M. le président. La parole est à Mme Corinne Bourcier.

Mme Corinne Bourcier. Innovation technologique, la voiture électrique constitue une solution de mobilité décarbonée répondant à la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre dans les transports.

Toutefois, l’interdiction de vente des véhicules thermiques à l’horizon 2035, prévue par l’Union européenne, pose la question du prix des voitures électriques.

Afin que le succès soit au rendez-vous, il paraît indispensable d’accompagner les ménages modestes dans l’acquisition d’un véhicule zéro émission.

Monsieur le ministre, nos transitions doivent être justes. Vous avez déjà évoqué le leasing des véhicules électriques : pourriez-vous nous préciser les dispositifs de soutien à l’achat mis en place en faveur de ces ménages ?

S’y ajoute un autre sujet d’importance pour les Français et notamment pour de nombreux professionnels : le calcul du barème kilométrique. Ne serait-il pas temps de réorienter ce dispositif afin que le critère de la puissance administrative s’adapte à nos objectifs environnementaux, ou du moins que celui-ci ne soit pas le critère le plus déterminant ?

En effet, de nombreux Français se déplacent pour leur travail, notamment dans le secteur de l’aide à la personne, ô combien indispensable à la Nation. En les privant d’accès à une déduction convenable, on les pénaliserait indirectement, à rebours de nos objectifs.

Enfin, je tiens à évoquer le retrofit.

Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiennent cette pratique depuis longtemps, mais cette forme de conversion vers l’électrique a elle aussi un coût. Elle s’inscrit pleinement dans le panel de solutions qui s’offrent à nous et, pour ma part, je crois fortement en l’écocircularité des voitures déjà en service.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous détailler les évolutions, au 1er janvier 2024, de la prime au retrofit électrique ? Envisage-t-on de rendre cette pratique éligible au bonus écologique ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Bourcier, je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, nous sommes face à un enjeu majeur : permettre les mobilités partout sur notre territoire. À ce titre, dès lors qu’il faut couvrir de longues distances ou desservir des territoires peu denses, la voiture est irremplaçable. J’ajoute que, dans certains secteurs, elle procure une liberté difficile à obtenir par d’autres moyens.

Notre dispositif d’aide se déploie à plusieurs niveaux.

Le leasing constitue la dernière nouveauté et nous aurons l’occasion d’y revenir. À cet égard, 25 000 véhicules seront proposés et, comme le prouvent les réservations, la demande est très supérieure à l’offre. Pourquoi se limiter à 25 000 ? Parce que – vous avez vous-même plaidé en ce sens – nous réservons le bonus aux véhicules fabriqués en France ou en Europe pour éviter que l’argent public n’aille financer des produits fabriqués en Chine, qui dégradent notre balance commerciale et ont un impact écologique.

Nous déployons deux dispositifs complémentaires : le bonus et la prime à la conversion, éligibles pour les cinq premiers déciles et pour les gros rouleurs. Le bonus peut aller jusqu’à 7 000 euros, la prime à la conversion jusqu’à 6 000 euros. Si vous vivez dans une ZFE, vous pouvez obtenir un complément et recevoir, dès lors, jusqu’à 14 000 euros de soutien.

Enfin, je tiens à m’arrêter un instant sur le retrofit.

La fabrication concentre 80 % de l’empreinte environnementale d’un véhicule. Prolonger un véhicule en changeant son moteur, c’est donc faire de grandes économies de matériaux et d’énergie. C’est un moyen de réduire rapidement les émissions.

En la matière, nous sommes face à une difficulté. Certains constructeurs objectent que les crash tests ont été effectués sur des véhicules thermiques. Ils rechignent à donner les garanties permettant de conduire à leur terme une partie de ces évolutions, le développement de la filière s’en trouvant parfois compliqué.

Cela étant, les choses bougent, notamment sous l’impulsion des consommateurs, et nous allons vers la démocratisation de ce dispositif. Non seulement des aides sont possibles, mais les prix baissent à mesure que les offres d’occasion se multiplient.

Jusqu’à présent, peu de Français achètent des voitures électriques neuves ; à terme, le marché de l’occasion a vocation à prendre toute sa place pour accélérer cette transition.

M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé.

Mme Denise Saint-Pé. Monsieur le ministre, la transition écologique implique nécessairement de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, ce qui requiert des investissements considérables : il s’agit par exemple de construire des centrales nucléaires, des parcs éoliens et photovoltaïques.

