M. Sébastien Lecornu, ministre. Mais ce n’est pas vrai !

M. Hugues Saury, en remplacement de Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. On peut dresser le même constat pour le soutien à l’Arménie et aux autres démocraties issues de l’ex-URSS, qui attendent notre aide.

Ne répétons pas les erreurs commises avec l’Ukraine, en livrant tardivement des équipements nécessaires dès aujourd’hui ou en réduisant dangereusement les stocks dont disposent nos propres armées.

Je m’arrêterai un instant sur deux programmes majeurs conduits avec nos partenaires allemands, concernant le char et l’avion de combat du futur.

Nous ne remettons évidemment pas en cause l’intérêt de telles coopérations avec l’Allemagne ; mais force est de constater que l’absence de synchronisation des calendriers de renouvellement de ces équipements, les divergences stratégiques persistantes quant à la définition des besoins et les intérêts économiques concurrents obèrent les perspectives de passage à l’étape de la production. Notre capacité de défense sur la période 2030-2050 pourrait s’en trouver fragilisée.

Ainsi, pour ce qui concerne le programme MGCS (Main Ground Combat System), on ne peut ignorer le caractère politique de l’accord obtenu à Évreux entre la France et l’Allemagne, lequel ne repose pas sur une stratégie industrielle partagée. Cette situation menace l’avenir de notre capacité blindée à moyen terme.

Certes, le programme MGCS a été relancé cet automne, mais son horizon reste incertain. Dans ces conditions, il nous paraît indispensable de préparer dès aujourd’hui des évolutions supplémentaires du char Leclerc. Parmi les scénarios envisageables, deux sont à examiner de plus près : premièrement, la rénovation complète des chars Leclerc ; deuxièmement, la réalisation d’un nouveau char qui s’appuierait sur les compétences de KNDS et pourrait être exporté. Monsieur le ministre, êtes-vous prêt à ouvrir ce dossier en 2024, ce qui n’empêche en rien la poursuite du MGCS ?

Le système de combat aérien du futur (Scaf) fait l’objet du second chantier d’importance conduit avec nos partenaires allemands. Les travaux d’études de la phase 1B se poursuivent selon le calendrier défini, mais des incertitudes majeures persistent quant à la suite de ce programme.

Le futur chasseur ne sera pas disponible avant 2045 ou 2050. La France doit toutefois disposer d’ici là d’un avion du meilleur niveau pour préserver l’effectivité de la composante aérienne de la dissuasion nucléaire. Voilà pourquoi nous devons lancer rapidement le développement du standard F5 du Rafale, qui devrait être accompagné d’un drone.

Or le calendrier de lancement du standard F5 demeure lui aussi peu clair, alors même que vous avez plaidé pour une mise en service en 2030. Êtes-vous prêt à notifier à Dassault, dès le début de 2024, la décision de l’État de mettre en développement, puis en production, le standard F5 du Rafale et de son drone d’accompagnement ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

M. le président. Dans la suite de notre discussion, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Rachid Temal.

M. Rachid Temal. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à saluer une nouvelle fois l’engagement et le professionnalisme de nos forces armées, de ces hommes et de ces femmes qui s’engagent pour nos couleurs, parfois au péril de leur vie.

Nous avons souvent l’occasion de le rappeler : par nature, le budget de la défense s’inscrit dans un contexte. C’est d’autant plus vrai que 2024 est peut-être la première année d’un nouveau monde.

Le modèle de 1945 reposait sur deux piliers : la coexistence des deux blocs et l’ONU. Or la chute du mur de Berlin, la disparition de l’Union soviétique et les accords de Dayton, que l’on oublie souvent, ont mis fin à la logique des blocs. Quant à l’ONU, conçue en réaction à l’échec de la Société des Nations (SDN), elle ne joue plus son rôle stabilisateur depuis déjà plusieurs années ; on le voit aujourd’hui plus que jamais.

Les conflits se multiplient, en Ukraine comme en Israël. La Chine promeut son propre système de valeurs, à l’instar du « Sud global », qui, bien souvent, se construit contre l’ancien monde. Pour beaucoup de dirigeants africains – souvent, mais pas toujours, issus de coups d’État –, la période d’indépendance a cédé la place à une affirmation de la souveraineté.

