M. Max Brisson. Cliché !

Mme Mathilde Ollivier. L’écriture inclusive est un outil de féminisation et d’inclusivité de la langue. La question du point médian monopolise souvent les débats.

Pourtant, il est important de rappeler ici qu’il n’est qu’une composante de l’écriture inclusive. Celle-ci est riche de ses pratiques multiples (Mme Françoise Gatel samuse.) : l’utilisation du genre dans les noms de métiers, celle de termes épicènes ou encore de la double flexion.

Au cours des derniers siècles, la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin s’est progressivement imposée dans l’écriture de notre langue. Voilà trois siècles, Nicolas Beauzée, ancien professeur et académicien, justifiait ainsi cette domination : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » (Marques dironie sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

J’y insiste : « À cause de la supériorité du mâle sur la femelle » ! Voilà le type de discours qui a contribué, il y a quelques siècles, à imposer cette règle de grammaire.

Ainsi, j’ai décidé de faire de ce discours une ode à l’égalité. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Oui, parler d’écriture inclusive, c’est en réalité évoquer ce chemin vers l’égalité femmes-hommes.

Lorsque des linguistes, des féministes, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, la Belgique ou encore le Canada préconisent l’utilisation de l’écriture inclusive en français, que faites-vous ? À rebours de l’histoire, vous souhaitez l’interdire.

L’écriture inclusive n’est pas une obligation. Toutefois, lorsque les femmes se révèlent moins enclines à répondre à une annonce de recrutement qui utilise le masculin générique (Mme Pauline Martin le conteste.), alors se pose la question et de la lutte contre les discriminations et de l’inclusivité dans notre langue.

Nous, écologistes, progressistes, féministes, sommes favorables à l’usage de l’écriture inclusive, non pas par dogmatisme, mais parce que cette pratique est un levier indispensable pour la visibilité des femmes et des minorités de genre dans notre langue.

Entendez bien là, mes chers collègues : ni menace ni révolution. L’écriture inclusive invite simplement à prendre le chemin de l’inclusivité. Elle vient bousculer la domination masculine présente dans notre écriture depuis des siècles. Il est temps de ne plus apprendre aux petites filles et aux petits garçons « que le masculin l’emporte sur le féminin ». Il est temps que, sur les premiers actes administratifs, les bébés filles ne soient plus « né(e)s ».

La langue transcrit le réel. Elle n’est pas immuable, elle est constamment en mouvement, elle évolue avec son temps et reflète les progrès de notre société. Elle transmet une culture, une histoire. L’histoire française de ces derniers siècles est marquée par le patriarcat. L’écriture inclusive fait partie de la solution pour le combattre.

Vous vous battez contre l’utilisation d’un point ; nous nous battons pour avancer vers une société plus égalitaire et plus inclusive. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.

M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, mes chers collègues, en préambule, je dois évoquer le paradoxe qui consiste à débattre de formes typographiques et grammaticales qui ne s’entendent pas et qui ne seront pas transcrites dans les comptes rendus de notre séance. (Sourires.)

Personnellement, je ne sais ni lire ni écrire l’écriture dite inclusive et, collectivement, les collègues du groupe CRCE-K estiment qu’il n’est point besoin d’ajouter de la complexité à une langue écrite qui est de moins en moins maîtrisée par les élèves. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Martin Lévrier applaudit également.)

Toutefois, le jour de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, et bientôt trente ans après le vote de la loi relative à l’emploi de la langue française, il eût été de bonne politique que nous profitassions (Sourires.) de ces événements pour nous interroger sur son application et sur la lente régression de l’usage du français. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Reconnaissons-le, mes chers collègues, notre langue est de plus en plus corrompue par des anglicismes et des barbarismes.

M. Max Brisson. C’est vrai !

M. Pierre Ouzoulias. Jusque dans notre hémicycle et au sommet de l’État sévit une forme de volapük qui compromet l’intelligibilité du discours public.

Le dessein politique de l’ordonnance de Villers-Cotterêts était de laïciser la langue française en proscrivant le latin. Historiens et juristes débattent toujours pour déterminer si le « langage maternel français » de l’ordonnance désigne le français ou les langues écrites en France. Il est fort probable que l’usage imposé du français s’inscrive plutôt dans la volonté révolutionnaire de rompre avec l’Ancien Régime.

Je note ainsi, cum grano salis, que la présente proposition de loi n’est pas sans rappeler le décret du 2 thermidor an II (Sourires.), pris par Robespierre huit jours avant son exécution, qui disposait « qu’il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s’il n’est écrit en langue française ».

