Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Ollivier, sur l’article.

Mme Mathilde Ollivier. Je souhaite revenir sur deux points.

Nombreux ici sont ceux qui évoquent les difficultés des personnes dyslexiques à lire l’écriture inclusive. Or il n’existe aujourd’hui aucune étude sur le sujet. Par conséquent, j’ignore quelles sont leurs sources… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

J’en viens à la lisibilité de la langue. Il existe une étude, en revanche, selon laquelle les personnes s’habituent à cette écriture et retrouvent, après une première lecture plus lente, leur vitesse de lecture normale.

Comme toujours, la France avance à reculons – et le Sénat de manière encore plus visible (Mme Françoise Gatel proteste.) – face à ces avancées sociétales, qui répondent à de réelles attentes d’une part importante de la société.

Dans l’article 1er, les auteurs de la proposition de loi définissent ce que serait l’écriture dite inclusive, « entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ».

Par ce biais, il s’agit d’interdire l’utilisation de mots tels que « iel » ou « celleux », qui constitueraient une dérive importante. Mais qui définirait les néologismes concernés ? Quand un mot est-il considéré comme un néologisme et à quel moment ne l’est-il plus ?

Le mot « iel », par exemple, est entré dans le dictionnaire Le Robert, mais pas encore dans le Larousse. La prochaine proposition de loi aura-t-elle pour objet de déterminer quel dictionnaire doit être suivi ? Débattrons-nous du caractère militant ou non du dictionnaire Le Robert ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Pascale Gruny sexclame.)

À la page 15 de son projet, Gérard Larcher écrit : « Je vous propose pour les trois années à venir une véritable cure d’austérité normative. » Pensez-vous que ce soit vraiment le moment de légiférer sur l’écriture inclusive ? (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, sur l’article. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laurence Rossignol. Ne me mettez pas la pression ! (Sourires.)

Nous avons déjà eu ce débat ; je crois que nous n’allons pas arriver à nous convaincre les uns les autres.

Selon vous, l’écriture inclusive serait militante. Oui, bien évidemment ! Ce caractère militant se comprend aisément : en dépit de l’inscription dans la loi ces cinquante dernières années de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’égalité salariale, de l’égalité d’accès à toutes les formations, les choses n’avancent pas.

Nous nous sommes alors demandé si les véritables raisons ne résidaient pas ailleurs que dans l’application de la loi. Et quel est cet « ailleurs » ? C’est l’ensemble des représentations qui font que les petites filles – croyez-moi, en la matière, des enquêtes sérieuses existent –, dès l’âge de 5 ou 6 ans, considèrent qu’elles n’ont pas les mêmes compétences que les garçons.

Elles pensent déjà qu’elles sont moins douées pour les mathématiques et même pour les sciences en général. C’est un ensemble de représentations qu’il nous faut combattre.

Tout le travail que nous menons consiste à enlever de la tête des petites filles l’idée selon laquelle elles seraient moins performantes que les garçons. Mais reconnaissons-le : quand, à longueur de scolarité, on dit et on répète que « le masculin l’emporte sur le féminin », il faut que les enseignants soient redoutablement outillés pour expliquer aux enfants que cette règle se limite à la grammaire et que, dans la société, tout le monde est égal.

J’ai entendu le Président de la République affirmer que, dans la langue française, le neutre est masculin : certes – c’est une réalité factuelle –, mais, si le neutre est masculin, le masculin, lui, est loin d’être neutre.

Le masculin est viril… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Pas forcément !

Mme Laurence Rossignol. Le masculin est fondé sur des représentations de la différence des sexes qui induisent des comportements et des stéréotypes distincts. C’est précisément contre ces représentations que l’écriture inclusive permet de lutter.

Enfin, chers collègues de la majorité sénatoriale, pardonnez-moi de vous le dire : vous perdez votre temps.

Même si votre proposition de loi est adoptée, vous pensez vraiment que vous m’empêcherez d’écrire « mesdames et messieurs les élu·e·s » ?

M. Max Brisson. Ce n’est pas le sujet !

M. Stéphane Piednoir. Il ne s’agit pas de cela !

Mme Laurence Rossignol. Vous pensez vraiment m’empêcher d’écrire les statuts de mon association en employant le pluriel de majorité,…

Mme la présidente. Merci, chère collègue.