Le monde que nous avons connu est donc bel et bien en train de disparaître.

À ce titre, je vous rappelle que l’année 2024 sera ponctuée d’élections absolument déterminantes.

Dans quelques semaines, en janvier prochain, aura lieu l’élection présidentielle à Taïwan. Quels qu’en soient les résultats, la Chine ne manquera pas de réagir. Des répercussions sont donc à attendre, non seulement dans la région, mais aussi dans l’Indo-Pacifique, où nous sommes nous-mêmes présents.

Un autre scrutin suivra en mars 2024 : l’élection présidentielle en Russie. Certes, on en connaît déjà l’issue…

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Rachid Temal. … mais, pour sa part, le maître du Kremlin pourra se targuer d’un nouvel assentiment du peuple : après les exactions commises dans le Caucase, il poursuivra ses opérations, notamment en Ukraine ; j’y reviendrai.

N’oublions pas non plus les élections européennes, qui seront elles aussi de la plus grande importance. Aujourd’hui, de plus en plus d’États membres remettent en cause notre engagement aux côtés des Ukrainiens et l’on ne sait pas de quelle couleur politique sera le prochain Parlement européen. On ignore en particulier la place qu’y occupera l’extrême droite, laquelle s’aligne bien souvent sur Poutine.

Cette année potentiellement très conflictuelle sera marquée par un dernier scrutin : l’élection présidentielle américaine du mois de novembre. Bien sûr, les sondages sont ce qu’ils sont, mais une seconde administration Trump semble possible. Cette hypothèse est d’autant plus gênante qu’avec Donald Trump – ce dernier l’a déjà fait savoir – le sort de l’Ukraine serait réglé en quinze minutes : il signerait avec Poutine un accord laissant à la Russie le Donbass et la Crimée.

Ces quatre échéances majeures étant rappelées, j’en viens à la loi de programmation militaire en tant que telle.

Nos rapporteurs ont accompli un excellent travail : nous pouvons les remercier et les féliciter.

M. Bruno Sido. Absolument !

M. Rachid Temal. Par le truchement de sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, comme par celui de sa commission des finances, le Sénat a pleinement joué son rôle pour améliorer ce texte ; c’est, pour chacun d’entre nous, un sujet de satisfaction. Nous avions plaidé avec vigueur pour que la fameuse « bosse » ne soit plus en fin, mais en début de cycle. Qu’il s’agisse des questions opérationnelles ou de la rémunération de nos militaires, ce progrès doit être salué.

Monsieur le ministre, à l’aube du nouveau monde que je viens d’évoquer, il va sans dire que bien des questions nous attendent.

La France a fait de longue date le choix d’une armée globale, certes, mais d’une armée miniature. Or nous faisons face à des enjeux de soutenabilité budgétaire et, en la matière, chacun devra assumer ses responsabilités.

Pour ma part, je suis favorable à une augmentation des crédits budgétaires, notamment pour faire face à un enjeu majeur : l’attractivité des métiers de la défense, laquelle suppose une hausse du point d’indice et une revalorisation des carrières. En parallèle, nous devons créer des passerelles avec le monde civil, que les précédents orateurs ont évoquées, et renforcer le lien armée-Nation, qui s’est distendu depuis la fin du service militaire. Au-delà des questions strictement budgétaires, nous devons explorer un certain nombre de pistes. Un ancien Premier ministre a suggéré des mesures « décoiffantes » : sans proposer, comme lui, le retour du service militaire, j’estime qu’il faut faire vivre ce débat.

M. le rapporteur spécial l’a rappelé à juste titre : face à nos concurrents stratégiques, un certain nombre d’informations doivent être classifiées. Mais, en même temps, la représentation nationale doit pouvoir mener son travail d’évaluation des politiques publiques. Il convient de le rappeler.

Avant de conclure, je tiens à passer en revue quelques sujets qui, à mes yeux, ont aussi toute leur importance.

Tout d’abord, nous devons trouver un équilibre entre le principe d’indépendance nationale, auquel nous sommes tous attachés, et la nécessité d’entretenir des alliances dignes de ce nom. À titre personnel, je souhaite que la France joue un plus grand rôle au sein de l’Otan tout en conservant, évidemment, sa souveraineté et son indépendance. Pour relever un tel défi, il faudra faire preuve de volontarisme.