La Constitution de la Ve République est plus sage quand elle déclare, depuis la réforme constitutionnelle de 1992, que « la langue de la République est le français ». Cela ne veut pas dire que le français est la langue de toute la France et il ne faudrait pas qu’une entreprise de normalisation poussée du français puisse ébranler le statut toujours fragile des langues régionales.

M. Max Brisson. Très bien !

M. Pierre Ouzoulias. Par sa décision du 29 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a clairement établi que l’État et ses administrations publiques pouvaient se prescrire des normes typographiques et lexicographiques. En revanche, il a censuré la loi Toubon en considérant que le législateur ne pouvait imposer « à des personnes privées […] l’obligation d’user […] de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire ». En conséquence, je doute fort que l’article 2 de la présente proposition de loi respecte cette jurisprudence constitutionnelle.

De façon plus générale, appartient-il au seul législateur français d’édicter des normes pour une langue utilisée par 300 millions de personnes, dont une majorité d’Africains ? La francophonie mérite mieux que cette petite querelle française sur une extravagance typographique, tout à fait évanescente, et son prétendu radicalisme.

Refusant de trancher cette question inepte, nous ne participerons pas au vote. En revanche, madame la ministre, nous souhaitons vivement la tenue d’un grand débat sur l’application de la loi Toubon et sur la place du français dans le monde. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER et RDSE. – Mme Françoise Gatel et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Michel Canévet applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la langue française pourrait offrir un terrain d’entente aux hommes et aux femmes politiques. Ce fut le cas lors du vote unanime de la loi dite Bas-Lauriol, en 1975. Ce le fut bien moins lors du vote confus et querelleur de la loi Toubon, en 1994, qui provoquait déjà la polémique.

Il est nécessaire de rappeler que l’examen de ce texte s’inscrit d’abord dans un débat sociétal qui, au-delà de l’inclusivité de notre langue, a plus globalement trait au combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi qu’à la reconnaissance des identités de genre.

Il est alors légitime de se demander si notre langue doit être le reflet de nos évolutions sociales. Par définition, le français est une langue vivante. À quoi l’écriture inclusive répond-elle ? À une demande de la population ? À une évolution spontanée de notre langage oral ? N’ayons garde de faire de la langue française un instrument de propagande politique et militante, un outil clivant au service d’une idéologie.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Maryse Carrère. Si l’écriture inclusive peut revêtir plusieurs formes, il faut objectivement reconnaître qu’elle devient, dans la plus sophistiquée d’entre elles, source de multiples et nouvelles inégalités.

Nous devons opposer à la nécessaire féminisation de notre langue au travers de la double flexion, du recours à des termes dits épicènes et de l’accord des métiers, titres, grades ou fonctions avec le genre de la personne concernée, la menace que l’écriture inclusive représente pour l’intelligibilité et l’accessibilité de notre langue par l’usage du point médian ou de néologismes à la sémantique perfectible et source supplémentaire d’exclusion scolaire et de stigmatisation.

La loi n’a pas pour mission de régir la langue, ni son usage, ni sa qualité, ni son contenu. Elle fixe les règles nécessaires à son emploi collectif. Jacques Toubon l’a rappelé : il n’y a pas lieu de légiférer sur une variante du français.

Le français est la langue de la République. Si la République a l’obligation d’écrire un français intelligible, l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen interdit au législateur d’imposer l’usage obligatoire d’une terminologie officielle aux personnes privées.

Nous nous interrogeons sur le véhicule législatif employé. En la matière, le Gouvernement doit faire face à ses responsabilités, s’assurer de la bonne application du droit en vigueur et apporter les modifications nécessaires. Je pense ici aux dérives extrêmes de l’écriture inclusive dans les laboratoires que sont nos universités – ces dérives doivent être encadrées par de nouvelles circulaires.

Le débat sur l’inclusivité de la langue française doit contribuer à une prise de conscience d’une large partie de l’opinion, ce qui est, après tout, le meilleur service que l’État puisse lui rendre.

Si nous voulons conserver au français sa vocation universelle, celui-ci doit exprimer toutes les réalités, toutes les notions nouvelles. L’usage gouverne la langue. La langue évolue, s’enrichit de termes nouveaux empruntés aux langues étrangères, aux langues régionales, à l’argot ou à l’invention linguistique. À nous d’imposer à la sphère publique les arbitrages jugés nécessaires, justes et proportionnés.

