un d’entre eux était très actif. Ce loup causait donc des dommages significatifs, même s’il me semble qu’il a été prélevé au mois de décembre et qu’il ne fait plus de dégâts aujourd’hui.

M. Fabien Genet. Non, il continue !

M. Marc Fesneau, ministre. En tout cas, on voit bien qu’un seul spécimen peut faire peser une pression très importante.

C’est à la suite de tels exemples que s’est imposée l’idée qu’il existait des zones protégeables et d’autres qui ne l’étaient pas.

La tension était telle qu’il fallait aussi s’interroger sur le statut de l’espèce et simplifier un certain nombre de procédures, y compris en matière de tirs – il est parfois compliqué de le faire sur la parcelle où s’est déroulée l’attaque. Ces simplifications font partie des ajustements que nous devrons opérer aux niveaux européen et national.

Avant de vous répondre plus précisément, je veux vous remercier, parce que je crois que nous avons avancé : nous sommes sortis de la phase déclamatoire pour entrer, sans démagogie et de manière raisonnée, dans l’action. Nous devions acter le fait que la situation avait changé, tant en termes de présence lupine que de pression sur les éleveurs ; le nouveau plan Loup ne devait pas s’inscrire, je l’ai dit, dans la logique de ses prédécesseurs. Nous ne pouvions pas rester dans une forme de statu quo.

Pour conclure et répondre à votre question, je veux saluer le travail que nous avons réalisé avec le ministère de la transition écologique, en particulier avec Christophe Béchu : nous n’avons pas toujours les mêmes positions de départ, mais nous avons essayé de trouver des convergences pour concilier les enjeux en matière de biodiversité – en la matière, il n’y a pas que la question du loup qui se pose – et les enjeux en matière de préservation d’activités qui sont précieuses à la fois pour cette même biodiversité et pour notre souveraineté.

Le plan Loup est le produit d’un accord entre nos ministères : nos positions sur ces sujets sont alignées.

M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon.

Mme Anne Ventalon. Monsieur le ministre, pour nos éleveurs, la présence du loup est d’abord synonyme, chaque jour, d’anxiété, de difficultés et de risques. Cependant, face à la menace de ce prédateur et malgré leur détresse devant les carnages qu’ils constatent, ils n’ont eu de cesse d’adapter leur pratique du pastoralisme.

Cette prévention passe notamment par l’utilisation de chiens de protection, les patous, dont la mission est de dissuader les prédateurs. Exclusivement voués à la défense d’un troupeau au sein duquel ils ont grandi, ces chiens perçoivent toute présence extérieure comme une menace, ce qui tend à provoquer des incidents avec d’autres usagers des terres pastorales, comme les promeneurs.

Afin de résoudre un certain nombre de conflits juridiques provoqués par cette situation, l’axe 2 du projet de plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage prévoit d’étudier la création d’un nouveau statut de chien de protection de troupeau.

Monsieur le ministre, à quelques mois des transhumances, ma première question porte sur ce nouveau statut. Quels en seront les contours ? Et surtout, sera-t-il effectif dès le printemps 2024 ?

Toujours sur la question des patous, nous observons que, malgré les conseils des différents acteurs de la montagne, certains randonneurs sont victimes de morsures.

Or, au titre de l’article L. 211-11 du code rural et de la pêche maritime, les maires ont des responsabilités en matière de chiens dits « dangereux ». Après des incidents survenus avec des randonneurs, certains maires ont même été entendus par la gendarmerie. Les élus des territoires concernés sont donc préoccupés par le risque d’être un jour inquiétés ou poursuivis pour n’avoir pas pris les mesures adéquates en la matière. (Mme Cécile Cukierman le confirme.)

Afin d’anticiper des situations, certes absurdes, mais qui pourraient survenir, le Gouvernement compte-t-il préciser l’application de cet article L. 211-11 du code rural et protéger les maires contre une telle exposition juridique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, votre question fait écho à celle de la sénatrice Cécile Cukierman.

Oui, il faut changer le statut du chien patou. Le nouveau plan Loup en tient d’ailleurs compte. Le patou serait ainsi regardé comme un chien de travail et non comme un chien domestique. De plus, il ne pourrait plus être considéré comme divaguant quand il protège un troupeau. En effet, c’est bien là le sujet : le chien patou protège un troupeau et c’est dans ce cadre qu’il peut voir un randonneur comme une menace et le mordre. Nous devons travailler sur cette question pour mettre un terme à des procédures qui ne relèvent en réalité pas du droit pénal.

En ce qui concerne le calendrier, je crois que nous devons aller vite. Nous devons travailler à l’élaboration d’un texte – on ne peut du reste pas exclure que des initiatives parlementaires voient le jour sur un tel sujet. En tout cas, il faut que j’en parle avec la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement. Il me semble, mais je préfère être prudent par les temps qui courent, que le sujet du statut des chiens patous fait consensus. (M. Bernard Buis marque son approbation.)

M. Guillaume Gontard. On en parle depuis quinze ans !

M. Marc Fesneau, ministre. Il s’agit de rappeler qu’ils servent à protéger les troupeaux. On ne peut pas faire grief aux éleveurs à la fois de ne pas protéger leur élevage et d’avoir des chiens qui ont parfois un comportement agressif. Les chiens ne distinguent pas nécessairement très bien ce qui peut constituer une menace pour le troupeau – il y a peut-être une sélection génétique à opérer.

Dans la mesure où le début du printemps est maintenant proche, nous devons avancer rapidement sur la question du statut du chien patou. Sans compter qu’on m’a informé aujourd’hui même d’une situation problématique survenue en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à cet instant du débat, je veux rendre hommage à Dolly. Dolly ? C’était un poney âgé de 30 ans, tué par un loup en Basse-Saxe, dans la nuit du 6 au 7 septembre 2022. C’était surtout le poney de la présidente de la Commission européenne.

Nous pouvons lui rendre hommage, car sa mort a permis à la Commission de comprendre subitement que la prolifération du loup posait un réel problème et qu’il était temps de proposer d’adapter son statut au titre de la convention de Berne.

C’est ce qu’elle a fait le 20 décembre dernier en déposant une proposition de décision du Conseil visant à considérer le loup non plus comme une espèce de faune « strictement protégée », relevant de l’annexe II de la convention de Berne, mais comme une espèce de faune « protégée », relevant de son annexe III.

Cette modification est absolument nécessaire pour faire face à la très rapide expansion des loups et prendre les mesures de régulation qui s’imposent, afin de préserver le pastoralisme qui contribue à l’essence de nos territoires de montagne.

Pourtant, lorsque je l’avais réclamée en juillet 2020 au nom de la commission des affaires européennes du Sénat, la Commission européenne m’avait répondu qu’il n’en était alors pas question, aucune étude scientifique ne le justifiant, même si elle reconnaissait que « le pastoralisme est menacé en raison d’un large éventail de facteurs socio-économiques et que le retour des grands prédateurs dans les zones où ils avaient disparu peut exercer une pression supplémentaire si aucune mesure de protection adéquate n’est mise en place ».

Si je regrette la mort du poney Dolly, je me félicite que la présidente de la Commission européenne ait fait changer d’orientation ses services dans l’intérêt du pastoralisme.

Monsieur le ministre, pouvez-vous m’assurer que vous soutiendrez le déclassement du régime de protection du loup au Conseil des ministres de l’Union européenne ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Pellevat, je vous remercie de cette question.

D’abord, j’accepte tous les convertis à la cause, quelles que soient les motivations de leur conversion, y compris personnelles, et fût-elle tardive ! (Rires sur des travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, c’est une bonne chose que la présidente von der Leyen ait mis ce sujet sur la table.

Je crois surtout que les circonstances ont changé. Quand je suis arrivé au ministère de l’agriculture en 2022, la France exerçait la présidence du Conseil de l’Union européenne. Le premier débat que j’ai présidé à ce titre concernait justement le loup. Je crois pouvoir dire que, sur les vingt-sept États membres, vingt-six étaient sur la ligne que défendaient notamment la France, l’Italie ou encore l’Autriche. Il y a donc un relatif consensus au niveau européen sur le fait que les loups sont désormais très nombreux et que cette situation pose un certain nombre de questions, qui sont certes diverses selon les pays.

Comment les choses se dérouleront-elles ? Le Conseil des ministres de l’environnement de l’Union européenne – le Conseil Environnement – se prononcera à la majorité simple à la fin du mois de janvier. Si une telle majorité se dégage, l’Union européenne défendra cette position devant les parties de la convention de Berne ; là, une majorité des deux tiers sera nécessaire pour réviser le statut de protection du loup. Il reviendra ensuite au Conseil Environnement de réviser la directive Habitats et, pour cela, l’unanimité sera requise.

La procédure pourra donc être enclenchée dès le mois de janvier et nous pourrions peut-être aboutir à une révision de ce statut d’ici au mois de juin. Je crois en tout cas que nous devons avancer assez vite sur cette question. J’ai entendu l’expression des États membres, et il me semble que c’est possible.

J’ajoute que, si la Commission européenne a proposé cette évolution – et nous savons qu’elle est particulièrement rigoureuse sur ce type de sujet –, c’est qu’elle dispose de données scientifiques qui vont dans ce sens.

M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.

M. Cyril Pellevat. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces éléments. Nous attendons évidemment que la France défende cette position. Vous êtes venu en Haute-Savoie et avez bien vu l’impact de la prédation.

Dans les précédents plans Loup, le seuil de viabilité était estimé à 500 bêtes. Aujourd’hui, le nombre de loups, même s’il faut faire attention à la manière de les compter, est au moins le double !

Il est extrêmement important d’envoyer un signal positif à l’agropastoralisme et à nos agriculteurs qui, aujourd’hui, souffrent beaucoup sur le terrain.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord saluer l’initiative de Dominique Estrosi Sassone. Comme je suis le dernier intervenant et que beaucoup de choses ont été dites, je ne reprendrai que quelques éléments et ne poserai que deux questions.

Le nombre de loups présents en France s’élève à 1 104, alors que le seuil de viabilité démographique est fixé à 500. Le plan Loup 2018-2023 a donc atteint ses objectifs de protection de l’espèce : la population s’est accrue et son aire de présence s’est étendue.

Le loup n’est donc plus menacé de disparition. Cinquante-cinq départements ont été touchés par des prédations et, chaque année, on recense davantage d’attaques et davantage de victimes du loup.

Le plan Loup qui vient de s’achever présente donc un bilan défavorable pour ce qui concerne les activités d’élevage, mais aussi la santé physique et psychologique des éleveurs, soumis au stress induit par la présence du loup.

Les effets néfastes liés à la présence du loup – abandon des pâturages et moindre reprise des exploitations – commencent à se manifester. C’est le cas en Aveyron, où deux zones de présence permanente sont référencées : le plateau de l’Aubrac et le plateau du Larzac. Je rappelle qu’il y a 220 000 vaches et 1 million de brebis en Aveyron.

Je salue à cet égard le travail réalisé conjointement, dans mon département, entre les éleveurs, les organisations professionnelles, le préfet de l’époque, les services du ministère de l’agriculture et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) pour imaginer un plan de lutte. Je salue aussi l’installation d’une brigade « grands prédateurs » à Rodez.

Cela étant, il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures : maintenir et étendre les zones difficilement protégeables ; autoriser les éleveurs formés à utiliser des armes dotées de lunettes à visée nocturne ; permettre le prélèvement de meutes entières sur les zones de reproduction du loup ; revoir le statut des lieutenants de louveterie – pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur l’exemple des sapeurs-pompiers volontaires.

Monsieur le ministre, vous avez en outre rappelé un autre élément essentiel : la modification du statut de protection du loup au titre de la convention de Berne.

L’Aveyron a été actif sur cette question du loup. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de cette expérience particulière dans mon département ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. S’agissant de ma dernière intervention, je veux d’abord remercier Mme Estrosi Sassone d’avoir pris l’initiative de ce débat.

Nous devrons être vigilants et faire en sorte que le plan Loup 2024-2029, en particulier dans ses actions de simplification, se déroule dans les conditions prévues.

Je compte aussi sur vous pour nous aider à résorber toute une série de contraintes qui viennent s’ajouter aux difficultés et qui nous empêchent parfois de tenir nos promesses et engagements.

Monsieur le sénateur Anglars, vous avez raison, des zones comme l’Aveyron sont des fronts de colonisation, même si le loup y est présent depuis un certain temps. C’est notamment dans ce type de zones que les filières, qui étaient très bien organisées avant le développement des prédations, peuvent être déstabilisées.

Je n’entre pas dans le détail, mais tout ce que vous avez évoqué procède clairement de la question du statut de l’espèce : les contraintes ne sont pas les mêmes selon le statut qui est retenu.

Ensuite, pour protéger les éleveurs, nous devons développer la formation. D’ailleurs, rien n’empêche certains d’entre eux de devenir lieutenants de louveterie – il y en a dans mon département –, même si le prélèvement d’une espèce strictement protégée ou simplement, si je puis dire, protégée reste un exercice particulier.

Permettez-moi enfin d’évoquer le travail que nous menons avec les éleveurs, les organisations professionnelles et les services de l’État dans toute leur diversité – les directions départementales des territoires, l’OFB, etc.

Cette question est très compliquée à traiter, et chacun essaie d’y mettre du sien, même si cela est parfois source de conflits. Je tiens d’ailleurs à saluer toutes celles et tous ceux qui travaillent au quotidien auprès des éleveurs et s’efforcent d’atténuer – cela a été dit – leur détresse psychologique. Ce que font les agents de l’OFB, notamment lorsqu’ils s’efforcent d’expliquer la méthode utilisée pour compter les loups, est remarquable de ce point de vue.

Ces agents ont pour rôle de faire respecter les règles que nous avons définies dans le cadre des différents plans Loup. Ce n’est donc pas eux qu’il convient de vilipender : c’est au Gouvernement qu’il faut s’adresser si l’on estime que l’on n’a pas agi comme il le faudrait.

Nous voyons le chemin qui reste désormais à parcourir : révision du statut, déploiement du plan Loup et simplification dans un certain nombre de domaines, tout cela pour rétablir la confiance des éleveurs dans les zones concernées – c’est au fond le plus important.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. Jean Bacci, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Bacci, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, assurer l’avenir du pastoralisme, c’est rappeler qu’il est un vecteur de développement économique contribuant à notre objectif de souveraineté alimentaire et à la valorisation de nos territoires.

Face à la prédation du loup, les appellations d’origine contrôlée (AOC) sont particulièrement concernées, qu’il s’agisse de l’agneau de Sisteron ou des filières laitières savoyardes.

À ce titre, le plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage prévoit la possibilité, dans les territoires de forte prédation, d’autoriser des tirs dérogatoires sans attaque préalable et sans mise en œuvre de moyens de protection, mais aussi de faciliter le recours aux tirs de défense simple. Je salue cette position politique, d’autant qu’elle est courageuse à l’épreuve d’un certain nombre de procédures judiciarisées.

Terres d’estives, de transhumances, nos territoires doivent acquérir un statut de zones pastorales, qu’il faut inscrire dans nos documents d’urbanisme.

Le sylvopastoralisme contribue, face au risque d’incendie, à protéger la forêt en diminuant la biomasse, réserve de combustible et, dans une période de changement climatique, à réduire la proportion des jeunes pousses confrontées à la concurrence issue du stress hydrique. Quel paradoxe de constater que nos éleveurs ont besoin d’espaces de pâturage et qu’ils doivent, dans le même temps, abandonner des zones où le risque de prédation est trop important !

Est-il nécessaire de rappeler la problématique du conflit des usages consécutif à la pratique des activités de plein air en présence de chiens de protection des troupeaux ?

Cette situation contraindrait l’accès aux estives si nous n’engagions pas une campagne d’information digne de ce nom, à des heures de grande écoute, relayée par la présence de médiateurs à proximité des zones de pâturage dans les périodes de forte affluence touristique.

Nous subissons un traitement déséquilibré de l’information dans les médias : quand le loup attaque un troupeau et tue des dizaines de bêtes, nous tournons la tête pour éviter de voir les images insoutenables des carnages.

La problématique de la prédation est bipolarisée, coincée entre des positions partisanes, car idéologiques, et des enjeux qui ne sont plus à démontrer. La position de l’État ne doit souffrir d’aucune ambiguïté : elle ne peut plus être consensuelle par peur du procès. Elle doit être le reflet d’une réalité des territoires éprouvée par les hommes qui y vivent ; je pense plus particulièrement aux cinquante-cinq départements colonisés.

Trop souvent prévaut le sentiment d’un déficit de confiance à l’endroit de notre administration. Un établissement public doit adopter une position ne laissant aucune place aux postures militantes, qui compromettent les principes de neutralité, d’objectivité ou d’impartialité indispensables à l’exercice des missions de police.

Le plan Loup nous offre pour la première fois l’occasion d’aborder la question de la maîtrise de la population des loups. Qu’il s’agisse du comptage, du recensement des attaques, du traitement des indices collectés ou du délai nécessaire à l’autorisation des tirs, la question se pose véritablement de la crédibilité des opérateurs et de la fiabilité des indications. D’ailleurs, peut-être faudra-t-il un jour mener toutes les études d’impact nécessaires à l’analyse des conséquences de la présence du loup sur la biodiversité ?

La modification du statut du loup est engagée, et je ne peux que soutenir votre volonté, monsieur le ministre, de porter le débat au sein de la Commission européenne, afin que soient modifiés le texte de la convention de Berne et celui de la directive Habitats.

Le chemin est long et l’issue incertaine, mais, en droit, les États fixent souverainement le taux de prélèvement sur le fondement de la démonstration objectivée de la conservation de l’espèce.

En conclusion, je ferai référence aux propos tenus par mon collègue Laurent Duplomb le 20 décembre dernier. Dans cette « chronique d’une histoire annoncée », il avait cité la présidente de la Commission européenne, laquelle avait affirmé : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions d’Europe est devenue un véritable danger pour le bétail et, potentiellement, pour l’homme. »

J’illustrerai cette phrase en vous narrant deux faits divers varois qui ont eu lieu au cours des quinze derniers jours.

Je vais vous parler de Marc, chasseur varois que j’ai rencontré la semaine dernière, aux côtés de son maire, et qui a eu le malheur de croiser le chemin d’un loup, qui l’a attaqué. Les larmes lui sont venues aux yeux et sa voix a tremblé lorsqu’il a évoqué cette odeur de fauve qu’il ne parvient pas à oublier. Il m’a expliqué que, terrifié, il n’a eu que le réflexe de tirer en l’air, avec du petit plomb, pour le faire fuir et se protéger. La veille, dans le même secteur, le loup avait attaqué un troupeau et dévoré le patou qui le gardait, ce que l’OFB, bizarrement, semble vouloir oublier…

Conscient d’avoir évité le pire, Marc a décidé de prévenir la gendarmerie, car il s’inquiétait à la perspective que l’animal croise une famille en train de se promener. Et la machine administrative et judiciaire s’est emballée, folle d’absurdité. On lui fit peur, on l’intimida, on le traita d’affabulateur : le pire serait qu’il ait tué le loup !

Il m’a appris, dimanche matin, qu’il était convoqué par l’OFB pour tentative de destruction d’une espèce protégée. Il m’a également expliqué que, sur les caméras installées par le berger dont le troupeau avait été attaqué, on voit – comble de l’ironie ! – des loups tranquillement assis devant la clôture électrifiée, en train de choisir les bêtes dont ils allaient se délecter.

Second exemple, jeudi dernier, les loups ont attaqué un troupeau à 250 mètres du lycée agricole d’Hyères – quatrième ville du Var –, fréquenté par 1 700 étudiants. Imaginez l’émoi des parents dont les enfants étudient dans cet établissement !

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collège.

M. Jean Bacci. Il est grand temps de faire évoluer nos positions avant que ne se produise l’inéluctable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. Laurent Duplomb. Très bien !

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

7

Réforme du marché de l’électricité

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’il nous faudra suspendre nos travaux au plus tard à dix-neuf heures quinze, afin de permettre à chacun de se rendre à la cérémonie des vœux de M. le président du Sénat. Je vous invite donc à respecter le temps de parole qui vous est imparti.

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème « La réforme du marché de l’électricité ».

Dans le débat, la parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous adresser tous mes vœux, notamment de santé, et de vous souhaiter – pourquoi pas ? – une bonne année énergétique.

Depuis cinq ans, le prix de l’électricité n’a cessé d’augmenter en Europe. Cette hausse est due à plusieurs facteurs : la reprise de l’économie mondiale au sortir de la crise de la covid-19, la guerre lancée par la Russie contre l’Ukraine et les indisponibilités du parc électrique, nucléaire et renouvelable. J’en veux pour preuve qu’entre 2019 et 2023, le prix moyen du kilowattheure (kWh) est passé de 21 à 29 centimes, en hausse de 40 %, selon Eurostat.

Pour endiguer cette hausse, la Commission européenne a dévoilé, le 8 mars 2022, le plan REPowerEU, qui vise à rendre l’Europe indépendante des hydrocarbures russes avant 2030, et qui prévoit de ce fait d’optimiser l’organisation du marché de l’électricité.

Dans ce contexte, la Commission européenne a présenté, le 14 mars 2023, un paquet législatif comportant trois actes juridiques : un règlement améliorant l’organisation du marché de l’électricité, un règlement protégeant contre la manipulation du marché de gros de l’énergie, une recommandation sur le stockage de l’énergie. Cette réforme a fait l’objet d’un accord en trilogue le 14 décembre dernier.

Le 19 juin dernier, avec mon collègue Claude Kern, nous avons fait adopter une résolution commune à la commission des affaires européennes et à celle des affaires économiques. Le Sénat s’est donc positionné très clairement sur l’intérêt, mais aussi sur les limites de ce paquet.

Premièrement, la réforme du marché européen de l’électricité doit respecter le principe de complétude. Si elle permet le développement utile d’un marché de long terme, elle n’aura pas d’impact immédiat sur le marché de court terme ; en effet, elle ne remet pas en cause le principe du coût marginal, qui lie dans les faits le prix de l’électricité à celui du gaz. Il faut donc aller plus loin.

