M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix la proposition de résolution.

(La proposition de résolution est adoptée.)

M. le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative aux négociations en cours en vue d'un accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
 

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Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ?

Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur le thème : « Face à la prédation du loup, comment assurer l’avenir du pastoralisme ? »

Dans le débat, la parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec une particulière gravité que j’ouvre ce débat sur l’avenir du pastoralisme face à la prédation du loup.

Si certains n’en avaient pas encore conscience, je peux certifier que, sur le terrain, la situation est particulièrement dramatique.

Je vous le dis en tant qu’élue du département des Alpes-Maritimes, où, au cours des neuf premiers mois de l’année 2023, près de 600 constats d’attaques indemnisables ou en cours d’instruction ont été dénombrés, pour plus de 1 500 bêtes victimes de la prédation. Je vous le dis en tant qu’élue d’un département champion de France en la matière, un titre dont il se passerait bien.

D’année en année, la prédation du loup prend de l’ampleur géographiquement et numériquement, si bien qu’il n’existe plus véritablement ni territoires en première ligne ni territoires préservés.

Plus de cinquante départements sont aujourd’hui concernés. Or, dans nombre d’entre eux, les mesures de protection ont disparu des habitudes.

C’est en particulier le cas dans les plaines, où le loup évolue non pas nécessairement en meute, mais de façon isolée, sans pour autant causer moins de dégâts.

Autant dire que la question agite fortement et légitimement la ruralité dans son ensemble. Mes chers collègues, en tant que sénateurs, vous connaissez mieux que quiconque la détresse et l’inquiétude que provoque le retour du loup à une telle échelle.

Bien sûr, le sujet est difficile, car plusieurs logiques s’affrontent : d’une part, la survie d’une espèce sauvage protégée, d’autre part, la viabilité du pastoralisme dans certaines régions, voire tout bonnement – j’ose le dire – celle de l’élevage. Ce dernier est en effet déjà confronté à une crise polyfactorielle, la décapitalisation n’ayant pas attendu le loup pour se manifester.

Les dynamiques sont ainsi faites qu’elles évoluent vite et les discours que l’on entend, de-ci, de-là, sur la gestion du loup ne me semblent plus adaptés aux observations de terrain.

Or, en tant que responsable politique, j’affirme comme Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Nous devons cette honnêteté à nos concitoyens, par-delà les idéologies ou les a priori.

Or que voit-on ? Alors que le seuil de préservation de l’espèce lupine était fixé à 500 individus, 1 104 individus ont été officiellement – j’insiste sur ce terme – recensés depuis le mois de septembre 2023.

Sans remettre en question les comptages officiels, dont les résultats sont toujours sous-estimés, force est de constater que la population de loups a subitement augmenté de 198 unités entre les mois de juillet et de septembre 2023. L’objectif est donc plus que doublement atteint.

Quand une politique de préservation des espèces porte ainsi ses fruits – c’est malheureusement suffisamment rare pour être souligné –, il faut aussi savoir l’acter.

Signe des temps, la Commission européenne elle-même, elle que l’on peut difficilement soupçonner d’être une ennemie de la nature depuis l’adoption du Pacte vert pour l’Europe, a proposé, au mois de décembre dernier, de sortir le loup de l’annexe II de la Convention du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, dite convention de Berne.

Le plan national d’actions (PNA) 2024-2029 sur le loup et les activités d’élevage, ou plan Loup, présenté par le Gouvernement au mois de septembre dernier, s’en tenait, quant à lui, au lancement d’une réflexion sur l’opportunité de cette évolution.

Mes travaux au sein du groupe de travail sur le loup lancé par mon groupe politique m’en ont convaincue : il faut enfin sortir des ambiguïtés et emprunter clairement cette voie.

Faiblir sur le loup, c’est ouvrir la voie pour l’ours – nos collègues des Pyrénées ne le savent que trop bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Ayons néanmoins conscience que cette démarche prendra nécessairement plusieurs mois : elle devra aller de concert avec une révision, à l’unanimité des États membres, de la directive européenne du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite Habitats-faune-flore. Elle nécessitera, par ailleurs, des adaptations réglementaires en droit interne.