Mme Laurence Rossignol. … ce d’autant plus qu’il s’agit d’une association féministe ? Jamais vous ne m’en empêcherez. Votre proposition de loi ne sert à rien ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, sur l’article.

M. Mickaël Vallet. Mes chers collègues, dans le droit fil des propos de Pierre Ouzoulias, je tiens à vous dire que je suis à la fois enthousiaste et navré du débat de ce soir.

Je suis enthousiaste, car – je le dis sans ironie aucune –, à mon sens, il est important que le politique puisse débattre de questions d’ordre linguistique. Si des propositions de loi traitent de ces sujets, nous devons les prendre telles qu’elles sont, sans mépris aucun.

M. Mickaël Vallet. Nous devons pouvoir en débattre.

Cela étant, je suis navré que ce sujet soit abordé sous un angle si étroit : je le dis sans aucun esprit polémique.

Tout d’abord – M. le rapporteur l’a relevé à très juste titre –, nous ne traitons pas de l’écriture inclusive, mais, en fait, du point médian.

Monsieur Vial, vous ajoutez qu’aujourd’hui la féminisation ne pose plus aucun problème ; elle a tout de même donné lieu à des controverses comparables à celle de ce soir.

Les linguistes ne font pas la politique, de même que les politiques ne font pas la langue. J’observe toutefois que de très grands linguistes qui ont lutté pour la féminisation des noms sont, pour des raisons fondées sur la grammaire et la syntaxe, ou encore parce qu’ils la jugent impossible en pratique, contre l’utilisation systématique du point médian.

C’est aussi mon cas. Selon moi, il n’est pas possible d’écrire un texte de cinquante pages, un rapport ou que sais-je encore en utilisant systématiquement le point médian. Ce n’est pas tenable. Dès lors, il ne me semble même pas nécessaire de légiférer en ce sens : cet usage disparaîtra de lui-même.

Cela étant, il n’est pas interdit d’être intelligent. Quand on se présente devant une assemblée, que l’on s’adresse à un groupe composé – et c’est bien normal – d’hommes et de femmes, on a le droit de dire « mesdames, messieurs », « chères et chers », comme le fait le Président de la République. On peut même, de manière vocative, utiliser le « cher·e·s ». Ce choix ne pose aucun problème dès lors qu’il est compris par tout le monde, qu’il n’est pas source de confusion.

En résumé, il me semble que nous sommes enfermés dans un piège : j’y reviendrai en explication de vote. (M. Patrick Kanner applaudit.)

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel, sur l’article.

Mme Mélanie Vogel. Chers collègues de la majorité sénatoriale, vous dites et répétez que l’écriture inclusive est une invention militante. La réalité – vous devez l’assumer enfin –, c’est que vous-mêmes êtes les héritières et les héritiers de militants qui, au XVIIe siècle, ont eu pour projet politique de masculiniser la langue française. Nous vous avons rappelé à plusieurs reprises le raisonnement suivi par ces derniers : « Le genre masculin étant le plus noble, il doit prédominer toutes les fois où le masculin et le féminin se rencontrent. » Voilà une affirmation d’une neutralité absolue ! (Sourires sur les travées du groupe GEST.)

À la même époque, on a décidé de supprimer les termes « mairesse », « doctoresse » ou encore « poétesse ». En revanche, on a conservé « nourrice » et « servante », puis, plus tard, « caissière » et « femme de ménage ». Mais qui pourrait y voir l’expression d’un projet politique sexiste ? Franchement, qui ? (Sourires sur les mêmes travées.)

C’est vrai, la langue est le véhicule de nos valeurs. Au fond, elle décrit le monde tel qu’on voudrait qu’il soit.

Oui, celles et ceux qui militent pour que le masculin l’emporte sur le féminin véhiculent l’image d’un monde qu’ils veulent sexiste ; oui, celles et ceux qui militent pour que l’écriture soit inclusive, pour que toutes les personnes dont on parle se sentent représentées, militent pour une société plus égalitaire et plus juste. Pour notre part, nous l’assumons pleinement ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – M. Patrice Joly et Mme Laurence Rossignol applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.

