M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la LPM, que nous avons adoptée l’été dernier, consacre l’innovation comme axe d’effort prioritaire d’effort. Le présent projet de loi de finances pour 2024, première année de mise en œuvre de la LPM, devrait permettre de consolider les acquis de la programmation précédente dans ce domaine. Il comporte donc d’indéniables motifs de satisfaction.

En premier lieu, il est prévu que les moyens consacrés aux études amont dépasseront 1 milliard d’euros. Ces crédits permettront d’investir dans les dix domaines prioritaires identifiés dans la LPM, parmi lesquels figurent les armes à énergie dirigée, l’hypervélocité, l’intelligence artificielle, les nouvelles technologies de l’énergie ou encore le quantique.

En deuxième lieu, une enveloppe de 190 millions d’euros est identifiée au titre du financement de démonstrateurs, notamment de projets d’envergure. Sur le principe, il s’agit d’une avancée notable que la commission appelait de ses vœux.

En troisième lieu, les crédits consacrés à l’analyse stratégique et à la diplomatie de défense seront également en progression. Cette évolution était évidemment nécessaire au regard de la dégradation du contexte stratégique.

Si nous donnons donc acte au Gouvernement de sa volonté de poursuivre l’effort engagé depuis 2019 dans ces différents domaines, plusieurs points de vigilance doivent cependant être relevés.

Le premier a trait à la réduction de 15 millions d’euros des crédits consacrés aux études hors dissuasion. Cette baisse est notamment liée à une réduction des moyens consacrés au régime d’appui à l’innovation duale, dit dispositif Rapid, les PME privilégiant, selon le ministère, les appels à projets aux subventions. Toutefois, nous serons attentifs à l’évolution de cet indicateur, tant le soutien à nos entreprises de défense, notamment aux plus petites d’entre elles, est important.

Le deuxième point de vigilance concerne l’enveloppe consacrée aux démonstrateurs. Si son caractère positif a été souligné, on peut se demander si, compte tenu du coût très élevé de certains projets, le niveau de crédits proposé permettra de financer les quinze démonstrateurs prévus dans la LPM.

Le troisième point de vigilance est lié aux deux premiers. La LPM programme un niveau de besoin en matière d’études amont hors dissuasion s’élevant à 7,5 milliards d’euros. Or, avec seulement 795 millions d’euros inscrits au budget de la première année de mise en œuvre de la LPM, l’effort dans ce domaine devra être significativement accentué au cours des années suivantes.

Enfin, le quatrième point de vigilance concerne la persistance des difficultés d’accès au financement des entreprises du secteur de la défense, sujet sur lequel la commission a été précurseur. L’article 49 quindecies du projet de loi de finances réintroduit le dispositif de fléchage d’une partie de l’encours du livret A vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD), dispositif que nous avions inséré dans la LPM mais qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel. Il s’agit d’une avancée notable que nous soutenons. Si cette disposition était de nouveau censurée, je déposerais une proposition de loi.

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, les grandes lignes de ce projet de budget nous semblent aller dans le bon sens. C’est pourquoi la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption des crédits du programme 144.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe SER. – M. Olivier Cigolotti applaudit également.)

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon collègue ayant rappelé qu’il convenait de poursuivre et d’amplifier l’effort de financement de l’innovation entrepris sous la précédente LPM, j’insisterai pour ma part sur le second volet du programme 144 : la recherche et l’exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France, c’est-à-dire les moyens de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD).

Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, la succession des coups d’État en Afrique, qui ont conduit nos forces à se retirer du Mali, du Burkina Faso et désormais du Niger, suscite naturellement une question : nos services avaient-ils les moyens de savoir, pouvaient-ils anticiper ces événements ? Cette question, monsieur le ministre, vous a été posée maintes fois.

S’il ne s’agit pas de refaire l’histoire, il est en revanche indispensable de tirer les enseignements du retour d’expérience de nos services, car d’autres défis se posent à nous, à commencer par celui de l’attaque sans précédent du Hamas et du déchaînement de violence qui s’en est suivi.

Le fait que le renseignement israélien soit sur la sellette nous oblige à disposer d’une capacité autonome de recueil de renseignements, afin de garantir notre propre autonomie de décision pour nos forces engagées dans la région, aussi bien au Liban avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) qu’en mer. D’ailleurs, je rends hommage à l’équipage de la frégate Languedoc qui s’est défendu contre une attaque de drones en mer Rouge.