Deuxièmement, cette réforme doit atteindre l’objectif de neutralité technologique. Les contrats pour différence doivent couvrir toutes les facettes des projets nucléaires, de la construction des nouveaux réacteurs au fonctionnement de ceux qui existent. Il faut aussi qu’ils englobent toutes les sources d’énergies renouvelables, parmi lesquelles les concessions hydroélectriques.

Quant aux contrats d’achat d’électricité, ils doivent bénéficier aux énergies renouvelables comme au nucléaire. C’est essentiel pour respecter l’article 194 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui consacre le droit de tout État membre de définir son mix énergétique. À cet égard, je salue l’accord conclu lors du trilogue, qui est en cohérence avec les positions adoptées par le Sénat dans sa résolution européenne.

Troisièmement, la réforme doit viser la protection des consommateurs. Les États membres doivent bénéficier de toute latitude pour intervenir, bien au-delà des seules situations de crise. Il faut aussi contrôler les fournisseurs, en leur appliquant des obligations prudentielles, pour prévenir tout risque de défaillance. Les consommateurs doivent bien sûr être protégés : il faut étendre les tarifs réglementés de vente, mais aussi préférer les contrats à prix fixe à ceux à tarification dynamique, et les diminutions de puissance aux interruptions de fourniture.

Quatrièmement, la réforme du marché de l’électricité ne doit pas revenir sur la répartition des compétences et respecter celles qui sont dévolues aux autorités nationales. Les principes de subsidiarité, d’indépendance et d’impartialité doivent s’appliquer. Il est donc malvenu que certains de leurs pouvoirs de régulation, mais aussi d’enquête et de sanction, puissent être transférés à une autorité européenne.

Enfin, cette réforme doit promouvoir le stockage de l’électricité, au-delà de sa production. Pour pallier l’intermittence croissante du système électrique, induite par l’essor des énergies renouvelables, et faire face à l’électrification massive des usages, nous aurons besoin de toutes les formes de stockage, de l’hydrogène aux batteries. C’est pourquoi il faut offrir un soutien approprié à ces projets.

Ainsi complétée, la réforme du marché européen de l’électricité est indispensable pour protéger les consommateurs contre la volatilité des prix des énergies, renforcer la compétitivité des entreprises européennes face à la concurrence internationale et financer les investissements dans la transition énergétique. Elle doit contribuer à atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de l’Union européenne, notamment l’objectif de réduction de 55 % de ses émissions de CO2 d’ici à 2030 et la neutralité carbone d’ici à 2050.

Monsieur le ministre, le Gouvernement s’engage-t-il à défendre ces points d’ici à la fin de l’examen de ces textes ? Quand seront-ils introduits dans notre droit ?

Pour appliquer cette réforme du marché européen de l’électricité à notre pays, le Gouvernement a annoncé l’examen par le Parlement, dans les prochains mois, d’un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique. Nous confirmez-vous le futur examen de ce texte dans le contexte très incertain du remaniement ? Il est attendu pour fixer notre cap énergétique.

Monsieur le ministre, je ne vous cache pas mon intérêt, mais aussi ma déception à la lecture de l’avant-projet : il ne comporte que deux articles programmatiques sur un total de seize articles. Or, lors de l’examen de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, la commission des affaires économiques du Sénat a fixé le principe d’une loi quinquennale sur l’énergie. Ce faisant, nous avons souhaité, dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie, consacrer la préséance du Parlement par rapport au Gouvernement, de la politique par rapport à la technique.

Aussi déplorons-nous les retards constatés dans l’examen du texte, car la loi quinquennale aurait dû être adoptée avant le 1er juillet 2023.

Nous regrettons également les lacunes du texte, car la loi quinquennale doit permettre de couvrir l’ensemble des objectifs requis, du mix énergétique à la rénovation énergétique. Les objectifs doivent courir jusqu’en 2033 pour l’énergie et 2038 pour le carbone.

En somme, le Gouvernement se contente d’actualiser les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de diminution de la consommation, renvoyant pour le reste au règlement. Pire, il prévoit l’abrogation pure et simple d’une dizaine d’objectifs, adoptés sur l’initiative de notre commission, en matière d’énergies renouvelables, d’hydroélectricité, d’hydrogène, d’agrivoltaïsme ou d’éolien en mer.

Pourquoi faire ainsi l’impasse sur les énergies renouvelables ? C’est incompréhensible au regard de nos engagements européens.

En ce qui concerne l’énergie nucléaire, si la construction de nouveaux réacteurs équivalant à six EPR 2 (Evolutionary Power Reactor) est envisagée d’ici à 2026, le reste est encore bien flou. Les délais, les technologies ou les financements ne sont pas détaillés. Que d’incertitudes, que d’insuffisances, à l’heure de la relance du nucléaire !

S’agissant de l’article substituant un versement nucléaire universel à l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique, il est indispensable de disposer, avant de légiférer, d’une étude d’impact étoffée, afin d’en mesurer les conséquences sur les prix pour les consommateurs, particuliers comme professionnels, et les recettes du groupe EDF.

Pour ce qui est de l’article autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les concessions hydroélectriques, il est crucial de connaître l’intention du Gouvernement. La Commission européenne est-elle prête à passer d’un régime de concession à un régime d’autorisation, pour mettre fin au contentieux impliquant le groupe EDF ?

Et pourquoi déstabiliser, à travers cet article, la concession de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui a été prorogée de vingt ans par la loi du 28 février 2022 relative à l’aménagement du Rhône, sous l’égide de notre commission ?

Pouvez-vous nous apporter les précisions qui s’imposent ? Entendez-vous corriger le tir avant le dépôt du texte ? À défaut, nous y veillerons. La décarbonation de notre économie suppose en effet, pour réussir, la définition d’objectifs clairs et des moyens suffisants. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver cet après-midi pour ce débat sur la réforme du marché de l’électricité.

Je souhaite profiter de cette occasion pour saluer le travail remarquable effectué par Agnès Pannier-Runacher comme ministre de la transition énergétique, en particulier pour l’obtention d’un accord décisif sur le marché européen de l’énergie.

Pour débuter cette première intervention, je tiens à vous faire part d’une conviction forte : l’énergie est le grand défi économique du XXIe siècle, celui qui doit nous permettre de renforcer notre indépendance, d’offrir à nos concitoyens comme à nos entreprises une énergie décarbonée au coût le plus bas possible, et d’accélérer la décarbonation de la France pour faire de notre Nation la première économie décarbonée en Europe à l’horizon 2040. Cela suppose de disposer d’une stratégie cohérente, globale, dans le prolongement de ce qu’a défini le Président de la République à Belfort et que je rappellerai brièvement ici.

Le premier pilier de cette stratégie est la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous dépendons encore d’énergies fossiles à hauteur de 60 % de notre consommation énergétique, alors que nous ne produisons plus rien dans ce domaine – ni gaz ni pétrole – sur notre territoire.

Nous sommes donc largement dépendants en matière énergétique. Cela engendre une vulnérabilité climatique, car il s’agit d’énergies fossiles, ainsi qu’une vulnérabilité géopolitique, comme nous l’avons vu depuis l’invasion russe en Ukraine ; nous risquons de la constater aussi du fait des blocages en mer Rouge et des difficultés d’approvisionnement qui en résulteront.

Cette dépendance entraîne enfin une vulnérabilité économique et financière de tous les instants, car nous sommes – consommateurs et entreprises – exposés aux risques d’envolée du prix du baril ou du gaz.

Nous devons donc, par souci de renforcer notre indépendance, réduire au strict minimum la part des énergies fossiles dans notre économie et viser la neutralité carbone.

Pour cela – il faut être conscient des chiffres et des enjeux –, il faut doubler la part de l’électricité dans notre mix énergétique en la faisant passer de 27 à 55 % d’ici à 2050.

Ce doublement des capacités électriques de la Nation en une vingtaine d’années est la condition pour tenir nos objectifs de neutralité carbone et d’indépendance énergétique. Il s’agit aussi d’un défi industriel et financier tel que la France n’en a pas connu depuis quarante ans.

Ce défi industriel suppose d’accélérer le déploiement de l’éolien terrestre et de l’éolien offshore, d’accélérer le déploiement des panneaux solaires, de réussir la construction des six nouveaux EPR, alors même que nous n’avons pas réalisé, depuis plusieurs décennies, de chantier industriel de cette ampleur, d’investir dans l’hydrogène et dans le réseau électrique – il faudrait installer entre 15 000 et 25 000 kilomètres de lignes à haute tension pour réussir l’électrification de notre pays.

Toutes ces énergies sont complémentaires, et jamais je n’opposerai les énergies les unes aux autres. Quoi qu’il en soit, ce défi industriel est absolument considérable.

Il s’agit aussi d’un défi financier, dont les coûts ont été largement évalués. Le budget de la Nation est mis à contribution : 7 milliards d’euros supplémentaires y sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2024. Il convient également de mieux mobiliser l’épargne privée, et de mettre en place l’union des marchés des capitaux au niveau européen, sans laquelle nous ne parviendrons pas à lever les sommes nécessaires.

L’indépendance électrique de la Nation française est donc un défi industriel tel que la France n’en a pas connu depuis un demi-siècle.

Le deuxième pilier de cette stratégie est la réindustrialisation.

L’électrification ne doit pas nous conduire à acheter à l’étranger ce dont nous avons besoin. Nous devons au contraire nous en servir comme d’un levier pour produire en France davantage de pales d’éoliennes, de panneaux solaires, de réacteurs nucléaires et de turbines, autant d’éléments nécessaires au parc électrique national.

Climat et réindustrialisation ont partie liée. J’ai la conviction profonde que la transition climatique nous offre une occasion unique dans l’histoire récente de notre Nation d’effacer quarante années de désindustrialisation et de réindustrialiser le pays. De fait, la transition climatique représente des usines et des emplois. Nous devons saisir cette occasion.

Dans cette perspective, nous avons voté une loi relative à l’industrie verte – d’ailleurs largement soutenue par le Sénat, ce dont je le remercie – qui met en place, pour la première fois en Europe, un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte. La France est la seule nation en Europe à demander aux industriels, à l’instar des États-Unis avec l’Inflation Reduction Act, de produire des panneaux solaires, des pales et des mâts d’éoliennes, des pompes à chaleur et des batteries électriques, et à leur accorder un crédit d’impôt, afin qu’ils le fassent sur le sol français avec des technologies françaises. Ce dispositif permettra d’accélérer la production nationale.

Examinons les faits et uniquement les faits dans le domaine industriel : la transition climatique nous a permis, pour la première fois depuis plusieurs décennies, d’ouvrir une nouvelle chaîne de valeur industrielle en France. L’industrie française comprend désormais, outre la chimie, l’aéronautique et l’automobile, la filière des batteries électriques.

Cette filière est probablement l’une des plus performantes d’Europe, grâce à ses quatre gigafactories, à la recherche et à l’innovation françaises. Notre pays sera ainsi l’un des premiers à maîtriser la fabrication des batteries à état solide, et pas uniquement celle des batteries lithium-ion.

Nous avons également mis en place des instruments financiers : le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 5 milliards d’euros de prêts participatifs verts et d’obligations vertes.

Nous avons en outre multiplié par treize les soutiens à l’export des énergies renouvelables entre 2018 et 2022.

Vous le voyez, notre mobilisation est pleine et entière pour faire de la transition climatique un enjeu industriel et le moyen de réindustrialiser enfin la nation française. Et nous obtenons des résultats !

Désormais que l’énergie est dans le périmètre du ministère de l’économie et des finances, nous comptons accélérer la décarbonation industrielle du pays, renforcer notre souveraineté industrielle et relever le défi de l’électrification du mix énergétique national.

Le troisième pilier de cette stratégie repose sur la sobriété et l’efficacité énergétiques.

Je tiens à rassurer tous ceux qui ont émis des critiques : nous sommes en démocratie et toutes les critiques sont les bienvenues.

M. Fabien Gay. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour autant, je veux dire à tous ceux qui prétendent que nous aurions tout d’un coup, parce que l’énergie relève désormais du ministère de l’économie et des finances, abandonné les principes de sobriété et d’efficacité qu’ils se trompent ! J’ai la conviction absolue que ces deux principes doivent impérativement faire partie de notre stratégie énergétique.

Sobriété et efficacité sont des moyens indispensables pour atteindre notre objectif de réduire de 40 à 50 % notre consommation d’énergie par rapport à 2021.

Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

La sobriété consiste à lutter contre le gaspillage d’énergie en adoptant de nouvelles habitudes. Nous avons commencé à le faire à l’automne 2022 avec le grand plan de sobriété énergétique. Nous avons d’ailleurs obtenu des résultats, et j’en remercie nos compatriotes : sur les douze derniers mois, la consommation de gaz et d’électricité a diminué d’environ 12 %.

J’en viens à l’efficacité. Personne ne peut se satisfaire que la chaleur émise par des usines ne soit pas récupérée à des fins énergétiques. Le meilleur exemple que je puis vous citer, c’est le site d’ArcelorMittal sur lequel je me suis rendu hier : il permet à lui seul d’approvisionner 40 % de la chaleur du réseau urbain de Dunkerque.

Quant au quatrième pilier, j’y tiens beaucoup, mais on en entend moins parler…

M. Fabien Gay. Le marché ! (Sourires.)

M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit en effet, monsieur le sénateur, du marché européen ; les communistes et les gaullistes auront toujours partie liée… (Rires.)

Rien ne sert de décarboner notre économie si l’on doit exposer nos industries à des conditions de marché qui, elles, ne visent pas cet objectif de décarbonation.

M. Laurent Duplomb. C’est pourtant ce que l’on fait !

M. Bruno Le Maire, ministre. Lorsqu’en France on produit des éoliennes, de l’hydrogène, ou de l’acier décarboné, comme nous venons de le décider pour le site d’ArcelorMittal en investissant près de 2 milliards d’euros, il est évident que cela coûte plus cher, même si c’est plus vertueux. C’est meilleur pour le climat, mais moins bon pour les finances !

Pour résoudre cette équation, il faut que le marché européen se protège : j’emploie ce mot à dessein, car les États-Unis et la Chine n’hésitent pas à le faire.

Le marché européen doit tout d’abord se protéger grâce au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui sera mis en place dans quelques années pour compenser les écarts de tarifs entre une production vertueuse d’un point de vue environnemental et une production moins coûteuse, mais moins vertueuse.

Il doit ensuite se protéger grâce au Net-Zero Industry Act,…

M. le président. Il faut penser à conclure, monsieur le ministre, car vous avez déjà largement dépassé votre temps de parole.

M. Bruno Le Maire, ministre. Permettez-moi d’achever mon propos sur la politique européenne pour ne pas froisser mes amis communistes, monsieur le président.

M. le président. Je vous en prie.

M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Net-Zero Industry Act, j’insiste sur la nécessité d’imposer une primauté européenne dans les appels d’offres et les marchés publics, que ce soit pour l’énergie photovoltaïque, les batteries ou l’hydrogène. Je sais que ce sujet reste un tabou, mais la France doit le briser. Ainsi, il ne faudrait pas que l’on attribue plus de 50 % d’un marché public à des États tiers à l’Union européenne. Autrement dit, au moins 50 % des commandes publiques devraient revenir exclusivement à des pays européens qui respectent les normes environnementales les plus strictes et qui acceptent les coûts supplémentaires, autant de raisons qui justifient qu’on les privilégie et qu’on protège leur marché.

Je ne serai pas plus long, monsieur le président. Merci de votre mansuétude !

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis l’automne 2021, notre économie est confrontée à une hausse particulièrement importante du coût des énergies fossiles, ce qui a donné lieu à une crise énergétique qu’est venu aggraver le conflit en Ukraine, dans la mesure où l’Union européenne était très dépendante du gaz provenant de Russie.

Par conséquent, depuis plusieurs mois, qu’il s’agisse des entreprises, des particuliers ou des collectivités, les consommateurs ont dû bien souvent faire face à une augmentation des prix figurant en bas de leur facture.

Rappelons néanmoins que la situation aurait été bien pire sans le bouclier tarifaire et le chèque énergie déployés par le Gouvernement.

Toujours est-il que la crise énergétique a mis en lumière nos vulnérabilités. Une réforme du marché de l’électricité s’est donc révélée indispensable.

Comme nous le savons, depuis la fin de l’année 2023, après plusieurs mois d’intenses négociations, l’Union européenne s’est enfin accordée sur une réforme du marché de l’électricité. Il s’agit d’une réforme urgente, nécessaire, et dont les effets sont très attendus par nos concitoyens.

Cette réforme – on le comprend déjà – favorisera les investissements dans les énergies décarbonées, notamment l’énergie nucléaire. Tant mieux, puisque cela correspond à l’un des piliers de la stratégie française.

Toutefois, si les Français s’inquiètent du défi climatique, ils se préoccupent également de leur pouvoir d’achat et des factures à la fin du mois.

Je souhaite donc interroger le Gouvernement sur les effets de cette réforme du marché de l’électricité pour nos concitoyens. Autrement dit, monsieur le ministre, dans quelle mesure cette réforme permettra-t-elle de mieux protéger les consommateurs français, notamment face à la volatilité des prix ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme du marché européen de l’électricité était indispensable. En effet, au moment de la crise énergétique, les consommateurs, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, ont été exposés à une flambée insupportable de leur facture. Nous les avons protégés, en particulier les petits commerçants, grâce au bouclier tarifaire – je vous remercie de l’avoir rappelé, monsieur le sénateur.

Cela étant, nous ne pourrons pas continuer de mettre des dizaines de milliards d’euros sur la table à chaque fois que les prix de l’énergie augmenteront.

La réforme que nous avons obtenue – je salue une fois encore le travail effectué par Agnès Pannier-Runacher – repose sur trois principes : la visibilité, la stabilité et la compétitivité.

Visibilité, parce que nous aurons désormais la possibilité d’étendre, notamment aux plus petites entreprises, le tarif régulé dont peuvent déjà bénéficier les particuliers.

Oublié, le seuil de 36 kilovoltampères qui tracassait beaucoup les patrons des très petites entreprises, les boulangers et les commerçants redoutant sans cesse de ne plus être éligibles au tarif réglementé de vente. Toutes les petites entreprises de moins de dix salariés pourront désormais avoir un tarif régulé.

Stabilité, parce qu’il n’y aura plus d’explosion du prix de l’électricité. En effet, si cela se produisait, nous aurions le droit de récupérer l’argent gagné par EDF et de le redistribuer intégralement aux consommateurs comme aux entreprises. Là encore, c’est un changement majeur par rapport à la situation antérieure.

Compétitivité enfin, puisque nous avons conclu avec EDF des contrats de long terme pour garantir un prix moyen de l’électricité autour de 70 euros par mégawattheure, ce qui assurera aux très grandes entreprises consommatrices d’énergie, comme aux entreprises industrielles de plus petite taille, un tarif stable et raisonnable dans les années qui viennent. La France gardera ainsi un atout compétitif décisif.

À ceux que j’entends exprimer des doutes, je répondrai simplement en leur rappelant l’exemple récent d’ArcelorMittal. Alors que M. Mittal avait le choix entre cinq sites pour investir, dont quatre en Europe et un aux États-Unis, il a choisi la France. Croyez-moi, ce n’est certainement pas par philanthropie, mais parce que notre énergie est moins chère.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, jusqu’à présent le Gouvernement n’a pas ou peu abordé la question importante du financement des nouveaux réacteurs nucléaires. Or il faudra plus de 50 milliards d’euros pour financer les six premiers réacteurs et plus de 150 milliards d’euros si l’on veut en construire quatorze, comme l’a annoncé le Président de la République.

Compte tenu de sa situation actuelle, qui résulte des règles européennes, EDF ne peut pas recourir à l’autofinancement, et la capacité de l’entreprise à s’endetter est très limitée.

Dans ce contexte, pouvez-vous nous dire quels sont les dispositifs régulés et contractuels permis par l’Union européenne que le Gouvernement entend privilégier en complément du financement public sous forme de subventions ou de dotations en capital ?

L’Union européenne promeut les contracts for difference (CFD) ou « contrats pour la différence », et les power purchase agreements (PPA) ou accords d’achat d’énergie. Dans quelle mesure y aurez-vous recours pour financer les investissements dans le nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. On évalue à plus de 55 milliards d’euros le coût total de la réalisation des six nouveaux EPR. La montée en charge se fera progressivement, puisque l’on estime que, d’ici à 2027, les investissements nécessaires ne dépasseront pas 1 ou 2 milliards d’euros.

Bien évidemment, l’État apportera son soutien, mais le meilleur moyen de financer ces EPR reste de garantir la rentabilité d’EDF. D’où la position que j’ai adoptée pendant toute la durée des négociations entre EDF et l’État sur la réforme des tarifs : il fallait non seulement garantir la compétitivité des tarifs pour l’industrie, mais également veiller à la rentabilité d’EDF, car l’entreprise doit réduire sa dette, qui s’élève à 65 milliards d’euros, et renouer avec la rentabilité, ce qui lui permettra de dégager des moyens financiers pour investir aussi dans le nouveau programme nucléaire.

M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour la réplique.

M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, vous n’avez, hélas ! pas tout à fait répondu à ma question.

En réalité, le coût définitif du mégawattheure produit par le nouveau nucléaire découlera de la construction des centrales, de leur pilotage et leur maintenance, du cycle complet du combustible, ainsi que des démantèlements.

Le Gouvernement peut utiliser différents dispositifs de financement, parmi lesquels les emprunts souverains indexés sur les obligations assimilables du Trésor (OAT), ou bien encore une base d’actifs régulés. Ces techniques de financement sont plus ou moins dépendantes des marchés et plus ou moins liées à certaines catégories de consommateurs. Il en résulte des coûts d’emprunt plus ou moins élevés.

Un arbitrage politique du Gouvernement est nécessaire : il faut choisir entre la contribution sur le long terme de l’État et, donc, des contribuables, la contribution des partenaires financiers potentiels du nucléaire et celle des consommateurs.

Dans le cadre européen défini par le market design et la taxonomie verte, les modalités de financement du nucléaire auront un impact fort sur le prix payé par le consommateur français.