Le groupe RDSE estime qu’il est possible de défendre la langue française en tant que langue vivante, qui évolue, sans pour autant être qualifié de conservateur. Nous ne souhaitons pas entrer dans un débat où prises de position partisanes, critiques systématiques et absence de toute forme de nuance font foi.

Certains membres de notre groupe sont fermement opposés aux excès de l’écriture inclusive ; pour d’autres, la forme que ce combat revêt au travers du texte semble disproportionnée. Aussi nos suffrages se répartiront-ils entre abstention et vote pour. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Else Joseph. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà un texte important, qui va bien au-delà de simples sujets économiques, sociaux ou budgétaires.

La manière dont nous parlons, la manière dont nous écrivons est bien plus qu’un code normatif : c’est un code humain, civilisationnel, qui en dit long sur ce que nous sommes.

Attenter au vocabulaire ou à sa syntaxe, c’est déconstruire notre langue et, au-delà, les relations humaines. Une langue n’est pas un caprice arbitraire, c’est un pacte qui permet aux hommes et aux femmes de vivre ensemble, un pacte qui suppose des règles objectives qui doivent être respectées.

Depuis quelques années, nous assistons à la prolifération de ces usages qui entendent adapter notre graphie. Sous prétexte de féminisation, ils visent à remplacer l’emploi du masculin par une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine. Au nom de cette prétendue modernité apparaissent des expressions lourdes et sans beauté.

L’écriture inclusive présuppose une lecture idéologique de l’évolution de la langue. Au cours de l’évolution qui a conduit à la langue française telle que nous la connaissons aujourd’hui, le genre neutre a été absorbé par le genre masculin : ce n’est pas une histoire de misogynie. La circulaire du 21 novembre 2017 reconnaissait d’ailleurs que « le masculin est une forme neutre ».

Il existe certainement d’autres manières d’affirmer l’égalité entre les hommes et les femmes que de détricoter notre belle langue. On ne résout pas une problématique professionnelle par un faux débat.

Non, l’écriture inclusive n’est pas une évolution normale de la langue française. Ce n’est pas une démarche similaire au passage du latin aux langues vernaculaires ou de l’ancien français au français actuel avec l’apparition d’une forme écrite. Ce n’est pas même une évolution tout court ; c’est une démarche militante alimentée par l’idéologie et imposée brutalement.

L’écriture inclusive est non pas une demande de ceux qui écrivent, mais un choix imposé par des cénacles restreints au nom d’une conception dévoyée de la modernité. C’est un mauvais signe envoyé à tous ceux qui apprennent le français ou qui veulent devenir Français. Pour les jeunes qui ont parfois des difficultés à apprendre et à maîtriser notre langue, ce sera non pas une écriture inclusive, mais une écriture exclusive, qui ne leur donnera certainement pas le goût de la lecture. Cela risque même de renforcer l’anglais.

Contre ce choix arbitraire et idéologique, nous ne pouvons que déplorer une certaine impuissance publique.

Les circulaires de 2017 et de 2021 n’ont pas eu les effets escomptés, peut-être parce qu’elles n’étaient pas les textes idoines au regard de notre hiérarchie des normes. À un certain moment, c’est au législateur qu’il appartient de prendre ses responsabilités.

Voilà quelques mois, à l’occasion d’un contentieux concernant une collectivité locale, le juge administratif s’était retranché derrière le silence de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, qui dispose que la langue française est « la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des services publics ». Il fallait donc remédier à cette anomalie en rappelant que les textes qui imposent la langue française excluent l’usage de cette graphie dénaturante.

Pour cette raison, la présente proposition de loi dispose que les documents qui doivent être rédigés en français, en application de la loi de 1994 ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, ne sont pas réputés répondre à cette exigence en cas de recours à l’écriture inclusive. Cela méritait d’être inscrit dans la loi, qui s’impose au juge et à l’administration. Je m’en réjouis d’autant plus que ce texte est le fruit d’une démarche sénatoriale lancée par mes collègues Pascale Gruny et Étienne Blanc, que je salue.

La décision du Conseil constitutionnel du 21 mai 2021 sur la loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion avait censuré, au nom de la Constitution, l’usage de signes diacritiques dans la transcription des actes de l’état civil. Pour le Conseil constitutionnel, cela conduirait à reconnaître à des particuliers « l’usage d’une langue autre que le français » dans leurs relations avec les administrations et les services publics.