Ensuite, nous devons assurer l’avenir de notre base industrielle et technologique de défense, dont chacun reconnaît l’importance, mais dont les acteurs bancaires n’assurent pas le financement. Certains – et je m’en étonne – s’apprêtent à proposer la suppression du livret d’épargne pour le financement de la défense.

Comme M. Allizard, j’appelle de mes vœux le dépôt d’un texte spécifique, projet ou proposition de loi, peu importe, créant ce livret d’épargne « défense-souveraineté ». Ce faisant, nous réglerions beaucoup de problèmes : ceux pour qui le livret A et le livret de développement durable (LDD) doivent conserver leur vocation première seraient satisfaits ; ceux qui entendent faciliter le financement de notre industrie de défense pourraient, quant à eux, saluer une avancée. J’ajoute qu’en procédant ainsi nous renforcerions le lien entre les Français et leur armée. (M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis, le confirme.)

Enfin, je tiens à revenir sur la situation de l’Ukraine.

Mes chers collègues, nous serons bientôt à la croisée des chemins. Au printemps prochain, le Kremlin disposera d’une masse de soldats supplémentaires et le renforcement de son industrie militaire lui permettra de produire les armes et les obus en plus grand nombre encore. Or la défaite et même un simple recul de l’Ukraine nous exposeraient à un risque considérable ; chacun doit mesurer ce que cela représenterait pour notre pays, pour l’Europe et pour tous les membres de l’Otan, notamment les États-Unis. Une défaite de Kiev inciterait d’autres pays à mener de tels coups de force territoriaux.

J’y insiste : il y a urgence, d’autant que, faute d’un accord au Congrès américain, notre allié ukrainien a été privé d’une nouvelle enveloppe financière. En outre, un certain nombre d’États européens contestent désormais notre soutien à l’Ukraine.

Monsieur le ministre, j’ai lu que le Président de la République lançait un appel à de nouvelles initiatives.

Pour ma part, je propose d’élaborer un texte de loi sur l’économie de guerre réelle, notamment pour renforcer les capacités de notre industrie militaire. Comment produire telle ou telle quantité d’obus en trois ou quatre mois ? Quels freins lever à cette fin ? Il s’agirait là d’une bonne initiative législative, qui, au passage, permettrait de créer des emplois, et qui serait gage de notre soutien à l’effort de guerre ukrainien.

Une défaite de l’Ukraine serait très lourde de conséquences. Outre la Russie, des puissances comme la Chine ou la Turquie en déduiraient que, désormais, elles peuvent sans problème attaquer un autre pays, que personne ne viendra défendre l’État agressé. Dès lors, il y en aura pour tous les goûts ! Je rappelle, entre autres exemples, que le Venezuela a des visées sur le Guyana. (M. le ministre opine du chef.)

Un tel texte de loi aurait vocation à lever l’ensemble des freins que subit notre production d’armes et d’obus. Ce serait l’honneur de la France. Il y a bel et bien urgence, car, dès le printemps prochain, les Russes reprendront l’offensive.

Les élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront bien sûr les crédits de cette mission. Les réserves exprimées n’entament en rien le soutien que nous apportons, aujourd’hui comme lors du vote de la LPM, à nos forces armées ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Ludovic Haye applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Paul. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au travers du projet de loi de finances pour 2024, c’est la première brique de la nouvelle LPM que nous nous apprêtons à poser.

Certes, avec une augmentation de 3,3 milliards d’euros, la progression des crédits reste en deçà du rythme que nous avions préconisé pour favoriser la remontée en puissance de notre outil militaire. Cette hausse est néanmoins plus rapide que celle qui était initialement proposée par le Gouvernement ; en tout état de cause, elle est conforme à la programmation que nous avons approuvée.

L’année prochaine, nos armées pourront donc compter sur une enveloppe de 47,2 milliards d’euros. La somme est importante, mais elle ne sera en rien superflue au regard des défis stratégiques auxquels notre pays doit dorénavant faire face.