Dans l’attente de cette évolution, il nous faut exploiter toutes les possibilités offertes par le droit international et par le droit européen.

En la matière, force est de reconnaître qu’il ne s’est pas rien passé en 2023 : d’une part, une seconde brigade « grands prédateurs terrestres » de l’Office français de la biodiversité (OFB) a été installée à Rodez, en complément de celle de Gap, d’autre part, la nouvelle version du plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage contient quelques avancées, notamment pour ce qui concerne les protocoles de tir et les procédures simplifiées.

Ainsi, pour protéger les bovins dans les territoires les plus touchés, des tirs dérogatoires sans attaque préalable ni mise en œuvre des moyens de protection ont été autorisés.

Par ailleurs, deux, voire trois tireurs peuvent désormais procéder aux tirs de défense simples, contre un seul auparavant.

Enfin – c’est un élément important –, les louvetiers pourront tirer sans éclairer la cible au préalable.

Nous ne pouvons que regretter que ces mesures n’aient pas reçu l’onction des associations de protection de la nature. Elles s’inscrivent pourtant dans la continuité de notre histoire républicaine.

M. Max Brisson. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. En effet, créées sous la Révolution française, les primes de destruction du loup ont été multipliées, sous la Troisième République naissante, par six à huit, pour atteindre l’équivalent de soixante journées de travail. La loi du 3 août 1882 imposait également leur versement sous quinze jours.

En comparaison, le soutien public actuel aux lieutenants de louveterie, entièrement bénévoles, paraît bien maigre.

Je forme le vœu que les conclusions de la mission d’inspection en cours sur les louvetiers permettent enfin une meilleure prise en charge de leurs frais.

Sans reproduire les erreurs du siècle passé – elles ont conduit à fixer pour objectif l’éradication du loup –, ne pourrait-on pas, enfin, chercher un meilleur équilibre ?

M. Michel Savin. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Pourquoi ne pas reconnaître qu’entre le loup et la brebis le loup est l’agresseur, et la brebis, la victime ?

Pourquoi ne pas reconnaître la violence que représente la prédation pour des éleveurs amoureux de leur métier, que tous les chèques d’indemnisation du monde ne suffiront jamais à apaiser ?

Ne pourrait-on pas admettre que nos éleveurs et nos bergers subissent une forme de harcèlement, les astreignant à une veille constante et les soumettant à l’angoisse perpétuelle du lendemain matin ?

L’amélioration de leurs conditions de travail ne devrait-elle pas constituer le premier des leviers pour l’attractivité des métiers du vivant, à l’aube d’une loi sur le renouvellement des générations, devenu le défi majeur de notre agriculture ?

Nos éleveurs ont le droit à la tranquillité et à la sécurité !

Pour conclure, je dois vous avouer ce qui m’attriste le plus dans la situation actuelle : que le pastoralisme soit toujours plus réduit à son face-à-face avec le loup, à l’heure où la transhumance a été reconnue au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Frédérique Espagnac, ainsi que MM. Olivier Bitz et Vincent Louault applaudissent également.)

MM. Jean-Michel Arnaud et Max Brisson. Bravo !

Mme Dominique Estrosi Sassone. Trop souvent, la question de la prédation emporte tout cela, laissant accroire qu’il existe un débat pour ou contre le loup ou l’ours, alors que, je le répète, celui-ci n’a pas lieu d’être.

Je forme donc le vœu d’une baisse de pression et d’une véritable régulation de la prédation. C’est à cette seule condition que la cohabitation sera vivable entre la faune sauvage et le pastoralisme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et SER. – MM. Olivier Bitz et Vincent Louault applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Jean-Michel Arnaud applaudit également.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis vraiment très heureux – ce n’est pas une formule de style – que le groupe Les Républicains ait souhaité l’organisation au Sénat d’un débat sur l’élevage, en particulier sur le pastoralisme.

Madame Estrosi Sassone, dans votre conclusion, vous avez mentionné le signal favorable que constituait l’inscription de la transhumance au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, le 6 décembre dernier. Cette décision est le résultat d’un travail collectif de longue haleine commencé en 2019 par les acteurs du pastoralisme et de l’élevage.