Or nous voulons que ce prix soit le plus régulé possible pour protéger nos compatriotes. La compétitivité de notre industrie en sera aussi affectée. Je souhaite, monsieur le ministre, que le Gouvernement ne tarde pas à s’expliquer sur ce point et qu’il engage un débat de fond avec le Parlement.

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre, les enjeux d’une réforme du marché de l’électricité ne sont pas des moindres et, comme vous l’avez dit, l’énergie est le grand défi du XXIe siècle, un défi industriel.

Il s’agit, d’une part, d’offrir une électricité à un prix stable et abordable pour stimuler la compétitivité et garantir la viabilité des investissements de notre industrie et de nos entreprises ; d’autre part, nous devons nous donner les moyens de répondre à une demande en électricité sans cesse plus forte dans un contexte de réindustrialisation et de décarbonation de notre économie.

Alors que nous manquons de visibilité sur les prix, que nous peinons à sortir de la crise énergétique et que la concurrence internationale se fait de plus en plus agressive, l’Union européenne est parvenue à un accord pour réformer le marché de l’électricité. Nous pouvons nous en réjouir, mais certaines interrogations demeurent.

Ainsi, l’instauration de contrats de long terme, les power purchase agreements, conclus de gré à gré, directement entre un producteur et un client, est une bonne chose. Ils constitueront un réel soutien pour nos industries, en particulier les entreprises « électro-intensives » qui attendaient ces contrats d’achat depuis longtemps.

Néanmoins, s’il est indispensable de soutenir les acteurs industriels les plus énergivores, il semble juste que ce mécanisme puisse être appliqué à l’ensemble du tissu industriel de notre territoire, en particulier aux manufactures textiles et aux entreprises agroalimentaires et chimiques qui consomment, elles aussi, beaucoup d’électricité.

On éviterait ainsi des distorsions de concurrence ; on permettrait aussi à notre industrie de gagner en compétitivité et d’aborder plus sereinement la transition énergétique. J’en veux pour preuve l’industrie chimique, qui prévoit de réduire de 41 % à 49 % ses émissions annuelles de gaz à effet de serre d’ici à 2030. Un tel objectif ne peut être atteint que si l’on garantit l’accès à des volumes suffisants d’électricité, et à des prix stables.

Aussi, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le Gouvernement envisage de généraliser les contrats de long terme en cours de négociation aux industries non électro-intensives. C’est une question de souveraineté et de compétitivité pour nos entreprises.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, cher Guillaume Chevrollier, ces contrats s’étendront à l’ensemble des entreprises.

Les entreprises électro-intensives bénéficieront de contrats de très long terme, d’une durée d’environ quinze ans – le premier d’entre eux, celui entre ArcelorMittal et EDF, vient d’être signé.

Ce type de contrat est réservé à de très grosses entreprises pour la simple raison qu’il nécessite de mettre en place une contrepartie, dite « avance en tête », c’est-à-dire une avance de trésorerie que la très grande entreprise fait à EDF pour lui permettre de garantir la soutenabilité de sa production sur quinze ans.

Le dispositif est particulièrement vertueux : l’entreprise concernée est engagée et participe à la rentabilité d’EDF qui, en retour, lui garantit le tarif de l’électricité le plus compétitif de l’Union européenne. Je le répète, c’est ce qui explique la décision prise par ArcelorMittal, lundi dernier, d’investir 1,8 milliard d’euros dans un site français.

Pour les autres entreprises industrielles, le contrat sera moins long, d’une durée de l’ordre de trois à cinq ans. On leur permettra ainsi d’échapper à des difficultés de trésorerie, tout en conservant le même objectif, celui de parvenir à un prix moyen de l’électricité d’environ 70 euros par mégawattheure, soit l’un des tarifs les plus compétitifs en Europe.

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le marché européen de l’électricité mis en place depuis la fin des années 1990 constitue une atteinte déterminante à la souveraineté de la France et au pouvoir d’achat de nos compatriotes.

La France, grâce à une politique ambitieuse engagée par les gouvernements gaullistes, avait pourtant su développer un système énergétique cohérent, fondé sur l’énergie nucléaire et l’hydroélectricité, qui lui avait permis d’obtenir une indépendance énergétique totale en moins de trente ans et de disposer de l’énergie la plus décarbonée de l’Union européenne.

Face aux dogmes européens de l’ultralibéralisme et de la concurrence, nous avons dû intégrer notre système de gouvernance énergétique dans un marché européen technocratique et incompréhensible pour de nombreuses personnes.

Alors que l’on nous avait promis une énergie bon marché et un investissement continu dans les énergies décarbonées, l’inflation et les crises énergétiques des dernières années ont démontré les vices de conception rédhibitoires de ce système.

Le Gouvernement s’est félicité de l’accord trouvé au forceps entre nos partenaires européens sur la réforme du marché de l’électricité, mais cela n’empêchera pas la hausse de 10 % du tarif de l’électricité que nos compatriotes, déjà étranglés de toute part, subiront au mois de février prochain.

À l’heure où le Portugal et l’Espagne ont su décrocher temporairement du marché européen de l’électricité pour protéger leurs citoyens, avec un effet positif immédiat et une baisse des tarifs entre 10 % et 20 %, il semble que le Gouvernement s’entête.

Monsieur le ministre, pourquoi rechignez-vous tant à accepter un décrochage temporaire du marché européen de l’électricité, qui constituerait une bouffée d’oxygène sociale et rendrait un peu de pouvoir d’achat aux Français ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J’entends les critiques émises sur le marché européen de l’électricité ; nous en avons d’ailleurs tiré les conclusions, puisque nous l’avons réformé.

Toutefois, il faut distinguer le marché de gros et le marché de détail. La réforme que nous avons défendue portait sur le marché de détail pour en garantir la visibilité, la stabilité et la compétitivité en matière de prix. Nous l’avons obtenue au prix d’une bataille difficile.

S’agissant du marché de gros, l’intérêt de la France est de rester un État membre de l’Union européenne. En effet, lorsque nous produisons beaucoup d’électricité, nous l’exportons. Or c’est le cas aujourd’hui, non seulement parce que nos réacteurs nucléaires ont retrouvé leur niveau normal de production, mais aussi parce que nous avons produit beaucoup d’électricité décarbonée à partir des énergies renouvelables. Aujourd’hui, nous exportons de l’électricité, ce qui est une bonne chose, car, vous en conviendrez, nous avions bien besoin de rééquilibrer notre balance commerciale.

En revanche, lorsque nous sommes en défaut de production, comme cela a été le cas il y a quelques mois à cause des difficultés qu’ont rencontrées nos réacteurs, nous sommes bien contents de pouvoir importer de l’électricité. Si nous ne l’avions pas fait, nous aurions subi un blackout l’hiver dernier. Notre appartenance au marché européen, me semble-t-il, nous protège.

Quant à l’Espagne, je rappelle que la situation de ce pays est totalement différente, puisqu’il n’est pas interconnecté et constitue en quelque sorte une île énergétique.

Par conséquent, ma conviction est que notre intérêt est de rester dans le marché européen, à condition qu’il soit réformé selon les principes que je viens de rappeler.

M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette.

M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il est bien un enseignement majeur à tirer de l’agression de la Russie de Poutine contre l’Ukraine, c’est que l’électricité est une arme de géopolitique. L’Europe s’est fait peur : ce conflit aura au moins eu l’avantage de mettre au cœur du débat le sujet crucial de la réforme du marché de l’électricité.

Le raccordement en urgence de l’Ukraine au réseau européen, quelques semaines seulement après l’agression russe, nous rappelle la nécessité de travailler sur nos interconnexions. Nous avions déjà eu un aperçu de cet enjeu au moment du Brexit, quand nous nous sommes rendu compte que l’Irlande n’était pas directement raccordée au continent européen. Je salue au passage le travail en cours sur le projet Celtic Interconnector entre notre pays et l’Irlande.

Ces deux dossiers, de manière bien différente, nous exhortent à repenser notre sécurité énergétique, ainsi que notre souveraineté et notre indépendance. Je me réjouis donc, monsieur le ministre, des efforts que vous avez déployés durant les négociations sur la réforme du marché de l’électricité pour défendre le nucléaire – je souscris aux propos que vous avez tenus, car j’ai moi aussi, à titre personnel, toujours défendu cette énergie. Je salue également le travail réalisé par la ministre Agnès Pannier-Runacher.

L’énergie nucléaire, à l’heure où la planète se décarbone, est une chance : elle est fiable, sûre et puissante. Le travail qui est fait autour de l’atome, du cycle du combustible et du traitement des déchets est porteur d’espoir, même si, bien entendu, tout cela a un coût.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous expliquiez le plus précisément possible ce que contient l’article 19b de l’accord qui a été conclu et en quoi il facilitera nos investissements dans le nucléaire. Les négociations européennes sont longues et parfois pleines de rebondissements – on pourrait même dire « fastidieuses ». Sommes-nous sûrs que les régimes d’aides directes seront favorables au développement et à l’innovation dans le domaine du nucléaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous confirme que l’article 19b s’appliquera à la fois aux installations nucléaires existantes et aux futures installations.

Les débats sur la possible mise en œuvre de ce dispositif pour les installations nucléaires existantes ont été extrêmement rudes – je peux en témoigner –, y compris avec nos partenaires allemands. Nous avons eu gain de cause sur ce point essentiel.

Un autre enjeu concernait la possibilité de redistribuer la rente, lorsque les prix sont très élevés, à l’ensemble des consommateurs, particuliers comme entreprises. Là encore, nous avons eu gain de cause. Telles sont les deux victoires majeures que nous avons obtenues : étendre les CFD aux installations nucléaires existantes, qui sont par définition déjà amorties, et redistribuer la rente à tous.

Quant aux interconnexions, je suis tout comme vous très favorable à leur développement. Des projets existent déjà vers l’Espagne et vers l’Irlande. Et si d’autres initiatives voyaient le jour, elles seraient bienvenues. En effet, si l’on se projette dans vingt ans, la France sera l’une des seules nations européennes qui pourra disposer, grâce à son énergie nucléaire, de capacités électriques massives. Exporter notre électricité décarbonée sera, dans les années à venir, un moyen – peut-être le seul – de rééquilibrer notre balance commerciale.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chauvet.

M. Patrick Chauvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord conclu entre l’État français et EDF le 14 novembre dernier pose les fondations du futur cadre de la régulation du prix de l’électricité d’origine nucléaire, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2026, date d’expiration du dispositif de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).

Au lieu du tarif actuel de 42 euros par mégawattheure, qui s’applique pour une partie de la production d’EDF dans le cadre de l’Arenh, cet accord garantit un prix moyen de 70 euros par mégawattheure pour l’ensemble de la production d’électricité d’origine nucléaire. Comment ce niveau de prix a-t-il été fixé ? Sur quelles données et sur quels paramètres s’est-on fondé pour le définir ?

On peut lire dans la presse que ce niveau de prix est le reflet d’un « engagement d’EDF sur sa politique commerciale dans les années à venir ». Monsieur le ministre, vous avez précisé que « le respect de cet engagement ne pourra de fait être constaté qu’a posteriori », actant donc la possibilité qu’un tel niveau de prix ne soit pas adapté aux réalités du marché.

Quelles sont les clauses de revoyure qui ont été imaginées pour modifier ce prix moyen s’il était mal calibré ? De quelles garanties disposons-nous en la matière ? Par ailleurs, un tel prix est-il équitable vis-à-vis des autres acteurs du marché de l’énergie ?

Enfin, où en sont les discussions avec la Commission européenne pour valider l’accord au regard du droit de la concurrence et de la régulation ?

Monsieur le ministre, ces questions sont cruciales, car elles doivent nous permettre, avec objectivité et transparence, de bien appréhender le cadre de cet accord qui est décisif pour l’avenir de notre pays.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Sans révéler de grand secret, la négociation entre EDF et l’État a certes été respectueuse, mais elle a été aussi longue et difficile. Il fallait en effet concilier les intérêts d’EDF, c’est-à-dire sa rentabilité, et ceux des entreprises industrielles. Je me suis battu personnellement pour que nous gardions cet équilibre.

Certains me disaient qu’il fallait un prix garanti à 60 euros par mégawattheure, et tant pis pour la rentabilité d’EDF ! Pourquoi pas ? Mais cela aurait eu pour conséquence que l’État aurait été contraint de venir à la rescousse, de recapitaliser EDF, dont la dette aurait augmenté, de sorte que le système n’aurait finalement pas tenu financièrement.

En définitive, il me semble que nous avons trouvé le bon équilibre. Pour déterminer le juste prix, nous nous sommes intéressés au coût moyen de production de l’électricité par les centrales existantes auquel nous avons ajouté celui de la construction des nouveaux réacteurs. C’est ainsi que nous sommes arrivés au prix moyen de 70 euros par mégawattheure.

Ces éléments ont déjà été transmis à la Commission européenne, et nous estimons qu’ils sont parfaitement conformes à l’accord qui a été conclu dans le cadre du nouveau marché européen.

M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon.

M. Daniel Salmon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’énergie est un bien commun essentiel à notre société. La crise énergétique que nous connaissons et les spéculations qu’elle a engendrées ont des effets économiques et sociaux délétères, à la fois pour notre tissu économique et, a fortiori, pour les plus vulnérables de nos concitoyens.

Dans ce contexte, les réformes du marché de l’électricité doivent garantir un accès généralisé à l’énergie permettant de couvrir les besoins à un coût abordable.

Or, avec la politique que vous menez, vous ne semblez pas emprunter cette voie, alors que vous avez, depuis la mi-novembre 2023, commencé à dessiner les contours de la future régulation du marché dans le secteur du nucléaire.

L’objectif affiché par le Gouvernement est clair : il faut à la fois que « les consommateurs français puissent bénéficier de prix stables » et qu’EDF ait « les moyens d’investir pour son avenir ».

En réalité, votre politique nous semble avoir pour principal objectif de garantir le financement coûte que coûte de la relance du nucléaire. Dans cette perspective, votre stratégie française pour l’énergie et le climat prévoit un cadre post-Arenh dans lequel les consommateurs paieront une part supposée juste du préfinancement de notre futur mix énergétique.

Mais que s’agit-il de préfinancer et pour combien ? Le coût de cette relance du nucléaire est plus qu’incertain et risque de peser fortement dans les portefeuilles des consommateurs.

Rappelons qu’EDF est déjà endettée à hauteur de 65 milliards à 70 milliards d’euros et que les besoins en matière d’investissement semblent infinis : je pense au vieillissement des cinquante-six réacteurs en service, qui doivent faire l’objet d’une quatrième visite décennale et qui entrent dans le programme du grand carénage, au coût de l’EPR de Flamanville qui n’en finit pas de déraper, aux dépenses supplémentaires nécessaires pour financer les nouveaux EPR2, les hypothétiques petits réacteurs modulaires (SMR), ainsi que le centre de La Hague et le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) – la liste longue et je m’arrêterai là.

Dans le même temps, le coût des énergies renouvelables baisse, et leur production ne cesse d’augmenter partout dans le monde. Notons qu’en 2023 les nouvelles installations photovoltaïques ont permis d’atteindre une puissance cumulée de 510 gigawatts, ce qui constitue un record.

Au-delà de nos désaccords sur la sécurité et l’impact environnemental du nucléaire, pourriez-vous nous indiquer dans quelle mesure cette relance du nucléaire pèsera sur le prix de l’énergie fournie aux consommateurs, dès lors que le tarif post-Arenh semble devoir être fixé à 70 euros par mégawattheure ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je reviens à la question précédente pour préciser, en ce qui concerne les clauses de révision, qu’un premier rendez-vous est prévu après six mois, puis que d’autres rendez-vous seront planifiés tous les trois ans pour réexaminer les deux seuils qui ont été définis, à savoir celui de 78 euros, au-dessus duquel 50 % de la rente est redistribuée, et celui de 110 euros, à partir duquel 90 % de la rente est redistribuée aux consommateurs, particuliers comme entreprises. Nous pourrons ainsi nous assurer que ces seuils sont les bons.

En effet, monsieur le sénateur, 55 milliards d’euros pour le nucléaire, c’est beaucoup d’argent, mais, en réalité, c’est toute l’électricité qui coûte cher. Voilà ce dont chacun doit prendre conscience. Il s’agit là de l’investissement le plus important dont la France ait besoin aujourd’hui.

Depuis 2010, je le rappelle, quelque 75 milliards d’euros ont dû être investis dans les énergies renouvelables (EnR). Les réseaux, un sujet que tout le monde a fini par oublier à force de penser aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques ou aux réacteurs, nécessiteront un investissement qui dépassera les 100 milliards d’euros d’ici à 2040.

Quant au nucléaire, je persiste et je signe : la France dispose là d’un atout compétitif majeur, qui lui garantit une énergie stable. Notre objectif n’a jamais été de passer au tout nucléaire, mais de réaffirmer qu’il s’agit d’un avantage compétitif que nous devrons renforcer en développant les énergies renouvelables, d’une part, et en favorisant la sobriété et l’efficacité énergétiques, d’autre part.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, ma question est simple : quelle est la différence entre le coût, le tarif et le prix de l’électricité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Le coût de l’électricité, c’est ce que cela coûte à EDF de la produire ; le tarif, c’est ce que doivent payer les gens ; et l’ensemble, c’est ce qui fait la régulation.

Tout d’abord, notre objectif qui, je le crois, a été atteint aussi bien à l’échelle européenne que nationale, était de préserver un équilibre entre les intérêts de chacun, au nom de l’intérêt général.

Il faut qu’EDF soit rentable. Hier encore, sur le site de Gravelines, j’ai rencontré les représentants des syndicats de l’entreprise et j’ai pu constater à quel point ils étaient attachés à la rentabilité de celle-ci.

Cela devrait vous plaire : avec le Président de la République, nous avons nationalisé EDF…

M. Fabien Gay. Étatisé !

M. Bruno Le Maire, ministre. … et rendu l’entreprise publique à 100 %. EDF ne doit pas pour autant faire faillite. Il ne s’agit pas que le contribuable doive sans cesse remettre de l’argent dans l’entreprise. Même si elle est publique, car elle l’est désormais, EDF reste une entreprise dont nous devons garantir la rentabilité.

Ensuite, il faut offrir les tarifs les plus compétitifs aux entreprises industrielles. La démonstration en a été faite lundi. Voilà un an que je négocie avec MM. Mittal, père et fils, Lakshmi comme Aditya, pour qu’ils investissent en France. Alors que nous nous trouvions en concurrence avec la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne et les États-Unis, ils ont fini par choisir le site industriel français. Quel meilleur exemple de la compétitivité de notre pays en matière de coût de l’énergie ? Je le redis, croyez-moi, les grands industriels ne font de cadeaux à personne et à aucun État.

Enfin, nous garantissons à nos concitoyens un prix de l’énergie parmi les plus bas de tous les pays européens. Certes, les factures sont toujours trop chères, mais l’électricité est un bien qui est rare, cher et difficile à produire.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, vous le savez, nous avons des désaccords : vous croyez au marché, quand nous pensons que l’énergie est un bien commun, qui doit être géré comme un monopole public par une entreprise publique.

Pour ce qui est du coût de l’électricité, vous avez raison : c’est ce que cela coûte concrètement à l’entreprise EDF ou à d’autres énergéticiens.

En revanche, le tarif, ce n’est pas tout à fait ce que vous dites. C’est ce qui permettait jusqu’à présent à chacun d’avoir accès à l’énergie au prix le plus bas et en collant le plus possible aux coûts de production. C’est ce qu’on appelait le tarif réglementé. Et, à l’époque, tout le monde y avait droit, non seulement les usagers et les ménages, mais aussi les collectivités et toutes les entreprises !

Or, dans le cadre de la renégociation, il est certes prévu que les petites entreprises continueront d’y avoir droit, mais le problème se posera pour les collectivités territoriales et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Quant aux grands groupes, ils préfèrent en effet les PPA, c’est-à-dire des contrats de long terme, sur quinze ans, passés directement, avec un prix garanti – grand bien leur fasse.

Enfin, le prix de l’électricité – c’est ce qui a dysfonctionné – a été complètement décorrélé des coûts de production et, donc, du marché. C’est bien là le problème ! Vous n’avez fait que poser un pansement sur une jambe de bois, car, en réalité, dans les négociations que vous avez menées sur la réforme du marché européen, nous avons certes arraché quelques petites avancées, mais nous avons surtout contribué à préserver la compétitivité des entreprises allemandes. Voilà la réalité !

Je le répète, le mécanisme a dysfonctionné, au point que le prix a atteint 1 000 euros du mégawattheure. C’est cela, l’Europe du trading, et cela coûte cher à l’ensemble des usagers de l’électricité.

En définitive, monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question : que faire de tout notre tissu industriel, qui ne se résume pas aux grandes entreprises, et de nos collectivités territoriales ?

Pour notre part, nous plaidons pour le rétablissement d’un grand service public.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre. Pour l’intérêt du débat, sachez, monsieur le sénateur, que si l’Allemagne était plus compétitive que la France, ArcelorMittal ne lui aurait pas préféré notre pays pour faire l’un des investissements industriels les plus importants de la décennie.

La raison de ce choix est simple : il tient à la présence de la centrale de Gravelines, qui, à quelques kilomètres du site d’ArcelorMittal, fournit une électricité décarbonée à un tarif imbattable. Aucune autre nation européenne ne peut apporter cela. C’est un atout compétitif majeur.

J’en viens à la réforme du précédent système, celui de l’Arenh. En tant que ministre de l’économie, l’un de mes objectifs est de garantir la compétitivité des industriels. Je leur ai donc mis les cartes en main.

Il était possible de maintenir un tarif régulé semblable à l’Arenh, dont je rappelle qu’il ne s’appliquait qu’à 100 térawattheures sur les 300 térawattheures que nous produisons, soit un tiers, les deux tiers restants étant soumis au marché. En cas d’explosion des prix, je n’aurais pas pu protéger de nouveau les industriels.

L’autre solution était le système de contrat pour différence qui a été retenu, avec des seuils fixés à 78 euros et à 110 euros. Ce système s’appliquant à 100 % de la production, il est plus protecteur pour les industriels, qui ont préféré cette option.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Je vous remercie, monsieur le ministre, mais vous citez le cas d’une entreprise, quand je vous parle, moi, d’un tissu industriel qui en compte des dizaines, et même des centaines.