Le corollaire de ces investissements, c’est l’augmentation significative et durable de nos factures d’énergie, ressentie plus durement encore par nos concitoyens en situation de précarité.

Le chèque énergie constitue, à cet égard, un début de réponse, mais ce dispositif pourrait être grandement amélioré.

Tout d’abord, il faudrait faire en sorte qu’il suive l’évolution des factures d’énergie de nos ménages.

Ainsi, leur renchérissement appelle un rehaussement du chèque énergie, dont le montant ne représente en moyenne, selon la Fondation Abbé-Pierre, que 9 % de la facture énergétique annuelle des Français en 2022. À l’occasion de la journée contre la précarité énergétique, nombre d’associations l’ont d’ailleurs signalé : le seuil pour bénéficier du chèque énergie est désormais inférieur au seuil de pauvreté, ce qui justifie son relèvement.

En outre, près d’un ménage sur cinq n’utilise pas le chèque énergie qu’il reçoit et le taux de non-recours semble stagner. Il faut simplifier ce dispositif pour massifier son utilisation.

Enfin, il faut aujourd’hui occuper un logement imposable à la taxe d’habitation pour bénéficier du chèque énergie. La taxe d’habitation sur les résidences principales ayant totalement disparu en 2023, il paraît essentiel d’adapter le dispositif en y associant les parties prenantes.

Monsieur le ministre, quelles évolutions le Gouvernement entend-il apporter à ce dispositif utile, mais perfectible ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Saint-Pé, je vous remercie de votre question.

L’évolution de notre mix énergétique est évidemment souhaitable pour des raisons climatiques – sortir des énergies fossiles, c’est bon pour la planète –, mais elle aura aussi un impact sur le pouvoir d’achat, et ce pour une raison simple : nous n’avons pas la maîtrise d’énergies que nous ne produisons pas.

Qu’il s’agisse du gaz naturel ou du pétrole, nous dépendons de pays tiers, qui, de surcroît, ne sont pas des démocraties ; nous leur achetons leurs productions à des prix élevés, dépendant fortement d’un contexte géopolitique, qui – cela ne vous a pas échappé – devient de plus en plus inquiétant. D’ailleurs, c’est moins la transition écologique que la guerre en Ukraine qui a fait exploser une partie des prix, même si, dans un monde où nous sommes de plus en plus nombreux et où les sources d’énergies fossiles se contractent, la tendance est par nature inflationniste.

Décarboner, que ce soit pour aller vers l’énergie nucléaire, que nous produisons nous-mêmes et qui a l’avantage d’être pilotable, ou vers les énergies renouvelables, dont je souligne toute l’importance, c’est aussi aller dans le sens d’une politique plus sociale.

Au sujet du chèque énergie, les décrets d’attribution du nouveau gouvernement seront pris dans quelques jours. Ils assureront notamment la répartition entre l’énergie et le climat, entre ce qui relève de la production, avec, potentiellement, des mesures de soutien octroyées par Bercy, et ce qui relève de l’efficacité et de la sobriété énergétiques, c’est-à-dire du ministère de l’écologie ; aussi, je ne serai peut-être pas votre interlocuteur durable sur ce dossier.

En 2023, le taux d’usage du chèque énergie s’élève à 78,5 %, ce qui signifie qu’un peu plus de 20 % des bénéficiaires potentiels n’y ont pas recours. Nous devons donc mener un premier effort au titre de l’information. Il nous faut travailler sur les circuits de l’information, sur la manière d’accorder ces aides et d’accompagner leurs bénéficiaires.

Au-delà, vous m’interrogez sur le montant de ce chèque. L’enjeu, pour nous, est non pas d’accompagner des factures qui augmentent, mais bel et bien de les réduire, ce qui suppose de diversifier nos sources de production d’énergie.

Il me serait difficile d’être beaucoup plus précis ce soir.

M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl.

Mme Antoinette Guhl. Monsieur le ministre, tout d’abord, je tiens à remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de poser le débat en ces termes.

Les écologistes le savent bien, la transition écologique ne peut se faire sans un pacte social à la fois solide et fort, car écologie et social sont les deux faces d’une même pièce : celle de la transition.

Pour réussir la transition écologique, nous devons donc répondre aux grands défis sociaux qui se présentent à nous : la mutation du travail et la transformation de l’économie, l’accès à une alimentation saine et le renforcement de nos services publics de santé, d’éducation et de logement, car les services publics sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Nous devons aussi assumer notre devoir de solidarité intergénérationnelle.