Cette inscription, que je tiens à saluer, permettra de reconnaître le rôle social, économique, culturel et touristique de la transhumance et du pastoralisme. Elle viendra par ailleurs conforter les politiques publiques que nous essayons de développer au travers du nouveau plan national d’actions sur le loup et les activités d’élevage.

Après avoir été présenté au groupe national Loup au mois de septembre dernier, puis avoir fait l’objet d’une consultation publique, ce plan doit être publié dans les prochains jours.

Comme vous le savez, et même si le sujet du loup ne relève pas entièrement du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire,…

M. Marc Fesneau, ministre. … j’ai souhaité le prendre à bras-le-corps dès ma prise de fonction. Ce faisant, compte tenu du caractère épineux du sujet depuis une décennie, j’ai, en quelque sorte, pris des risques.

La prédation occasionne en effet une grande détresse chez les éleveurs, qui se sentent souvent incompris. Beaucoup d’entre eux ont le sentiment qu’aux yeux des pouvoirs publics l’indemnisation vaudrait quitus.

Par ailleurs, ce sujet alimente le sentiment d’abandon qu’éprouvent nos agriculteurs et éleveurs, singulièrement dans les zones difficiles concernées par la prédation.

L’enjeu est donc majeur : il dépasse de très loin la seule question de l’indemnisation. Au fond, il s’agit avant tout de la désespérance de ces hommes et de ces femmes auprès desquels je me suis rendu à plusieurs reprises.

Il faut mesurer – vous la connaissez bien, madame la sénatrice – la détresse d’un éleveur dans les instants qui suivent la prédation.

M. Michel Savin. Bien sûr !

M. Marc Fesneau, ministre. Saluons, à cet égard, l’accompagnement que proposent les organisations professionnelles et les services de l’État, y compris l’OFB d’ailleurs, aux éleveurs dans ces moments très difficiles.

Il faut mesurer la désespérance de ces hommes et de ces femmes qui ont investi dans du matériel de prévention, se sont dotés de chiens de protection, ont respecté les règles relatives aux tirs de défense et qui ne voient pas venir pour autant la fin de leurs difficultés. Ils ont le sentiment que ces efforts et ces règles ne suffisent plus à protéger leurs animaux et que les outils dont ils disposent ne sont plus adaptés à la situation.

Plus encore, vous le constatez dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs : le loup est devenu un sujet de tension territoriale, parfois symptomatique de l’incompréhension entre le monde urbain et le monde rural. Il s’agit là d’un défi redoutable.

Revenons au point de départ. Après quatre plans Loup qui ont eu pour objet de protéger strictement une espèce disparue de notre territoire voilà cent ans environ avant d’y revenir naturellement, ce cinquième plan Loup ne pouvait pas en être un simple prolongement.

Le loup est réapparu en 1992. Trente ans plus tard, il n’était pas possible de continuer comme avant, compte tenu des évaluations de la population réalisées notamment par les services de l’OFB.

C’est un fait avéré : la conservation de l’espèce est aujourd’hui assurée. Pour le dire clairement, ce sont non plus les loups qui sont menacés de disparition, mais les activités d’élevage.

Ces cinq dernières années, la population de loups a doublé, passant de 510 à 1 104, tandis que 55 départements sont aujourd’hui concernés par la prédation, contre 31 autrefois.

Chaque année, 12 000 à 14 000 animaux sont tués. Après les ovins puis les caprins, les bovins, les asins et les équins sont à leur tour victimes des attaques du prédateur. En un mot, la progression géographique du loup s’accompagne d’une progression des dégâts.

Le nouveau plan affiche donc une ambition d’équilibre et se fonde sur un nouveau paradigme : il s’agit non plus seulement de conserver l’espèce, mais également de sauver l’élevage, en particulier le pastoralisme.

Pour tenir cet équilibre, les acteurs du débat public doivent prendre conscience des réalités vécues au quotidien par nos éleveurs. Nul doute que vous y contribuerez au travers de ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes en première ligne face aux difficultés que soulève l’expansion du loup.

Vous savez ce qu’elle induit comme usure, traumatisme, désespérance et crispations dans les territoires.

À un tel degré, la coexistence avec le loup n’est parfois plus compatible avec le maintien d’une activité d’élevage.