Plus largement, il s’agit de donner à nos services les moyens de prévenir de futures situations de crise en Afrique, au Moyen-Orient, mais aussi en Indo-Pacifique, où notre stratégie nous conduit nécessairement à suivre attentivement l’évolution de la situation dans le détroit de Taïwan et l’attitude de la Chine.

De même, la rhétorique agressive de puissances nucléaires, comme la Russie, ou en passe de le devenir, comme l’Iran, ainsi que la résurgence d’une menace terroriste sur notre territoire montrent l’étendue des défis qui se posent à nos services de renseignement.

À cet égard, je le rappelle, une des raisons majeures qui ont conduit le Sénat à adopter la nouvelle LPM était l’augmentation de plus de 5 milliards d’euros des crédits du renseignement pour la période 2024-2030, contre 3,5 milliards d’euros au cours de la précédente LPM. La première année d’application de la nouvelle LPM constitue donc un test pour cette ambition.

Or, avec 476 millions d’euros de crédits de paiement pour 2024, force est de constater que les crédits de fonctionnement, d’investissement et d’intervention resteront au même niveau que ceux de l’année 2023.

M. Sébastien Lecornu, ministre des armées. Non !

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. La pompe est néanmoins amorcée, par la hausse de 15,6 % des crédits en autorisations d’engagement dès 2024, avec 540 millions d’euros contre 467 millions d’euros en 2023.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. Par ailleurs, pour ce qui concerne les personnels spécialisés dans le renseignement et le cyber, c’est sur les effectifs – recrutement et fidélisation – que l’effort devrait être porté en 2024. Nous préconisons que…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. … les services coordonnent leurs politiques de ressources humaines…

M. le président. Ma chère collègue, vous n’avez plus la parole !

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. … avec le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. le président. J’appelle chacun à respecter le temps de parole qui lui est imparti !

La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit également.)

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer mon propos par un point de méthode précédemment abordé par notre rapporteur spécial : parmi les documents budgétaires publiés cette année ne figurent plus la disponibilité des matériels ni l’activité des forces. Or il s’agissait d’indicateurs essentiels pour apprécier l’état de nos armées !

Les Américains ou les Allemands publient ces chiffres. Ainsi, l’équivalent américain de la Cour des comptes, rattaché au Congrès, a récemment mis l’accent, dans un rapport, sur les problèmes de disponibilité de l’avion F-35. Ce genre d’analyses nous est désormais impossible. Le fait que ces chiffres soient transmis aux présidents de commission et partagés avec les rapporteurs ne repose, pour le moment, que sur la bonne volonté du Gouvernement et du ministre des armées. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer que nous continuerons d’en être informés à l’avenir ?

J’en viens au fond.

Pour 2024, le projet de loi de finances initiale prévoit que les crédits affectés à l’entretien programmé des matériels atteindront 5,7 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 745 millions d’euros. Cette hausse doit toutefois être relativisée, puisque la précédente LPM évaluait à 6,5 milliards d’euros le besoin de financement pour 2024. Il ne faut donc pas s’attendre à une forte progression de la disponibilité des matériels. De fait, elle reste modeste dans bien des domaines. Les défis restent donc nombreux.

Pour l’armée de terre, il convient de penser le soutien d’une manière complètement nouvelle, afin de passer d’un modèle de corps expéditionnaire à un modèle d’engagement majeur. Il faut donc passer d’une logique de marchés à flux tendus, performante mais inadaptée à la haute intensité, à la constitution de stocks de pièces en vue d’une forte attrition.

Cela n’ayant pas été financé parmi les priorités de la LPM, il est nécessaire de réaliser des économies de toutes les manières possibles, d’innover et de renforcer le contrôle sur les prestataires. Les nouveaux marchés de soutien pour les matériels du programme Scorpion seront au cœur de cette problématique en 2024.

Pour ce qui concerne l’armée de l’air et de l’espace, les progrès liés aux contrats verticalisés ne compensent pas encore les facteurs jouant contre la disponibilité de matériels.

Tout d’abord, les contrats nécessitent un temps assez long de montée en puissance. Espérons que les nouveaux contrats pour l’avion multirôle de transport et de ravitaillement (MRTT) et son moteur, tout juste signés pour dix ans, apporteront des bénéfices plus rapidement.

Ensuite, la disponibilité des matériels est affectée par les diverses cessions. Au-delà de ces contrats, les efforts d’efficience doivent être poursuivis en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, grâce notamment à une simplification des normes de navigabilité et à une connexion plus directe des industriels à l’armée de l’air et de l’espace, via la généralisation des pôles de conduite et de soutien. S’ajoute à cela l’indispensable effort pour la transformation numérique.