Vous pouvez tenter de contourner les faits, mais la réalité est que, avec cette réforme, vous continuez à lier le prix du gaz à celui de l’électricité, et partant, à soutenir la compétitivité allemande au détriment de la nôtre.

Pour terminer sur le sujet du post-Arenh, cela fait quinze ans que l’on biberonne les acteurs alternatifs. Il reste deux ans à tenir. C’est long. Pour les boulangers de nos circonscriptions, les renégociations en cours sont si difficiles que certains ne verront pas l’application de la réforme de 2026 et le post-Arenh.

En tout état de cause, comme vous êtes le nouveau ministre de l’énergie, nous aurons bientôt la possibilité, dans le cadre d’un prochain projet de loi sur l’énergie et le climat, de débattre de manière plus éclairée, en disposant de davantage de temps.

M. le président. La parole est à M. Michel Masset.

M. Michel Masset. Monsieur le ministre, si la France bénéficie d’une électricité qui a été voulue nucléaire et décarbonée, nous avons toutefois subi la crise énergétique de plein fouet, si bien qu’une double réforme, européenne et nationale, du marché de l’électricité est en cours.

Nos objectifs doivent être clairs : il convient, d’une part, de préserver les prix pour les usagers, de sorte que ces derniers bénéficient vraiment de nos choix historiques, et, d’autre part, de garantir notre souveraineté énergétique et industrielle, ainsi que la pérennité d’EDF.

Nous constatons l’échec de la libéralisation menée depuis les années 1990, dont nous cherchons aujourd’hui à contenir les effets.

Les questions fondamentales sont celles de la planification et de l’anticipation. Alors que nous pouvons nous fonder sur un coût de production de l’électricité nucléaire situé entre 60 et 78 euros du mégawattheure et que nous pouvons anticiper les besoins des usagers, nous sommes seulement en mesure de cibler un tarif et de prévoir une redistribution éventuelle de certains profits.

La hausse des prix – c’est mathématique – affecte davantage les ménages les plus modestes. Dans le Lot-et-Garonne, 20 % des ménages sont ainsi concernés par la précarité énergétique. Sont également touchés les artisans, les commerçants, les agriculteurs – très fortement –, ainsi que les collectivités territoriales.

La politique menée doit urgemment intégrer les impératifs de justice sociale, ainsi que les enjeux industriels et d’enseignement supérieur pour préserver l’excellence française.

Alors que le portefeuille de l’énergie vient d’intégrer Bercy, cette réforme prend-elle en compte les besoins qu’emporte la transition écologique, monsieur le ministre ? Au-delà de la logique comptable, la nécessité d’une garantie des tarifs dans le temps est-elle prise en compte ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Cette réforme intègre effectivement les autres aspects de la politique énergétique. Vous pouvez être rassuré sur ce point, monsieur le sénateur.

Le chèque énergie, dont le montant moyen s’établit à 150 euros, est actuellement versé à 6 millions de personnes. Il est évident que cette politique sociale sera préservée.

Par ailleurs, je me suis battu pour que les tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRV) concernent, non pas les seules entreprises dont la consommation n’excède pas un certain seuil de kilovoltampères, mais toutes les petites entreprises de moins de dix salariés.

Cet élément de simplification et de protection des plus petites entreprises montre que ce n’est pas parce que l’énergie passe à Bercy que nous perdrons de vue les objectifs sociaux et environnementaux. Bien au contraire, ceux-ci restent au cœur de notre politique énergétique.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Monsieur le ministre, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a publié jeudi dernier ses calculs relatifs à l’augmentation au 1er février du tarif réglementé de vente de l’électricité, tarif qui concerne 21 millions de ménages et 2 millions de petites entreprises.

Je rappelle que le tarif réglementé de vente de l’électricité prend en compte les coûts de production et les prix de vente sur les marchés de gros, le Gouvernement y ajoutant les taxes. La Commission de régulation de l’énergie a ainsi proposé au Gouvernement une baisse de 0,35 % sur le tarif réglementé de l’électricité hors taxes.

Alors que les tarifs sur les marchés ont diminué durant les six derniers mois, notamment grâce aux efforts de sobriété des ménages et des entreprises, l’augmentation du 1er février est uniquement due à la décision du Gouvernement d’augmenter la pression fiscale.

Le Gouvernement a ainsi décidé de diminuer le bouclier tarifaire sur l’électricité en réintroduisant, en plus de la TVA, la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE).

Une hausse de 10 % des prix de l’électricité au 1er février serait un mauvais coup porté au pouvoir d’achat des Français !

Cette hausse du tarif réglementé est aussi une bien mauvaise nouvelle pour nos petites entreprises et nos territoires.

Monsieur le ministre, le Gouvernement ne veut pas augmenter les impôts des riches, mais il augmente les taxes qui touchent tout le monde, quels que soient les revenus, avec, à la clé, une hausse des tarifs réglementés d’un bien de première nécessité.

Il faut absolument éviter que nos concitoyens soient contraints de réduire leur niveau de chauffage, au détriment de leur bien-être et de leur qualité de vie. Comment comptez-vous protéger nos concitoyens en cette période de grand froid face à des dépenses de chauffage incompressibles, monsieur le ministre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. J’estime, monsieur le sénateur, que l’un des drames français, au cours des dernières décennies, tient à notre incapacité à supprimer les dispositifs exceptionnels lorsque la situation ne les impose plus. Nous avons empilé sans cesse de nouvelles dépenses sur de la dépense sans jamais en retirer aucune. C’est sans doute très populaire, mais c’est totalement irresponsable. Je préfère pour ma part gagner le respect de mes compatriotes plutôt que de la popularité.

Je n’ai qu’une seule parole. J’ai toujours dit que les dispositifs de bouclier étaient des dispositifs exceptionnels. J’ai toujours dit que, le moment venu, je les retirerai. Je tiens parole.

J’ai dit qu’il y avait un bouclier sur le gaz et qu’à partir de l’été, nous retirerions ce dispositif, mais que nous garantirions un prix stable du gaz. Cet engagement a été tenu, si bien que les factures de gaz n’augmenteront pas et resteront stables par rapport au prix du gaz en sortie du bouclier.

J’ai dit aussi que nous sortirions du bouclier sur l’électricité. Après avoir, pendant deux ans, payé la moitié de la facture des Français, ce qui a coûté 40 milliards d’euros, nous revenons à la normale.

Si nous maintenions le bouclier sur l’électricité, ce serait la fin des finances publiques françaises. Nous assisterions à une accélération de l’endettement et des déficits.

M. Michel Savin. On y est déjà !

M. Bruno Le Maire, ministre. Avec le Président de la République et la Première ministre Élisabeth Borne, j’ai choisi une politique radicalement différente, visant à accélérer le désendettement et la réduction des déficits.

Oui, cela demande des décisions courageuses, mais ce sont aussi des décisions légitimes, qui ont de plus été présentées en toute transparence à nos compatriotes.

J’ai dit que nous retirerions progressivement les boucliers sur l’électricité. Je les retire progressivement.

Il n’y aura pas d’explosion de la facture pour autant. Je suis ainsi en mesure de confirmer qu’il n’y aura pas d’augmentation de plus de 10 % de la facture d’électricité à la rentrée. C’est la seule chose qui compte pour les Français !

Il faut avoir le courage de revenir à la normale. On ne le fait jamais, et c’est ce qui explique la situation de nos finances publiques.

M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.

Mme Christine Lavarde. Monsieur le ministre, je vous poserai trois questions relatives au mécanisme qui succédera à l’Arenh en 2026, décrit dans le chapitre III du projet de loi qui a été transmis au Conseil d’État et dont j’ai eu connaissance, monsieur le ministre.

Étant donné que tout change, pourquoi avoir privilégié la filière nucléaire au sein du mécanisme garantissant une électricité de base bon marché ? En effet, il existe en France une filière qui, certes, produit moins, mais qui présente les mêmes caractéristiques d’un point de vue environnemental, puisqu’elle est décarbonée, comme du point de vue du réseau, puisqu’elle est très utile en base : je veux parler de l’électricité hydraulique, une filière qui aurait permis d’avoir un volume plus important d’électricité bon marché. Telle est ma première question.

Ma deuxième question porte sur le mécanisme de prix qui a été fixé, selon lequel il n’y a pas de redistribution des recettes par EDF tant que le prix de l’électricité sur les marchés de gros est inférieur à 78 euros du mégawattheure, un reversement de 50 % des recettes à l’État lorsque ce prix s’établit entre 78 et 100 euros du mégawattheure et un reversement à l’État, c’est-à-dire en fait aux consommateurs, de 90 % lorsque ce prix s’élève à plus de 110 euros du mégawattheure.

Ce reversement aux consommateurs sera-t-il différencié selon les profils de consommateurs – particuliers ou industriels –, et en fonction de la manière dont ces consommateurs utilisent le réseau ?

J’en viens enfin à ma troisième question, de nature prospective. Le mécanisme repose largement sur des prix de gros qui seraient supérieurs à 70 ou 78 euros du mégawattheure. Si cela correspond à ce que nous observons dans le monde d’aujourd’hui, n’oublions pas que ces prix ont pu s’établir durablement par le passé à des niveaux inférieurs. Dans ce cas, EDF ne serait plus capable de couvrir les coûts du nucléaire. Que se passerait-il alors, monsieur le ministre ? L’État viendrait-il à son secours ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. La réponse à votre première question tient aux rapports de production que vous connaissez par cœur, madame la sénatrice : la filière hydraulique produit 25 gigawattheures quand la filière nucléaire en produit 61. Si nous avons choisi le nucléaire comme indice de base, c’est donc d’abord parce que la production est plus de deux fois celle de l’hydraulique.

La seconde raison est que le nucléaire fournit une production de base qui présente l’énorme avantage d’être constante et garantie, quand l’hydraulique fournit une production de pointe.

Cela étant dit, j’estime qu’une réflexion visant à améliorer la production hydraulique, notamment sa régularité, est tout à fait souhaitable. Je suis en tout cas favorable à ce que nous en débattions. (Mme Christine Lavarde acquiesce.)

Pour répondre à votre deuxième question, s’il va de soi qu’en matière énergétique la redistribution ne peut se faire en fonction des niveaux de revenus, celle-ci se fera effectivement en fonction des profils de consommation et de manière inversement proportionnelle à la tension sur le réseau. L’objectif est que la redistribution incite à la sobriété énergétique et à une meilleure consommation en fonction des périodes de pointe et des périodes de moindre tension sur le réseau.

Enfin, sur le dernier sujet, charge à EDF de constituer des réserves financières suffisantes lorsque les prix sont élevés de manière à pouvoir puiser dans celles-ci et dans sa trésorerie lorsque les prix sont bas.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, l’accord trouvé entre le Gouvernement et EDF sur le cadre post-Arenh à partir du 1er janvier 2026 soulève beaucoup d’interrogations. Je m’interroge pour ma part sur ses conséquences sur les tarifs réglementés de vente d’électricité.

Aujourd’hui, la méthodologie de calcul de ces tarifs garantit leur contestabilité. Il me semble que ce principe devrait être remis en cause, car il a mené à la transformation des TRV en prix plafonds, ce qui conduira, dans la réforme future du marché de l’électricité, à l’intégration, dans le mode de calcul des TRV, d’un approvisionnement en électricité intégralement opéré sur le marché.

Au vu de la volatilité du marché de l’énergie durant les deux dernières années, cette perspective entre en contradiction avec l’objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix pour les consommateurs.

S’il est vrai que la future régulation des prix prévoit l’application d’un mécanisme de redistribution des montants générés par le plafond de prix aux consommateurs éligibles au TRV, je crains que ce correctif ne soit insuffisant.

Enfin, l’objectif de prix moyen de 70 euros du mégawatheure me laisse dubitative. Les seuils de déclenchement laissent à craindre que des prix moyens entre 70 et 78 euros ne donneraient lieu à aucun prélèvement ni reversement, ce qui ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de stabilité des prix, déjà battu en brèche par un calcul sur la base d’un approvisionnement sur le marché.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous assurer la stabilité des prix pour nos concitoyens éligibles au TRV ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. La stabilité des prix sera tout simplement assurée par l’inclusion, dans les TRV, de la part de redistribution prévue au-dessus des seuils de 78 et 110 euros, madame la sénatrice. Autrement dit, les TRV ne seront pas fixés indépendamment de ces deux seuils, ce qui garantira que ces tarifs bénéficient effectivement de la protection qui en découle.

M. le président. La parole est à M. Michaël Weber.

M. Michaël Weber. Monsieur le ministre, nous saluons la volonté européenne affichée de mieux protéger les consommateurs, en particulier les plus vulnérables.

Nous craignons cependant qu’il s’agisse davantage, de la part du Gouvernement français, d’une position sociale de façade, qui cache mal sa seule priorité politique, celle de financer les investissements et de conforter la compétitivité industrielle.

L’évolution continue vers les mécanismes de marché, d’une part, et la protection du consommateur, d’autre part, ne font pas forcément bon ménage – c’est le moins que l’on puisse dire.

Il paraît en effet illusoire de croire à la convergence entre l’intérêt du producteur, qui veut maximiser les prix de vente de son électricité, et l’intérêt du consommateur.

Je redoute que l’État retombe dans le mythe du ruissellement, qui veut que la relance ne s’obtienne qu’en aidant la haute finance et la grande industrie, interdisant toute redistribution de richesses.

En l’espèce, notre inquiétude tient à la question des redistributions des recettes liées aux CFD.

Les États membres ont obtenu une certaine souplesse pour le reversement des surprofits des producteurs : en cas de hausse des prix, ils peuvent choisir de les reverser aux consommateurs, qui désignent aussi bien les entreprises et la grande industrie que les ménages, ou bien réinvestir dans le secteur. Pourriez-vous nous donner des précisions sur le dispositif de redistribution en faveur des ménages, monsieur le ministre ? Dans quelles proportions pourront-ils bénéficier directement de ces recettes excédentaires ? Quelles garanties de redistribution offrez-vous pour les plus vulnérables ou les personnes en situation de précarité énergétique ?

Je rappelle que 40 millions d’Européens n’ont pas été en mesure de chauffer convenablement leur logement durant l’hiver 2022 et qu’en France, 12 millions de personnes, soit 18 % de la population, sont en situation de précarité énergétique.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je rappelle d’abord que les dispositifs sociaux dont bénéficient les ménages qui sont en situation de précarité énergétique, notamment le chèque énergie, sont tous maintenus.

Aucune théorie du ruissellement ne préside ensuite à la réforme du marché européen de l’énergie que nous avons retenue, qui prévoit au contraire une redistribution mécanique. Je ne crois pas davantage que vous à la théorie du ruissellement, monsieur le sénateur, et je considère qu’en matière énergétique, il est absolument nécessaire d’instaurer de la redistribution à partir d’un certain niveau de prix.

En l’espèce, cette redistribution sera de 50 % dès lors que les prix sont au-dessus de 78 euros le mégawattheure, et de 90 % au-dessus de 110 euros. C’est non pas du ruissellement, mais de la redistribution inscrite sous forme contractuelle.

Comme je l’indiquais à l’instant à Mme la sénatrice Saint-Pé, le calcul des montants des TRV tiendra compte de ces seuils.

La redistribution se fera par ailleurs de manière indiscriminée entre les entreprises et les ménages. C’est l’une des avancées que nous avons obtenues dans le cadre de la réforme du marché européen.

M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Monsieur le ministre, la réforme du marché de l’électricité doit permettre à nos industriels d’accéder à des marchés de long terme pour être plus compétitifs durablement face à la concurrence internationale.

Les pays concurrents disposent en effet très souvent d’énergie hydraulique à bas prix, entre 15 et 30 dollars le mégawattheure. Telle était d’ailleurs la raison de l’installation des industries métallurgiques sur les chutes d’eau, dans mon département de la Savoie, au tout début du XXe siècle.

L’électricité représente une part importante des coûts de production des industries électro, hyper électro-intensives et électrosensibles. C’est pourquoi celles-ci ont besoin d’un accès durable à une énergie décarbonée en quantité suffisante, à un prix compétitif et prévisible sur le long terme, adapté à leur profil de consommation.

Aussi, les industriels concernés souhaitent que les contrats de long terme s’appliquent dès à présent à une quantité suffisante de 50 térawattheures, puis à un volume croissant au fur et à mesure de l’électrification de leur production. En tout état de cause, ces contrats doivent concerner au moins à 70 % de leurs besoins afin de limiter l’exposition de ces entreprises au marché de gros.

La négociation en cours ne devrait leur assurer une telle compétitivité que grâce à la prise en compte de la compensation du CO2 indirect. Or combien de temps ce dispositif européen de compensation durera-t-il encore ?

Pouvez-vous donc nous confirmer, monsieur le ministre, que la compensation du CO2 indirect sera maintenue, puis que sera mis en place un dispositif de substitution, par exemple une meilleure valorisation de l’effacement, dont le volume augmentera forcément avec le développement des énergies renouvelables ? C’est la condition pour obtenir in fine un coût de l’électricité qui ne soit pas supérieur à ce niveau de 30 euros le mégawattheure qui permet à ces entreprises de rester concurrentielles à l’international.

Pouvez-vous également nous confirmer que des contrats long terme avec EDF d’un volume minimum de 50 térawattheures seront garantis à ces industriels, et que chacun d’entre eux sera assuré que le volume couvert dans le cadre de ces contrats équivaudra à 70 % de sa consommation ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Comme je l’ai indiqué à Mme Lavarde, je crois profondément dans le développement de l’énergie hydraulique, notamment par l’adaptation des barrages grâce à des dispositifs de stations de transfert d’énergie par pompage (Step) qui permettent de faire tourner les turbines quand les prix de l’électricité sont très élevés et de faire remonter l’eau lorsque le tarif de l’électricité est beaucoup plus faible afin de rapprovisionner les réservoirs d’eau et de réalimenter les barrages.

Si elle suppose d’investir et si elle se heurte à quelques difficultés européennes que vous connaissez, madame la sénatrice, une telle évolution est à mon sens l’un des volets intéressants de la politique énergétique.

La compensation carbone est par ailleurs prévue jusqu’en 2030, et nous sommes favorables à son extension.

En ce qui concerne enfin les contrats de long terme, c’est à EDF qu’il revient d’en arrêter les volumes avec les électro-intensifs, l’objectif étant que les volumes soient suffisants pour ces entreprises – nous en avons longuement discuté avec leurs représentants.

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le ministre, la spirale inflationniste dans laquelle notre pays est piégé depuis plusieurs mois, et dont nous sommes encore loin d’être sortis, affecte lourdement nos concitoyens.

Avec l’explosion des dépenses alimentaires, celle du prix de l’énergie, en particulier de l’électricité, constitue une des préoccupations principales des Français.

La perspective d’une politique énergétique de plus en plus décarbonée implique la multiplication des usages de l’électricité, la consommation augmentant nécessairement.

La production électrique française, largement assurée par ses centrales nucléaires, est structurellement excédentaire. Or l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, mis en place par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite loi Nome, à la demande de la Commission européenne, a constitué l’un des plus grands sabordages économiques de notre pays.

Cette loi a contraint EDF à revendre au prix fixe de 42 euros le mégawattheure une partie de sa production nucléaire à ses concurrents, créant une véritable concurrence hors sol à l’origine de l’inflation actuelle.

La réforme qui s’annonce entend corriger cette erreur. Elle cherche à éviter au maximum les fluctuations de marché enregistrées récemment, qui avaient conduit le Gouvernement à mettre en place des dispositifs coûteux et souvent insuffisants, tels que le bouclier tarifaire ou la recapitalisation d’EDF.

Certaines mesures sont particulièrement à saluer, comme le maintien des tarifs régulés de vente et leur élargissement aux petits consommateurs. Dans mon département, plusieurs collectivités vont enfin pouvoir stabiliser le coût de leur consommation électrique et maintenir ainsi un budget à l’équilibre.

Il est toutefois à craindre que le coût de mesures aussi favorables pour certains ne soit supporté par le plus grand nombre des consommateurs particuliers, à savoir les ménages.

Ma question est donc la suivante, monsieur le ministre : comment le Gouvernement entend-il procéder pour dégager un équilibre entre le nécessaire maintien d’un tarif abordable de l’électricité pour tous les consommateurs et l’indispensable sauvegarde d’EDF, tout en fixant le prix moyen de vente à 70 euros le mégawattheure ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je vous rejoins, madame la sénatrice : l’Arenh est un dispositif totalement imparfait. Il se trouve toutefois que, pendant la période de crise, beaucoup de pays européens nous ont enviés ce dispositif grâce auquel 100 térawattheures, soit le tiers de notre production, sont soumis au tarif régulé de 42 euros le mégawattheure, quand le reste de notre production est soumis au tarif du marché. Je rappelle du reste que j’ai négocié l’extension de ce dispositif à 110 térawattheures afin de répondre aux besoins de nos entreprises. Ce dispositif n’est certes pas parfait, mais il nous a permis d’amortir un peu le choc.

L’immense intérêt de la nouvelle régulation qui sera mise en place à partir de 2026 est qu’elle s’applique à 100 % de la production. Il s’agit d’une véritable garantie par rapport à l’Arenh, dont le dispositif ne porte que sur un tiers de la production et qui constitue de plus un irritant pour l’ensemble des salariés d’EDF et pour l’ensemble de l’entreprise.

Les niveaux que nous avons fixés, sur lesquels je ne reviendrai pas, permettent de garantir le bon équilibre entre la rentabilité financière d’EDF, nécessaire à ses investissements et à l’amortissement de sa dette, qui s’établit à 65 milliards d’euros, faisant d’EDF l’entreprise la plus endettée d’Europe.

Dans ce contexte, il est nécessaire de dégager une rentabilité pour pouvoir amortir cette dette et lever les moyens de financer celle-ci tout en préservant notre compétitivité industrielle. J’estime que nous avons trouvé le bon équilibre.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je remercie notre collègue Daniel Gremillet, qui est intervenu au nom de la commission des affaires économiques, ainsi que l’ensemble des collègues qui sont intervenus dans le cadre de ce débat important. Nous aurions de nombreuses questions à vous poser, monsieur le ministre, sur la nouvelle tarification de l’électricité, qui inquiète à juste titre les particuliers, les entreprises, mais également les collectivités locales.