En toile de fond, les éleveurs, mais aussi le monde rural en général, ont parfois le sentiment que les réalités vécues sur le terrain sont niées. Nous devons y être attentifs.

C’est la raison pour laquelle nous avons travaillé, avec le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, sur les priorités suivantes, désormais inscrites dans le plan national d’actions 2024-2029.

Premièrement, il s’agit de mettre l’élevage et le pastoralisme au cœur de ce plan d’actions : nous avons besoin non pas seulement d’un nouveau « plan Loup », mais d’un « plan national d’actions pour le pastoralisme et la prédation du loup ».

Deuxièmement, nous voulons interroger, puis réviser le statut de l’espèce. Madame la sénatrice, vous avez indiqué que cet objectif était absent du plan Loup. Permettez-moi de vous en lire un passage : « Suite aux annonces le 4 septembre 2023 de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, la France se mobilisera et sera force de proposition de manière à adapter le statut de l’espèce à son état de conservation sur la base des données scientifiques disponibles. »

Je vous informe d’ailleurs – nous venons de l’apprendre – que la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen se saisira de cette question à la fin du mois de janvier prochain.

S’ouvrira alors un processus qui débouchera sur une position européenne, laquelle permettra d’étudier la question dans le cadre de la convention de Berne et ensuite de revenir sur la directive Habitats-faune-flore.

Je vous le concède, cela peut paraître long.

M. Marc Fesneau, ministre. Disons-le : l’attente aura duré trente ans. Jusqu’à présent, aucun plan Loup n’avait interrogé le statut de l’espèce.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Oui !

M. Marc Fesneau, ministre. On peut trouver le temps long, toujours est-il que nous sommes à l’origine de cette démarche.

Puisqu’il s’agit désormais d’une question de mois, nous sommes, me semble-t-il, dans une phase d’accélération.

Chaque groupe politique doit désormais se saisir de la question du statut de l’espèce. Nous pourrions alors passer d’une logique de tirs de défense dérogatoires à une logique de prévention par tirs de gestion.

De ce sujet fondamental découlera notre politique en la matière. Si le statut du loup évolue à l’échelle européenne, nous pourrions réviser le PNA sans attendre 2029, selon des modalités assez simples qui sont déjà prévues dans ce plan. Nous pourrions alors instaurer des quotas de tirs, ce qui constituerait une grande nouveauté.

Seul le passage de l’espèce de « strictement protégée » à « protégée » permettra cette évolution, qui me paraît indispensable.

Troisièmement, il s’agit d’intégrer les enjeux liés à la présence du loup dans de nouveaux territoires, appelés les fronts de colonisation, qui concerne de nouveaux élevages. Il semble important de mieux prendre en compte certaines particularités territoriales – le bocage ou encore les petites parcelles – qui rendent difficile la protection dans le respect des contraintes imposées jusqu’à présent.

Quatrièmement, la direction des affaires juridiques de mon ministère travaille à l’adaptation du cadre législatif et réglementaire des chiens de protection. Les éleveurs ne doivent plus craindre d’être mis en cause pénalement pour le seul fait d’avoir acquis, comme cela leur a été demandé, des chiens de protection des troupeaux.

Cinquièmement enfin, il s’agit de simplifier les protocoles de tirs. L’arrêté prévoyant la fin de l’obligation d’éclairage préalable de l’animal et permettant le passage à deux ou trois tireurs contre un seul aujourd’hui, sera publié dans les prochains jours. Nous veillerons également à raccourcir les délais et les procédures.

Je l’ai dit cette année à plusieurs de mes interlocuteurs : cessons de déplorer en fin d’année de ne pas avoir procédé aux prélèvements prévus. Cessons de « cavaler », alors que la prédation s’est développée tout au long du printemps. Posons-nous la question d’agir en amont plutôt qu’en aval : un loup prélevé au mois de février, c’est un loup qui ne viendra pas faire de la prédation les mois suivants !

En 2023, le plafond de prélèvement a été fixé à 209 loups ; 207 ont été prélevés, en grande majorité dans votre département, madame Estrosi Sassone – je ne vous apprends rien.

