compte rendu intégral

Présidence de Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Secrétaires :

Mme Véronique Guillotin,

M. Philippe Tabarot.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 26 octobre 2023 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 29 de notre règlement.

Je voulais vous faire part de l’effroi avec lequel un certain nombre d’entre nous avons hier observé les manifestations sur un aéroport du Daguestan, où une foule compacte a pénétré sur le tarmac pour s’attaquer à des passagers en provenance d’Israël et les passer à tabac.

Cet antisémitisme rappelle les pires pogroms, notamment ceux de l’époque tsariste.

Dans le même temps, à Istanbul, des librairies sont désormais interdites aux Juifs. Le nombre d’actes antisémites en France a crû de façon exponentielle ces dernières semaines.

Je sais que le ministre de l’intérieur est extrêmement attentif à ces questions. Toutefois, je voulais vous faire part de la très grande inquiétude qui saisit une partie de la population face à un déferlement de haine comme le monde n’en a pas connu et ne pensait plus en connaître après la Shoah et tout ce qui s’est passé ces dernières années.

Le Sénat a voté il y a quelques mois une résolution pour condamner l’antisémitisme. Notre collègue Roger Karoutchi s’étonnait que l’on doive, dans la France de 2023, voter une telle résolution.

L’antisémitisme, mes chers collègues, n’est pas une opinion : c’est un délit.

Aussi, je voulais faire ce rappel au règlement de façon que le Sénat soit réactif pour lutter contre toute forme d’antisémitisme, ici ou ailleurs.

Mme la présidente. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.

3

Mises au point au sujet de votes

Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Briquet.

Mme Isabelle Briquet. Lors du scrutin public n° 10 du 24 octobre 2023 sur l’amendement n° 185 rectifié, tendant à insérer un article additionnel après l’article 2 bis de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, Mmes Isabelle Briquet, Marion Canalès, MM. Rémi Cardon, Yan Chantrel, Mme Hélène Conway-Mouret, M. Vincent Éblé, Mme Frédérique Espagnac, M. Hervé Gillé, Mme Gisèle Jourda, M. Éric Kerrouche, Mmes Monique Lubin, Marie-Pierre Monier, Corinne Narassiguin, MM. Alexandre Ouizille, David Ros, Lucien Stanzione, Jean-Claude Tissot, Simon Uzenat et Adel Ziane souhaitaient voter pour.

Mme la présidente. La parole est à M. Raphaël Daubet.

M. Raphaël Daubet. Lors du scrutin public n° 19 sur l’ensemble du projet de loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, Mme Nathalie Delattre souhaitait voter pour.

Mme la présidente. Acte est donné de vos mises au point, mes chers collègues. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

4

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Discussion générale (suite)

Épargnants et exploitations agricoles françaises

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 920 [2022-2023], texte de la commission n° 62 rectifié, rapport n° 61).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI. – M. Paul Toussaint Parigi applaudit également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises
Article 1er

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 7 septembre dernier, à l’occasion de la visite de M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire dans l’Aube, j’ai eu l’occasion de me rendre de nouveau dans les lycées agricoles de Saint-Pouange et de Sainte-Maure. Les équipes enseignantes et les élèves y partagent une même passion pour le travail de la terre et une même ambition, celle de nourrir notre pays.

Tous partagent aussi une même préoccupation : la transmission des exploitations. C’est là « le » sujet de préoccupation principal, tant pour ceux qui s’apprêtent à entrer dans le monde du travail que pour ceux qui s’approchent de la retraite.

Au cours des échanges que nous avons eus, un élément m’a marquée : pour la première fois dans l’histoire de ces établissements, les jeunes lycéens ne sont plus nécessairement issus du monde agricole. C’est un basculement majeur. Il s’inscrit dans une dynamique de longue durée qui modifie la sociologie de notre agriculture.

Pour le dire plus simplement, tous les agriculteurs de demain, vraisemblablement dans leur grande majorité, ne seront plus des enfants de paysans.

Il est essentiel d’avoir à l’esprit cette évolution structurelle si l’on veut préparer l’avenir de notre agriculture. Cette évolution n’est pas propre à mon département. Elle concerne l’ensemble du territoire national.

J’en veux pour preuve trois chiffres issus du rapport que la Cour des comptes, dont je salue la clairvoyance, a remis à la commission des finances, au mois d’avril dernier.