Avec la poursuite de l’agression russe en Ukraine, le premier de ces défis est bien sûr le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen. D’ailleurs, c’est cette profonde rupture dans l’architecture européenne de sécurité qui a conduit le Président de la République à écourter la précédente programmation militaire.

Les menaces viennent ensuite des foyers de conflits qui naissent ou se rallument dans tout le voisinage de l’Europe : en Afrique, où la poussée djihadiste s’accélère au Sahel et pointe désormais en direction du golfe de Guinée ; au Proche-Orient, que la guerre entre le Hamas et Israël risque à chaque instant d’embraser ; ou encore dans le Caucase, où les visées panturques, après avoir fait disparaître le Haut-Karabakh, menacent aujourd’hui l’Arménie.

Plus éloigné de l’Hexagone, mais tout aussi vital pour nos intérêts, l’Indo-Pacifique est le théâtre d’une compétition stratégique attisée par la politique de puissance menée par Pékin, notamment en mer de Chine méridionale et dans le détroit de Taïwan.

Dans le monde entier, les ambitions s’affirment et le recours à la force se banalise. Les cadres multilatéraux se délitent et une dangereuse dynamique de blocs antagonistes se dessine.

En parallèle, les menaces se diversifient. Elles prennent des formes hybrides, empruntent de nouvelles voies technologiques et gagnent de nouveaux champs, qu’ils soient sous-marins, spatiaux, cyber ou informationnels.

Ce sombre inventaire exige des forces armées étoffées, suffisamment équipées et suffisamment préparées. Après trente ans d’hémorragie budgétaire, reconnaissons que la pente à remonter est particulièrement abrupte et que, si l’effort de réparation de nos armées entrepris en 2019 est salutaire, il est encore loin d’être achevé. Il se poursuivra donc au travers de la nouvelle LPM.

Nous le savons : malgré ses 400 milliards d’euros de crédits budgétaires, cette programmation ne permettra pas de répondre à tous les enjeux.

Nous ne referons pas aujourd’hui le débat qui nous a occupés il y a seulement quelques mois. J’observe néanmoins que le budget pour 2024 présente quelques-uns des angles morts que nous avions alors identifiés. En résultent un certain nombre de points de vigilance, qui sont finalement tous reliés d’une manière ou d’une autre au premier défi que j’évoquais à l’instant : réussir le « pivot vers la haute intensité ».

En premier lieu, nos inquiétudes portent sur le volume des armements mis à la disposition de nos forces. En effet, la chronique des commandes et des livraisons retracée dans ce PLF s’inscrit dans le cadre des objectifs capacitaires tracé par la LPM. À cette occasion, le Gouvernement avait fait le choix de privilégier la notion de cohérence à celle de masse.

Bien sûr, cette approche n’est pas sans vertu, mais elle a entraîné le décalage de nombreuses cibles d’équipements. En parallèle, certaines ventes à l’export ou certaines cessions consenties au bénéfice de l’Ukraine ont été prélevées directement sur les dotations de nos armées et ne seront pas recomplétées à très court terme.

Aussi, dans les années à venir, des interrogations subsisteront quant à la capacité réelle des armées françaises à durer, y compris dans le cadre d’une coalition, face aux exigences d’un conflit de haute intensité ; d’autant que, si les matériels demeurent en nombre insuffisant, c’est en bout de chaîne la capacité de nos militaires à renforcer leur entraînement qui se trouve obérée. Il s’agit pourtant, au même titre que la disponibilité opérationnelle des équipements, d’un élément fondamental pour faire face à l’hypothèse d’un engagement majeur.

Monsieur le ministre, il n’est donc pas acceptable que les indicateurs en la matière soient désormais quasiment inaccessibles. Quelles que soient les fonctions qu’ils assument, les parlementaires doivent pouvoir exercer leur mission de contrôle de la politique de défense et de la dépense publique. Il s’agit là d’un problème démocratique majeur sur lequel il faudra revenir.

Autre élément central de la préparation à la haute intensité, le concept d’économie de guerre nous semble rester, pour l’heure, bien virtuel.