Par ailleurs, une circulaire est en préparation pour améliorer les conditions de travail et la formation des louvetiers.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !

M. Marc Fesneau, ministre. Les louvetiers sont des auxiliaires précieux : nous devons penser leur statut, leur formation et leur développement.

En conclusion, je le répète, ce plan est un document d’orientation qui, pour employer un terme à la mode, change le paradigme. L’espèce doit être protégée,…

M. Michel Savin. Elle l’est !

M. Marc Fesneau, ministre. … mais, dès lors que l’état de conservation du loup est satisfaisant, nous n’avons plus besoin d’un statut de protection aussi renforcé.

En même temps, nous devons nous poser sérieusement la question du pastoralisme…

M. Michel Savin. Et celle du tourisme !

M. Marc Fesneau, ministre. … et de notre capacité à développer ou à maintenir l’élevage dans les zones concernées.

M. le président. Il faut vraiment conclure, monsieur le ministre ! Le temps imparti est largement dépassé.

M. Marc Fesneau, ministre. Voilà les enjeux : procédure de révision, simplification, non-protégeabilité.

Tels sont nos axes de travail. Je suis prêt à répondre à vos questions, mesdames, messieurs les sénateurs.

Débat interactif

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d’une durée équivalente. Il aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L’auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le ministre, vous avez pris conscience du problème. Nous en avons discuté ensemble : vous connaissez les contraintes et les difficultés propres au pastoralisme. Vous avez pu également mesurer la détresse des éleveurs qui sont confrontés aux prédations, qu’il s’agisse de celles du loup ou de l’ours.

Plusieurs mesures novatrices ont été proposées en vue de répondre à l’épineux dilemme entre la protection des espèces conformément à la convention de Berne et le maintien de l’activité agricole et pastorale.

Je rappelle, à mon tour, la mise en place de la brigade loup en Aveyron, le nouveau plan Loup et le travail sur le statut du chien de protection qui tarde à voir le jour.

En 2013, le Sénat a adopté une proposition de loi déposée au nom de mon groupe parlementaire, le RDSE, par le regretté Alain Bertrand, ancien sénateur de la Lozère. L’article unique de ce texte prévoyait la création de zones d’exclusion pour le loup, regroupant les communes dans lesquelles les activités pastorales sont gravement perturbées par les attaques.

Cette mesure permettrait de définir un plafond annuel spécifique d’abattement de loups, afin d’en réguler plus précisément et efficacement les populations présentes et agir plus rapidement.

Monsieur le ministre, ma question est double.

Pouvez-vous nous préciser davantage l’organisation de la réponse aux problèmes de prédation pour les élevages, notamment dans les territoires en phase de colonisation ?

La mise en place de zones d’exclusion indépendamment du prélèvement défini à l’échelon national telles qu’elles ont été prévues dans la proposition de loi sénatoriale de 2013 est-elle envisageable, voire envisagée ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu sur le déploiement et la philosophie du plan Loup, y compris dans les zones situées sur le front de colonisation.

Vous m’interrogez par ailleurs sur les zones d’exclusion. J’émets de sérieux doutes sur cette solution. En effet, celle-ci suppose de déterminer les zones concernées. Or les éleveurs qui seront situés en dehors de ces zones demanderont des explications. Comment voulez-vous, par ailleurs, éviter « l’effet débord » d’une zone à l’autre ?

Une autre stratégie pourrait être de limiter le front de colonisation. Il faudrait alors expliquer aux départements des Alpes-Maritimes, des Alpes-de-Haute-Provence et des Hautes-Alpes que les loups seront présents chez eux et pas chez les autres. (Mme Dominique Estrosi Sassone sexclame.)

M. Marc Fesneau, ministre. Je pressens que ces débats ne seront pas faciles… (Sourires.)

En revanche, si nous parvenons à modifier le statut de l’espèce, nous pourrons augmenter les prélèvements dans les zones où la prédation est la plus forte. Nous créerions alors non pas des zones d’exclusion, mais, à l’inverse, des zones de régulation.

Je le redis : je ne suis pas favorable à une logique d’exclusion. Nous aurions quelques difficultés à dessiner la carte et les éleveurs s’interrogeraient légitimement : ils ne comprendraient pas que, parce qu’ils ont été les premiers à subir la colonisation lupine, ils devraient être les seuls à accueillir ces populations.

