M. Gérald Darmanin, ministre. En de nombreuses occasions, notamment dans la presse, vous avez fait référence à ce texte en l’appelant d’emblée la loi Darmanin. Pourtant, vous feignez soudainement de vous préoccuper de l’équilibre pour éviter d’aborder les sujets difficiles, mais vous ne trompez personne.

Je remercie le président de la commission de sa présentation, ainsi que les services de la séance, qui ont accepté de maintenir l’ordre d’examen annoncé, qui aboutira à ce que l’article 3 devienne l’article 4 bis. Peu importe son numéro, au fond…

La volonté du Gouvernement était de régler deux difficultés auxquelles le pouvoir réglementaire ne permet pas de remédier.

La première difficulté tient au fait que la régularisation d’un travailleur en situation irrégulière ne peut se faire si son employeur ne le souhaite pas. Cela concerne des personnes qui travaillent parfois dans des conditions très différentes – nous l’avons évoqué lors de l’examen des précédents articles.

Je rappelle aussi que les régularisations fondées sur la circulaire Valls relèvent essentiellement du volet famille, puisque leur nombre s’élève à 23 000 par an, contre seulement 7 000 par an pour le volet travail.

Le code du travail conditionne la régularisation d’un travailleur en situation irrégulière à l’obtention d’un formulaire Cerfa signé par l’employeur. Telle est la raison pour laquelle, en dépit de la volonté politique ou préfectorale, certaines régularisations n’ont pas lieu. C’est aussi pour cela que des personnes soutenues par des élus, des syndicats et des associations se massent devant les préfectures. La loi est au-dessus de la volonté préfectorale ou ministérielle.

La première volonté du Gouvernement était de mettre fin à ce servage des temps modernes par lequel l’employeur peut s’opposer à la régularisation d’un employé.

Les employeurs qui s’y opposent le font, non pas évidemment dans un souci de lutte contre l’irrégularité – dans ce cas, ils n’auraient pas embauché un salarié en situation irrégulière ou ils s’en seraient séparés rapidement une fois qu’ils s’en seraient rendu compte –, mais parce qu’ils redoutent que l’on découvre qu’ils emploient d’autres personnes en situation irrégulière et appréhendent les contrôles, notamment de l’inspection du travail, qui en découleraient.

Un article qui a, hélas ! été supprimé par la commission des lois – nous y reviendrons dans la suite du débat – prévoyait à ce titre des sanctions administratives très fortes contre toute entreprise employant des personnes en situation irrégulière sans qu’elle ait manifestement été trompée par celles-ci.

Le dispositif gouvernemental prévoit donc de faire sauter ce verrou qui, dans le code du travail, empêche de régulariser un travailleur en situation irrégulière sans l’accord de son employeur.

La seconde difficulté concerne les « ni ni », c’est-à-dire ceux qui ne sont ni expulsables ni régularisables, et qu’il faut régulariser dans certaines conditions.

Ces personnes ne sont pas expulsables, car elles sont établies en France depuis de longues années et que leur vie privée et familiale est ancrée en France – la moitié des personnes concernées vivent sur notre sol depuis plus de dix ans, elles sont donc arrivées bien avant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron. Elles ne peuvent toutefois être régularisées, car aucune disposition légale ou réglementaire ne le permet, sauf quelquefois la circulaire Valls.

Ces personnes étant souvent employées dans des métiers dits en tension, on ne peut opposer à leur régularisation l’argument du chômage, auquel le Gouvernement est du reste sensible. L’article 3 prévoit d’ailleurs que les régularisations ne pourront intervenir que pour les salariés exerçant des métiers dits en tension et dans certaines zones géographiques tendues où le taux de chômage est faible. Il faut de plus que les personnes satisfassent à certains critères, notamment qu’elles résident depuis plus de trois ans sur le territoire national.

Le dispositif gouvernemental aurait permis à ces personnes d’obtenir un titre de séjour d’un an n’ouvrant pas droit au regroupement familial – cela est précisé expressis verbis dans le texte.

Nous avions également assorti ce dispositif d’une clause de trois ans qui prévoyait son extinction à la fin de l’année 2026. Il était évident que personne n’aurait pu former le projet de venir en France pour obtenir une régularisation dans ce cadre et que nous évitions donc tout appel d’air. Toujours est-il que, la caricature étant toujours plus facile, j’ai eu du mal à expliquer ce point dans les médias.