M. Max Brisson. Sur ce sujet, on sait ce que pensent les socialistes et les écologistes qui siègent dans cet hémicycle : ils nous l’ont dit et répété maintes et maintes fois… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)

M. Mickaël Vallet. Alors, on va vous laisser !

M. Max Brisson. Leur position est extrêmement claire : ils sont pour l’écriture inclusive, car ils sont de plus en plus favorables à toutes les théories de la déconstruction.

Madame la ministre, vous regardez ce combat entre la droite et la gauche ; mais vous, que pensez-vous ? Voilà la vraie interrogation.

Mme Laurence Rossignol. Sagesse ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)

M. Max Brisson. Votre attitude, je vous l’avoue, nous donne un peu le vertige.

À la suite du Président de la République, vous dénoncez les dérives d’une démarche militante : nous approuvons. Pour autant, quand il est question d’agir, vous reculez – et là, nous sommes désappointés.

Une fois de plus, nous sommes face au « en même temps » dans toute sa splendeur. Une fois de plus, vous procrastinez.

Vous nous dites que les garde-fous existants nous protègent, mais vous décrivez tous les dangers qu’entraîne la progression de l’écriture inclusive. C’est bien la preuve que ces garde-fous sont insuffisants. On le voit d’ores et déjà dans l’enseignement supérieur. On le vérifiera bientôt dans l’enseignement secondaire, puisque l’écriture inclusive progresse dès à présent dans les manuels scolaires.

Demain, la langue impossible à lire pourrait être enseignée dans les écoles malgré les circulaires, malgré les garde-fous actuels, malgré cet arsenal que vous prétendez suffisant et qui, à l’évidence, ne l’est pas.

Voilà pourquoi il faut légiférer. Voilà pourquoi il faut conserver l’article 1er, qui est bel et bien utile. Voilà pourquoi cette proposition de loi tout entière est utile. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.

M. Patrick Kanner. Madame la présidente, chères collègues sénatrices, chers collègues sénateurs, camarades, compagnons, compagnonnes et j’en passe… (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. « Camarade », cela ne se féminise pas ! (Nouveaux sourires.)

M. Patrick Kanner. Monsieur Brisson, vous interpellez Mme la ministre en lui demandant ce qu’elle pense de cette question : elle pense comme le Président de la République. Pour un membre du Gouvernement, c’est bien normal. Elle ne peut que confirmer les propos tenus lors de l’inauguration de cette après-midi : dont acte. Si vous voulez approfondir la question, vous pourrez toujours l’interroger en privé, ce sera plus simple…

Chers collègues de la majorité sénatoriale, la langue française, comme n’importe quelle autre langue, est soumise aux évolutions de la société. Nous toutes et tous constatons les changements divers et variés de notre vocabulaire, qu’il s’agisse d’anglicismes ou d’apports régionaux. Qui d’entre nous peut dire qu’il échappe à ce type d’innovations ?

Nous ne pouvons légiférer sur une langue, qui, par définition, est une réalité vivante ; nous ne pouvons pas l’encadrer. C’est pourtant ce que tentent de faire les auteurs du présent texte. Dès lors, nous sommes conduits à nous pencher sur la langue administrative et à nous interroger sur la langue de la République.

Je tiens à vous le rappeler à mon tour : la langue française n’est pas inclusive. Depuis trop longtemps, elle traite les femmes et les hommes de deux manières différentes.

Personne n’entend imposer l’usage de l’écriture inclusive. Pourquoi, de votre côté, voulez-vous absolument l’interdire ? On se demande quels sont vos buts réels.

Censurer l’écriture inclusive revient finalement à invisibiliser toutes les avancées que nous avons pu obtenir, collectivement, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Kanner. Il y a encore beaucoup de progrès à accomplir en ce sens. Pour notre part, nous voterons contre la proposition de loi qui nous est soumise. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Salmon, sur l’article.

M. Daniel Salmon. Chers collègues de la majorité sénatoriale, je trouve que vous avez une bien curieuse vision de la langue.

