Mme Laurence Rossignol. Depuis la loi de 2016, des commissions départementales ont été mises en place, dans les préfectures, afin de permettre à des femmes – le plus souvent – de sortir de la prostitution au travers d’un parcours encadré.

Selon l’office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), 80 % des prostituées sont des personnes étrangères souvent victimes des réseaux de traite. Aussi, pour sécuriser ce parcours de sortie de la prostitution, le préfet délivre un titre de séjour temporaire de six mois à la personne qui suit un tel parcours. Or les professionnels et les associations siégeant au sein des commissions départementales considèrent que la durée de six mois est trop courte.

Nous proposons donc d’étendre à un an la durée de ce titre de séjour. Le préfet conserve toute compétence pour suspendre ou retirer le titre de séjour en cas de sortie prématurée de ce parcours, lequel fait l’objet d’un suivi de la part de la commission départementale.

Il s’agit de sécuriser le parcours de sortie de la prostitution de femmes qui, le plus souvent, sont en situation de vulnérabilité, de fragilité et d’instabilité. Ce serait un moyen supplémentaire pour les aider à s’en sortir et pour lutter contre les réseaux de traite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je ne voudrais pas que l’avis de la commission, sur ce sujet délicat, soit mal interprété. Nous sommes en effet attentifs à la situation des personnes victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme.

Il existe aujourd’hui un dispositif à deux vitesses, si je puis dire, qui permet de délivrer deux titres différents.

Dans le premier cas, les personnes étrangères victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme peuvent obtenir une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois.

Dans le second cas, il s’agit de délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » d’une durée d’un an, comme vous le souhaitez aujourd’hui, aux étrangers qui déposent une plainte contre leur proxénète ou qui témoignent contre cette personne dans le cadre d’une procédure pénale.

Ce dispositif est incitatif : il permet de lutter contre ces réseaux et de les démanteler. En outre, au terme de cette procédure, une carte de résident de dix ans est délivrée.

En prévoyant une durée de validité égale pour les titres de séjour délivrés aux victimes de traite et de proxénétisme, d’une part, et pour ceux délivrés à celles qui acceptent de témoigner contre leur proxénète, d’autre part, nous supprimerions une disposition incitative et risquerions de ne plus parvenir à démanteler les réseaux.

C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable, sans pour autant faire fi de la situation des personnes victimes de traite et de proxénétisme.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Prolonger la durée du titre de séjour de ces victimes jusqu’à un an est un élément positif, car six mois paraissent trop courts. Vous souhaitez, madame Rossignol, en faire bénéficier aussi les victimes qui ne portent pas plainte. Or si l’on ne conditionne pas l’octroi de ce titre prolongé à un dépôt de plainte, il sera plus difficile de lutter contre les réseaux que vous dénoncez et d’éviter le dévoiement du dispositif…

Accepteriez-vous un sous-amendement du Gouvernement en ce sens ?

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.

Mme Laurence Rossignol. Monsieur le ministre, nous sommes aussi motivés l’un que l’autre pour lutter contre les réseaux de traite et pour aider les personnes prostituées à les dénoncer.

Pour autant, les enquêteurs m’ont expliqué que les raisons incitant celles-ci à déposer plainte et à dénoncer les organisateurs des réseaux étaient très diverses, et ne se limitaient pas au simple échange entre un titre de séjour prolongé et un dépôt de plainte.

L’une des raisons qui pèse le plus lourdement sur leur décision a trait aux moyens dont disposent les réseaux de traite pour faire pression sur les familles restées au pays. Vous pouvez mettre tout ce que vous voulez dans la balance, vous n’arriverez pas à convaincre ces personnes de mettre leur famille ou leurs enfants en danger afin d’obtenir six mois de délai supplémentaire !

Pour répondre à Mme la rapporteure, je n’aime pas trop l’idée – et c’est la même histoire dans le cas des femmes victimes de violences – selon laquelle « il n’y a qu’à déposer plainte ». Il existe des situations dans lesquelles on dépose plainte parce qu’on en a la force et que l’on sait que cela aboutira, et d’autres dans lesquelles c’est très compliqué. Croyez-moi, le cas de figure des réseaux de traite est encore plus compliqué que celui des conjoints violents !