Certes, nombre d’industriels ont joué le jeu de la « mise en tension » voulue par l’Élysée et se sont organisés pour accélérer leur cadence de production ; certes, des crédits sont dégagés, notamment pour reconstituer nos stocks de munitions et de missiles, devenus dramatiquement bas ; mais, sur ce sujet, les informations qui nous parviennent ne sont guère rassurantes. La capacité de production nationale semble ainsi engluée à des niveaux qui ne nous permettront pas de disposer rapidement de réserves adaptées au nouveau contexte géopolitique ; niveaux qui ne nous permettent pas non plus d’appuyer nos amis ukrainiens aussi vite qu’il le faudrait et autant que certains de nos partenaires européens.

Nous l’observons en creux : à défaut d’augmenter massivement le volume de la commande publique, il nous faut encore améliorer l’accompagnement de notre tissu industriel.

En ce sens, certains obstacles doivent être levés.

Je pense aux empilements de normes et de procédures, qui entraînent des délais et des surcoûts inutiles. Lors de l’élaboration de la LPM, un « choc de simplification » avait été promis. Où en est cette démarche ?

Je pense également au problème récurrent des entreprises de la défense, notamment des plus petites, pour se financer. Si la mobilisation d’une partie de l’épargne populaire est une piste à concrétiser au plus vite, il paraît également essentiel de déployer les outils nécessaires pour fluidifier le crédit bancaire.

À ce titre, un important travail reste à mener pour que les taxonomies européennes, les écolabels et autres instruments de responsabilité des entreprises prennent mieux en compte les spécificités de la BITD et l’importance vitale de son activité. Or, pour l’heure, ces instruments brident toujours les circuits d’investissement et – il faut bien le dire – ressemblent parfois à une mise à l’index pure et simple des entreprises du secteur de la défense. Face à la nature des enjeux stratégiques actuels, il faut faire évoluer cette approche, et le faire vite.

Je pense, enfin, aux difficultés rencontrées dans le cadre des programmes communs d’armement, menés en particulier avec nos partenaires allemands. Naturellement, ces coopérations sont essentielles : si nous devons cheminer seuls chaque fois que notre souveraineté l’impose, nous n’avons d’autre choix que d’avancer ensemble partout où c’est possible.

Malgré certaines avancées récentes, la conduite de ces programmes nous inquiète. La mise en œuvre du Scaf ou du MGCS est sans cesse repoussée, si bien que d’inconcevables trous capacitaires qui se profilent. Or le moment où nous ne pourrons plus faire autrement que de tirer les conséquences des désaccords approche dangereusement ; et si nous ne souhaitons évidemment pas l’échec de ces projets, l’intérêt national commande de se préparer dès à présent à cette éventualité.

Enfin, je souhaite évoquer la question fondamentale des effectifs ; nos armées, ce sont d’abord et avant tout les hommes et les femmes qui les composent.

Nous leur demandons – ce n’est pas rien – d’avoir le courage d’être prêts à combattre et à consentir au sacrifice ultime, mais aussi la force d’accepter au quotidien des sujétions particulièrement lourdes.

Au vu des données contenues dans le PLF, un constat s’impose : malgré les dispositifs adoptés ces dernières années, la bataille de l’attractivité est encore devant nous. En effet, la précédente LPM prévoyait 1 500 ETP supplémentaires pour 2024. Dans le cadre de la LPM actuelle, cette prévision n’est plus que de 700 postes ; et le texte que nous examinons aujourd’hui ne vise finalement plus que 456 recrutements.

Au surplus, le schéma d’emploi du ministère est en baisse depuis trois ans. Cela signifie que les entrées sont désormais moins nombreuses que les sorties. La situation est donc extrêmement préoccupante. Par extrapolation, elle suscite des interrogations sur la réalisation des objectifs relatifs aux effectifs de la réserve, dont le Gouvernement a souhaité le doublement, afin de dépasser l’effectif de 100 000 en 2035.

Sans doute les difficultés de recrutement initial et de fidélisation tiennent-elles à des éléments complexes à maîtriser, qui relèvent de l’évolution générale de notre société ou du marché de l’emploi.

Néanmoins, les axes de travail sur lesquels les armées sont d’ores et déjà engagées doivent être approfondis.