Une langue, c’est vivant ; une langue, cela ne se fige pas. La langue de Montaigne est très différente de celle de Maupassant. Fut un temps où l’on disait « ça pleut » ; puis l’on se mit à dire « il pleut ». Le français a connu mille et une autres évolutions.

J’entends vos arguments. Vous redoutez notamment la complexification de la langue.

Moi qui ai été enseignant, j’ai connu la réforme de 1990, qui visait précisément à simplifier l’orthographe française. Or ceux qui combattent aujourd’hui l’écriture inclusive sont ceux-là mêmes qui combattaient cette simplification.

M. Thomas Dossus. C’est vrai !

M. Daniel Salmon. La réforme de 1990 nous invitait à nous interroger sur l’évolution des mots : pourquoi chariot prend-il un « r » quand charrette en prend deux, alors que ces termes ont la même étymologie ? Le choix de la simplicité est bien d’opter pour deux « r » dans les deux cas.

Cette simplification, vous n’avez cessé de lutter contre elle. Aujourd’hui, vous nous parlez de combattre la complexification. Nous sommes face à un sérieux paradoxe.

Vous célébrez Villers-Cotterêts. Je vous le dis en tant que Breton : nous n’avons jamais salué cette ordonnance prise contre les langues régionales, qui entendit faire du francien, parlé par un vingtième des Français, la langue dominante du pays. S’imposant peu à peu à la France entière, ce dialecte a fini par tuer notre diversité linguistique. (M. Francis Szpiner proteste.) C’est un vrai sujet.

Vos arguments reviennent, en définitive, à fossiliser la langue française ; mais je sais que, de ce côté de l’hémicycle, vous êtes et serez toujours partisans du fossile… (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Mélanie Vogel rit.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, sur l’article.

M. Stéphane Piednoir. Je suis absolument saisi, non seulement par la mauvaise foi de certains de nos collègues – nous venons d’en avoir une nouvelle preuve –, mais aussi par l’amalgame auquel se livrent un petit nombre d’entre eux.

D’une part, il y a la féminisation des mots, qui va d’ailleurs de pair avec la masculinisation, dont nous n’avons pas parlé. Cette évolution est évidemment admise, dans la mesure du possible. « Son Altesse » et « Sa Majesté » garderont probablement leur genre à jamais : c’est comme cela.

D’autre part, il y a ce hachage menu des mots qu’entraîne le point médian, lequel va de pair avec l’existence de pronoms totalement dépourvus de sens : c’est là qu’est, selon nous, le véritable problème.

Chers collègues, dans cette confusion, je vois tout simplement une forme de paresse. On nous reproche de ne pas utiliser le « mesdames, messieurs », alors que nous faisons tous des discours à tout bout de champ et que nous y avons systématiquement recours. Personne ici ne refuse ce genre de « doubles flexions », comme vous les appelez.

Enfin, madame la ministre, vous avez évoqué la nécessité de construire des garde-fous face à certaines évolutions qui menacent notre langue française. C’est précisément ce que nous offre cette proposition de loi : des garde-fous. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.

Mme Cécile Cukierman. Mes chers collègues, à l’évidence, nous sommes face à un écueil : comment faire en sorte que ce débat passionnant ne tourne pas au débat passionnel ?

Dans une société qui connaît de moins en moins le sens de la mesure, nos discussions s’hystérisent inévitablement. Les uns et les autres se sentent poussés dans leurs retranchements, au point que leurs paroles peuvent dépasser leurs pensées respectives.

Non, la langue et la culture françaises ne sont pas en train de s’effondrer. Non, l’écriture inclusive n’est pas l’alpha et l’oméga de l’égalité entre les femmes et les hommes. En la matière – j’en demeure convaincue –, le véritable combat est celui de l’égalité salariale. Sur ce front, il y a encore beaucoup à faire.

La langue permet de communiquer, donc de faire société. Elle fait de l’homme cet « animal politique » dont parlait Aristote. En ce sens, elle constitue un sujet éminemment politique. Je ne saurais dire le contraire : ma mère, Catalane, a appris sa langue maternelle sous Franco, qui en avait interdit l’enseignement en Espagne.