Comme je l’ai déjà indiqué, le Gouvernement estime toutefois que l’esprit de compromis doit l’emporter. L’essentiel est que puisse être adoptée une disposition permettant la régularisation de personnes qui travaillent dans notre pays depuis longtemps et dont les employeurs refusent de signer le formulaire Cerfa permettant de les régulariser par peur que l’on découvre le pot aux roses.

J’appelle de mes vœux l’accord qui a été trouvé hier soir par la majorité sénatoriale au travers de l’amendement n° 657, dans l’adoption permettra l’insertion d’un article 4 bis. Cette solution est acceptable pour le Gouvernement,…

M. Bruno Retailleau. Tant mieux !

M. Gérald Darmanin, ministre. … même si certaines dispositions mériteront d’être revues, soit parce qu’elles ont été rédigées à la hâte, soit parce qu’elles sont plus larges que ce que le Gouvernement avait lui-même envisagé.

Monsieur Retailleau, c’est avec un plaisir non feint que j’appelle votre attention sur le fait que votre dispositif permettra des régularisations plus nombreuses que celui qu’avait prévu le Gouvernement. (M. le président de la commission des lois fait un signe de dénégation.) Nous y reviendrons, monsieur le président de la commission des lois.

M. Bruno Retailleau. C’est faux !

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous proposez en effet que certaines durées de séjour régulier soient prises en compte dans le calcul des périodes travaillées, alors que le dispositif du Gouvernement excluait les périodes travaillées en qualité de demandeur d’asile, d’étudiant ou de travailleur saisonnier.

Pour ma part, je ne doute pas que vous voterez le sous-amendement n° 676 du Gouvernement qui tend à corriger cette erreur.

En tout état de cause, sur l’amendement n° 657 tendant à insérer un article 4 bis, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat, même s’il faudra sans doute retravailler sa rédaction à l’Assemblée nationale. Évidemment, j’aurais préféré le maintien de l’article 3, mais je comprends qu’il ait été nécessaire de trouver un compromis politique ici, au Sénat, et demain à l’Assemblée nationale – c’est l’engagement que je prends, même si les parlementaires sont libres d’y apporter des modifications.

Telle est, monsieur Kanner, la position entière du Gouvernement, telle que l’a exprimée publiquement Olivier Dussopt cet après-midi. Si vous ne disposez pas des moyens de communication modernes dont notre département du Nord est pourtant pourvu, je puis vous envoyer la capture vidéo de son intervention. (Sourires.)

Quoi qu’il en soit, je remercie la Haute Assemblée de cet esprit de compromis, ainsi que tous les groupes qui ont participé à son élaboration, singulièrement le président Marseille qui a proposé des modifications pertinentes qui figurent à l’amendement n° 657.

L’article 3, tout comme l’article 4 bis qui a vocation à le remplacer, n’est pas l’essentiel de ce texte. Il n’est que l’un des quarante-huit articles qui le composent. Dans la version gouvernementale, le dispositif ne concernait que 7 000 personnes par an et avait vocation à s’éteindre en 2026. Il ne méritait ni les bravos de ceux qui le considéraient comme l’alpha et l’oméga du texte ni les hennissements de ceux qui l’estimaient affreux. (Mme Marie-Pierre de La Gontrie sexclame.)

Cette mesure permettra avant tout de régler des problèmes individuels qui sont aujourd’hui insolubles et qui, du reste, concernent majoritairement des femmes. Elle nous permettra de lutter contre l’immigration irrégulière et contre ceux qui embauchent des personnes de façon irrégulière. J’espère que, ce faisant, nous mettrons fin à tout un écosystème irrégulier.

Tels sont les éléments que je souhaitais clarifier concernant les propositions formulées par le Sénat. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI et INDEP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, sur l’article.

Mme Audrey Linkenheld. Il n’est pas simple de s’exprimer sur cet article.