Notre génération a une responsabilité, non seulement envers les générations futures, mais aussi et surtout envers notre jeunesse, une jeunesse précarisée et vulnérable, ici et aujourd’hui.

Nous ne pouvons pas exclure les plus jeunes d’un développement sain et pérenne.

Les chiffres sont sans appel : les moins de 30 ans subissent le taux de pauvreté le plus élevé, loin devant les autres groupes d’âge.

Notre jeunesse fait face à deux crises : la crise climatique et la crise économique.

Dans une étude publiée en juin 2023, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) révèle que les jeunes âgés de 15 ans à 25 ans sont très pessimistes face à la crise environnementale et même, bien souvent, fatalistes. À ce titre, l’urgence n’est vraiment pas à l’uniforme à l’école…

Pour concilier le bien-être de la jeunesse et la lutte écologique, nous aurons besoin de moyens.

Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à subordonner les aides publiques aux entreprises à leur impact écologique, afin de dégager des moyens pour les politiques sociales de la transition ?

M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.

Mme Antoinette Guhl. En outre, quelles politiques sociales et environnementales entendez-vous mettre en œuvre pour la jeunesse ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Guhl, vous me posez vous aussi des questions extrêmement larges, auxquelles je vais m’efforcer de répondre de la manière la plus concise possible.

Accompagner notre jeunesse, c’est la former aux questions et aux enjeux que vous évoquez. Si l’on veut lutter contre l’écoanxiété, il faut bien sûr agir, mais il faut aussi éviter d’entretenir une forme d’écolo-défaitisme, laissant à penser, par exemple, que l’on ne fait rien ou que l’on n’obtient pas de résultat.

Bien sûr, je ne prétends pas que le Gouvernement fait tout bien. Mais si l’on ne braque jamais les projecteurs sur les actions mises en œuvre, sur les émissions que nous baissons ou sur les succès que nous avons obtenus ; si on laisse croire que les politiques conduites et les efforts engagés ne valent rien, on dissuade les gens d’agir. On alimente ainsi l’écoanxiété tout en prétendant la combattre.

Voilà pourquoi il faut insister sur les 4,6 % de baisses d’émissions obtenus au titre de l’année écoulée. Il faut rappeler que la France est le premier pays au monde à avoir interdit la vaisselle jetable dans la restauration rapide, que notre jeunesse fréquente tout particulièrement. Il faut valoriser les décisions que nous avons prises, y compris au sujet de la voiture thermique. C’est un moyen concret de lutter contre l’écoanxiété.

De même, nous devons réviser une partie des programmes scolaires et créer des modules à l’université, sur la base du rapport Jouzel, pour donner un certain nombre d’éléments à nos élèves et à nos étudiants.

De plus, nous devons proposer des leviers pour agir, par exemple à travers le service national universel (SNU) ou le service civique. Il faut encourager les engagements en direction de la nature, répondant aux préoccupations des jeunes et permettant à ces derniers d’agir concrètement, l’action étant un moyen de lutter contre la désespérance.

En parallèle, il y a les politiques sociales, qui, comme vous le suggérez, ne sont que le recto ou le verso de la page où se trouve inscrite la transition écologique.

En permettant d’offrir un avenir économique et des perspectives à nombre de nos jeunes, la lutte pour le plein emploi et la réindustrialisation de notre pays est un moyen de rompre avec le défaitisme. La transition écologique est pleine de potentialités économiques : elle permet de relocaliser des activités et d’en créer d’autres. Elle est gage d’une amélioration de la qualité de vie dans son ensemble, qu’il s’agisse de changer de rythme, de renouer avec une forme de simplicité ou de retrouver des espaces de compétitivité que nous avons perdus au fil des délocalisations à l’autre bout du monde.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, les phénomènes météorologiques extrêmes se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée dans l’histoire ; à l’évidence, une véritable bifurcation écologique s’impose à nous.

Nous devons réduire immédiatement nos émissions de gaz à effet de serre, faute de quoi nos perspectives de réchauffement bondiraient de 1,5 à 4 degrés, ce qui nous ferait plonger dans l’inconnu.

Ce grand défi qu’est la lutte contre le changement climatique ne pourra être relevé que par la coopération internationale et dans la justice sociale. Voilà pourquoi il faut accompagner nos concitoyens les plus modestes.