Enfin, la marine nationale devra notamment poursuivre ses efforts remarquables de maintien en condition opérationnelle en continu des navires.

Au total, en matière de disponibilité de matériels, nous assisterons en 2024 à un frémissement qui augure – espérons-le – une remontée plus franche ensuite. Dans cette perspective, notre commission a voté en faveur de ces crédits. (Mme Marie-Arlette Carlotti, ainsi que MM. Claude Kern et Cédric Perrin applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon le rapport annexé à la nouvelle LPM, « à partir des acquis de la précédente loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, la préparation opérationnelle progressera quantitativement dès 2024 ».

Or, malgré une première marche rehaussée par les deux assemblées, cette progression quantitative n’est pas réellement acquise en 2024. Par conséquent, nous resterons encore loin des normes instaurées par l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan).

L’amélioration qualitative soulignée par le Gouvernement est certes réelle. Elle se joue notamment au travers des grands exercices comme l’exercice Orion, les futurs exercices multinationaux de 2024, ainsi que les missions de réassurance Lynx, Aigle et Gerfaut.

Néanmoins, tout cela ne suffira pas à garantir l’excellence de la préparation opérationnelle de l’armée de terre en vue de conflits de haute intensité. En effet, l’activité par combattant terrestre, le nombre de coups tirés par équipage de canon Caesar et le nombre d’heures d’entraînement par équipage de chars évolueront peu, d’autant que l’année 2024, année des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, ne sera pas favorable à une remontée de l’armée de terre vers la haute intensité, puisque la préparation opérationnelle devra être suspendue pendant plusieurs mois.

Au sujet de l’entraînement de l’armée de l’air et de l’espace, nous sommes également encore assez loin des objectifs. Bien que le projet de loi de finances pour 2024 prévoie 140 millions d’euros de plus, les cibles d’activité définies pour 2024 sont seulement en légère hausse.

Enfin, pour ce qui concerne la marine, les nombreux exercices contribuent à une remontée en puissance progressive.

Au total, les prévisions d’activité pour 2024 sont donc un peu décevantes par rapport à l’ambition que nous avons nourrie pour le début de la LPM. Nous devrons veiller à ce que la trajectoire ascendante prévue pour les prochaines années se concrétise. Il faudra notamment être attentif à la préservation du niveau d’activité dans les prochains exercices, malgré la forte inflation et les efforts en faveur de l’Ukraine.

Enfin, à propos des soutiens, je veux évoquer la situation du service de santé des armées, qui a fait l’objet d’un rapport assez alarmant de la Cour des comptes. Les problèmes sont multiples : nombreuses vacances de poste, incapacité des hôpitaux militaires d’instruction à fournir plus de 48 équipes chirurgicales sur les 65 prévues ou encore difficultés massives de recrutement.

Pour 2024, les crédits augmentent et devraient permettre de lancer enfin les étapes préparatoires à la construction du nouvel hôpital Laveran à Marseille. (Mme Marie-Arlette Carlotti applaudit.)

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis. Toutefois, le SSA devra aussi porter ses efforts sur une meilleure coopération avec la santé civile. En effet, dans la situation actuelle, il paraît évident que nous ne pourrions pas faire face à un conflit de haute intensité !

Il faut également achever la transposition du Ségur de la santé, qui est indispensable pour améliorer l’attractivité des services.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2024 entérine la hausse des crédits que nous avions inscrite dans la LPM, mais ne produira pas encore d’effets massifs sur l’activité de nos armées cette année.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’attractivité des armées dépend de la société elle-même, c’est-à-dire de l’appétence des civils pour la réserve et de l’étroitesse de la relation entre les mondes militaire et civil.

L’objectif est de doubler les effectifs de la réserve opérationnelle d’ici à 2030 pour les porter aux alentours de 80 000. Je rappelle que, avec environ 39 500 réservistes opérationnels en cette fin d’année, nous n’avons pas encore retrouvé le niveau de 2019.

Notre commission a pris position, naguère, pour une réserve opérationnelle plus lisible et une doctrine d’emploi plus précise. Les armées ont fait progresser la réflexion, notamment sur deux plans : l’hybridation des unités et la territorialisation des réserves.

L’armée de terre a déjà commencé à hybrider les unités d’active avec des réservistes. En outre, six bataillons de réserve seront créés en 2024 et six autres suivront en 2025. D’ici à 2030 devront être créés de nouveaux régiments de réservistes et des bataillons de réservistes spécialisés, par exemple dans le renseignement et le génie.