Vous avez beaucoup insisté sur la notion de sobriété énergétique et sur tout ce qu’il convient de faire pour l’encourager, monsieur le ministre. Je vous rejoins sur ce point : il n’y a pas de petites économies, et l’effort doit être collectif.

Le groupe EDF est largement présent dans les Ardennes. Dans ce département de moins de 300 000 habitants, force est de constater qu’il s’agit d’un acteur économique très important, surtout depuis que la centrale fonctionne de nouveau. Son impact en matière d’emplois directs et indirects est considérable. Je n’oublie pas, à côté de la production, le transport de l’électricité par Réseau de transport d’électricité (RTE) ni la distribution de celle-ci.

Vous avez évoqué l’implantation de six nouveaux EPR, monsieur le ministre, mais cela prend de nombreuses années. Dès 2008, avec l’ensemble des collègues de mon groupe, nous avions soutenu ce programme. À quelle échéance ces EPR seraient-ils construits, et quels sont les sites retenus ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Les trois premiers sites qui ont été retenus sont ceux de Gravelines, de Penly et de Bugey. Les trois autres sites seront choisis par la suite. L’objectif est que le premier réacteur soit livré en 2035, les livraisons s’échelonnant ensuite sur les années suivantes.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Patrick Chaize, pour le groupe auteur de la demande.

M. Patrick Chaize, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme du marché européen de l’électricité vise à mieux protéger les consommateurs des fluctuations de prix. C’est une obligation, doublée d’une urgence : selon le médiateur national de l’énergie, 80 % des Français constatent une hausse de leurs factures, tandis que 25 % ont du mal à les régler et que 20 % souffrent du froid.

La protection des consommateurs est une vive préoccupation de la commission des affaires économiques du Sénat, préoccupation rappelée dans le rapport d’information de notre présidente Dominique Estrosi Sassone et de notre collègue Fabien Gay sur les conditions d’utilisation de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, adopté à l’unanimité le 5 juillet 2023, rapport qui pointe notamment la fraude dont fait l’objet l’Arenh.

Observant que ce dispositif est à bout de souffle, notre commission a proposé de corriger les effets de bord de sa méthodologie d’ici à son extinction en 2025.

Nous attendons du Gouvernement qu’il relève son prix à 49,5 euros au moins le mégawattheure et qu’il laisse son plafond inchangé à 120 térawattheures au plus, conformément à la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat.

S’agissant des pénalités pesant sur les fournisseurs alternatifs, qui ont atteint 1,6 milliard d’euros en 2022, nous souhaitons que le montant du premier complément de prix soit alloué au consommateur et que le plafond du second complément de prix soit supprimé. Or l’article 225 de la loi de finances pour 2024 a autorisé le Gouvernement à capter ses recettes à son profit, au mépris des recommandations de notre commission et de celles du régulateur.

Notre commission a aussi plaidé pour renforcer les contrôles et les sanctions liées à l’Arenh, qui ont été mis à rude épreuve par le relèvement exceptionnel de son plafond en 2022. Il faut faire évoluer la notion d’abus d’Arenh pour réprimer l’ensemble des comportements opportunistes des fournisseurs.

Dans le même esprit, il faut compléter les sanctions et accélérer les procédures du régulateur pour priver du bénéfice de l’Arenh les fournisseurs coupables d’abus avérés.

Notre commission a également appelé à consolider les obligations des fournisseurs pour conjurer le risque de défaillance. Les conditions requises pour bénéficier d’une autorisation de fourniture d’électricité doivent être confortées avec l’imposition d’obligations prudentielles.

De plus, il faut centraliser les demandes et les contrôles liés à ces autorisations auprès du régulateur plutôt que du ministère, et ce dans un souci de rationalité et d’efficacité.

Une fois délivrées, ces autorisations doivent bien sûr être mieux encadrées, avec des suspensions et des retraits effectifs.

En outre, notre commission a appelé à améliorer la protection des consommateurs. Les conditions permises pour modifier les contrats doivent être limitées, avec un allongement du délai de prévenance.

L’information sur les offres, notamment sur leur caractère risqué, peut aussi progresser.

Enfin, le comparateur d’offres du médiateur national de l’énergie doit être complété selon une logique de name and shame.

Le projet de loi sur la souveraineté énergétique doit permettre d’avancer sur ces importants sujets de régulation. Certains des articles proposés sont utiles, comme ceux qui tendent à renforcer l’information des consommateurs, à encadrer les modifications des contrats, à étendre les tarifs réglementés, à imposer des obligations prudentielles ou à consolider les contrôles et les sanctions.

En revanche, aucune décentralisation des autorisations de fourniture d’électricité du ministère vers le régulateur n’est prévue. Et si le régulateur est mentionné, le médiateur est omis.

De plus, il restera à évaluer l’impact sur les consommateurs du « versement universel nucléaire ». En effet, il faut s’assurer que ce versement renforce le principe de péréquation tarifaire, qui garantit l’accès à l’électricité à un même prix sur l’ensemble du territoire, ainsi que les tarifs réglementés, qui protègent les deux tiers des consommateurs résidentiels d’électricité.

Monsieur le ministre, entendez-vous consolider le projet de loi en ce sens avant son dépôt ? Sinon, nous le ferons. Et comptez-vous reprendre par voie réglementaire les autres préconisations formulées par notre commission ? En particulier, le dispositif de l’Arenh sera-t-il revu d’ici à son extinction pour éviter que le scénario de 2022, marqué par un évident effet d’aubaine, ne se reproduise ?

En cette période très incertaine quant à l’évolution des prix, les consommateurs ont besoin d’un cadre législatif et réglementaire protecteur, car l’accès à l’électricité de première nécessité relève en définitive d’un principe de solidarité nationale. Or, selon l’Observatoire national de la précarité énergétique, 3,4 millions de ménages étaient en situation de précarité énergétique en 2021, soit 11,9 % du total.

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Patrick Chaize. C’est la raison pour laquelle les consommateurs d’électricité, notamment les ménages modestes, doivent être mis au cœur de la réforme européenne et du projet de loi.

M. le président. Mon cher collègue, il vous appartenait de conclure ce débat et non pas de réinterroger le ministre ! (Sourires.)

Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la réforme du marché de l’électricité. Je remercie tous les participants à ce débat, notamment M. le ministre, d’avoir respecté le temps qui leur était imparti. Nous allons ainsi pouvoir assister aux vœux du président Gérard Larcher.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Mathieu Darnaud.)

PRÉSIDENCE DE M. Mathieu Darnaud

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

« Pouvoir de vivre » : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ?

Débat organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, sur le thème : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que le groupe auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans la grande œuvre d’Edgar Morin intitulée La méthode que l’on trouve, dans la partie consacrée à l’éthique, le propos suivant : « À force de sacrifier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »

Par cette pensée, qui procède d’une longue observation de la vie des hommes sur près d’un siècle et d’une action politique personnelle marquée notamment par la résistance à l’oppression nazie, le grand humaniste pose la question du rapport entre l’urgence et l’essentiel du point de vue de l’homme et de son rapport au monde.

Sur le plan individuel, pour de très nombreux enfants, pour leurs parents, quand ils sont encore là, pour de plus en plus de personnes âgées, l’urgence se vit au quotidien, dans l’accès à la nourriture et au logement. Leur dignité même en est affectée, au-delà de leurs conditions de vie ou de survie humainement inacceptables. C’est un scandale absolu !

Sur le plan collectif, les problématiques liées au climat, à l’environnement et à la biodiversité affectent, on le sait scientifiquement, les conditions de « vivabilité » sur terre.

Les modèles économiques et culturels sont ou doivent être analysés en conséquence.

Des politiques publiques adaptées à ces enjeux collectifs doivent en résulter. Ces politiques doivent être évaluées au regard des réponses qu’elles apportent et des progrès qu’elles permettent dans les trajectoires de vie concernées.

La planification écologique et énergétique doit permettre leur mise en œuvre de manière efficiente. Elle doit bénéficier à l’ensemble des citoyennes et des citoyens de la Nation.

L’essentiel dont parle Edgar Morin est sans doute là, mais on ne peut pas - en tout cas, je le crois - opposer l’urgence à l’essentiel. Morin ne le fait pas, d’ailleurs.

Il nous faut donc conjuguer, prendre en compte ce qui relève de l’urgence individuelle du quotidien et ce qui procède de l’essentiel pour notre avenir collectif.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vous propose donc, au seuil de cette nouvelle année, de débattre de la question suivante : «“Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

Je voudrais, en quelques minutes, évoquer les différents thèmes de politique publique qui peuvent être abordés pour répondre à cette question fondamentale.

Fondamentale, parce que la question sociale doit demeurer au fondement du pacte républicain. C’est une nécessité absolue, car il y va, je le crois, de l’avenir de notre démocratie et du sens que nous devons donner à la République.

Dans les faits, la question sociale est-elle toujours au fondement du pacte républicain vécu par l’ensemble des citoyennes et des citoyens de notre Nation ? Je ne le crois pas, hélas ! Pas pour tout le monde ! C’est un point crucial et urgent qui doit être pris en compte dans la transition écologique, qui est largement devant nous.

Nous devons partit du postulat suivant - une conviction que, je l’espère, nous partagerons tous - : il n’y aura pas de transition écologique réussie sans la participation et la prise en compte de l’ensemble des citoyennes et des citoyens français, sans une amélioration effective et suffisante de la condition sociale de ceux qui sont aujourd’hui dans une grande difficulté ou dans la souffrance.

J’espère - et je n’en doute pas - que l’expression des groupes du Sénat permettra de nourrir le débat relatif à l’amélioration des politiques publiques nécessaires pour accéder à une alimentation saine et équilibrée, au logement, à la vêture et aux biens matériels indispensables à une vie normale, à l’éducation et à la culture, aux transports et aux déplacements, à l’autonomie personnelle, ainsi qu’à la relation sociale et à la participation à la vie collective.

Au préalable, je voudrais saluer et remercier l’ensemble des organisations syndicales, des associations et des organisations non gouvernementales (ONG) qui se sont regroupées dans le cadre de l’initiative dite du « pouvoir de vivre ».

Les quatre axes majeurs du Pacte du pouvoir de vivre qu’ils proposent consistent à « donner à chacun le pouvoir de vivre dans un cadre commun permettant de protéger notre avenir et celui des générations futures », à « remettre l’exigence de justice sociale au cœur de l’économie », à « préparer notre avenir en cessant de faire du court terme l’alpha et l’oméga de nos politiques publiques », et, enfin, à « partager le pouvoir pour que chacun puisse prendre sa part dans la transformation de nos vies ».

En adoptant un point de vue plus macroéconomique, il est aussi nécessaire d’identifier les mesures budgétaires qui ont à la fois des effets climatiques et sociaux.

L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a pour cela évalué l’impact socioéconomique du budget. Cinq dimensions d’impact social ont ainsi été mises en évidence : les inégalités de revenus, la pauvreté, l’emploi, la santé et l’accès aux besoins et services fondamentaux que sont l’énergie, une eau propre, la nourriture et les infrastructures.

Dans le cadre de l’introduction de notre débat de ce soir, je voudrais en quelques mots souligner la problématique de la valorisation du carbone.

Les tentatives de mise en place passées - qui ont été autant d’échecs - mettent en effet en évidence la difficulté qu’il y a à concilier des objectifs écologiques, économiques, sociaux et politiques dans la justice sociale.

Ces difficultés non encore surmontées à ce jour expliquent en grande partie les échecs répétés de la fiscalité du carbone en France, pour ne prendre que cet exemple.

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) dégage de cette analyse trois enjeux prioritaires pour fonder une politique de conciliation : d’abord, traiter de l’évolution globale des finances publiques ; ensuite, négocier un système d’accompagnement transitoire des ménages et des entreprises les plus vulnérables à court terme ; enfin, inscrire l’ensemble de ces réflexions au sein de discussions collectives qui associent l’ensemble des parties prenantes à la coconstruction d’un contrat social de transition écologique.

Tout ou presque reste à faire à cet égard ! Le grand débat national, la Convention citoyenne pour le climat, le Conseil national de la refondation ont été des contre-exemples de ce qu’il est nécessaire de faire pour mobiliser nos concitoyens.

En tout état de cause, le désintérêt croissant des Français à l’égard des élections et la dégradation de la confiance dans les institutions de la République et du respect qui leur est dû doivent nous interroger aussi sur le bien commun et notre capacité à faire ou à refaire société.

L’économie qui va progressivement apparaître dans le cadre de la transition écologique devra aussi intégrer une exigence de solidarité et de justice sociale.

Transition écologique et justice sociale ne relèvent pas de registres séparés ; elles doivent être conciliées pour construire un avenir national partagé. Comme doivent être conciliés « l’urgent » et « l’essentiel » chers à Edgar Morin.

En définitive, l’heure est à la construction d’un nouveau pacte politique, social et écologique. Un pacte pour tous et pour la planète, dans la dignité de tous et le respect de chacun. Un pacte qui nous engage tous et qui redonne sens à la République.

Vos interventions, mes chers collègues, permettront, je l’espère, à M. le ministre de nous expliquer comment le nouveau gouvernement entend prendre en compte ces exigences et ces urgences qui détermineront le dynamisme et la prospérité de notre pays dans le cadre des transitions multiples en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Marie-Claude Varaillas applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, comment vous remercier, monsieur Montaugé, de me permettre de passer cette soirée avec vous pour débattre sur ce thème : « Quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? » ? (Exclamations amusées.)

Je vous répondrai, d’abord, à travers le propos que je vais tenir devant vous, puis à travers les questions que vous aurez tout loisir de me poser par la suite.

Je ferai, pour commencer, deux remarques liminaires.

Premièrement, je veux souligner l’importance de ce sujet. De la même manière que l’on mesure la solidité d’une chaîne à celle de son maillon le plus fragile, on est forcément attentif, dès lors que l’on est un tant soit peu attaché à notre République et à sa cohésion, à ce que les politiques de transition aussi lourdes que l’on mène permettent aux plus fragiles de ne pas se sentir écartés sur le bord du chemin.

Deuxièmement, même si la transition écologique peut apparaître comme un « choc », pour reprendre un mot de l’intitulé de notre débat de ce soir, un autre choc se ferait sentir encore plus fortement sur notre cohésion et sur nos politiques de solidarité : celui de l’inaction climatique.

Nous discutons des coûts, nous discutons des modalités, nous discutons de la façon dont il faut conduire ces politiques, mais il y a une constante : ne pas agir nous coûterait beaucoup plus cher que d’investir dans cette transition.

Depuis près de vingt ans, avec une grande constance, les rapports pointent ce que seraient les conséquences à la fois pour les individus et pour notre société d’une absence de politique climatique : selon le rapport Stern de 2006, entre 5 % et 20 % du PIB.

Les derniers scénarios de l’Ademe, publiés en décembre, se situent dans cette fourchette : différer un certain nombre de ces politiques en considérant qu’il n’y a pas d’urgence nous coûterait, estime-t-elle, sept points de PIB annuel d’ici à la fin du siècle. C’est absolument considérable.

L’inaction climatique, ce serait l’appauvrissement de notre pays et de tous les Français. Je n’ai donc pas peur de dire que la transition écologique est en elle-même une politique sociale en ce qu’elle vise à préserver notre prospérité et nos modes de vie dans un monde qui change, sans que nous puissions arrêter ce changement.

Évidemment, j’entends parfaitement, à la place qui est la mienne, les critiques, les interrogations qui se font jour sur les politiques que nous menons pour accélérer cette transition ; de même, j’entends les débats sur la fin du monde et la fin du mois. Pour tout vous dire, comme nombre d’entre vous dans cet hémicycle, où que vous siégiez, cette question est au cœur de mon engagement politique.

Je comprends les inquiétudes légitimes des sénateurs qui ont provoqué ce débat qui nous réunit ce soir. En répondant à ces questions, je vous invite à bien mesurer que, faute de trouver des réponses qui permettent de conduire cette politique de transition à la fois au bon rythme et d’une façon suffisamment ambitieuse et solidaire, nous alimenterions un populisme qui a deux facettes, les uns expliquant que ne pas faire tout, tout de suite, revient à ne rien faire, les autres prétendant qu’on irait toujours trop vite, ce qui, à la fin, ne ferait qu’« emmerder » les Français.

Au cours de ces derniers mois, auprès des personnes ayant subi les inondations dans le Pas-de-Calais ou de celles qui ont été victimes des écoulements d’eau dans la vallée de la Vésubie, ou au cours de ces dernières heures, dans les contacts que j’ai eus – notamment avec le préfet de l’île - avec ceux qui ont été confrontés au cyclone que vient de connaître La Réunion, j’ai pu mesurer que c’est bien notre inaction qui pourrait, à terme, provoquer bien plus de réactions et d’« emmerdements » que les réponses que nous tentons d’apporter, au bon rythme et de manière adaptée.

Et parce que je refuse qu’elle serve de carburant aux extrêmes, je suis persuadé que l’écologie peut être à la fois bonne pour la planète et bonne pour le pouvoir d’achat, bonne pour la planète et bonne pour notre souveraineté industrielle. Je suis convaincu qu’écologie doit rimer avec économie, loin de toute forme d’hypocrisie, que la réindustrialisation permet à la fois de créer de la richesse, donc des emplois mieux rémunérés, et des dispositifs de solidarité.

Il faut en finir avec ce modèle d’une mondialisation débridée qui détruit une partie de notre tissu industriel, de nos emplois, aggrave notre bilan carbone et notre dépendance à des modes de production basés sur le charbon, à l’autre bout du monde, alors même que nous nous efforçons de décarboner notre mix énergétique.

Les exemples sont multiples et, au travers des questions que vous me poserez, vous aurez sans doute l’occasion de zoomer sur tel ou tel aspect propre à la réalité de vos territoires ou sur des faits qui vous ont été rapportés par nos concitoyens.

Je ne me lancerai pas dans une revue de détail consistant à balayer l’ensemble des champs ; je me contenterai de citer trois exemples.

Premier exemple, celui de la mobilité, dont nous savons l’importance dans notre pays, d’autant plus si l’on est attaché à la ruralité, à ces espaces peu denses où elle prend une acuité particulière.

Certes, il y a ceux qui pensent que la voiture serait, par nature, l’ennemi de la transition écologique, mais nous pouvons trouver des modes de déplacement qui permettent de préserver la liberté individuelle là où des transports en commun ne seraient ni pertinents ni efficaces au regard des densités de population.

C’est bien le souci de prendre en compte cette dimension sociale et d’accompagner les plus fragiles qui nous a conduits à mettre en place cette mesure permettant d’acquérir en leasing une voiture électrique. Ainsi, pour 100 euros par mois, c’est-à-dire le montant d’un plein, il sera possible de disposer d’un tel véhicule, ce qui permettra de répondre en partie aux impératifs d’une transition écologique solidaire. Je me félicite d’ailleurs du succès de ce dispositif – les réservations ne cessent de se multiplier –, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir dans les prochains jours.

Ensuite, j’évoquerai le logement, qui représente la première dépense des ménages.

Même si elle fait parfois l’objet de débats, qu’il s’agisse du calendrier fixé ou des contraintes retenues, la politique menée dans ce domaine ne doit pas nous faire oublier cette réalité : si nous luttons contre les passoires énergétiques, c’est d’abord pour rendre du pouvoir d’achat à ceux qui, parce qu’ils vivent dans des biens mal isolés, se retrouvent avec des factures dont le montant dépasse de très loin celui qu’ils acquitteraient si leur habitation avait fait l’objet de suivi et de travaux.

Quand deux logements ont deux classes d’écart au titre du diagnostic de performance énergétique (DPE), la facture énergétique varie du simple au double à la fin du mois. L’enjeu de cette politique n’est donc en aucun cas de contrarier les propriétaires, mais de résorber la facture énergétique acquittée des ménages et la facture climatique payée par notre pays.

En réduisant les consommations ou en soutenant la réindustrialisation, notre but est in fine de recréer, dans notre pays, des opportunités et des emplois. Et, dans ce domaine, je ne crains pas les comparaisons avec nos voisins : les politiques de transition écologique dans lesquelles nous sommes engagés se déploient non seulement à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle européenne. Elles sont encore parfois un peu timides, mais, à l’échelle mondiale, l’Europe a pris un train d’avance dans ce domaine, même si nous devons encore trouver le bon rythme.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la politique d’adaptation au changement climatique, à laquelle on pense souvent moins qu’aux politiques d’atténuation, est précisément à la croisée de chemins entre, d’une part, la préservation de nos paysages, de nos identités et de nos modes de vie et, de l’autre, le soutien à nos concitoyens les plus fragiles, envers qui nous avons un devoir de solidarité.

En ce sens, adapter notre pays à la perspective d’une France à +4 degrés, c’est d’abord se préoccuper de ceux qui seront les plus exposés si nous ne le faisons pas.

J’aurai certainement l’occasion de développer ces différents sujets au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à une réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Émilienne Poumirol.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, nous sommes confrontés chaque année à des crises écologiques de plus en plus graves.

La France est l’un des dix États les plus exposés aux risques climatiques et ces événements ont des effets négatifs sur notre santé.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) a ainsi identifié les principaux risques sanitaires que le changement climatique est susceptible de renforcer, qu’il s’agisse de la santé professionnelle, des maladies infectieuses, de la qualité de l’air, à laquelle de nombreux problèmes sont liés, ou de la santé mentale.

Les facteurs de risques environnementaux contribuent à la survenue d’au moins une centaine de pathologies et traumatismes, et ce sont les plus défavorisés qui supportent la plus forte charge de morbidité liée à l’environnement.

À titre d’exemple, la pollution atmosphérique affecte en priorité les personnes vivant dans des immeubles en bordure d’axes routiers très fréquentés et dans des zones industrielles, ou ceux qui vivent à proximité de sites et de sols pollués. Il s’agit bien sûr de nos concitoyens les plus défavorisés.