Notre amendement vise à sécuriser le parcours de sortie de la prostitution en accordant un titre de séjour d’une durée d’un an.

Je suis d’accord avec vous, il faut aider ces victimes à déposer plainte. Toutefois, je ne souscris pas à ce donnant-donnant, car les raisons pour lesquelles elles ne déposeraient pas plainte n’ont rien à voir avec les avantages supplémentaires procurés par un titre de séjour.

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je le rappelle, le titre de séjour d’une durée de six mois est renouvelable tant que les femmes ne sont pas sorties de la prostitution et tant qu’elles ne sont pas insérées socialement, et il vaut autorisation de travail. Il ne s’agit donc pas d’un titre qui s’arrêterait sèchement au bout de six mois, au motif que ces femmes n’auraient pas voulu déposer plainte…

Je partage tout à fait la position de Mme Rossignol, porter plainte n’est pas toujours simple. Mais la loi prévoit d’ores et déjà un parcours de réinsertion sociale et une autorisation de travail. Ce que M. le ministre propose figure donc dans la loi, me semble-t-il.

Le dépôt de plainte permettra de bénéficier d’un titre de séjour d’une durée plus longue. Mais cela ne signifie pas que le titre de séjour d’une durée de six mois prendra fin sèchement, laissant les femmes abandonnées à elles-mêmes.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est une question très difficile et j’entends votre argument, madame Rossignol.

À la demande de Mme Buffet à l’Assemblée nationale, nous avons déposé un amendement, que le Sénat a voté, me semble-t-il, ayant trait au titre de séjour accordé aux personnes en situation irrégulière, victimes de violences conjugales, qui ont déposé plainte contre leur conjoint. Nous avons déjà mis en place ce dispositif, qui fonctionne.

Certes, tout le monde ne déposera pas plainte. Mais c’est l’honneur de la République que d’avoir prévu de délivrer un titre de séjour, c’est-à-dire d’accorder la protection de la République, à une épouse victime des violences de son conjoint, notamment dans le cadre d’une procédure pénale. Je ne suis pas certain que ce dispositif ne soit pas opérationnel, mais j’entends votre argument.

Je propose donc que nous travaillions sur ce sujet – ce sera le cas à l’Assemblée nationale – afin que nous puissions inciter les personnes concernées à déposer plainte et à lutter contre les organisations criminelles, mais aussi éviter le détournement du dispositif.

J’ai bien compris que vous n’aviez pas envie de créer une filière d’immigration irrégulière, puisque vous prévoyez d’en passer par la commission départementale et souhaitez que le préfet donne son avis…

Mme Laurence Rossignol. Cela concerne quelques centaines de personnes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage votre avis. Toutefois, mon devoir est de respecter le souhait du législateur.

Je propose que l’on y revienne dans le cadre de la navette parlementaire. Il faudrait ainsi déterminer comment le préfet pourrait se porter garant que la personne concernée subit des traitements dégradants, même si elle ne dépose pas formellement plainte ; elle pourrait, par exemple, collaborer d’une manière ou d’une autre avec la police pour donner aux enquêteurs les moyens de lutter contre les flux de personnes maltraitées en situation irrégulière.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 166.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, nadopte pas lamendement.)

Article additionnel après l'article 1er F - Amendement n° 166
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Article additionnel après l'article 1er F - Amendement n° 340 rectifié

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 119 rectifié, présenté par MM. Szczurek, Durox et Hochart, est ainsi libellé :

Après l’article 1er F

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 312-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 312-2-… ainsi rédigé :

« Art. L. 312-2-…. – La délivrance d’un visa peut, suivant les États et en vertu d’une liste établie annuellement par décret après avis des commissions parlementaires compétentes et mise en œuvre d’une procédure de consultation publique, être subordonnée au paiement d’une taxe ainsi qu’au dépôt d’une caution couvrant les frais de rapatriement, laquelle est restituée par l’autorité consulaire au retour dans l’État d’origine de la personne sollicitant le visa.

« Le montant des taxes susvisées en fonction des États est fixé par décret en Conseil d’État. ».