Lorsque je me suis inscrite pour prendre la parole, je devais intervenir sur la version que M. le ministre a rappelée au début de son intervention. Les articles 3 et 4 ont ensuite fait l’objet d’une demande de réserve, puis cette réserve a été levée et il est désormais envisagé de les supprimer au profit d’un article 4 bis

Plutôt que d’essayer de commenter un article dont on ne sait plus très bien ce qu’il contient, j’indiquerai ce qui, sur les travées du groupe socialiste, nous paraissait intéressant dans sa version initiale, puisqu’il constituait l’une des rares avancées permises par ce projet de loi.

Nous estimons que des travailleurs sans-papiers qui résident en France depuis au moins trois ans, travaillent depuis plusieurs mois et exercent des métiers dont notre société a besoin – auxiliaire de vie, gardien, agent de nettoyage, cuisinier, plongeur… – peuvent avoir droit à une carte de séjour temporaire de plein droit, parce que la loi reconnaît leur contribution à notre économie et à notre société, sans avoir à en passer par une analyse individuelle menée par un préfet.

Telle est la position que nous défendons et que nous continuerons de défendre au travers d’amendements visant à aller encore plus loin que ce qui est prévu dans le cadre des articles 3 et 4. (M. Patrick Kanner applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, sur l’article.

Mme Raymonde Poncet Monge. Depuis des semaines, des travailleurs sans-papiers sont en grève dans une trentaine de sites d’Île-de-France, dont des sites des jeux Olympiques et Paralympiques. Ils manifestent devant les agences d’intérim et les entreprises de nettoyage. Ils demandent ce que la raison et la justice voudraient que nous demandions, à savoir la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers.

L’article 3, qui reçoit tant de critiques sur les travées de la droite, réduit pourtant toujours ces travailleurs, dont une grande partie exercent des métiers difficiles et dangereux, à l’immigration entérinée comme « choisie » par Nicolas Sarkozy après les grandes grèves des sans-papiers de 2008, et dont la liste des trente métiers a ensuite été formalisée par la circulaire Valls.

« La loi que j’ai fait voter prévoit d’ailleurs de permettre à titre exceptionnel de régulariser au cas par cas dans des secteurs connaissant de graves pénuries de main-d’œuvre », disait déjà Brice Hortefeux. Rien de nouveau, donc. Mais c’est encore trop ! Il faut durcir, durcir et, surtout, laisser les régularisations à la main des employeurs, même a posteriori.

Cette politique d’immigration jetable est à l’œuvre depuis quinze ans, mais la droite estime que l’article 3, qui prévoyait de l’adoucir, est encore trop laxiste. En sus de son coût humain, une telle politique est pourtant inadaptée.

Comme le constate Émeline Zougbédé, sociologue au CNRS, la liste des métiers en tension telle qu’elle existe aujourd’hui ne correspond pas du tout aux postes qu’occupent les sans-papiers. Problème, donc…

Mes chers collègues, que faites-vous des travailleurs sans-papiers qui ne sont pas employés dans les prétendus métiers en tension ? Que ferez-vous de ceux qui le sont, puis qui ne le seront plus et de ceux qui travaillent depuis des années et font tenir des entreprises et des secteurs entiers, participant ainsi à l’effort collectif ?

Ce que nous devrions défendre, ce que les écologistes défendent, la position raisonnable et humaniste, c’est la régularisation de tous les travailleurs sans-papiers, de plein droit, par l’octroi d’un titre de séjour durable.

Nous en sommes loin ! Même limitée aux emplois vacants, la droite trouve qu’une telle disposition est encore trop, par pure idéologie ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Yan Chantrel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. J’ai dans les mains le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration dans sa version initiale.

L’exposé des motifs de l’article 3, validé par M. Dussopt et vous-même, monsieur le ministre, précise que « la carte de séjour temporaire mention “travail dans des métiers en tension” relèverait de la seule initiative du travailleur étranger. Elle serait délivrée de plein droit sous réserve de la preuve, apportée par tout moyen, d’une ancienneté de résidence sur le territoire national… ».

Tel était l’esprit de l’article 3, qui sera manifestement dénaturé. Je tiens à indiquer que nous nous opposerons à la dénaturation des articles 3 et 4 via leur remplacement, par voie d’amendement, par un article 4 bis.