Dans la marine, il est également prévu d’appuyer les forces d’active par des unités de réservistes opérationnels présentes en leur sein et de créer des unités de réservistes spécialisées. La montée en charge de la réserve alimentera la constitution de trois flottilles côtières, implantées dans trente villes littorales.

Quant à l’armée de l’air, elle prévoit elle aussi de créer des unités opérationnelles de réservistes couvrant un large spectre d’emplois ainsi qu’une base aérienne complète de réservistes, utilisable sur le territoire national ou projetable à l’extérieur.

La gestion des réservistes sera facilitée par le système d’information des réservistes opérationnels connectés (ROC), lancé en 2016, dont la dernière tranche devrait être livrée comme prévu en 2024.

Pour mener à bien ces transformations, quelques innovations organisationnelles ont déjà été assurées.

Par une instruction prise l’été dernier, les responsabilités dans la gouvernance des réservistes ont été précisées. En parallèle, le délégué interarmées aux réserves a été placé à la tête d’une division chapeautant la politique relative à la jeunesse et au service national universel (SNU), ainsi que les relations avec l’éducation nationale et les entreprises.

Cela étant, ce n’est qu’en abaissant les barrières entre les mondes civil et militaire que l’on pourra réellement remédier aux problèmes d’attractivité que connaissent nos armées. Dans ce domaine, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) a formulé des propositions originales, qu’il s’agisse de l’expression publique des militaires, de la communication auprès des jeunes ou encore de la reconnaissance immatérielle de la Nation.

C’est un sujet que notre commission approfondira l’an prochain. Pour l’heure, elle s’est prononcée pour l’adoption des crédits du programme 212.

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en adoptant la loi de programmation militaire au printemps dernier, nous préconisions de mettre le format des ressources humaines de nos armées en cohérence avec nos ambitions stratégiques.

La LPM a posé plusieurs jalons : 700 nouveaux ETP en 2024, puis une progression chaque année jusqu’en 2030, pour atteindre 6 300 ETP supplémentaires en sept ans. Or voici que, dès le premier exercice, la trajectoire s’écarte de la cible ! Le projet de loi de finances pour 2024 n’ouvre en effet que 456 ETP au lieu de 700. Rapporté aux effectifs du ministère, cet écart ne représente certes que l’épaisseur du trait, mais il révèle une crise d’attractivité.

Depuis trois ans, en effet, les effectifs du ministère diminuent au lieu d’augmenter. L’armée de terre évoque un simple « trou d’air » dans le recrutement des militaires du rang. L’armée de l’air et la marine se plaignent davantage de leurs difficultés à retenir les talents. Cette tendance pourrait remettre en cause le niveau de recrutement. Les états-majors y sont très vigilants, notamment l’armée de terre, qui, désormais, ne reçoit qu’une candidature pour un poste.

Les armées font face à un mouvement croisé entre les difficultés à recruter, d’une part, et la progression des départs, de l’autre, car, à l’évidence, la fidélisation est devenue un véritable enjeu.

Dans son rapport annuel, le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire a mis en lumière l’érosion des effectifs d’officiers, attirés à mi-parcours par le secteur privé, qui paie mieux et contraint moins.

L’une des causes de la situation est certainement la rémunération.

La réforme des primes des militaires est entrée dans sa dernière phase, ce qui justifie la budgétisation de 263 millions d’euros pour l’an prochain. Nous saluons tous cette clarification, mais l’impact de l’inflation sur des primes non indexées, ainsi que les conséquences de leur fiscalisation, risquent de réduire l’impact de la réforme. Nous souhaitons donc vivement que la clause de revoyure prévue pour 2026 soit avancée.

Cela étant, c’est à présent la refonte des grilles indiciaires qui doit attirer notre attention ; au cours des dernières années, elles ont subi un fort tassement sous l’effet des mesures catégorielles successives. En parallèle, la création du corps des administrateurs de l’État a déclassé les officiers parmi les cadres supérieurs de la fonction publique.

Si la situation des officiers est la plus épineuse, les nouvelles grilles devront favoriser l’évolution de l’ensemble des carrières des militaires.

Enfin, nous avons constaté que la durée des carrières est d’autant plus longue que les recrutements ont été précoces. Aussi faut-il être attentif aux efforts des trois armées pour muscler l’offre de formation spécialisée. Cette offre est souvent saturée, alors qu’elle constitue un important facteur de fidélisation.