L’histoire de France et, au-delà, les différentes histoires européennes nous rappellent ainsi tout le rôle politique de la langue.

Pour ma part, je tiens à insister sur la différence fondamentale entre la langue écrite et la langue orale. Si nous voulons réellement progresser vers l’égalité, il est impératif de conjuguer l’une et l’autre. Or le présent texte ne répond pas à ce défi-là.

Pour leur part, les membres du groupe CRCE-K ne prendront pas part aux votes, qu’il s’agisse des articles ou de la proposition de loi dans son ensemble.

M. Pierre Ouzoulias. Très bien !

Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Chantrel, Mme Monier, M. Kanner, Mmes Brossel et Daniel, M. Lozach, Mme S. Robert, MM. Ros, Ziane et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Yan Chantrel.

M. Yan Chantrel. Mes chers collègues, nous nous opposons à l’article 1er sur le fond : nous avons précisé pourquoi lors de la discussion générale. J’ajoute que nous nous y opposons sur la forme.

Je confirme que cette proposition de loi est un véhicule législatif inapproprié.

Les auteurs du présent texte entendent réformer la loi Toubon. Cette dernière protège le français face à l’immixtion de langues étrangères, mais elle n’a pas vocation à s’attaquer à des variantes de notre langue ou à ses évolutions internes. Elle n’a pas vocation à fixer la norme de la langue française.

Monsieur le rapporteur, Jacques Toubon lui-même l’a rappelé lors de son audition : cette loi protège le français, mais ne dicte pas ce qu’est le bon ou le mauvais français.

Avec cette proposition de loi, nous nous engageons sur une pente glissante : bientôt, on interdira les variantes régionales du français.

En outre, ce texte est très mal calibré. On peut débattre de l’usage du point médian, dont il faut rappeler qu’il n’est qu’une abréviation ; mais, contrairement à ce que vous dites, cette proposition de loi va beaucoup plus loin. Elle vise bel et bien à interdire l’écriture inclusive. Référez-vous à la définition qui figure dans l’exposé des motifs : c’est bien ce dont il est question.

Vous visez l’ensemble des ponctuations médianes, qui existent pourtant depuis très longtemps et figurent sur nombre d’actes et de documents administratifs. Regardez votre carte d’identité : vous y trouverez des parenthèses. C’est de l’écriture inclusive. L’adoption du présent texte rendra automatiquement ces documents caducs – et je ne parle pas des déclarations d’impôts, qui contiennent elles aussi de nombreuses parenthèses.

Bref, votre proposition de loi est très mal rédigée. C’est un peu problématique, pour nous qui sommes chargés de faire la loi…

Enfin, de telles dispositions conduiraient à supprimer les doubles flexions, comme « mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs », ou tout simplement « mesdames, messieurs », formule par laquelle s’ouvre l’exposé des motifs de tout texte de loi. C’est ce que vous proposez d’interdire. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Cédric Vial, rapporteur. Monsieur Chantrel, vous ressassez la question des parenthèses figurant sur les cartes d’identité, dans la mention « né(e) », qui a d’ailleurs disparu des nouveaux titres. En l’occurrence, il ne s’agit pas d’un masculin générique. Il n’y a donc pas lieu de supprimer la parenthèse.

Un signe de ponctuation, comme le point médian, n’est pas souhaitable quand il a vocation à remplacer un masculin générique. Toutefois – j’y insiste –, sur une carte d’identité, la mention « né(e) » est destinée soit à un homme, soit à une femme ; dès lors, la parenthèse reste tout à fait valable. Nous ne sommes pas dans le cas que vous retenez.

Peut-être voulez-vous faire croire que nous proscrivons tout signe de ponctuation, mais cette proposition de loi interdit uniquement les signes de ponctuation quand ils sont employés à la place d’un masculin générique.

Ce n’est pas la première fois que nous discutons de cette question. Nous ne sommes pas d’accord et nous sommes tous d’accord pour admettre que nous ne serons pas d’accord. (Sourires.)

Mme Cécile Cukierman. C’est beau ! (Nouveaux sourires.)