La parole est à M. Joshua Hochart.

M. Joshua Hochart. Notre amendement a pour objet d’exiger une contrepartie financière à l’obtention d’un visa. J’évoquerai quelques éléments de contexte : la France a distribué 1,7 million de visas en 2022, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.

Cet amendement vise à dissuader les demandeurs de visa qui n’ont pas l’intention sincère de respecter les conditions de leur séjour. En demandant un paiement, nous incitons les demandeurs à réfléchir sérieusement à leur entrée et à s’assurer qu’ils ont une raison légitime de venir dans notre pays. Cela permettra de réduire les demandes de visa abusives et de lutter contre les séjours devenus irréguliers à la suite de la caducité d’un visa.

Dans cette période de dette publique importante, les fonds recueillis grâce à cette contrepartie financière pourraient être réinvestis dans des programmes visant à renforcer les capacités de surveillance et de contrôle de nos frontières, mais également à améliorer l’accueil et l’intégration des personnes qui obtiennent un visa régulièrement.

En outre, l’exigence d’une contrepartie financière n’est pas une mesure unique dans le monde. De nombreux pays ont déjà mis en place des systèmes similaires, ce qui démontre leur faisabilité et leur efficacité – je pense aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Australie.

Enfin, cet amendement ne vise pas à rendre les visas inaccessibles aux demandeurs légitimes, mais, au contraire, à garantir que ceux qui obtiennent un visa soient sincères dans leur intention de respecter les lois de notre pays.

M. le président. L’amendement n° 535 rectifié ter, présenté par M. Ravier, est ainsi libellé :

Après l’article 1er F

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 312-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La délivrance d’un visa peut, suivant les États et en vertu d’une liste établie annuellement par décret, être subordonnée au paiement d’une taxe ainsi qu’au dépôt d’une caution couvrant les frais de rapatriement, laquelle est restituée par l’autorité consulaire au retour dans l’État d’origine de la personne sollicitant le visa.

« Le montant des taxes susvisées en fonction des États est fixé par décret en Conseil d’État. »

La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. « C’est trop cher », « on n’y arrivera pas », « on n’a pas l’argent », voilà ce que l’on entend souvent en France lorsque l’on dit que les clandestins doivent être expulsés…

Cet amendement vise à remédier à ce problème financier. Ainsi, chaque étranger bénéficiaire d’un visa de long séjour devra fournir une somme mise sous séquestre et restituée lors de son retour au pays. S’il n’a pas respecté son obligation de quitter le territoire français à l’expiration de son titre de séjour, la somme cautionnée servira à lui payer un billet d’avion de retour et son placement en centre de rétention administrative (CRA) en attendant son départ.

Je rappelle pour mémoire qu’un clandestin en CRA nous coûte 700 euros par jour !

Selon les chiffres du ministère, au 31 décembre 2020, on dénombrait en tout 3,5 millions de titres de séjour supérieurs à trois semaines valides en France. Mes chers collègues, si l’on avait cautionné ne serait-ce que 1 000 euros par personne, nous aurions eu 350 millions d’euros sous le coude pour mener à bien des expulsions. Je vous laisse calculer le nombre de charters que nous aurions pu financer !

M. le président. L’amendement n° 245 rectifié bis, présenté par MM. Le Rudulier, Menonville et Frassa, Mme Josende, MM. Rochette et Courtial, Mmes Herzog et Puissat, M. Paccaud, Mmes Petrus, Lavarde et Bellurot, MM. Chasseing et Wattebled, Mmes Micouleau et Belrhiti, M. Genet, Mme Devésa, M. Duffourg et Mme V. Boyer, est ainsi libellé :

Après l’article 1er F

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l’article L. 311-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un article L. 311-1-… ainsi rédigé :

« Art. L. 311-1-…. – Sauf pour les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, une caution est exigée de tout étranger qui demande un visa ou un titre de séjour.

« La caution est restituée lors du départ de l’étranger s’il a satisfait à l’ensemble des conditions de son séjour, sinon, elle est retenue, notamment lorsque l’étranger refuse de quitter le territoire national à l’issue de la période de validité du document autorisant sa présence en France. »

La parole est à Mme Lauriane Josende.