Mes chers collègues, régulariser une personne qui vit en France, qui y travaille, c’est tout simplement reconnaître sa participation à la vie de notre société. Durant les six semaines de ma campagne électorale, aux mois d’août et de septembre derniers, dans notre département du Nord – nous avons tout de même quelques points communs, monsieur le ministre –, combien de patrons ai-je rencontrés réclamant un encadrement juridique leur permettant de donner une vie correcte à celles et ceux qui enrichissent notre pays ?

En disant cela, je ne suis pas dans le pathos. Je suis simplement en prise avec la réalité économique. Du reste, même mes collègues des travées de droite savent que cette demande existe.

Nous voulons pour notre part un vivre-ensemble dans une République inclusive. C’est pourquoi nous nous opposerons avec force et vigueur à tout ce qui ira à l’encontre des principes, au fond généreux, du projet de loi initial.

Nous voulons des personnes autonomes, intégrées dans notre République. Même si elles sont étrangères, elles méritent notre considération et notre bienveillance.

Tel est l’état d’esprit dans lequel nous défendrons nos amendements à vos différentes propositions, mes chers collègues.

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Florennes, sur l’article.

Mme Isabelle Florennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous l’avons affirmé dès la discussion générale, le groupe Union Centriste n’a jamais été fétichiste de l’article 3. Sa démarche est pragmatique, guidée par la volonté de parvenir à un compromis satisfaisant.

Que le dispositif soit prévu à l’article 3, après l’article 3, après l’article 4 ou à l’article 13 nous importe peu. Encore une fois, nous ne comprenons pas du tout l’effervescence suscitée par cette disposition sur les métiers en tension.

Fallait-il créer un nouveau titre de séjour avec des critères ouvrant un droit à régularisation dans les métiers en tension ? Non. Cette position n’est pas nouvelle, c’est ce que nous répétons depuis des mois.

Notre ligne sur le sujet est parfaitement claire et n’a pas bougé : le plus efficace est de conserver, comme aujourd’hui, le pouvoir d’appréciation des préfets dans une gestion des dossiers au cas par cas, y compris dans les métiers en tension.

L’amendement que nous avons déposé à l’article 3 tendait à le modifier en ce sens. L’article 3 en tant que tel pose un problème symbolique ? Si tel est le cas, insérons cette disposition ailleurs dans le texte. Pas de problème !

S’appuyant clairement sur le dispositif que le groupe Union Centriste proposait d’introduire par voie d’amendement, la commission nous propose aujourd’hui d’insérer un dispositif similaire dans un article additionnel après l’article 4.

Sans surprise, cela nous convient parfaitement, mes chers collègues. Nous sommes attachés au fond de cet article, pas à sa forme.

Comme nous le souhaitons, le dispositif proposé prévoit bien de modifier le régime applicable en matière d’autorisation de travail. Comme cela a été rappelé, un salarié sans-papiers qui souhaite régulariser sa situation doit recueillir l’accord de son employeur via la signature d’un formulaire Cerfa. Nous ne souhaitons pas que cette disposition soit maintenue.

La solution retenue in extremis par la commission prévoit sa suppression. Il n’y aura donc ni appel d’air ni déni de réalité. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Brossat, sur l’article.

M. Ian Brossat. Monsieur le ministre, permettez-moi d’exprimer les regrets du groupe CRCE-K. Nous n’avons jamais considéré que l’article 3 était une panacée. Nous avions plein de propositions à formuler pour en améliorer la rédaction et en étendre l’application. Tout le monde a bien compris maintenant le sort qui sera réservé à cet article par la majorité sénatoriale.

J’ai toutefois des regrets, parce que cet article aurait permis de commencer à sortir de cette forme d’hypocrisie par laquelle nous laissons des milliers de personnes employées dans des métiers pénibles, qui se lèvent tôt et se couchent tard, travailler sans papiers, donc sans droits. Ces personnes travaillent dans le ménage, comme éboueurs ou dans les travaux publics. Elles paient bien souvent des impôts et des cotisations sociales.

Certains éléments de la circulaire Valls sont à nos yeux absurdes. Il est en effet absurde que l’autorisation de l’employeur, qui fait bien souvent sciemment le choix d’embaucher un travailleur sans-papiers, soit nécessaire à la régularisation du même travailleur, plaçant ce dernier en situation de quémander auprès de son employeur la signature d’un formulaire Cerfa.