Le Conseil constitutionnel s’était donc prononcé sur le français, tel qu’il est sérieusement pratiqué. Il est donc possible de défendre cet usage normal du français et d’exclure ces pratiques qui n’ont rien à voir avec notre langue. Le législateur ne doit pas se laver les mains, au risque de voir la priva lex – pardonnez-moi ce latinisme – l’emporter.

En raison de l’importance de l’enjeu, nous voterons le texte dans sa rédaction issue des travaux de commission. En cette journée d’inauguration de la Cité internationale de la langue française, à Villers-Cotterêts, ne nous trompons pas de débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Claude Lermytte et M. Michel Laugier applaudissent également.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive
Article 2

Article 1er

I. – Après l’article 19 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :

« Art. 19-1. – I. – Les documents qui, en application de la présente loi ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, doivent être rédigés en français ne remplissent pas cette condition lorsqu’il y est fait usage de l’écriture dite inclusive, entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine.

« II (nouveau). – L’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est interdite dans les publications, revues et communications mentionnées à l’article 7 de la présente loi.

« III (nouveau). – Tout acte juridique qui comporte l’usage de l’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est nul de plein droit. »

II. – La seconde phrase du premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du code de l’éducation est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « L’usage de l’écriture dite inclusive, au sens de l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dans les documents qui s’y rapportent, est interdit. Des exceptions à l’usage du français peuvent être justifiées : ».

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.

Mme Marie-Pierre Monier. Je voudrais partager ma perplexité d’avoir à examiner cette proposition de loi comme premier texte relatif à la culture, en cette rentrée où l’édifice de nos valeurs et de notre école républicaine semble plus que jamais vacillant.

Pointer ce décalage ne remet pas en cause l’importance de la langue ; car oui, la façon dont nous nous exprimons contribue à façonner notre représentation du monde.

Ludwig Wittgenstein le résumait ainsi : « Les limites de mon langage signifient les limites de mon propre monde. »

Faisons tomber ces limites. Parcourons ensemble le chemin d’une langue plus égalitaire pour ouvrir à toutes les femmes le champ des possibles.

Quelle meilleure illustration que nos débats récents sur la forme à donner à la version féminine du mot « questeur » lors de la nomination de la première femme à ce poste ? Voilà quelques décennies, la question ne se serait pas même posée. Or les auteurs du présent texte semblent vouloir nous renvoyer tout droit vers ce passé.

Parler d’écriture inclusive nécessite de rappeler, loin de toute caricature, que les outils disponibles pour s’exprimer de façon plus égalitaire sont variés – féminisation des termes, mots épicènes, utilisation des formes féminines et masculines pour évoquer un public mixte – et que la préoccupation d’être compris par le plus grand nombre est très largement partagée.

C’est d’ailleurs pour cela que les préconisations défendues par des instances comme le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes évoluent, dans un souci constant de concilier clarté de l’expression et meilleure visibilité des femmes.

Cette démarche est à l’image de la langue française dans son ensemble, toujours en mouvement. Ne cherchons pas à l’enfermer dans des carcans coercitifs, car là est le vrai péril mortel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Colombe Brossel, sur l’article.

Mme Colombe Brossel. Ainsi donc, il y a urgence à légiférer pour interdire l’utilisation de l’écriture inclusive.

Nous étions saisis de pas moins de deux propositions de loi de la droite sénatoriale – elles ont fusionné – sur ce sujet. Et, voilà quelques jours, le Rassemblement national proposait le même type d’interdiction dans le cadre de sa niche parlementaire à l’Assemblée nationale.

Voilà enfin le sujet majeur, l’outil qui résoudra toutes les difficultés de la vie quotidienne de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Il serait urgent, primordial, impératif, absolument nécessaire d’interdire toutes les dimensions de l’écriture inclusive, comme le proposent les auteurs de la proposition de loi. Il ne serait alors même plus possible de dire, au début d’une intervention : « Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs ». (Protestations sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Joshua Hochart proteste également.)

M. Max Brisson. N’importe quoi !

Mme Colombe Brossel. Il serait nécessaire, absolument impératif et primordial d’éviter que les offres d’emploi ne soient exclusivement rédigées en intégrant la référence aux deux genres, alors qu’il est statistiquement prouvé que les candidatures de femmes sont plus nombreuses quand tel est le cas.