Mme Lauriane Josende. Cet amendement vise à mettre en place une caution retour afin de renforcer la garantie que les titulaires d’un titre de séjour ou d’un visa quittent effectivement le territoire à l’issue de la période de validité de leur document. Par ces dispositions financières dissuasives, nous entendons les inciter à quitter le territoire national.

Au Canada, par exemple, les agents d’immigration peuvent demander aux personnes entrant sur le territoire de déposer une caution sous forme d’argent. Ils s’assurent ainsi que l’étranger respectera certaines règles durant sa visite, en particulier qu’il quittera effectivement le pays à la fin du séjour autorisé. C’est précisément le type de caution que nous souhaitons créer.

Article additionnel après l'article 1er F - Amendements n° 119 rectifié, n° 535 rectifié ter et n° 245 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration
Article 1er G (nouveau)

M. le président. L’amendement n° 340 rectifié, présenté par M. Karoutchi, Mme Aeschlimann, MM. Allizard, Bacci et Bazin, Mmes Bellurot, Belrhiti et Berthet, M. E. Blanc, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonnus, Mme Borchio Fontimp, M. Bouchet, Mme V. Boyer, MM. Brisson, Burgoa et Cambon, Mme Chain-Larché, M. Chaize, Mmes de Cidrac et Ciuntu, MM. Darnaud et Daubresse, Mmes Demas, Deseyne, Di Folco, Drexler, Dumont, Estrosi Sassone, Eustache-Brinio et Evren, MM. Favreau et Frassa, Mme Garnier, M. Genet, Mme Gosselin, MM. Gremillet et Grosperrin, Mme Gruny, MM. Gueret, Hugonet et Husson, Mmes Jacques, Josende et Joseph, M. Klinger, Mme Lassarade, MM. D. Laurent, Lefèvre, de Legge, Le Rudulier et H. Leroy, Mmes Lopez, Malet et P. Martin, M. Meignen, Mme Micouleau, MM. Milon et Mouiller, Mmes Muller-Bronn et Nédélec, M. de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Panunzi, Paul, Pellevat, Pernot et Perrin, Mme Pluchet, M. Pointereau, Mmes Primas et Puissat, MM. Rapin, Reichardt et Retailleau, Mme Richer, MM. Rojouan, Saury, Sautarel et Savin, Mme Schalck, MM. Sido, Sol, Somon, Szpiner et Tabarot, Mme Ventalon, MM. C. Vial, J.P. Vogel, Bouloux, Cuypers et Khalifé et Mme Petrus, est ainsi libellé :

Après l’article 1er F

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le chapitre II du titre I du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une section … ainsi rédigée :

« Section …

« Dépôt préalable d’une caution retour pour la délivrance d’un titre de séjour pour motifs d’études

« Art. L. 412-. – La première délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » mentionnée à l’article L. 422-1 est subordonnée au dépôt par l’étranger d’une caution.

« La caution mentionnée au premier alinéa est restituée à l’étranger lorsqu’il quitte la France à l’expiration du titre de séjour mentionné au même alinéa, en cas de renouvellement de ce titre de séjour ou en cas d’obtention d’un autre titre de séjour avec changement de motif.

« Par exception au deuxième alinéa, la caution mentionnée au premier alinéa est définitivement retenue lorsque l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une décision d’éloignement.

« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application de cet article. »

La parole est à M. Roger Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Cet amendement a pour objet les titres de séjour étudiant.

Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la progression récente de leur nombre : ces titres sont clairement devenus une voie d’immigration. Nombre de présidents d’université nous affirment d’ailleurs très posément que beaucoup d’étudiants inscrits par ce biais ne se présentent pas aux examens et ne vont même pas en cours. Ce titre de séjour permet bien, en réalité, une immigration non pas clandestine, mais détournée de son but premier.

Voilà pourquoi il faut trouver un moyen désincitatif : c’est tout le sens de la caution que nous proposons. Si l’intéressé part volontairement, son montant sera remboursé. De même, s’il obtient un autre type de titre de séjour, la caution sera naturellement restituée.