Une transition juste implique de demander davantage d’efforts à ceux qui le peuvent ou qui polluent le plus. Elle doit donner, en même temps, les moyens à l’ensemble des Français de réduire leurs émissions tout en vivant mieux. Or, aujourd’hui, la montée des inégalités sociales place l’abondance pour quelques-uns devant le confort pour tous et devant, précisément, le pouvoir de vivre.

Au lieu des ZFE, nous proposons la gratuité des transports collectifs urbains ; l’investissement massif dans la rénovation thermique globale des logements, en accompagnant non seulement les propriétaires occupants les plus modestes, mais aussi les bailleurs sociaux ; le développement d’une alimentation plus saine, en soutenant l’agriculture durable et nos agriculteurs par l’intervention publique sur les prix.

Monsieur le ministre, l’urgence est là. En cette seconde partie du quinquennat, comptez-vous relever ce défi historique par une plus juste répartition de la valeur, quand on sait que les entreprises du CAC 40 ont battu l’année dernière le record des dividendes distribués, à hauteur – excusez du peu ! – de 97 milliards d’euros ? (Mme Cécile Cukierman et M. Franck Montaugé applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, je vous remercie de m’avoir posé cette question et d’avoir su ménager la surprise jusqu’au bout ! (Sourires.)

Oui, nous devons massifier nos efforts : c’est très exactement le sens du rapport que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont remis au Gouvernement. C’est le sens des 10 milliards d’euros de crédits supplémentaires accordés à la transition écologique pour l’année 2024, effort tout bonnement historique ; c’est le sens du fonds vert et des 2,5 milliards d’euros mis à disposition des collectivités territoriales. Il faut s’en féliciter, même si, dans bien des cas, nous ne faisons que gravir de premières marches.

Vous souhaitez demander plus à ceux qui peuvent faire plus : ce n’est absolument pas quelque chose qui me choque. De manière générale, plus on a de pouvoir ou de responsabilités, plus on doit être capable d’agir. Cela étant, il faut intervenir de manière intelligente.

Ce matin, aux côtés d’Action Logement, j’ai salué la nouvelle convention quinquennale de 14,4 milliards d’euros, qui va permettre à cet opérateur de décarboner 55 % de son parc. Nous parlons bien là d’un parc social.

En outre, une enveloppe de 1,2 milliard d’euros a été négociée par Patrice Vergriete avec l’Union sociale pour l’habitat (USH) afin d’accélérer les travaux de rénovation à l’échelle des copropriétés sociales.

Quant au projet de loi relatif aux copropriétés dégradées, qui arrivera lundi prochain en discussion, il permettra aux maires de disposer de leviers au sein des copropriétés dont les difficultés sont connues. Grâce à ce texte, on pourra également se dispenser d’obtenir l’unanimité pour faire des travaux de rénovation énergétique répondant à de véritables besoins et permettant de soulager les factures.

Vous citez, entre autres chantiers, la gratuité pour tous des transports publics urbains : c’est un sujet beaucoup moins consensuel que ceux que je viens d’évoquer. Plusieurs grandes villes, y compris de gauche, considèrent que ce n’est ni une politique sociale ni une urgence.

La véritable urgence, c’est l’investissement dans l’offre et dans la fréquence. Il est très rare que l’on renonce aux transports en commun du fait de leur prix : il y a partout des politiques sociales. En revanche, certaines personnes ne peuvent les prendre, car l’offre est insuffisante : il n’y a pas assez de bus ou de trams, ou alors ils ne circulent pas aux bons horaires. J’ajoute que certains usagers ne s’y sentent pas en sécurité.

À mon sens, mieux vaut investir dans le service que de baisser les prix, sur les modèles lyonnais, strasbourgeois ou angevin : la transition écologique progressera davantage. Il s’agit précisément de mener une politique sociale sur les prix tout en augmentant l’offre disponible.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Varaillas, pour la réplique.

Mme Marie-Claude Varaillas. Monsieur le ministre, l’empreinte carbone des 10 % les plus riches de notre pays est au moins sept fois supérieure à celle des 10 % les plus pauvres.

Je vous renvoie aux constats dressés par l’organisation non gouvernementale (ONG) Oxfam : dans un tel contexte, des réformes fiscales justes pourraient permettre de dégager 88 milliards d’euros par an tout en préservant le pouvoir d’achat de 70 % des Français les plus modestes.

À l’heure où les banques continuent à financer les énergies fossiles, nous ne pourrons répondre à l’urgence climatique sans le courage de sortir de ce capitalisme financier, qui concentre les richesses et nuit à notre souveraineté économique comme au climat. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE-K et SER.)