De plus, selon Unicef France, « les enfants pauvres sont généralement plus vulnérables à la pollution de l’air, parce qu’ils sont soumis au cours de leur vie à davantage d’expositions néfastes ».

Les défis environnementaux sont donc également des défis sociaux, qui touchent en priorité nos concitoyens les plus vulnérables et accroissent les inégalités.

Quelles politiques comptez-vous mettre en œuvre pour assurer la soutenabilité de notre système de santé face à l’aggravation des conséquences sanitaires liées au changement climatique ? Comment allez-vous préserver notre pacte social, qui doit garantir le droit à la santé pour tous ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice – corrigez-moi si je me trompe : c’est également le médecin qui m’interroge sur ces sujets –, vous en conviendrez : il est difficile de répondre en deux minutes à des questions si vastes.

Créé en 2009, le groupe santé-environnement (GSE), qui associe les parlementaires, a précisément ce rôle : éviter autant que possible de scinder les différents sujets que vous évoquez. À l’inverse, il entend souligner les convergences qui existent entre eux et qui sont au cœur de nos réflexions.

J’ai le souvenir de plusieurs débats menés dans cet hémicycle, y compris sur les zones à faibles émissions (ZFE), au cours desquels je me suis efforcé de rappeler que le Gouvernement menait avant tout, non une politique environnementale, mais une politique de santé publique. J’ai ainsi pu insister sur les 40 000 décès liés à la mauvaise qualité de l’air, ainsi que sur les deux ans d’espérance de vie que perd en moyenne chaque Français à cause de ce phénomène, qui doit nous mobiliser.

C’est la même boussole qui nous a guidés dans l’élaboration du plan Eau.

À cause de la sécheresse, on a beaucoup parlé des problèmes de quantité d’eau, mais toute une partie du plan, présenté le 30 mars dernier, porte sur la qualité de cette ressource.

En effet, nos eaux ne sont de bonne qualité qu’à 44 % : moins il y aura d’eau, plus les risques de concentration des résidus augmenteront, avec de nombreux impacts sur la santé humaine. Voilà pourquoi nous devons accélérer notre transition en la tournant davantage vers les modèles agroécologiques : il y va tout simplement de la préservation de la santé et de notre équilibre démographique.

De même, il y a quelques semaines à Nairobi, nous nous sommes battus pour obtenir un traité sur l’élimination des plastiques. À son insu, chacun d’entre nous en ingère de grandes quantités, et pour cause : on en trouve partout. Ces nanoparticules, liées à l’émiettement d’un certain nombre d’emballages, notamment les sacs, finissent par coloniser la faune, la flore et nos propres organismes, ce qui n’est pas sans conséquence sur notre santé.

Nous sommes bel et bien au cœur des problématiques que vous évoquez. Il n’y a pas, d’un côté, une politique environnementale qui ne se préoccuperait pas de la santé et, de l’autre, une politique de santé qui ne se préoccuperait pas des questions d’environnement.

Les liens entre ces politiques, nous continuons de les renforcer. D’ailleurs, dès ce matin, j’ai commencé à échanger sur ces sujets avec ma collègue Catherine Vautrin.

M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol, pour la réplique.

Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le ministre, il existe évidemment un lien très étroit entre santé et environnement. À ce titre, le concept One Health a été développé il y a longtemps déjà.

Il existe bien les plans nationaux santé environnement (PNSE), mais je regrette que l’on poursuive souvent des politiques en silos. Chaque ministère suit sa propre feuille de route,…

M. le président. Il faut conclure.

Mme Émilienne Poumirol. … mais il n’échange pas suffisamment avec les autres.

M. le président. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Depuis plusieurs années, la transition écologique n’a cessé d’être mise en avant par les pouvoirs publics. Elle a été déclinée dans différents textes et dispositifs et plus personne ne conteste aujourd’hui sa nécessité, mais son efficacité dépend de la mise en œuvre concrète d’un certain nombre d’initiatives.

Monsieur le ministre, ma question porte plus précisément sur la rénovation des logements.

Tout d’abord, comment faire en sorte que nos concitoyens s’y retrouvent dans ce maquis d’aides et de dispositifs ? Ils ont besoin de la clarté ; or, pour l’heure, nous sommes face à un empilement illisible, fruit des annonces des gouvernements successifs, et l’accompagnement reste, lui, défaillant.

Un journal à grand tirage reconnaissait la semaine dernière que le réseau d’accompagnateurs agréés, Mon Accompagnateur Rénov’, ne permettait pas un suivi suffisant des chantiers : il se limite en effet à un appui administratif. Il n’y a pas de maître d’œuvre, alors que les travaux doivent être planifiés et supervisés.

Ensuite, on déplore un déficit de main-d’œuvre. Les artisans locaux ont du mal à recruter. Ils sont confrontés à la concurrence d’opérateurs malveillants et peu scrupuleux. Où sont les contrôles de nos services quand on constate des offres aussi malhonnêtes qu’alléchantes ?

Enfin, les nouveaux dispositifs proposés soulèvent des difficultés.

Telle qu’elle a été conçue pour 2024, MaPrimeRénov’ est trop restrictive : cette aide ne couvre pas tous les logements, ce qui conduira, pour certains ménages, à un reste à charge excessif. Elle impose aussi comme condition préalable un système de chauffage décarboné et la mixité énergétique est exclue. Pourtant, en prévision du développement du biogaz, il eût été logique de ne pas exclure les chaudières à gaz. Ce sont donc les ménages aux revenus les plus modestes qui sont écartés.

Comment toucher tous les territoires sans créer de disparités dans notre République, déjà si fracturée ? Comment aider nos communes à rénover leurs bâtiments ?

Dans le département dont je suis l’élue, avec le plan « Une nouvelle ambition pour les Ardennes », qui fait suite au pacte Ardennes, la région a pris les devants en décidant d’aider les communes et de former les habitants à la sobriété énergétique. Or de telles démarches font cruellement défaut à l’échelle nationale ; c’est une des raisons pour lesquelles la transition écologique peine à devenir à la fois populaire et concrète.

Monsieur le ministre, nous avons besoin d’une écologie de solutions et non de punitions. Je vous remercie par avance de votre réponse.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Joseph, étant donné le thème de ce débat, je ne m’attarderai pas sur le cas des collectivités territoriales. Je rappelle toutefois que les crédits du fonds vert, comme les aides complémentaires annoncées en faveur des écoles, visent précisément à les accompagner. S’y ajoute le tiers-financement, qui devrait connaître un décollage cette année. On observe à ce titre de premières initiatives prises par Action Logement, par la métropole d’Orléans et par d’autres acteurs encore, pour mettre en œuvre ce dispositif permettant de lancer des chantiers sans avancer d’argent.

Pour ce qui concerne MaPrimeRénov’, quand on regarde d’où l’on vient, on mesure le succès remporté d’un point de vue quantitatif comme d’un point de vue social.

En 2017, c’était un crédit d’impôt dont les deux tiers étaient orientés vers les plus riches ; aujourd’hui, les deux tiers des sommes mobilisées sont orientés vers les plus pauvres, même si nous sommes face à un sujet que je ne méconnais pas, à savoir celui du reste à charge. Toujours est-il que MaPrimeRénov’ permet d’assurer 700 000 rénovations par an : c’est colossal.

On constate parfois des difficultés en matière de suivi ou l’embolisation de certains processus. Nous avons donc une double ambition en simplifiant l’attribution de cette aide : la rendre plus efficace et plus performante.

Au 1er janvier dernier, nous avons agi en ce sens, notamment en encourageant certains monogestes qui peuvent être utiles pour obtenir des résultats rapides à des coûts plus faibles. Ces dispositions doivent également favoriser des rénovations plus globales, permettant d’aller plus loin.

En parallèle, il faut créer un dispositif d’accompagnement, de suivi et de contrôle. Comment ? En décentralisant. (Mme Else Joseph acquiesce.)

Je vous livre en toute franchise le fond de ma pensée : je souhaite que le projet de loi de décentralisation de la politique du logement permette de traiter la question de la rénovation énergétique, comme nous avons traité celle de la délégation des aides à la pierre.

Il ne s’agit en aucun cas d’obliger les territoires à exercer cette compétence. En matière de construction, nous avons dit aux acteurs territoriaux qui le souhaitaient : vous avez un objectif national et, en face, des budgets permettant de l’atteindre. Ce faisant, nous avons totalement transformé les choses. Or, dans le domaine de la rénovation énergétique, qui mieux qu’un maire ou un président de région pourra, demain, repérer celui qui n’est pas un margoulin ? Qui pourra mieux contrôler, vérifier, poursuivre le cas échéant et faire la promotion des dispositifs en vigueur ?

Je ne le dis pas parce que je suis au Sénat et parce que Gérard Larcher l’a rappelé ce soir même dans son discours de vœux, mais parce que j’en suis convaincu : c’est la solution si l’on veut accélérer.

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier.

Mme Corinne Bourcier. Innovation technologique, la voiture électrique constitue une solution de mobilité décarbonée répondant à la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans les transports.

Toutefois, l’interdiction de vente des véhicules thermiques à l’horizon 2035, prévue par l’Union européenne, pose la question du prix des voitures électriques.

Afin que le succès soit au rendez-vous, il paraît indispensable d’accompagner les ménages modestes dans l’acquisition d’un véhicule zéro émission.

Monsieur le ministre, nos transitions doivent être justes. Vous avez déjà évoqué le leasing des véhicules électriques : pourriez-vous nous préciser les dispositifs de soutien à l’achat mis en place en faveur de ces ménages ?

S’y ajoute un autre sujet d’importance pour les Français et notamment pour de nombreux professionnels : le calcul du barème kilométrique. Ne serait-il pas temps de réorienter ce dispositif afin que le critère de la puissance administrative s’adapte à nos objectifs environnementaux, ou du moins que celui-ci ne soit pas le critère le plus déterminant ?

En effet, de nombreux Français se déplacent pour leur travail, notamment dans le secteur de l’aide à la personne, ô combien indispensable à la Nation. En les privant d’accès à une déduction convenable, on les pénaliserait indirectement, à rebours de nos objectifs.

Enfin, je tiens à évoquer le retrofit.

Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiennent cette pratique depuis longtemps, mais cette forme de conversion vers l’électrique a elle aussi un coût. Elle s’inscrit pleinement dans le panel de solutions qui s’offrent à nous et, pour ma part, je crois fortement en l’écocircularité des voitures déjà en service.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler les évolutions, au 1er janvier 2024, de la prime au retrofit électrique ? Envisage-t-on de rendre cette pratique éligible au bonus écologique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Bourcier, je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, nous sommes face à un enjeu majeur : permettre les mobilités partout sur notre territoire. À ce titre, dès lors qu’il faut couvrir de longues distances ou desservir des territoires peu denses, la voiture est irremplaçable. J’ajoute que, dans certains secteurs, elle procure une liberté difficile à obtenir par d’autres moyens.

Notre dispositif d’aide se déploie à plusieurs niveaux.

Le leasing constitue la dernière nouveauté et nous aurons l’occasion d’y revenir. À cet égard, 25 000 véhicules seront proposés et, comme le prouvent les réservations, la demande est très supérieure à l’offre. Pourquoi se limiter à 25 000 ? Parce que – vous avez vous-même plaidé en ce sens – nous réservons le bonus aux véhicules fabriqués en France ou en Europe pour éviter que l’argent public n’aille financer des produits fabriqués en Chine, qui dégradent notre balance commerciale et ont un impact écologique.

Nous déployons deux dispositifs complémentaires : le bonus et la prime à la conversion, éligibles pour les cinq premiers déciles et pour les gros rouleurs. Le bonus peut aller jusqu’à 7 000 euros, la prime à la conversion jusqu’à 6 000 euros. Si vous vivez dans une ZFE, vous pouvez obtenir un complément et recevoir, dès lors, jusqu’à 14 000 euros de soutien.

Enfin, je tiens à m’arrêter un instant sur le retrofit.

La fabrication concentre 80 % de l’empreinte environnementale d’un véhicule. Prolonger un véhicule en changeant son moteur, c’est donc faire de grandes économies de matériaux et d’énergie. C’est un moyen de réduire rapidement les émissions.

En la matière, nous sommes face à une difficulté. Certains constructeurs objectent que les crash tests ont été effectués sur des véhicules thermiques. Ils rechignent à donner les garanties permettant de conduire à leur terme une partie de ces évolutions, le développement de la filière s’en trouvant parfois compliqué.

Cela étant, les choses bougent, notamment sous l’impulsion des consommateurs, et nous allons vers la démocratisation de ce dispositif. Non seulement des aides sont possibles, mais les prix baissent à mesure que les offres d’occasion se multiplient.

Jusqu’à présent, peu de Français achètent des voitures électriques neuves ; à terme, le marché de l’occasion a vocation à prendre toute sa place pour accélérer cette transition.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, la transition écologique implique nécessairement de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui requiert des investissements considérables : il s’agit par exemple de construire des centrales nucléaires, des parcs éoliens et photovoltaïques.

Le corollaire de ces investissements, c’est l’augmentation significative et durable de nos factures d’énergie, ressentie plus durement encore par nos concitoyens en situation de précarité.

Le chèque énergie constitue, à cet égard, un début de réponse, mais ce dispositif pourrait être grandement amélioré.

Tout d’abord, il faudrait faire en sorte qu’il suive l’évolution des factures d’énergie de nos ménages.

Ainsi, leur renchérissement appelle un rehaussement du chèque énergie, dont le montant ne représente en moyenne, selon la Fondation Abbé-Pierre, que 9 % de la facture énergétique annuelle des Français en 2022. À l’occasion de la journée contre la précarité énergétique, nombre d’associations l’ont d’ailleurs signalé : le seuil pour bénéficier du chèque énergie est désormais inférieur au seuil de pauvreté, ce qui justifie son relèvement.

En outre, près d’un ménage sur cinq n’utilise pas le chèque énergie qu’il reçoit et le taux de non-recours semble stagner. Il faut simplifier ce dispositif pour massifier son utilisation.

Enfin, il faut aujourd’hui occuper un logement imposable à la taxe d’habitation pour bénéficier du chèque énergie. La taxe d’habitation sur les résidences principales ayant totalement disparu en 2023, il paraît essentiel d’adapter le dispositif en y associant les parties prenantes.

Monsieur le ministre, quelles évolutions le Gouvernement entend-il apporter à ce dispositif utile, mais perfectible ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Saint-Pé, je vous remercie de votre question.

L’évolution de notre mix énergétique est évidemment souhaitable pour des raisons climatiques – sortir des énergies fossiles, c’est bon pour la planète –, mais elle aura aussi un impact sur le pouvoir d’achat, et ce pour une raison simple : nous n’avons pas la maîtrise d’énergies que nous ne produisons pas.

Qu’il s’agisse du gaz naturel ou du pétrole, nous dépendons de pays tiers, qui, de surcroît, ne sont pas des démocraties ; nous leur achetons leurs productions à des prix élevés, dépendant fortement d’un contexte géopolitique, qui – cela ne vous a pas échappé – devient de plus en plus inquiétant. D’ailleurs, c’est moins la transition écologique que la guerre en Ukraine qui a fait exploser une partie des prix, même si, dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux et où les sources d’énergies fossiles se contractent, la tendance est par nature inflationniste.

Décarboner, que ce soit pour aller vers l’énergie nucléaire, que nous produisons nous-mêmes et qui a l’avantage d’être pilotable, ou vers les énergies renouvelables, dont je souligne toute l’importance, c’est aussi aller dans le sens d’une politique plus sociale.

Au sujet du chèque énergie, les décrets d’attribution du nouveau gouvernement seront pris dans quelques jours. Ils assureront notamment la répartition entre l’énergie et le climat, entre ce qui relève de la production, avec, potentiellement, des mesures de soutien octroyées par Bercy, et ce qui relève de l’efficacité et de la sobriété énergétiques, c’est-à-dire du ministère de l’écologie ; aussi, je ne serai peut-être pas votre interlocuteur durable sur ce dossier.

En 2023, le taux d’usage du chèque énergie s’élève à 78,5 %, ce qui signifie qu’un peu plus de 20 % des bénéficiaires potentiels n’y ont pas recours. Nous devons donc mener un premier effort au titre de l’information. Il nous faut travailler sur les circuits de l’information, sur la manière d’accorder ces aides et d’accompagner leurs bénéficiaires.

Au-delà, vous m’interrogez sur le montant de ce chèque. L’enjeu, pour nous, est non pas d’accompagner des factures qui augmentent, mais bel et bien de les réduire, ce qui suppose de diversifier nos sources de production d’énergie.

Il me serait difficile d’être beaucoup plus précis ce soir.

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl.

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le ministre, tout d’abord, je tiens à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de poser le débat en ces termes.

Les écologistes le savent bien, la transition écologique ne peut se faire sans un pacte social à la fois solide et fort, car écologie et social sont les deux faces d’une même pièce : celle de la transition.

Pour réussir la transition écologique, nous devons donc répondre aux grands défis sociaux qui se présentent à nous : la mutation du travail et la transformation de l’économie, l’accès à une alimentation saine et le renforcement de nos services publics de santé, d’éducation et de logement, car les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Nous devons aussi assumer notre devoir de solidarité intergénérationnelle.

Notre génération a une responsabilité, non seulement envers les générations futures, mais aussi et surtout envers notre jeunesse, une jeunesse précarisée et vulnérable, ici et aujourd’hui.

Nous ne pouvons pas exclure les plus jeunes d’un développement sain et pérenne.

Les chiffres sont sans appel : les moins de 30 ans subissent le taux de pauvreté le plus élevé, loin devant les autres groupes d’âge.

Notre jeunesse fait face à deux crises : la crise climatique et la crise économique.

Dans une étude publiée en juin 2023, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) révèle que les jeunes âgés de 15 ans à 25 ans sont très pessimistes face à la crise environnementale et même, bien souvent, fatalistes. À ce titre, l’urgence n’est vraiment pas à l’uniforme à l’école…

Pour concilier le bien-être de la jeunesse et la lutte écologique, nous aurons besoin de moyens.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à subordonner les aides publiques aux entreprises à leur impact écologique, afin de dégager des moyens pour les politiques sociales de la transition ?

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Antoinette Guhl. En outre, quelles politiques sociales et environnementales entendez-vous mettre en œuvre pour la jeunesse ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Guhl, vous me posez vous aussi des questions extrêmement larges, auxquelles je vais m’efforcer de répondre de la manière la plus concise possible.

Accompagner notre jeunesse, c’est la former aux questions et aux enjeux que vous évoquez. Si l’on veut lutter contre l’écoanxiété, il faut bien sûr agir, mais il faut aussi éviter d’entretenir une forme d’écolo-défaitisme, laissant à penser, par exemple, que l’on ne fait rien ou que l’on n’obtient pas de résultat.

Bien sûr, je ne prétends pas que le Gouvernement fait tout bien. Mais si l’on ne braque jamais les projecteurs sur les actions mises en œuvre, sur les émissions que nous baissons ou sur les succès que nous avons obtenus ; si on laisse croire que les politiques conduites et les efforts engagés ne valent rien, on dissuade les gens d’agir. On alimente ainsi l’écoanxiété tout en prétendant la combattre.

Voilà pourquoi il faut insister sur les 4,6 % de baisses d’émissions obtenus au titre de l’année écoulée. Il faut rappeler que la France est le premier pays au monde à avoir interdit la vaisselle jetable dans la restauration rapide, que notre jeunesse fréquente tout particulièrement. Il faut valoriser les décisions que nous avons prises, y compris au sujet de la voiture thermique. C’est un moyen concret de lutter contre l’écoanxiété.

De même, nous devons réviser une partie des programmes scolaires et créer des modules à l’université, sur la base du rapport Jouzel, pour donner un certain nombre d’éléments à nos élèves et à nos étudiants.

De plus, nous devons proposer des leviers pour agir, par exemple à travers le service national universel (SNU) ou le service civique. Il faut encourager les engagements en direction de la nature, répondant aux préoccupations des jeunes et permettant à ces derniers d’agir concrètement, l’action étant un moyen de lutter contre la désespérance.

En parallèle, il y a les politiques sociales, qui, comme vous le suggérez, ne sont que le recto ou le verso de la page où se trouve inscrite la transition écologique.

En permettant d’offrir un avenir économique et des perspectives à nombre de nos jeunes, la lutte pour le plein emploi et la réindustrialisation de notre pays est un moyen de rompre avec le défaitisme. La transition écologique est pleine de potentialités économiques : elle permet de relocaliser des activités et d’en créer d’autres. Elle est gage d’une amélioration de la qualité de vie dans son ensemble, qu’il s’agisse de changer de rythme, de renouer avec une forme de simplicité ou de retrouver des espaces de compétitivité que nous avons perdus au fil des délocalisations à l’autre bout du monde.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, les phénomènes météorologiques extrêmes se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée dans l’histoire ; à l’évidence, une véritable bifurcation écologique s’impose à nous.

Nous devons réduire immédiatement nos émissions de gaz à effet de serre, faute de quoi nos perspectives de réchauffement bondiraient de 1,5 à 4 degrés, ce qui nous ferait plonger dans l’inconnu.

Ce grand défi qu’est la lutte contre le changement climatique ne pourra être relevé que par la coopération internationale et dans la justice sociale. Voilà pourquoi il faut accompagner nos concitoyens les plus modestes.

Une transition juste implique de demander davantage d’efforts à ceux qui le peuvent ou qui polluent le plus. Elle doit donner, en même temps, les moyens à l’ensemble des Français de réduire leurs émissions tout en vivant mieux. Or, aujourd’hui, la montée des inégalités sociales place l’abondance pour quelques-uns devant le confort pour tous et devant, précisément, le pouvoir de vivre.

Au lieu des ZFE, nous proposons la gratuité des transports collectifs urbains ; l’investissement massif dans la rénovation thermique globale des logements, en accompagnant non seulement les propriétaires occupants les plus modestes, mais aussi les bailleurs sociaux ; le développement d’une alimentation plus saine, en soutenant l’agriculture durable et nos agriculteurs par l’intervention publique sur les prix.