L’article 3 nous aurait permis d’avancer et je regrette que la majorité sénatoriale ait fait le choix de sacrifier cet élément, et partant, de ne pas sortir de l’hypocrisie.

En dépit de ce regret, je constate avec satisfaction que toutes les enquêtes d’opinion montrent que la majorité des Français, qui sont pourtant durs sur les questions d’immigration, sont favorables à la régularisation des travailleurs sans-papiers. (Cest faux ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Ne vous en déplaise, mes chers collègues, c’est la réalité.

M. Stéphane Ravier. Place du Colonel Fabien, peut-être !

M. Ian Brossat. Montrez-vous capables de la regarder en face ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Jadot, sur l’article.

M. Yannick Jadot. Nous arrivons à un point clé de ce débat.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de revenir sur la formule quelque peu infantilisante par laquelle vous avez caractérisé ce projet de loi : « Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils. » Le résultat, aujourd’hui, est que nous allons être méchants avec les gentils.

Ce projet de loi et ce débat ne s’appuient que sur des mensonges et des contre-vérités. (Marques de désapprobation sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Heureusement, vous êtes là !

M. Stéphane Ravier. Un million de clandestins !

M. Yannick Jadot. Vous avez incontestablement réussi à diffuser dans l’opinion publique la notion clé d’« appel d’air », que pas une étude, pas un expert, pas un chef d’entreprise, pas un syndicaliste ne confirme.

L’immigration serait incontrôlable. C’est faux ! Aucune statistique ne le valide.

Il faudrait revenir sur la dignité des personnes, attaquer les étudiants, refuser de soigner les immigrés. Il faudrait limiter les mariages mixtes et le regroupement familial. C’est ainsi que l’on répondrait à un enjeu de société. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Vous êtes à côté ! Ce débat est un débat parallèle, reflet d’un monde parallèle sans rapport avec la réalité !

M. Laurent Somon. Inutile de hausser la voix !

M. Philippe Mouiller. Nous sommes au Sénat, ici !

M. Yannick Jadot. Les Françaises et les Français, les citoyens, les entreprises, attendent mieux du Sénat.

M. Stéphane Ravier. Ils en ont ras le bol !

M. Yannick Jadot. Ils attendent que nous répondions sur le fond à la question de l’immigration. Aujourd’hui, pourtant, nous débattons d’un projet de loi du désordre et du mensonge. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

C’est une faute morale que de laisser des dizaines de milliers de personnes qui construisent la France avec nous dans l’illégalité, dans l’indignité, dans la précarité. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. Stéphane Ravier. Elles s’y sont mises elles-mêmes !

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, sur l’article.

M. Guy Benarroche. Monsieur le ministre, permettez-moi de retracer brièvement la genèse de ce projet de loi, dont – je le rappelle – le titre Ier s’intitule « Assurer une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue ».

Pour préparer ce projet de loi, vous avez reçu, avec Olivier Dussopt – j’ignore s’il va nous rejoindre aujourd’hui, mais il était alors bien présent – l’ensemble des présidents de groupe, dont Guillaume Gontard, accompagnés d’un certain nombre de sénateurs. J’étais présent lorsque vous avez exposé vos intentions.

Nous vous avons déclaré tous les deux que nous comprenions vos motivations et que nous pouvions même envisager d’enrichir le texte d’un certain nombre d’apports, en complément des mesures que vous aviez déjà évoquées et que vous avez rappelées tout à l’heure, et ce pour une meilleure intégration par le travail des immigrés en France.

Un projet de loi a ensuite été déposé au Sénat, puis a été profondément modifié par notre commission des lois. C’est alors que notre assemblée a été stoppée net dans son élan par le Gouvernement.

Par la suite, on nous a dit d’abord qu’il pourrait y avoir deux textes distincts, puis plus un seul. En définitive, nous avons appris qu’il y aurait bien un projet de loi, sans qu’il soit possible de savoir quand.

Aujourd’hui, ce projet de loi est de retour, mais dans la rédaction retenue par notre commission des lois, c’est-à-dire dans sa version sénatoriale. Par rapport au texte initial, la seule différence, c’est que les négociations ont désormais lieu en direct au Sénat. Vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, d’un projet de loi qui était conçu pour favoriser l’intégration par le travail, on aboutit à un texte qui n’a d’autre intérêt que de vous permettre d’aboutir à un compromis, puisque seul le consensus politicien vous importe.