Explorons de préférence la voie du changement de statut de l’espèce.

M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.

M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque les activités humaines rencontrent celles de la biodiversité, certaines cohabitations se révèlent moins évidentes que d’autres.

En témoigne l’exemple du pastoralisme et du loup, qui cristallise les tensions depuis des siècles. Disparu en France au cours du XXe siècle, le loup est aujourd’hui bel et bien revenu – ou a été réintroduit – dans nos territoires, plus seulement dans les zones avec relief, mais aussi en plaine.

Selon une estimation de l’Office français de la biodiversité, en 2023, 1 104 loups ont été recensés en France et 55 départements sont soumis au défi de la prédation lupine. Autant d’informations qui démontrent que le loup n’est plus une espèce en danger d’extinction dans notre pays.

Cette victoire a toutefois des conséquences sur le pastoralisme et sur nos éleveurs. S’il faut préserver l’espèce du loup comme toutes les autres, nous devons nous poser la question suivante : comment mieux organiser la coexistence du loup et du pastoralisme ?

Les chiens de protection des troupeaux ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans cette coexistence. Éduqués non pas pour l’attaque, mais pour la dissuasion, ces chiens aux aptitudes remarquables limitent considérablement le nombre d’attaques de loups, donc les pertes, mais ils ne peuvent pas être utilisés partout.

La question se pose ainsi du statut des chiens de protection des troupeaux. Le plan national d’actions entérine la création d’un statut de protection des chiens de protection des troupeaux au regard de la responsabilité civile et pénale des bergers.

Monsieur le ministre, pour que le pastoralisme de demain puisse être préservé, comment le statut juridique des chiens de protection des troupeaux doit-il évoluer ? Cette évolution interviendra-t-elle rapidement dans le cadre du plan Loup 2024-2029 ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Monsieur le sénateur Bernard Buis, vous êtes élu d’un département, la Drôme, qui est, lui aussi, fortement concerné par la question de la prédation du loup.

Le loup est, comme vous l’avez rappelé, le symbole d’une biodiversité retrouvée. Nous avons à cet égard plutôt réussi, car le loup qui était auparavant une espèce très menacée n’a plus ce statut. Il est d’ailleurs nécessaire d’engager une réflexion au niveau européen sur ce sujet, car il n’est pas normal qu’un seul pays héberge les populations de loups ; la charge doit être partagée entre tous les États.

La biodiversité ayant été rétablie, la question qui se pose désormais – vous avez raison, monsieur le sénateur – est celle de l’équilibre entre le loup et les élevages.

Nous travaillons à l’élaboration d’une disposition législative sur le statut des patous, même si je ne connais pas encore la forme qu’elle prendra – projet de loi ou proposition de loi. Ayant été ministre chargé des relations avec le Parlement, je suis tout à fait favorable à ce que le Parlement se saisisse directement de cette question : ce serait très bien ainsi ! (Mme Dominique Estrosi Sassone approuve.)

Il convient de ne plus appliquer aux patous les règles de la divagation, auxquelles sont soumis les autres chiens, puisque, comme vous le savez, chaque propriétaire est responsable de son chien.

Il faut éviter aussi que les propriétaires ne fassent l’objet de poursuites pénales, alors que les territoires sujets à la prédation lupine nécessitent une présence importante de patous. Le statut de chien de protection des troupeaux n’exonérerait pas le propriétaire de sa responsabilité en cas de faute, mais celui-ci serait couvert lorsque le patou a, face à un randonneur, l’attitude normale d’un chien qui protège son troupeau – dans ce cas, on ne peut lui en faire le grief. Le comportement de la victime permettrait donc d’éviter les poursuites pénales.

Il faudra également faire évoluer le statut des patous au regard des règles relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), qui constituent un élément de complexité pour les éleveurs.

Il convient d’avancer sur ces sujets. Il n’est pas nécessaire, à mon sens, de recourir à un véhicule législatif démesuré, mais l’adoption de telles mesures permettrait de rassurer.

Récemment encore, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, un éleveur a été renvoyé devant un tribunal pour des faits de ce type…