Réexamen des grilles indiciaires, gestion des carrières, actions sur le logement et les conditions de vie des militaires et de leur famille, développement des écoles militaires ou encore actions de communication : tout doit être mis en œuvre pour que le métier des armes redevienne attractif. Il faut également que nos armées puissent de nouveau développer la première de leurs ressources : l’humain.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations, et parce qu’ils sont conformes à la loi de programmation militaire que nous avons votée avant la fin de la session dernière, le groupe Les Républicains votera en faveur des crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Marie-Arlette Carlotti et M. Rachid Temal applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox.

M. Aymeric Durox. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc arrivés à un temps fort de l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2024.

Oui, il s’agit d’un temps fort, car l’examen des crédits de la mission « Défense » nous permet de poser la première brique de la loi relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030.

Il est d’autant plus urgent de poser cette première brique que l’agenda des grandes puissances s’accélère, sous l’effet de l’affirmation des ambitions et des montées en tension assumées.

Nous partageons les constats de nos chefs militaires : le monde relatif de paix que nous avions connu est désormais de plus en plus dangereux et marqué par le retour d’une logique de confrontation.

Ainsi, notre responsabilité est de dimensionner financièrement notre outil de défense aux conflictualités que notre pays connaîtra. En effet, la trajectoire mondiale conduira probablement notre pays à s’impliquer dans des conflits qui seront non plus choisis, mais subis, même s’il n’y a pas de fatalité. Ainsi, notre frégate multimissions Languedoc a abattu en mer Rouge – zone maritime stratégique – le dimanche 10 décembre dernier deux drones, qui se dirigeaient vers elle depuis les côtes du Yémen.

L’adaptation aux défis et le dimensionnement de nos armées passent évidemment par une exécution fidèle de la loi de programmation militaire. Nous saluons le fait que les moyens alloués pour l’année 2024 dans ce PLF reprennent les efforts que nous avons demandé à réaliser dès cette première marche.

Néanmoins, des points de friction et de divergence demeurent. Il s’agit par exemple des crédits alloués à certains projets de coopération internationaux – le Scaf et le MGCS –, dont nous sommes convaincus qu’ils sont voués à un échec diplomatique et industriel. Il serait salutaire d’y mettre fin au plus vite, car l’aveuglement idéologique qui conduit ces projets peut coûter cher au modèle d’armée que nous devons ériger au bénéfice de la France et des Français.

Pour ces grands projets, la priorité est de faire confiance à nos industriels, car ils sont capables de miracles et contribuent à la défense active de notre souveraineté.

Par ailleurs, nous appelons à un renforcement des moyens du service de santé des armées dans un contexte de fortes tensions sur ces derniers. En témoignent les faibles capacités de prise en charge de deux porte-hélicoptères amphibies déployés dans le cadre du conflit opposant Israël au Hamas.

Sur le volet « soutien », nous souhaitons renforcer les différents services de maintien en condition opérationnelle (MCO), afin d’éviter de recourir à l’externalisation. Aussi, nous proposons de sortir de la logique de flux tendu au moyen de la reconstitution de stocks stratégiques et de la recréation d’une filière de production de munitions de petit calibre.

Sur le volet « ressources humaines », il faudrait améliorer le logement de nos militaires et revaloriser la grille indiciaire.

En somme, nous voulons donner à nos armées les outils nécessaires pour qu’elles soient prêtes à affronter les grands défis du XXIe siècle.

Quoi qu’il en soit, nous voterons favorablement – une fois n’est pas coutume – les crédits de la mission « Défense », dans un esprit de responsabilité, même si nous déplorons un certain nombre de points, sur lesquels nous avons des avis divergents.

Mes chers collègues, désormais, la guerre constitue non plus une hypothèse théorique, mais un risque avéré !

La France doit être indépendante, forte et souveraine dans ses équipements, sa doctrine d’emploi et sa vision stratégique, comme elle l’a toujours été au cours de son histoire.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le réveil de l’Europe a été aussi tardif que brutal !

Pendant des années, voire des décennies, la France était bien seule, lorsqu’elle exhortait ses partenaires à bâtir une autonomie stratégique. Cela a été le cas en 2016, lorsque la puissance militaire et nucléaire qu’est le Royaume-Uni s’est désolidarisée de l’Union européenne. Cela a encore été le cas lorsque le président Trump a marchandé la protection accordée à l’Europe.