Nous aurions pu débattre du point médian, outil le plus décrié de l’écriture inclusive. Est-il réellement nécessaire de légiférer sur ce sujet ? Ne peut-on considérer qu’une langue est un objet vivant, qu’elle évolue par la force de ceux qui la parlent et qui la font vivre et qu’elle est, comme le reste du monde, le réceptacle de combats, notamment contre l’invisibilisation des femmes ? Et c’est un beau mot que celui de combattante.

En vérité, il est question ce soir non pas de la langue française, mais d’une vision rétrograde (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) et passéiste de la société. Pendant que le Sénat débat de la nécessité impérieuse, urgente et primordiale d’encadrer la langue par la loi – quand il ne peut encadrer les avancées de la société –, les combats féministes et pour l’égalité des droits, eux, continuent.

C’est la raison pour laquelle les sénatrices et les sénateurs socialistes voteront contre cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Ghislaine Senée applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adel Ziane, sur l’article.

M. Adel Ziane. Madame la présidente, madame la ministre, chères collègues et chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce soir m’interpelle, tant elle me semble en complet décalage avec les urgences et les priorités actuelles de notre Nation.

Son article 1er, qui constitue le cœur du dispositif, révèle une forme de confusion, d’analogie trompeuse, de déni et d’ambivalence.

Confusion, tout d’abord, parce que vous réduisez et confondez volontairement l’usage du point médian avec l’écriture inclusive. Or les mots épicènes ou la double flexion sont d’autres aspects de l’écriture inclusive. Au sujet de la double flexion, vous la qualifiez, me semble-t-il, de « bégaiement inclusif », alors que l’un des premiers hommes politiques à l’avoir popularisée est le général de Gaulle avec son célèbre « Françaises, Français, aidez-moi ! »

Analogie trompeuse, ensuite, lorsque vous convoquez 1984, l’œuvre de George Orwell, pour légitimer vos propos. Dans cet ouvrage, c’est en effet l’État qui impose aux citoyens l’usage d’une langue appauvrie, qui empêche de penser le monde et ses évolutions.

L’écriture inclusive n’est en rien comparable : elle est le fait de citoyens qui désirent se doter d’outils pour comprendre et appréhender notre société en visant l’inclusivité la plus large.

Déni, encore, car la langue française est une langue vivante, comme certaines et certains l’ont évoqué, qui a connu de nombreuses réformes et évolutions au cours des 500 dernières années. Cet enrichissement permanent a préservé sa vivacité et sa pertinence au travers des siècles.

Ambivalence, enfin, car cette proposition de loi soutient bien évidemment des positions conservatrices concernant la langue française.

Oui, de prime abord, le point médian n’est pas forcément évident à lire. Toutefois, comme certains l’ont souhaité, simplifier la langue, c’est aussi parfois exclure.

C’est ce à quoi se sont employés les grammairiens à partir du XVIIe siècle, comme l’abbé Bouhours, en 1675, selon lequel « lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », ou comme Nicolas Beauzée, pour qui « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».

À l’aune de ces exemples, ce n’est donc pas céder « aux airs du temps » que de vouloir poursuivre le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier par la langue. Il s’agit d’un enjeu politique majeur.

Cette proposition de loi contient une contradiction et un paradoxe profond, qui vise à graver le français dans le marbre,…

Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue !

M. Adel Ziane. … notre langue qui n’a eu de cesse de se transformer et de s’enrichir à travers le temps. Rien n’est gravé dans le marbre ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.

M. Pierre Ouzoulias. J’évoquerai deux points techniques.

Le premier a trait au troisième alinéa de l’article 1er par lequel les auteurs de la proposition de loi souhaitent interdire l’écriture inclusive dans les publications désignées à l’article 7 de la loi Toubon. Or ledit article mentionne spécifiquement les publications en langue étrangère, afin de les obliger à publier un résumé en français. Ce troisième alinéa de l’article 1er me semble donc sans objet, mes chers collègues.

J’en viens au second point. En 2022, sur les 2 357 thèses soutenues, 36 % l’ont été en anglais. Dans certaines disciplines, comme les mathématiques, l’informatique, la physique ou l’économie, l’emploi de l’anglais est devenu majoritaire et celui du français sera bientôt tout à fait marginal.

Pour les articles scientifiques, sans avoir réalisé personnellement le décompte, le bilan est pire. Les scientifiques français publient aujourd’hui majoritairement en anglais.

Mes chers collègues, ce soir, la question que nous devons nous poser n’est pas d’ordre typographique ; il s’agit de savoir si le français continuera d’être une langue scientifique. (MM. Jean Hingray et Michel Laugier applaudissent.)