M. le président. La parole est à M. Éric Gold.

M. Éric Gold. L’État vient de lancer une offre de location longue durée de véhicule électrique à bas prix. Ce leasing social connaît un franc succès, 80 000 dossiers ayant déjà été déposés.

Au-delà de son caractère attractif, l’offre suscite un engouement, qui s’explique notamment par les immenses besoins de mobilité solidaire et écologique dans les zones rurales.

Dans ces territoires, où le revenu par habitant est moins élevé qu’ailleurs, et où la voiture reste indispensable, des innovations se mettent en place. Dans le bassin de Riom – le maire de cette ville est en tribune ce soir –, situé dans mon département, la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans a ainsi lancé un réseau solidaire de mobilité. Celui-ci permet de mettre en relation des bénéficiaires et des bénévoles propriétaires d’une voiture – des retraités disponibles ou des actifs –, qui effectuent le même trajet tous les jours et qui se proposent de covoiturer.

Ils sont actuellement vingt-neuf à transporter soixante-cinq bénéficiaires. En général, ces derniers sont plutôt âgés, non titulaires du permis de conduire ou désormais incapables de conduire. Souvent, ils souhaitent se rendre à des rendez-vous médicaux.

Dans ce territoire, composé de trente-six villages de faible densité, la mise en place de lignes de transport en commun régulières est inenvisageable.

Plus souple et plus agile, cette plateforme a été décidée à la suite de la prise de compétence mobilité par les petites intercommunalités permise par la loi d’orientation des mobilités, et financée dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté.

D’autres initiatives ont été mises en place, mais la multiplication de telles innovations nécessite d’instaurer un portail unique national recensant les offres de mobilité solidaire et partagée.

Monsieur le ministre, vous le savez, la réduction de la place de la voiture individuelle est un enjeu écologique et de santé majeur.

Or le leasing électrique proposé par le Gouvernement ne permettra pas de répondre à tous les besoins, notamment à ceux des classes moyennes, qui souffrent aussi de l’inflation.

J’aimerais donc savoir si d’autres projets sont envisagés par le Gouvernement pour faire face à l’enjeu de la mobilité en zone rurale.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Gold, j’ai plusieurs éléments de réponse à vous apporter.

Tout d’abord, vous prenez l’exemple de villages où il n’y a manifestement pas de solutions de substitution. À cela, je réponds que la réouverture de petites lignes ferroviaires peut être une solution dans certains territoires, à condition de faire des travaux de régénération des voies.

Les budgets en la matière n’ont cessé de diminuer depuis le milieu des années 1980 ; ils n’ont augmenté de nouveau qu’à partir de 2017 ! Encadré par le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) et financé par le plan ferroviaire à 100 milliards d’euros, cet effort apportera des réponses.

Ensuite, je peux citer le plan France Ruralités, qui prévoit notamment la création d’un fonds de 90 millions d’euros pour soutenir les autorités organisatrices de mobilité en milieu rural. Présenté par la Première ministre voilà quelques mois, il sera déployé au cours de cette année.

Il y a également le fonds vert et le plan national covoiturage qui ont déjà permis d’accompagner concrètement presque une centaine de territoires en 2023, année de leur mise en œuvre.

Enfin, j’irai plus loin : le secteur des transports représente 30 % des émissions de CO2 de notre pays. On voit bien l’intérêt de massifier le transfert des voitures thermiques vers l’électrique, ce qui prend du temps.

On voit surtout l’intérêt d’investir dans la décarbonation en tenant compte de la réalité vécue dans nos territoires. La planification écologique est justement entrée dans une phase où les territoires eux-mêmes – et non Paris ! – évaluent leurs besoins pour baisser leurs émissions.

J’ai eu l’occasion de me rendre en Auvergne-Rhône-Alpes ; il me reste trois ou quatre COP territoriales à installer pour que, partout en France, chaque bassin de vie fasse remonter, d’ici à juillet prochain, leurs besoins pour accélérer leur décarbonation.

L’objectif est de disposer de ces éléments d’ici le milieu de l’année 2024, au moment où l’on bâtira le projet du budget de l’année 2025. Il s’agit de poursuivre la trajectoire de soutien à la transition écologique, en fonction non pas de ce qui semble juste depuis Paris, mais de la réalité des besoins, évaluée à l’échelle des territoires. (M. Loïc Hervé se montre dubitatif.)