Nous saluons aussi les crédits dégagés pour la prolongation du plan Famille et la rénovation du parc de logements, dont plus d’un quart présentent encore un risque « élevé ou très élevé » pour la sécurité des personnes et des biens.

Monsieur le ministre, nous devrons veiller avec une attention toute particulière à l’attractivité de nos armées, qui va de pair avec la qualité des recrutements.

Je vous confirme que nous émettons un avis favorable sur le programme 212. (M. Rachid Temal applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous avons adopté la nouvelle loi de programmation militaire, le regard que nous portons sur ce texte est nécessairement nuancé.

La LPM met certes un terme à de nombreuses années d’affaiblissement de notre défense et peut être considérée comme une loi de « redressement » ; mais la réalité de ce dernier fait encore débat.

À l’évidence, une impulsion a été donnée ; elle devrait permettre de sauvegarder les programmes d’intérêt majeur et de développer des capacités dans de nouveaux champs de conflictualité. Toutefois, trois questions ne sont pas encore pleinement résolues à ce stade.

Je pense tout d’abord à notre modèle d’armée. Il a été repensé, mais le volume retenu ne permettra pas à la France de retrouver le poids qu’elle avait jusque dans les années 1990 dans la défense de l’Europe.

Malgré les sommes en jeu, la nouvelle LPM acte une forme de déclassement de notre pays…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Toujours les mêmes contresens…

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. … dans les armements lourds. Un tel renoncement pose question…

M. Sébastien Lecornu, ministre. C’est le Sénat des années 1960, contre Messmer et de Gaulle !

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. … au regard de notre statut de puissance européenne et de membre du Conseil de sécurité de l’ONU.

Je pense, ensuite, à notre capacité à supporter un choc de haute intensité. Elle ne devrait pas être radicalement modifiée par la nouvelle LPM ; en témoignent l’insuffisance de nos munitions et les difficultés, faute de volonté politique suffisante, à passer véritablement, comme on a pu l’annoncer, à une économie de guerre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous regardez dans le rétroviseur !

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. Je pense, enfin, aux grands projets de coopération.

L’année 2025 pourrait être décisive pour le renouvellement de nos programmes nationaux de blindés lourds et d’avions de combat, compte tenu des incertitudes qui entourent les coopérations engagées avec notre partenaire allemand.

Ces trois limites majeures nous imposent de poursuivre notre travail de réflexion sur l’avenir de notre politique de défense, qu’il s’agisse de ses objectifs ou de ses moyens.

Monsieur le ministre, la première année de mise en œuvre de la LPM est certes conforme aux engagements ; 2024 verra la livraison de plusieurs équipements majeurs et la force de dissuasion nucléaire poursuivra sa modernisation. Mais, avec ce projet de loi de finances, on ne fait qu’amorcer l’ajustement de l’effort capacitaire.

Pour aller plus loin, nous avons émis sept recommandations dans notre rapport. Elles ont toutes le même but : permettre à notre pays de basculer véritablement en économie de guerre.

Pour ce qui concerne, par exemple, les obus de 155 millimètres, les livraisons totales devraient être de 20 000 unités en 2024, soit l’équivalent d’à peine quatre jours de consommation des armées ukrainiennes.

M. Bruno Sido. Eh oui !

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. Nos alliés ont relancé massivement la production de munitions ; l’État doit impérativement passer des commandes de munitions beaucoup plus importantes.

Au-delà des stocks, il y a urgence, pour les pouvoirs publics, à négocier des capacités de production ultrarapides avec les industriels. Ils y sont prêts, ils nous l’ont dit,…

M. Sébastien Lecornu, ministre. Si c’est la politique du carnet de commandes…

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. … mais les décisions tardent à être prises. Pouvez-vous nous indiquer si l’État se résoudra, en 2024, à sécuriser des capacités de flux pour passer des paroles aux actes et véritablement entrer dans une économie de guerre ?

Malgré les sérieuses réserves que je viens de formuler, la commission s’est prononcée pour l’adoption des crédits du programme 146 de la mission « Défense ».

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis, en remplacement de Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis.

M. Hugues Saury, en remplacement de Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le passage de notre pays à l’économie de guerre est tout sauf effectif à ce jour.

Faute d’avoir réalisé un Livre blanc en temps utile, nous n’avons pas changé de logiciel ; la LPM ne pose pas les bases de cette évolution, supposant que l’État lance des commandes pour permettre aux industriels d’accroître leurs capacités de production.

À preuve, pour le soutien apporté à l’Ukraine, nous demeurons en retrait de nos alliés.