Monsieur le ministre, l’urgence est là. En cette seconde partie du quinquennat, comptez-vous relever ce défi historique par une plus juste répartition de la valeur, quand on sait que les entreprises du CAC 40 ont battu l’année dernière le record des dividendes distribués, à hauteur – excusez du peu ! – de 97 milliards d’euros ? (Mme Cécile Cukierman et M. Franck Montaugé applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je vous remercie de m’avoir posé cette question et d’avoir su ménager la surprise jusqu’au bout ! (Sourires.)

Oui, nous devons massifier nos efforts : c’est très exactement le sens du rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont remis au Gouvernement. C’est le sens des 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires accordés à la transition écologique pour l’année 2024, effort tout bonnement historique ; c’est le sens du fonds vert et des 2,5 milliards d’euros mis à disposition des collectivités territoriales. Il faut s’en féliciter, même si, dans bien des cas, nous ne faisons que gravir de premières marches.

Vous souhaitez demander plus à ceux qui peuvent faire plus : ce n’est absolument pas quelque chose qui me choque. De manière générale, plus on a de pouvoir ou de responsabilités, plus on doit être capable d’agir. Cela étant, il faut intervenir de manière intelligente.

Ce matin, aux côtés d’Action Logement, j’ai salué la nouvelle convention quinquennale de 14,4 milliards d’euros, qui va permettre à cet opérateur de décarboner 55 % de son parc. Nous parlons bien là d’un parc social.

En outre, une enveloppe de 1,2 milliard d’euros a été négociée par Patrice Vergriete avec l’Union sociale pour l’habitat (USH) afin d’accélérer les travaux de rénovation à l’échelle des copropriétés sociales.

Quant au projet de loi relatif aux copropriétés dégradées, qui arrivera lundi prochain en discussion, il permettra aux maires de disposer de leviers au sein des copropriétés dont les difficultés sont connues. Grâce à ce texte, on pourra également se dispenser d’obtenir l’unanimité pour faire des travaux de rénovation énergétique répondant à de véritables besoins et permettant de soulager les factures.

Vous citez, entre autres chantiers, la gratuité pour tous des transports publics urbains : c’est un sujet beaucoup moins consensuel que ceux que je viens d’évoquer. Plusieurs grandes villes, y compris de gauche, considèrent que ce n’est ni une politique sociale ni une urgence.

La véritable urgence, c’est l’investissement dans l’offre et dans la fréquence. Il est très rare que l’on renonce aux transports en commun du fait de leur prix : il y a partout des politiques sociales. En revanche, certaines personnes ne peuvent les prendre, car l’offre est insuffisante : il n’y a pas assez de bus ou de trams, ou alors ils ne circulent pas aux bons horaires. J’ajoute que certains usagers ne s’y sentent pas en sécurité.

À mon sens, mieux vaut investir dans le service que de baisser les prix, sur les modèles lyonnais, strasbourgeois ou angevin : la transition écologique progressera davantage. Il s’agit précisément de mener une politique sociale sur les prix tout en augmentant l’offre disponible.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, l’empreinte carbone des 10 % les plus riches de notre pays est au moins sept fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.

Je vous renvoie aux constats dressés par l’organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam : dans un tel contexte, des réformes fiscales justes pourraient permettre de dégager 88 milliards d’euros par an tout en préservant le pouvoir d’achat de 70 % des Français les plus modestes.

À l’heure où les banques continuent à financer les énergies fossiles, nous ne pourrons répondre à l’urgence climatique sans le courage de sortir de ce capitalisme financier, qui concentre les richesses et nuit à notre souveraineté économique comme au climat. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. L’État vient de lancer une offre de location longue durée de véhicule électrique à bas prix. Ce leasing social connaît un franc succès, 80 000 dossiers ayant déjà été déposés.

Au-delà de son caractère attractif, l’offre suscite un engouement, qui s’explique notamment par les immenses besoins de mobilité solidaire et écologique dans les zones rurales.

Dans ces territoires, où le revenu par habitant est moins élevé qu’ailleurs, et où la voiture reste indispensable, des innovations se mettent en place. Dans le bassin de Riom – le maire de cette ville est en tribune ce soir –, situé dans mon département, la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans a ainsi lancé un réseau solidaire de mobilité. Celui-ci permet de mettre en relation des bénéficiaires et des bénévoles propriétaires d’une voiture – des retraités disponibles ou des actifs –, qui effectuent le même trajet tous les jours et qui se proposent de covoiturer.

Ils sont actuellement vingt-neuf à transporter soixante-cinq bénéficiaires. En général, ces derniers sont plutôt âgés, non titulaires du permis de conduire ou désormais incapables de conduire. Souvent, ils souhaitent se rendre à des rendez-vous médicaux.

Dans ce territoire, composé de trente-six villages de faible densité, la mise en place de lignes de transport en commun régulières est inenvisageable.

Plus souple et plus agile, cette plateforme a été décidée à la suite de la prise de compétence mobilité par les petites intercommunalités permise par la loi d’orientation des mobilités, et financée dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

D’autres initiatives ont été mises en place, mais la multiplication de telles innovations nécessite d’instaurer un portail unique national recensant les offres de mobilité solidaire et partagée.

Monsieur le ministre, vous le savez, la réduction de la place de la voiture individuelle est un enjeu écologique et de santé majeur.

Or le leasing électrique proposé par le Gouvernement ne permettra pas de répondre à tous les besoins, notamment à ceux des classes moyennes, qui souffrent aussi de l’inflation.

J’aimerais donc savoir si d’autres projets sont envisagés par le Gouvernement pour faire face à l’enjeu de la mobilité en zone rurale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Gold, j’ai plusieurs éléments de réponse à vous apporter.

Tout d’abord, vous prenez l’exemple de villages où il n’y a manifestement pas de solutions de substitution. À cela, je réponds que la réouverture de petites lignes ferroviaires peut être une solution dans certains territoires, à condition de faire des travaux de régénération des voies.

Les budgets en la matière n’ont cessé de diminuer depuis le milieu des années 1980 ; ils n’ont augmenté de nouveau qu’à partir de 2017 ! Encadré par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et financé par le plan ferroviaire à 100 milliards d’euros, cet effort apportera des réponses.

Ensuite, je peux citer le plan France Ruralités, qui prévoit notamment la création d’un fonds de 90 millions d’euros pour soutenir les autorités organisatrices de mobilité en milieu rural. Présenté par la Première ministre voilà quelques mois, il sera déployé au cours de cette année.

Il y a également le fonds vert et le plan national covoiturage qui ont déjà permis d’accompagner concrètement presque une centaine de territoires en 2023, année de leur mise en œuvre.

Enfin, j’irai plus loin : le secteur des transports représente 30 % des émissions de CO2 de notre pays. On voit bien l’intérêt de massifier le transfert des voitures thermiques vers l’électrique, ce qui prend du temps.

On voit surtout l’intérêt d’investir dans la décarbonation en tenant compte de la réalité vécue dans nos territoires. La planification écologique est justement entrée dans une phase où les territoires eux-mêmes – et non Paris ! – évaluent leurs besoins pour baisser leurs émissions.

J’ai eu l’occasion de me rendre en Auvergne-Rhône-Alpes ; il me reste trois ou quatre COP territoriales à installer pour que, partout en France, chaque bassin de vie fasse remonter, d’ici à juillet prochain, leurs besoins pour accélérer leur décarbonation.

L’objectif est de disposer de ces éléments d’ici le milieu de l’année 2024, au moment où l’on bâtira le projet du budget de l’année 2025. Il s’agit de poursuivre la trajectoire de soutien à la transition écologique, en fonction non pas de ce qui semble juste depuis Paris, mais de la réalité des besoins, évaluée à l’échelle des territoires. (M. Loïc Hervé se montre dubitatif.)

Dans certains endroits se posera peut-être la question des friches, dans d’autres celle de la mobilité, dans d’autres encore celle de la relocalisation.

L’enjeu, c’est d’écouter les territoires. Vous nous y encouragez en vous faisant le porte-parole ce soir du bassin de Riom, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Je veux tout d’abord remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

L’acceptabilité et la faisabilité sociales de la transition écologique sont des sujets fondamentaux.

À ce propos, je citerai en préambule un extrait d’un article paru en 2021, intitulé « Les classes populaires et l’enjeu écologique » : « Paradoxalement, les classes populaires glanent moins de profits symboliques de la valorisation publique de l’enjeu environnemental que les catégories sociales privilégiées, alors même qu’elles contribuent moins aux pollutions et en souffrent plus. »

Il est important, je crois, de rappeler ce point à ceux qui tiennent des discours reçus par beaucoup comme moralisateurs, alors qu’ils connaissent des niveaux de vie difficilement compatibles avec des prises de parole culpabilisantes.

Monsieur le ministre, faisant suite à une étude de l’Institut de l’économie pour le climat, le journal Les Échos a dressé le constat suivant en octobre dernier : « Les aides publiques à la rénovation thermique des logements et à l’acquisition d’une voiture électrique deviennent enfin compatibles avec le portefeuille des Français. »

L’évolution prévue de MaPrimeRénov’ fait reculer le reste à charge pour la rénovation d’un logement. Le leasing social envisagé pour l’achat d’une voiture électrique représente également une avancée considérable : afin d’atteindre l’objectif d’une « écologie accessible et juste », fixé par le Président de la République, le Gouvernement a proposé la solution du leasing d’une voiture électrique à 100 euros par mois.

Monsieur le ministre, pourriez-vous revenir en détail sur cette proposition, son périmètre et sa montée en puissance envisagée ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, j’aurais presque envie non pas de répondre à votre question, mais d’acquiescer, en vous invitant à utiliser les deux minutes de mon temps de parole pour que vous développiez votre propos ! (Sourires.)

Plus sérieusement, au moment où je vous parle, certaines innovations prometteuses se sont concrétisées à un niveau de prix permettant de faciliter leur généralisation.

Sans faire de long discours, je dirai simplement que la planification écologique à la française ne repose pas sur des innovations qui n’existent pas – ce n’est pas du technosolutionnisme, l’exemple de la voiture électrique le prouve.

Nous considérons en effet que l’effort pour diminuer nos émissions doit résulter à 20 % de changements de comportement individuel, à 60 % du développement de solutions déjà existantes, comme le recours à la voiture électrique, et à 20 %, enfin, d’espérances ou d’innovations, notamment en matière de transport, à l’instar des possibilités offertes par l’hydrogène pour des véhicules lourds ou par les autoroutes électriques.

Le leasing répond à deux ambitions. Premièrement, il s’agit de soutenir la transformation de notre industrie automobile. Si nous n’avions rien fait, nous aurions pris le risque d’être submergés par des produits venus du bout du monde, en particulier de Chine.

Nos concitoyens prennent aujourd’hui le virage de l’électrique, et ce malgré certains discours : chaque mois, le taux d’immatriculation de voitures électriques ou hybrides augmente. Ainsi, le taux de 20 % a été franchi au cours du mois dernier ; les taux atteints en 2023 sont des points hauts historiques.

On le sait, en raison du reste à charge, certaines personnes ne peuvent pas financer ces voitures, et ce malgré les aides de 14 000 euros que j’ai évoquées précédemment.

Deuxièmement, il s’agit de répondre à la promesse du candidat Emmanuel Macron à sa réélection. Le leasing à 100 euros est donc un engagement qui se concrétise, un garde-fou ayant toutefois été mis en place : l’empreinte carbone des véhicules doit les rendre éligibles à ce dispositif. Ils doivent donc être fabriqués en Europe.

De plus, il s’agit d’un contrat de location d’une durée de trois ans, lequel ne prend pas en compte le coût de l’assurance. Le dispositif s’appuie évidemment sur les revenus des personnes, car il relève bien d’une politique sociale.

Plus on avancera dans le temps, plus l’offre disponible sera importante, aussi bien en nombre qu’en modèles. Du reste, les véhicules d’occasion vont arriver, ce qui permettra une démocratisation de l’électrique, dans le sillage de cette mesure emblématique. (Mme Cécile Cukierman se montre dubitative.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. En 2023, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a publié son rapport annuel sur l’état de la France en l’intitulant ainsi : Inégalités, pouvoir dachat, écoanxiété : agir sans attendre pour une transition juste.

Ce rapport évalue la capacité des Français et des Françaises à adhérer à l’appel aux efforts individuels et collectifs pour relever le défi de la transition écologique.

Sans surprise, l’écoanxiété s’installe, accentuée par la barrière financière, qui empêche de s’engager réellement dans la transition écologique.

Nous attendions beaucoup de la loi de programmation sur l’énergie et le climat, qui devait être présentée avant le 1er juillet 2023.

À la place, et avec près de six mois de retard, un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique est en train de voir le jour.

Alors qu’il devait aborder la question du financement de la transition écologique, public comme privé, et la décliner en une trajectoire financière pluriannuelle ayant valeur d’engagement financier des parties, le texte qui nous est proposé ne concernera finalement que la production énergétique.

Monsieur le ministre, avez-vous abandonné l’idée d’une loi de programmation ?

Comptez-vous prendre en considération l’inégalité flagrante pesant sur les ménages pauvres et modestes, lesquels doivent assumer les hausses de dépenses contraintes liées au changement climatique ? Quelles sont les propositions de ce gouvernement en la matière ? Ainsi, que ferez-vous pour les plus modestes, qui seront confrontés à l’augmentation de 10 % du coût de l’électricité à venir ?

Le taux d’effort, qui représente le ratio entre les dépenses liées à la transition écologique et le revenu du ménage, n’est pas le même pour toutes et tous. Il faut donc travailler sur cette inégalité. C’est ce que j’ai fait lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024, en soutenant, par exemple, le rééquilibrage de la charge fiscale de l’eau pesant sur les différentes catégories de redevables et dont le coût repose aujourd’hui essentiellement sur les ménages. Le plan Eau devait théoriquement en profiter !

Le dérèglement climatique soulève aussi une question de justice sociale. Il est donc essentiel que nous disposions d’une feuille de route claire et partagée. (Mme Colombe Brossel applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Notre pays, au moment où nous parlons, est le seul à avoir arrêté une planification.

Après avoir fourni un important travail nous permettant de disposer d’un document sérieux – il ne s’agit pas d’une simple compilation avec de belles couleurs et de beaux tableaux –, nous devons maintenant faire franchir d’autres étapes à cette planification : premièrement, sa territorialisation ; deuxièmement, sa trajectoire de financement, que vous avez appelée de vos vœux.

Monsieur Gillé, je veux croire que ce qui vous importe est non pas la date de la présentation du dispositif, mais sa cohérence et son ambition.

Le temps que l’on prend entre l’établissement de la planification nationale et sa déclinaison de l’échelle régionale à celle du bassin de vie, en associant l’ensemble des élus locaux, ne me semble pas perdu. C’est cette démarche qui nous permettra d’identifier les endroits où nous devrons accentuer nos efforts et de choisir les lignes budgétaires appropriées.

Des équilibres économiques vont être trouvés en matière de transition écologique, car le coût de l’inaction ou l’explosion des factures va nécessairement pousser certains acteurs à accélérer leur décarbonation.

La performance de l’industrie – elle est remarquable, regardons les baisses d’émissions ! –, est liée non pas simplement à la soudaine prise de conscience citoyenne de la nécessaire décarbonation, mais surtout aux exigences des clients et aux effets économiques de la dépendance aux énergies dont on ne maîtrise pas la production.

L’argent public, par nature limité, doit être concentré sur les impasses de financement. Je pense aux transports publics : il s’agit d’élaborer des politiques tarifaires pour accompagner les plus fragiles. Je pense également à la nécessité d’ajuster à ces évolutions les politiques ad hoc, à l’instar du chèque énergie évoqué par Denise Saint-Pé.

En même temps, on ne peut pas laisser penser que l’argent public sera la réponse à tout. Celui-ci doit être ciblé, en assumant ce ciblage, sur le fondement d’un diagnostic territorial fin, que nous sommes en train d’établir.

M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Il va sans doute falloir réinventer la manière dont on mesure le taux d’effort.

M. Christophe Béchu, ministre. Oui !

M. Hervé Gillé. Pour cela, il faudra associer les caisses d’allocations familiales (CAF) et les conseils départementaux, organisations les mieux placées pour accompagner les plus modestes.

Je vous propose d’ouvrir ce chantier, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Je remercie également nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain d’avoir pris l’initiative de ce débat de société, qui englobe beaucoup de sujets.

C’est vrai, la transition écologique représente, en masse financière, un budget très important, ce que l’on constate lors de l’examen de la mission « Écologie, développement et mobilité durables », au cours de l’examen du projet de loi de finances.

J’aurais pu intervenir sur d’autres sujets, mais je me contenterai d’aborder celui qui m’anime régulièrement dans cet hémicycle : les transports publics ferroviaires.

Je connais l’engagement de l’État en la matière, notamment en faveur des petites lignes de fret, qu’il s’agisse des lignes capillaires ou des autres.

Certaines personnes utilisent très souvent les transports publics, notamment ferroviaires, quand d’autres, inconditionnelles de la voiture, les prennent très rarement.

Cela soulève des problèmes de desserte et de tarification, mais également de moyens humains : le problème de la sécurité dans les transports est souvent mis en évidence.

Les trains express régionaux (TER) relèvent de la compétence des régions.

Il y a de moins en moins de contrôleurs et d’agents au service des usagers. Dans les gares du département des Ardennes – j’associe ma collègue Mme Joseph à ce constat –, il n’y a plus grand monde pour aider et guider. Or tout le monde ne comprend pas les distributeurs, qu’ils fonctionnent ou non ; parfois, ils ne prennent pas les cartes, ou les rejettent ! Il importe pourtant de garder ce lien humain.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur Laménie, je ne suis pas surpris de vous entendre sur ce sujet. (Sourires.) Tous ceux qui vous connaissent savent qu’il s’agit d’un combat non pas d’une soirée, mais d’une existence, si j’ose dire.

Notre pays est riche de ses 29 000 kilomètres de voies ferrées, un patrimoine unique.

Le choix de tout investir dans les grandes lignes a détérioré une partie du service et il est très compliqué de rattraper le retard.

Vous avez cité, à juste titre, le problème du capital humain, qui s’ajoute à celui du capital financier : il faut conduire des études, les accompagner, retrouver des capacités industrielles. Il ne suffit pas d’inscrire une somme dans un projet de loi de finances pour que les travaux se fassent. Il faut respecter le délai des études, assurer la complétude et la cohérence des lignes.

Quand on voit le montant des investissements rendus nécessaires par la réouverture de quelques trains de nuit – je pense aux lignes Paris-Berlin ou Paris-Aurillac – ou l’amélioration du service, on mesure bien que nous sommes appelés à un véritable sursaut national pour retrouver une desserte fine du territoire.

L’engagement budgétaire acté par la Première ministre Élisabeth Borne, qui sera évidemment confirmé par Gabriel Attal, s’élève à 100 milliards d’euros. Cet effort est l’une des pierres angulaires de notre politique de décarbonation.

Vous avez cité le fret ferroviaire : avec 10 % des marchandises transportées par des trains de fret, nous sommes près de deux fois en dessous de la moyenne européenne. Un excellent rapport d’information du Sénat en la matière propose, pour augmenter la part du fret, non seulement d’investir dans les rails, mais également de se préoccuper de la rénovation des plateformes, des systèmes de compatibilité entre les compagnies qui assurent ces services et de l’élargissement des chaînes d’intermodalité.

Enfin, il faut noter le travail de l’opérateur. De ce point de vue, les niveaux historiques de fréquentation témoignent de l’appétence de plus en plus grande de nos concitoyens pour ce mode de transport, le plus décarboné.

Aussi, il nous revient, en lien avec la SNCF et l’ensemble des parties prenantes, de proposer aux voyageurs une expérience client, si j’ose dire, qui allie la propreté et la sécurité à la promesse écologique que le train représente encore.

M. le président. La parole est à M. Bernard Pillefer.

M. Bernard Pillefer. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la diminution de 30 % des aides MaPrimeRénov’ pour le chauffage au bois.

Près de 7 millions de foyers français, soit environ un quart de la population, se chauffent au bois. Plus de 90 % des installations de chaudières à bois visent à remplacer une chaudière au fioul ou au gaz. En 2022, l’installation de poêles à granulés était la troisième installation la plus financée par le dispositif MaPrimeRénov’.

En parallèle, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit le doublement des logements chauffés par de la biomasse solide, principalement du bois, à l’horizon de 2028.

Pourtant, à compter du 1er avril 2024, les forfaits MaPrimeRénov’ pour l’installation d’équipements de chauffage fonctionnant au bois vont baisser de 30 %. Cette baisse est d’autant plus paradoxale qu’elle ne se justifie ni sur le plan environnemental ni sur le plan sanitaire.

D’un point de vue environnemental, en France, l’ensemble du bois prélevé pour le chauffage, mais aussi pour le papier et la construction, est largement inférieur à l’accroissement de la forêt.

D’un point de vue sanitaire, un plan d’action gouvernemental a vu le jour en 2021, ayant pour objectif de réduire de 50 % les émissions de particules fines liées au chauffage au bois domestique d’ici à 2030. Cela passe notamment par le remplacement des appareils anciens et l’installation d’équipements performants.

La baisse des aides MaPrimeRénov’ semble donc contraire à l’urgence de la décarbonation du chauffage, surtout dans les territoires ruraux et périurbains, où près de la moitié des foyers ont recours à ce type de chauffage domestique.

Au regard de ces considérations, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le ministre, sur les raisons ayant conduit à baisser les aides aux chaudières à bois ?

Pouvez-vous également préciser la place que le Gouvernement entend donner au chauffage au bois dans la transition écologique des ménages ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui n’est pas la plus simple !

Nous n’avons évidemment rien contre le chauffage au bois. Vous avez raison de le signaler, aujourd’hui, la part du chauffage au bois est loin d’épuiser la biomasse produite dans notre pays.

Néanmoins, si tous les Français se chauffaient au bois, la situation ne serait pas exactement la même. Vous l’avez rappelé en évoquant le plan d’action pour réduire de 50 % les émissions de particules fines du chauffage au bois domestique, publié en 2021, la question de l’émission des particules fines ne se pose pas de la même manière selon que l’on se trouve dans un espace peu dense ou en pleine ville. D’ailleurs, de grandes villes, particulièrement des capitales ou des mégapoles d’Amérique du Nord, ont interdit pour cette raison le chauffage au bois. Dans certains autres territoires, des restrictions peuvent exister.