Voilà ce que sont devenues les dispositions du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.

Mme Mélanie Vogel. Nous en sommes parvenus à la discussion de l’article qui, au fond, ne figurait dans ce texte que pour servir d’élément de langage au Gouvernement, lequel parlait d’un projet équilibré qui marchait sur deux jambes, la jambe des horreurs et la jambe des douceurs.

Pour ce qui est des horreurs, nous avons bien vu de quoi il retournait depuis le début de l’examen du projet de loi, lundi : suppression de l’aide médicale de l’État (AME), durcissement de l’accès au regroupement familial, décalage du versement des allocations familiales, etc. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Aujourd’hui, nous devions en venir à l’autre jambe, celle des douceurs, au nombre très faible du reste. Il s’agissait seulement de donner un peu de dignité à quelques personnes sur un temps réduit. Tel était en effet le sens de l’article 3.

Désormais, il est question d’amputer cette jambe. Cela ne surprendra certes personne de la part du groupe Les Républicains et de la majorité sénatoriale. La véritable nouvelle, ce soir, nous vient en réalité du Gouvernement, puisque vous nous dites, monsieur le ministre, que vous êtes prêt à vous en remettre à la sagesse du Sénat pour ce qui est de l’éventuelle suppression de l’article 3,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Non !

Mme Mélanie Vogel. … qui était pourtant la mesure dont vous faisiez la promotion partout dans la presse.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

Mme Mélanie Vogel. Vous avez pourtant indiqué vous en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 655 tendant à supprimer l’article 3 – ou alors, j’ai mal compris,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Je préfère que vous l’énonciez ainsi !

Mme Mélanie Vogel. … auquel cas j’espère que vous me corrigerez.

Je reprends : la véritable information ce soir, c’est que le Gouvernement préfère perdre son honneur pour garder un texte plutôt que perdre un vote et garder la face ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, nous voilà à un moment clé de l’examen de ce texte.

Depuis le départ, nous manifestons notre opposition aux articles 3 et 4.

Mme Mélanie Vogel. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Ce soir, j’espère bien qu’ils seront enfin supprimés.

Monsieur le ministre, vous ne manquez pas d’air ! C’est extraordinaire. Je sais qu’en politique le culot est souvent une qualité, mais tout de même !

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous pouvez parler !

M. Bruno Retailleau. Vous voulez faire croire que le dispositif de la majorité sénatoriale équivaut à celui que vous proposiez.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Bruno Retailleau. Que nenni ! Ou alors les groupes politiques de gauche se trompent tous !

Si toute la gauche monte au créneau, c’est parce qu’elle perçoit bien la différence. (Marques dapprobation sur les travées du groupe GEST.) Elle sait bien que notre proposition ne correspond pas du tout à la proposition initiale, qui était le sommet, que dis-je, le paroxysme de la Macronie, le « en même temps » en matière migratoire. Notre proposition est en effet beaucoup plus restrictive que le dispositif d’origine, monsieur le ministre.

Ainsi, l’article 3 créait un droit automatique : plus longtemps vous fraudiez, plus longtemps la fraude était dissimulée, plus elle était créatrice de droits, en l’occurrence un droit opposable (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) que l’administration elle-même n’aurait pas pu contrarier.

Nous ne voulons pas de cette mesure. C’est pourquoi nous souhaitons supprimer cet article et le remplacer par une disposition durcissant la circulaire en vigueur.

Les effets de votre dispositif n’étaient pas quantifiables, monsieur le ministre, mais celui-ci aurait sans doute entraîné la régularisation de dizaines de milliers d’étrangers. (M. le ministre rit. – Exclamations sur des travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

La mesure que nous proposons a un impact nettement plus quantifiable ; elle est surtout tenable, parce qu’elle ne crée aucun droit automatique. En outre, nous durcirons ce que l’on appelle la circulaire Valls pour les métiers en tension.

D’ailleurs, si un sous-amendement ayant pour objet de restreindre encore davantage ce nouveau dispositif est déposé, j’inviterai nos collègues de gauche et de droite à le voter – même s’il émane de vous, monsieur le ministre ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)