Sur ce sujet, le rapport remis par l’OCDE est assez accablant pour la France, qu’il s’agisse du nombre d’étudiants que nous attirons ou de leur niveau.

Je le répète, les présidents et divers responsables d’université nous certifient qu’un très grand nombre de titulaires de ces titres ne suivent pas les cours et ne participent pas aux examens : à l’évidence, nous sommes face à un réel problème de détournement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Mes chers collègues, vous l’avez bien compris, ces dispositions ont un objet identique, mais un périmètre différent.

Ces amendements tendent à créer une caution pour l’étranger qui demande un titre de séjour en France. Cette somme lui sera remboursée, notamment s’il respecte la durée du titre qui lui a été accordé et part donc dès lors qu’il n’a plus le droit de rester dans notre pays.

MM. Ravier et Szczurek proposent d’étendre cette caution à l’ensemble des visas. Je rappelle qu’en 2022 la France en a délivré 1,7 million.

Bien sûr, la commission ne souhaite pas que l’on entre systématiquement en France de la manière la plus simple possible. Au contraire, nous plaidons pour une plus grande fermeté, pour une plus grande maîtrise de l’immigration. Pour autant, nous devons créer des dispositifs conformes aux capacités dont dispose notre administration. Or il lui serait à tout le moins difficile d’appliquer une telle caution à 1,7 million de visas ; et, si l’on y ajoute d’autres titres, comme le souhaite M. Le Rudulier, ce travail peut devenir non seulement difficile, mais peut-être contre-productif.

Vous le savez, la France dispose de 187 catégories de titres. Je ne vais pas les énumérer, mais je pense notamment aux passeports talent, accordés à des personnes qui sont particulièrement qualifiées et que nous cherchons à attirer du fait de leurs compétences. Au-delà des difficultés techniques, je ne suis donc pas sûre que des mesures d’une telle ampleur soient toujours judicieuses.

La commission a été plus sensible à l’amendement présenté par M. Karoutchi. En effet, ses dispositions suivent directement l’esprit dans lequel nous avons travaillé.

Nous le verrons bientôt, nous avons souhaité que les titres étudiants, qui sont la première voie de primodélivrance en France – on en a accordé 108 000 en 2022 ; ce sont les derniers chiffres qui nous ont été communiqués par le ministère de l’intérieur –, fassent l’objet d’un plus grand contrôle.

Il s’agit plus précisément de vérifier l’effectivité des études accomplies par les titulaires de ces titres ; ne les sollicitent-ils pas précisément pour devenir étudiants en France ? Selon nous, il est plutôt de bon aloi d’assortir d’une caution le dispositif prévu à cette fin par la commission.

En conséquence, nous sommes défavorables aux amendements nos 119 rectifié, 535 rectifié ter et 245 rectifié bis. En revanche, nous sommes favorables à l’amendement n° 340 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement est également défavorable aux amendements nos 119 rectifié, 535 rectifié ter et 245 rectifié bis.

Monsieur Karoutchi, je comprends votre philosophie, mais je ne suis pas sûr que ce soit par ce biais que l’on atteindra le but visé.

Comme vous le savez, un certain nombre de dispositions du présent texte visent à rehausser le niveau de français attendu des étudiants venant en France. Pour assurer la sélection que vous appelez de vos vœux, mieux vaut, selon nous, renforcer cette exigence que d’opter pour une mesure financière. Aujourd’hui, pour ce qui concerne la maîtrise de la langue française, nous sommes moins exigeants que le Québec !

Nous souhaitons rehausser le critère de langue. Par cette mesure qualitative, nous abondons dans votre sens et nous évitons les écueils d’une caution, qui pourrait exclure certains élèves doués mais peu fortunés.

Enfin – ayant été pendant trois ans ministre des comptes publics, je prends la liberté de sortir un instant de mon rôle de ministre de l’intérieur –, je vous rappelle que les dotations que perçoivent les universités sont fonction du nombre d’étudiants inscrits. Cette question doit également être examinée sous l’angle budgétaire.

Je le répète, je comprends la philosophie du dispositif que vous proposez ; mais une telle caution risque de pénaliser des personnes méritantes et modestes, souhaitant faire bénéficier notre pays de leur richesse intellectuelle.