Mais ce n’est pas ce qui nous a poussés à faire évoluer le dispositif MaPrimeRénov’. Vous l’avez dit, un plan d’action vise à favoriser les foyers fermés et à rappeler aux Français les bonnes pratiques, par exemple éviter de brûler du bois humide, car c’est la façon d’allumer le feu qui provoque ou non l’émission de particules fines. Vous êtes un spécialiste, donc ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre.

Le niveau des aides MaPrimeRénov’ était élevé, parce que, au moment de la crise ukrainienne, le tarif des pellets et du bois avait grimpé à des niveaux sans commune mesure avec ceux auxquels ils sont désormais revenus aujourd’hui. Certains avaient en effet profité de la guerre en Ukraine pour multiplier par deux, trois, voire quatre, le tarif des pellets ! D’ailleurs, dans ce contexte, la Haute Assemblée avait souhaité instaurer un chèque et un dispositif spécifique de soutien pour le bois.

Malgré la baisse de 30 % des aides, le chauffage au bois n’est pas exclu du bouquet des dispositifs éligibles au dispositif MaPrimeRénov’. On souhaite simplement ne pas inciter les Français à choisir davantage le bois que les pompes à chaleur, parce que si tout le monde faisait ce même choix, cela poserait un problème de bouclage sur la biomasse.

Dans les zones plus denses, il s’agit d’aller vers des modes de chauffage moins émetteurs. Nous souhaitons cependant soutenir le chauffage au bois, auquel nous croyons, en continuant de l’accompagner, avec une baisse du niveau de subventions à l’investissement.

Du reste, son faible coût de fonctionnement lui permet d’être compétitif économiquement et écologiquement sur le long terme.

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, l’accès à un logement abordable et digne est un droit fondamental.

Pourtant, le secteur du logement subit l’explosion des inégalités, confirmée par les chiffres. Le logement représente jusqu’à 40 % des dépenses contraintes des ménages les plus pauvres, 37 % des passoires énergétiques sont occupées par des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté, et plus de 5 millions de logements sont des passoires thermiques, classées F ou G.

La vulnérabilité énergétique est particulièrement prégnante dans les territoires ruraux. Le logement étant pour nombre de ménages le premier poste de dépenses, leur pouvoir de vivre se résume à choisir entre payer le loyer ou se nourrir correctement !

L’État est l’un des responsables de cette situation, en raison de son désengagement depuis 2017. Il est même allé plus loin dans l’injustice sociale avec une énième loi sur l’immigration qui subordonne le bénéfice des aides personnelles au logement (APL) pour les étrangers en situation régulière à cinq ans de résidence sur le territoire français.

Notre groupe a pourtant multiplié les tentatives pour rétablir de la justice sociale dans le secteur du logement, avec la proposition de loi visant à résorber la précarité énergétique, qui avait pour objet de limiter le reste à charge pour les familles modestes, ainsi que le dépôt de nombreux amendements au cours des deux derniers projets de loi de finances pour relancer la politique de logement. Aucune de nos propositions n’a été entendue, soutenue, ou même reprise.

Il est urgent de réduire les inégalités sociales et territoriales qui se creusent dans notre pays.

Monsieur le ministre, comptez-vous mettre en œuvre une véritable politique d’accompagnement des citoyens pour que la transition écologique se traduise enfin par la réduction des inégalités en matière d’habitat et par la garantie d’une meilleure qualité de vie ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je ne m’attendais pas forcément à être interpellé sur la loi Immigration ce soir.

Aussi, je ferai miens – cela ne vous surprendra guère, même si vous pouvez y voir une facilité rhétorique – les mots de Michel Rocard, pour qui notre pays ne pouvait pas accueillir toute la misère du monde. (Protestations sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé. Il n’a pas dit que ça, c’est incomplet ! Il ajoutait : mais chacun doit en prendre sa part !

M. Christophe Béchu, ministre. Vous ne pouvez pas, d’un côté, déplorer le manque de logements, et, d’un autre, considérer qu’il serait indigne, en démocratie, qu’une majorité, laquelle correspond manifestement à la majorité de l’opinion, vote une loi ou décide de modifier les règles.

M. Franck Montaugé. C’est une mauvaise loi !

M. Christophe Béchu, ministre. Je trouve que les jugements moraux que vous portez sur ce sujet sont à géométrie variable.

Oui, le logement soulève nombre de difficultés, lesquelles ont plusieurs explications, mais il ne s’agit pas d’un problème franco-français. Partout en Europe, les gouvernements, quelle que soit d’ailleurs leur couleur politique, rencontrent des difficultés résultant du recul du pouvoir d’achat immobilier. C’est lié à l’augmentation à la fois du coût de l’argent et du coût des chantiers.

Lorsqu’il y a moins d’argent pour acheter un bien qui coûte plus cher, alors il y a une contraction du nombre de mètres carrés, ce qui aboutit à ces situations difficiles. C’est vrai en France, en Allemagne, en Espagne, ou encore en Belgique !

Vous pouvez constater cela dans tous les pays qui nous entourent, quelle que soit leur tendance politique.

Parallèlement, il y a un deuxième sujet, dont nous sommes en train de débattre, et qui est l’écologie.

Il faut certes encourager les constructions neuves pour satisfaire des besoins, mais aussi, dans le même temps, accélérer sur les réhabilitations et les rénovations. Dans notre pays, il y a des millions de logements vacants. La seule région Île-de-France compte 3,5 millions de mètres carrés de bureaux vides. Une partie des habitants de nos communes, allergiques aux voisins, signent des pétitions contre les permis de construire accordés par les maires, quelle que soit leur sensibilité politique.

Il s’agit d’une question d’ordre budgétaire, mais également philosophique. Nous devons remettre à zéro notre logiciel et retrouver les raisons collectives de construire plus sobrement, tout en répondant à des préoccupations sociales, économiques et écologiques.

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, une transition écologique réussie doit bénéficier à l’ensemble de nos concitoyens, et pas seulement aux plus aisés.

Or nombre de Français ne se sentent pas concernés par la transition écologique, parce que les politiques déployées en la matière n’apportent aucune amélioration concrète à leur quotidien.

C’est une nécessité sociale et environnementale d’arrêter de considérer le logement comme une variable d’ajustement budgétaire pour en faire, enfin, une véritable cause de mobilisation nationale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars.

M. Jean-Claude Anglars. La question des solidarités au service de la transition écologique dans les territoires renvoie à l’enjeu primordial des mobilités. Des déplacements pendulaires à l’accès aux services, les transports et leurs réseaux sont au cœur du quotidien de nos concitoyens.

La dépendance à la voiture, qui varie très fortement selon la densité du territoire, domine le débat qui nous concerne. Dans les zones peu denses, essentiellement rurales, plus de trois quarts des déplacements sont effectués en voiture. Ce constat concerne environ 22 millions d’habitants, soit un tiers de la population française.

Pour les jeunes actifs, pour les familles, pour les seniors et les personnes dépendantes, mais aussi pour les touristes et les nouveaux arrivants, le pouvoir de vivre, c’est avoir accès aux mobilités routières et pouvoir compter sur leurs performances.

Or les conditions d’utilisation de la voiture personnelle ont largement influencé négativement le pouvoir de vivre ces dernières années, sous l’effet de la réduction de la vitesse maximale à 80 kilomètres par heure – les automobilistes se sont sentis stigmatisés –, de la hausse des prix des carburants, des augmentations des tarifs de péages, et des coûts inflationnistes des véhicules et de leur entretien.

C’est l’une des conséquences des inégalités territoriales : la transformation des mobilités se fait difficilement dans les zones rurales, faute de solution de substitution efficace aux modèles existants. Cette situation nécessite une action politique prioritaire et des investissements ciblés.

En Aveyron, par exemple, nous attendons un signal fort de l’engagement de l’État – il se fait toujours attendre –, pour achever la RN 88.

Aussi, monsieur le ministre, quels investissements compte faire le Gouvernement pour répondre aux contraintes de l’augmentation du coût des mobilités en zones rurales, et particulièrement en Aveyron pour la mise à 2x2 voies de la RN 88 entre Rodez et Séverac-d’Aveyron ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Merci de votre question, monsieur le sénateur Anglars. La loi 3DS a prévu, à son article 38, que certaines voies du domaine routier national pourraient être transférées aux départements et aux métropoles.

Tel est le cas de la RN 88 : le 1er janvier 2024, cette route nationale est passée sous la maîtrise du département de l’Aveyron. Je me suis entretenu de ce sujet, par téléphone, aux alentours du 22 décembre dernier, avec le président de son conseil départemental, Arnaud Viala, qui m’a fait remarquer que, dans la phase de bouclage final du contrat de plan État-région (CPER), il serait souhaitable que l’État envoie un signal au moins sur la partie « études » de ce projet d’aménagement.

Vous savez que, même si l’on tend de plus en plus à favoriser les projets d’infrastructure ferroviaire dans les CPER, ceux-ci peuvent également inclure, bien entendu, des infrastructures routières. Dès lors, au vu de ces échanges avec Arnaud Viala, nous garderons bien évidemment le projet d’aménagement de la RN 88 en tête lors de la finalisation du CPER en question, dans les prochaines semaines.

Rappelons que ce projet a reçu sa déclaration d’utilité publique (DUP) il y a vingt-cinq ans déjà. Les enjeux de mobilité qu’il soulève dépassent le territoire directement concerné. Dès lors, même si, à court terme, le financement de la réalisation du projet ne peut être envisagé, il conviendra de finaliser un financement partiel, d’autant que des études fines devront être réalisées dans certains secteurs situés en zone Natura 2000, afin de déterminer comment concilier les différents impératifs.

Je voudrais à présent revenir sur le début de votre propos, monsieur le sénateur, et sur la stigmatisation que vous avez évoquée.

Pour ma part, j’ai la conviction que, si l’on commence à expliquer qu’il y a les bons d’un côté et les mauvais de l’autre, on stigmatisera une partie des Français, ceux qui n’ont pas accès aux solutions du fait de l’endroit où ils vivent et de l’impossibilité où ils se trouvent d’accéder aux domaines dans lesquels on fait les investissements les plus importants. On leur donnera le sentiment d’être exclus de la transition écologique et l’on fera d’eux des adversaires de celle-ci, alors qu’elle est nécessaire et qu’ils seront encore plus pénalisés si elle n’a pas lieu.

C’est bien pourquoi, dans les politiques de soutien à l’électrification de la voiture tout comme dans l’aide que nous apportons aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM), notamment au travers du plan France Ruralités, nous avons le souci de ne laisser personne sur le bord de la route, qu’elle soit nationale ou départementale.

M. le président. La parole est à M. Fabien Genet.

M. Fabien Genet. Dernier sénateur à pouvoir vous interroger ce soir, monsieur le ministre, je note que beaucoup de sujets ont déjà été évoqués. Je vous ai écouté avec attention et j’avoue que, en fin de compte, je ne regrette pas d’avoir assisté à ce débat.

Bien sûr, je suis quelque peu frustré de n’avoir pu suivre le discours de politique générale que le Président de la République a souhaité tenir ce soir, d’une manière assez audacieuse, constitutionnellement parlant, lors de sa conférence de presse. Mais le débat qui se tient en même temps ici, au Sénat, est très intéressant, car il porte sur un sujet essentiel : l’acceptabilité sociale des efforts de transition écologique et l’accompagnement nécessaire.

Si vous me le permettez, monsieur le ministre, je ferai un constat et deux remarques avant de vous poser une question.

Le constat, je le fais en relayant, à mon tour, les inquiétudes que je ressens sur le terrain, dans ma commune ou mon département, quant à la fracture sociale qui se creuse.

Beaucoup de nos concitoyens ont le sentiment que cette politique de transition écologique est menée bien loin d’eux, dans une sorte de monde parallèle, par des responsables rêvant toujours à des solutions qui semblent idéales, mais qui coûteraient toujours plus cher : plus cher pour la voiture, plus cher pour le logement, plus cher pour la consommation de tous les jours.

Ainsi, les responsables politiques ignoreraient les difficultés de leurs concitoyens ; ils vivraient dans un univers similaire au monde idyllique de Barbieland – je sais combien cette évocation cinématographique fait sens dans cette assemblée… (Sourires.) – dont les habitants, les Ken et les Barbie, découvrent un jour la dureté du monde réel…

Il faut donc s’interroger sur la méthode employée en la matière, ce que je voulais faire au travers de deux remarques sur des situations que j’ai vécues récemment, même si je dois reconnaître que vous avez déjà apporté des éléments de réponse au cours du débat.

En premier lieu, j’ai assisté à la présentation aux maires, par le sous-préfet de mon arrondissement, des objectifs de planification écologique. À vrai dire, cet exercice de centralisme jacobin était un peu effrayant. Il me semble qu’il convient d’associer bien davantage les collectivités locales à cette démarche. D’ailleurs, les débats sur l’accélération du développement des énergies renouvelables prouvent la mobilisation des élus sur cette question.

En second lieu, je m’interroge sur la réalité de la politique du logement menée au travers des aides MaPrimeRénov’ : là encore, une meilleure association des collectivités locales est nécessaire. Je relève que vous avez annoncé que des projets de décentralisation seraient certainement engagés en la matière.

J’en viens enfin à ma question : monsieur le ministre, je voulais vous interroger sur l’autoconsommation énergétique, au travers notamment de panneaux photovoltaïques. Un certain nombre de mesures pourraient être prises pour favoriser celle-ci, notamment l’ouverture de l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) à de tels projets, ou encore un taux de TVA réduit à 5,5 % pour ces panneaux. Nous vous avions fait ces deux propositions au cours du dernier débat budgétaire, mais le 49.3 en a décidé autrement… Monsieur le ministre – nouveau ministre d’un nouveau gouvernement –, pourriez-vous nous rassurer en nous indiquant que, peut-être, une évolution est possible ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Pour ma part, je vous ferai une confidence, deux remarques et une réponse. La confidence, la voici : je n’ai pas vu Barbie – j’ai préféré Oppenheimer et je n’ai pas trouvé le temps de regarder le deuxième film de l’été… (Sourires.)

M. Fabien Genet. Un choix très genré, monsieur le ministre ! (Nouveaux sourires.)

M. Christophe Béchu, ministre. J’en viens à mes deux remarques.

Tout d’abord, je ne vais pas feindre d’être en désaccord avec vous sur certains des points que vous venez d’évoquer. Oui, nous avons des marges de progrès en matière d’association des élus à cette politique encore balbutiante, qui vit ses premières années. Je pense en particulier au fonds vert : on a créé un objet nouveau, pour lequel on a décidé de faire confiance aux territoires, mais tous ne s’en sont pas saisis de la même manière, les parlementaires et les élus locaux n’ayant pas toujours été associés au niveau qui convenait. J’aurai donc, dans les jours qui viennent, une conférence visiophonique avec la totalité des préfets pour faire en sorte de donner une meilleure place à tous ces élus au sein de ce dispositif.

Ensuite, – c’est ma deuxième remarque –, l’enjeu est bien que nos concitoyens mesurent que le risque, le surcoût réel, ce n’est pas d’agir, c’est de ne pas agir. Je ne veux pas, en cette heure tardive, sur les sujets dont nous débattons, forcer le trait, mais je tiens à redire l’intérêt, par exemple, de ne pas trop étaler les zones urbanisées dans certains territoires, de sorte que l’on bouche les nappes phréatiques, ce qui peut conduire à ce que l’on vit aujourd’hui dans le Pas-de-Calais.

J’ai eu des échanges, ces dernières semaines, avec des habitants qui s’interrogent sur certains permis de construire délivrés dans des zones où, voilà vingt ans, personne ne s’interrogeait. Nous devons changer notre approche sur un certain nombre de sujets.

Enfin, je veux vous apporter une réponse sur l’autoconsommation énergétique. En 2023, elle a presque doublé par rapport à 2022, en passant de 460 mégawattheures à environ 800. En vingt-quatre mois, la capacité de notre pays a triplé ! Alors, si vous y croyez, continuez d’y croire, parce que ce phénomène est en plein décollage ! Cela correspond à une attente de nos concitoyens, tout en constituant un excellent moyen de diversifier notre mix énergétique et de limiter le reste à charge pour les consommateurs – c’est aussi une façon de les accompagner.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Monique Lubin, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chaque secteur de notre économie et de notre société est confronté à la nécessité de produire un effort sans précédent pour la transition écologique.

On ne peut y faire face sans réaffirmer la nécessité de mettre en place et de consolider des politiques de solidarité pour accompagner cette transition.

Nous redisons donc ici la centralité de l’enjeu du « pouvoir de vivre » des Français, ainsi que celle de la répartition de l’effort à consentir pour mener à bien la transition écologique.

Cette centralité implique que les plus précaires fassent l’objet d’une attention renforcée. Souvent plus durement affectés que les autres par la dégradation de l’environnement, ils disposent de moins de moyens pour remédier à ses conséquences.

Une étude que vient de publier le ministère de la santé souligne ainsi que les banlieues et les communes habitées par les plus modestes sont particulièrement exposées à la pollution de l’air, dont l’impact délétère est très sensible chez les plus jeunes.

Les communes pauvres, quant à elles, sont plus touchées par la pollution des sols que celles où résident les riches. Cette pollution touche 80 % des villes moyennes situées dans les 10 % de communes les moins riches, selon une étude publiée par l’Observatoire des inégalités en mars 2023.

Or nous savons que les plus précaires ne sont pas ceux dont l’empreinte environnementale est la plus préoccupante ou dont le bilan carbone pèse le plus lourd.

Philippe Coulangeon, sociologue et directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), synthétise une partie du problème en soulignant que « la frugalité sans intention (…) pèse lourd chez 27 % de ménages sans préoccupations environnementales affirmées, souvent des catégories populaires précarisées et dont le bilan carbone reste faible, puisqu’ils consomment peu du fait de faibles revenus ».

Il souligne par ailleurs, concernant les efforts à consentir en faveur de la transition écologique, que l’acceptabilité sociale est un enjeu extrêmement important, estimant que « des mesures mal préparées, inéquitablement réparties, sont source de résistance ». Il en prend pour exemple la taxe carbone, qui a fait perdre un temps considérable et qui a dévoilé la très profonde crise que traverse notre pays.

Dans leur rapport remis au Gouvernement en mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz soulignent par ailleurs que, « quand on sait à quel point les sociétés avancées se sont montrées incapables de distribuer équitablement les gains induits par la mondialisation, on ne peut qu’être dubitatif sur leur capacité à répartir les coûts de la transition de manière équitable ».

La social-écologie est pourtant une réponse à ces enjeux. Ce concept a été théorisé au début des années 2010 par Éloi Laurent, qui souligne que « les inégalités sociales jouent un rôle moteur dans nos crises écologiques » et que « ces crises aggraveront encore les inégalités sociales si rien n’est fait pour contrecarrer leur impact ». Il met ainsi en évidence qu’« il revient aux pouvoirs publics de comprendre cette interface social-écologique, (…) puis de s’appuyer sur elle pour réduire les inégalités sociales et atténuer les crises environnementales ».

Il nous semble qu’indépendamment des mécanismes qui peuvent être mis en place dans la perspective de favoriser des comportements et des choix économiques vertueux, il est impératif de permettre à la population de s’engager dans de bonnes conditions dans notre projet de transition écologique.

Pour ce faire, dans un pays qui comptait, en 2019, 9,2 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté monétaire, il est par exemple indispensable d’adapter les minima sociaux.

L’alternative, c’est de laisser une partie considérable de la population sur le bord du chemin, enfoncée dans la précarité par le poids de l’effort économique nécessaire pour ménager leur simple participation à la vie de notre société.

C’est dans ce souci que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de notre assemblée a défendu, en janvier 2021, l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes dès l’âge de 18 ans. On ne peut se satisfaire que près d’un jeune majeur sur cinq, considéré comme pauvre, soit d’office exclu de la société que nous essayons de bâtir.

Cette préoccupation vaut pour tous : en 2021, en France métropolitaine, 9,1 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté monétaire.

C’est pourquoi nous sommes également attentifs à la construction et à la rénovation de logements sociaux de qualité, ce qui permettrait de loger les ménages aux revenus les plus modestes dans des habitations adaptées aux contraintes du réchauffement climatique.

C’est aussi pourquoi nous voulons, sur le front des mobilités, voir la sécurisation d’une industrie à même de construire des véhicules vertueux à des prix adaptés. Les populations rurales ne pouvant se rabattre sur le train ou le métro au quotidien, elles doivent pouvoir accéder à des moyens de déplacement individuels ménageant l’environnement.

Je conclurai cette intervention sur les politiques de solidarité et l’amortissement du choc de la transition écologique en rappelant qu’il est indispensable d’en passer non pas par des taxes à vocation punitive, mais par le rétablissement d’une juste redistribution de l’impôt, qui permettra à l’État d’accompagner les plus modestes dans la transition écologique. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE-K.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « “Pouvoir de vivre” : quelles politiques de solidarité pour répondre au choc de la transition écologique ? »

9

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 17 janvier 2024 :

À quinze heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures trente :

Désignation des vingt-trois membres de la commission d’enquête portant sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050 ;

Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à condamner l’offensive militaire de l’Azerbaïdjan au Haut-Karabagh et à prévenir toute autre tentative d’agression et de violation de l’intégrité territoriale de la République d’Arménie, appelant à des sanctions envers l’Azerbaïdjan et demandant la garantie du droit au retour des populations arméniennes au Haut-Karabagh, présentée par MM. Bruno Retailleau, Gilbert-Luc Devinaz et plusieurs de leurs collègues (texte n° 157, 2023-2024) ;

Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, invitant le Gouvernement à ériger la santé mentale des jeunes en grande cause nationale, présentée par Mme Nathalie Delattre et plusieurs de ses collègues (texte n° 602, 2022-2023).

Le soir :

Débat portant sur les violences associées au football, dans et hors des stades.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.)

Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,

le Chef de publication

FRANÇOIS WICKER