M. Cédric Vial, rapporteur. Madame Rossignol, je tiens à vous remercier d’avoir confirmé l’exactitude de nos propos : vous l’avez dit vous-même, l’écriture inclusive est un acte militant.

Madame Vogel, vous l’avez également rappelé en soulignant que la langue est un « véhicule » pour nos valeurs. Eh bien, nous ne ferons pas de covoiturage cette fois-ci. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

La commission est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rima Abdul-Malak, ministre. Monsieur Brisson, il me semble avoir été assez claire : si le présent texte s’en tenait à graver dans le marbre de la loi les circulaires de 2017 et de 2021 interdisant le point médian et étendant cette interdiction à l’ensemble des actes des personnes publiques, le Gouvernement exprimerait un avis favorable.

J’ai émis des réserves sur deux points.

Le premier, c’est l’extension de cette interdiction aux contrats privés, qui nous expose à un risque d’inconstitutionnalité.

Le second, c’est l’interdiction des néologismes. À cet égard, le Gouvernement estime que l’on sort du champ de l’intelligibilité de la loi, de l’égalité d’accès à la langue, de la compréhension de celle-ci et de sa facilité d’apprentissage, pour légiférer sur l’évolution de la langue.

Sur ces deux sujets, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec les auteurs de cette proposition de loi : c’est ce qui nous conduit, non pas à émettre un avis défavorable, mais à laisser le Sénat trancher, avant de poursuivre ce débat dont le grand intérêt se confirme.

Voilà pourquoi, sur cet amendement, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Vallet, pour explication de vote.

M. Mickaël Vallet. Mes chers collègues, je saisis cette occasion de poursuivre mon propos précédent.

Je parlais d’un piège dans lequel nous sommes tous pris, à gauche comme à droite.

La loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française fut préparée par Catherine Tasca et présentée par Jacques Toubon au Parlement. Elle reçut alors l’appui d’éminents représentants de la majorité sénatoriale – je pense notamment à Jacques Legendre, qui en fut le rapporteur –, avant d’être déférée devant le Conseil constitutionnel par la gauche, ce qui fut une erreur partisane.

Aujourd’hui, la droite se précipite sur des hochets. Elle se rue sur des sujets de niche, comme celui qui nous occupe ce soir : je le dis avec tout le respect que j’éprouve pour ceux qui se préoccupent des questions linguistiques.

Ce constat a été rappelé à plusieurs reprises, notamment lors du colloque organisé pour les vingt ans de la loi Toubon, il y a presque une décennie de cela : la loi relative à l’emploi de la langue française traite la compréhension du français et le droit à cette langue de manière globale. À l’inverse, nous empruntons ce soir une porte d’entrée qui – je le dis très humblement – me semble assez étroite.

M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !

M. Mickaël Vallet. Madame la ministre, moi aussi, je suis curieux de savoir ce que vous pensez de ces questions.

Si nous sommes face à un piège, c’est parce que les circulaires en vigueur ne sont pas appliquées.

Il y a un mois et demi de cela, le préfet de mon département organise une conférence de presse avec les forces de l’ordre et les services déconcentrés de l’État. La réunion a pour objet les questions de sécurité dans les lieux publics. Il s’agit plus précisément de créer un label départemental intitulé Safe place. Le préfet, alors sur le départ, s’en amuse lui-même. Heureusement que le sénateur Vallet n’est pas là, déclare-t-il, sinon, qu’est-ce qu’on aurait pris…

Un courrier est fait au nouveau préfet – le pauvre, c’est tombé sur lui. Évidemment, un tel intitulé est illégal : ce label est donc immédiatement supprimé.

La loi Toubon contient un grand nombre de dispositifs nous permettant de faire respecter, non pas la pureté de la langue française – l’Académie française elle-même n’en a pas le monopole –, mais le droit à la compréhension entre les citoyens, d’une part, entre les citoyens et leurs élites, de l’autre.

Sur ce sujet, j’ai une main à tendre vers l’ensemble des travées de cet hémicycle : j’y reviendrai lors des explications de vote sur l’ensemble. À ce stade, je vous pose simplement cette question : faites-vous appliquer la loi ? (MM. Patrick Kanner et Pierre Ouzoulias applaudissent.)