Dans certains endroits se posera peut-être la question des friches, dans d’autres celle de la mobilité, dans d’autres encore celle de la relocalisation.

L’enjeu, c’est d’écouter les territoires. Vous nous y encouragez en vous faisant le porte-parole ce soir du bassin de Riom, monsieur le sénateur.

M. le président. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Je veux tout d’abord remercier nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.

L’acceptabilité et la faisabilité sociales de la transition écologique sont des sujets fondamentaux.

À ce propos, je citerai en préambule un extrait d’un article paru en 2021, intitulé « Les classes populaires et l’enjeu écologique » : « Paradoxalement, les classes populaires glanent moins de profits symboliques de la valorisation publique de l’enjeu environnemental que les catégories sociales privilégiées, alors même qu’elles contribuent moins aux pollutions et en souffrent plus. »

Il est important, je crois, de rappeler ce point à ceux qui tiennent des discours reçus par beaucoup comme moralisateurs, alors qu’ils connaissent des niveaux de vie difficilement compatibles avec des prises de parole culpabilisantes.

Monsieur le ministre, faisant suite à une étude de l’Institut de l’économie pour le climat, le journal Les Échos a dressé le constat suivant en octobre dernier : « Les aides publiques à la rénovation thermique des logements et à l’acquisition d’une voiture électrique deviennent enfin compatibles avec le portefeuille des Français. »

L’évolution prévue de MaPrimeRénov’ fait reculer le reste à charge pour la rénovation d’un logement. Le leasing social envisagé pour l’achat d’une voiture électrique représente également une avancée considérable : afin d’atteindre l’objectif d’une « écologie accessible et juste », fixé par le Président de la République, le Gouvernement a proposé la solution du leasing d’une voiture électrique à 100 euros par mois.

Monsieur le ministre, pourriez-vous revenir en détail sur cette proposition, son périmètre et sa montée en puissance envisagée ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, j’aurais presque envie non pas de répondre à votre question, mais d’acquiescer, en vous invitant à utiliser les deux minutes de mon temps de parole pour que vous développiez votre propos ! (Sourires.)

Plus sérieusement, au moment où je vous parle, certaines innovations prometteuses se sont concrétisées à un niveau de prix permettant de faciliter leur généralisation.

Sans faire de long discours, je dirai simplement que la planification écologique à la française ne repose pas sur des innovations qui n’existent pas – ce n’est pas du technosolutionnisme, l’exemple de la voiture électrique le prouve.

Nous considérons en effet que l’effort pour diminuer nos émissions doit résulter à 20 % de changements de comportement individuel, à 60 % du développement de solutions déjà existantes, comme le recours à la voiture électrique, et à 20 %, enfin, d’espérances ou d’innovations, notamment en matière de transport, à l’instar des possibilités offertes par l’hydrogène pour des véhicules lourds ou par les autoroutes électriques.

Le leasing répond à deux ambitions. Premièrement, il s’agit de soutenir la transformation de notre industrie automobile. Si nous n’avions rien fait, nous aurions pris le risque d’être submergés par des produits venus du bout du monde, en particulier de Chine.

Nos concitoyens prennent aujourd’hui le virage de l’électrique, et ce malgré certains discours : chaque mois, le taux d’immatriculation de voitures électriques ou hybrides augmente. Ainsi, le taux de 20 % a été franchi au cours du mois dernier ; les taux atteints en 2023 sont des points hauts historiques.

On le sait, en raison du reste à charge, certaines personnes ne peuvent pas financer ces voitures, et ce malgré les aides de 14 000 euros que j’ai évoquées précédemment.

Deuxièmement, il s’agit de répondre à la promesse du candidat Emmanuel Macron à sa réélection. Le leasing à 100 euros est donc un engagement qui se concrétise, un garde-fou ayant toutefois été mis en place : l’empreinte carbone des véhicules doit les rendre éligibles à ce dispositif. Ils doivent donc être fabriqués en Europe.

De plus, il s’agit d’un contrat de location d’une durée de trois ans, lequel ne prend pas en compte le coût de l’assurance. Le dispositif s’appuie évidemment sur les revenus des personnes, car il relève bien d’une politique sociale.

Plus on avancera dans le temps, plus l’offre disponible sera importante, aussi bien en nombre qu’en modèles. Du reste, les véhicules d’occasion vont arriver, ce qui permettra une démocratisation de l’électrique, dans le sillage de cette mesure emblématique. (Mme Cécile Cukierman se montre dubitative.)