Dans toutes ces occasions, alors que les djihadistes gagnaient du terrain en Afrique et au Levant, nous étions bien seuls à affirmer que notre sécurité n’était pas garantie et que nous devions l’assurer nous-mêmes.

Nos partenaires n’ont pas vu la nécessité d’une telle autonomie stratégique, mais leurs illusions ont été dissipées par l’invasion de l’Ukraine. Depuis le 24 février 2022, les Européens tentent de rebâtir une défense digne de ce nom, tout en soutenant autant que faire se peut, l’Ukraine agressée.

Relever ce double défi nous oblige à prendre conscience de nos lacunes. Nos partenaires partent de très loin, mais il faut reconnaître que même l’armée française fait face à des difficultés. Nous n’avons pas investi autant que nous aurions dû dans notre armée. Le Gouvernement avait entrepris de corriger cela bien avant l’agression russe.

Néanmoins, le fait nouveau du retour de la guerre sur le continent européen a imposé la réévaluation de nos objectifs.

La guerre de haute intensité n’a pas les mêmes implications que les conflits asymétriques. Notre modèle d’armée doit évoluer pour nous permettre de faire face aux nouvelles menaces ; plus simple à dire qu’à faire ! Cela nécessite en effet de faire évoluer notre (BITD).

Notre industrie s’était adaptée et dimensionnée, afin de répondre aux demandes de nos armées, orientées vers des missions expéditionnaires. L’emploi de très grands volumes de munitions et les taux élevés d’attrition, caractéristiques des conflits de haute intensité, imposent un changement d’échelle.

Cette année, le budget de la défense approche les 2 % du PIB. L’effort consenti par l’État est considérable. De 32 milliards d’euros en 2017, le budget est passé à près de 44 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2023. La progression se poursuit cette année encore, puisque le projet de loi de finances pour 2024 prévoit plus de 47 milliards d’euros, dans la droite ligne des objectifs fixés par la LPM.

Nous nous félicitons que les engagements pris devant nous par le Gouvernement soient tenus. Les défis qui nous attendent sont gigantesques. Il nous faut tout à la fois moderniser, massifier et soutenir.

Moderniser d’abord, car nos infrastructures militaires sont vétustes au point qu’elles deviennent dangereuses. Il faut aussi continuer à moderniser notre arsenal pour rester crédibles.

Cela vaut bien sûr pour nos capacités nucléaires, mais plus largement pour l’ensemble de notre matériel et de nos savoir-faire. Ainsi, 9 milliards d’euros seront consacrés à la modernisation.

Massifier, ensuite, car affronter un État dans un conflit de haute intensité implique une forte attrition. Nous devons être capables d’y faire face en gagnant en épaisseur. Il s’agit là d’un véritable défi. Nos armées ont cédé certains de leurs appareils pour répondre à des commandes d’export. Simultanément, nous devons continuer à soutenir nos amis ukrainiens, notamment en leur fournissant de l’armement.

Inutile de dire que notre BITD a bien du mal à faire face à ces nouveaux besoins. Pour qu’elle y parvienne, elle doit être sécurisée et accompagnée par des commandes claires.

Au-delà du matériel, nous avons également besoin de femmes et d’hommes. Le budget pour 2024 permettra, cela a été rappelé, de procéder à 456 recrutements. Du reste, notre rapporteur spécial a souligné les difficultés liées au recrutement : une chose est de recruter – c’est délicat –, une autre est de fidéliser.

Nous l’avons dit, les infrastructures dans lesquelles nos militaires travaillent et vivent doivent être modernisées. Ainsi, 70 millions d’euros seront consacrés à l’amélioration de leurs conditions de vie.

Il est également nécessaire de renforcer l’attractivité de ces métiers et la reconnaissance de l’engagement de nos soldats, ce à quoi seront consacrés 184 millions d’euros.

Une armée forte constitue l’un des meilleurs atouts pour une paix solide !

Confrontée à de multiples défis, notre armée entre dans une période de profonde transformation.

Il nous faut veiller à ce que les femmes et les hommes engagés pour la défense de la patrie disposent des moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Les Indépendants votera en faveur de l’adoption de ces crédits. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)