Bien sûr, certains abusent des titres de séjour étudiant, au point d’en faire une filière d’immigration irrégulière. En parallèle, les universités sont incitées à multiplier les inscriptions d’étudiants étrangers, qui leur donnent droit aux compensations publiques.

Le contrôle de l’obtention des diplômes ou, à tout le moins, de l’assiduité aux cours dépasse évidemment le champ d’attributions du ministère de l’intérieur. Cela étant, face à un constat que nous dressons comme vous, il ne me semble pas que votre méthode soit la plus indiquée. Mieux vaut – peut-être en conviendrez-vous – renforcer les exigences de maîtrise de la langue. Il faut également adopter le point de vue de l’université. Enfin, au sujet d’une telle caution, je crains l’existence d’effets de bord pour les étudiants les plus modestes.

J’émets donc également un avis défavorable sur l’amendement n° 340 rectifié.

M. le président. Monsieur Hochart, l’amendement n° 119 rectifié est-il maintenu ?

M. Joshua Hochart. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Ravier, l’amendement n° 535 rectifié ter est-il maintenu ?

M. Stéphane Ravier. Je le maintiens également.

M. le président. Madame Josende, l’amendement n° 245 rectifié bis est-il maintenu ?

Mme Lauriane Josende. Oui, je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, vous me répondez qu’il faut rehausser le niveau de maîtrise du français pour les étudiants qui veulent venir en France. Mais ce n’est pas le sujet !

Je ne parle pas de personnes qui viendraient s’installer définitivement en France. Je parle d’étudiants qui, d’ailleurs, peuvent très bien s’inscrire dans des universités scientifiques où l’on ne leur demandera pas de maîtriser la langue de Voltaire dans ses moindres détails.

Le problème, c’est le caractère totalement pervers du système actuel. On peut demander le statut d’étudiant étranger et s’inscrire dans une université sans y aller, sans se présenter aux examens.

Vous le soulignez avec raison : si les universités acceptent de tels candidats, c’est parce que les crédits que leur alloue le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche dépendent du nombre d’étudiants inscrits. Voilà pourquoi on leur dit : « Entrez donc ! » Cela étant – les présidents d’université le reconnaissent eux-mêmes –, beaucoup de ces étudiants ne se présentent pas aux examens.

Je vous le dis en toute franchise, à l’origine, je souhaitais proposer une caution remboursée après l’obtention du premier examen ou du premier niveau de diplôme de l’université concernée. On aurait ainsi eu la preuve de l’assiduité des étudiants. Mais, dans la plupart des cas, il aurait fallu attendre au moins deux ans avant de déterminer s’ils pouvaient rester ou non sur le territoire national, ce qui n’avait pas de sens.

Nous avons tout simplement besoin d’une mesure désincitative. Si le montant de la caution est modeste, ceux qui veulent véritablement étudier en France y parviendront. Quant à ceux qui ne le souhaitent pas réellement, ils emprunteront d’autres voies, mais n’auront pas recours au titre de séjour étudiant, ce qui me semble plutôt vertueux.

M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

M. Pascal Savoldelli. Mes chers collègues, j’ai écouté attentivement la défense de ces amendements : nous voyons bien ce qu’il y a de commun entre certains parlementaires d’extrême droite et une partie de la droite sénatoriale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Vous demandez tous des cautions. L’étranger est donc un locataire ? Il est donc tenu d’acheter sa présence sur le territoire national ? Vous allez lui demander de faire l’état des lieux de son logement ou de son université ? Une telle idéologie est franchement irresponsable.

Chers collègues du groupe Les Républicains, vous êtes pour une République une et indivisible. À ma connaissance, vous êtes pour un système de valeurs, notamment pour l’égalité. Or, avec de telles mesures, vous allez créer des inégalités entre les individus.

J’ajoute que vous vous livrez à des comparaisons fallacieuses. Dans ce domaine, la situation du Canada n’a rien à voir avec celle de la France : il ne s’agit pas de contrôler le comportement des étrangers. Au Canada, cette règle a été mise en œuvre pour attirer les francophones. Vous êtes des menteurs ! (Protestations sur les mêmes travées.)