Le premier chiffre concerne la diminution du nombre d’agriculteurs. Celui-ci a été divisé par cinq depuis 1955, passant de 2,5 millions à 500 000 en 2020 ; cette baisse drastique s’est produite alors que la population active globale ne cessait d’augmenter. La proportion des agriculteurs dans la population active s’est donc effondrée et les agriculteurs sont devenus une minorité.

Le deuxième chiffre témoigne du vieillissement de cette population. Près d’un exploitant agricole sur deux partira à la retraite dans les dix prochaines années. Voilà qui est colossal. Il est donc urgent de préparer la relève, à la fois en formant des jeunes et en facilitant leur entrée dans le monde agricole.

Le troisième chiffre révèle l’agrandissement des exploitations agricoles. Depuis l’an 2000, leur surface moyenne est passée de 42 à 69 hectares, soit une augmentation de plus de 60 %.

On peut s’en désoler et regretter la disparition progressive des petites exploitations. Il faut en tout cas garder à l’esprit qu’acquérir une exploitation est de plus en plus difficile.

En effet, le coût du foncier constitue, encore aujourd’hui, l’une des barrières à l’entrée pour les jeunes qui souhaitent s’installer, même si, rappelons-le, les terres françaises sont moins chères qu’ailleurs en Europe. Bien sûr, les investissements liés à l’équipement des installations et à l’acquisition des outils de production représentent aussi un coût très important.

Investissement dans le foncier, d’une part, investissement dans l’outil de production, d’autre part : tels sont les deux leviers sur lesquels nous pouvons agir pour faciliter l’installation des futurs exploitants agricoles.

Monsieur le ministre, je sais que vous êtes parfaitement conscient de toutes ces problématiques. Une grande partie d’entre elles se trouvent au cœur des travaux que vous avez récemment menés, dans le cadre de la préparation de votre plan pour l’avenir de l’agriculture, dont nous connaîtrons bientôt le contenu. Je suis sûre que vous présenterez plusieurs mesures pour apporter des solutions concrètes et opérationnelles.

Cependant, je crois que le Sénat ne perd jamais son temps lorsqu’il cherche à contribuer à l’avenir de l’agriculture, de la viticulture et de l’élevage dans notre pays. N’est-ce pas d’ailleurs aussi son rôle en tant que chambre des territoires ?

C’est pourquoi le groupe Les Indépendants – République et Territoires a choisi d’inscrire à l’ordre du jour des travaux du Sénat ma proposition de loi visant à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises.

Concrètement, il s’agit de créer un nouveau véhicule de portage financier afin de permettre l’acquisition de foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme à un agriculteur, dans le cadre du statut du fermage. Il s’agit bien, j’y insiste, de baux agricoles de long terme.

Ce véhicule, que je proposais de nommer « groupement foncier agricole d’épargnants » (GFAE), permettrait ainsi de drainer l’épargne privée vers l’acquisition de terres et de renforcer la souveraineté alimentaire du pays.

Nous aurons largement le temps, mes chers collègues, de revenir en détail, au cours de l’examen des articles, sur les différents aspects de ce dispositif. Je tiens toutefois à apporter quelques éclaircissements préalables.

Tout d’abord, on peut s’interroger sur l’opportunité d’un tel dispositif : pourquoi vouloir mobiliser l’épargne privée en vue de la diriger vers l’investissement dans le foncier agricole ?

Ce n’est pas la première fois que j’ai l’occasion de le dire ici : alors que notre dette publique bat chaque année des records, la mobilisation de l’épargne privée constitue un levier d’action majeur pour financer la transition écologique.

On estime ainsi que la « surépargne covid », c’est-à-dire l’épargne supplémentaire accumulée pendant la crise sanitaire, s’établit dans une fourchette entre 150 et 300 milliards d’euros : cela représente trois fois le montant du plan de relance ou, pour donner un autre ordre de grandeur, la valeur de l’ensemble du foncier agricole français.

Je persiste et signe : pour réaliser les investissements nécessaires à la transition écologique, sans creuser la dette ni alourdir les impôts, il faut trouver des moyens d’orienter les capitaux privés vers les priorités de nos politiques publiques. La souveraineté alimentaire de la France en fait partie, me semble-t-il.

Ensuite, comment ces capitaux seront-ils utilisés ?

La réponse est très simple : ils le seront de la même manière qu’ils le sont déjà dans le cadre d’un groupement foncier agricole (GFA) classique. Notre objectif est de proposer un nouveau modèle pour mobiliser des capitaux. Le dispositif porte sur la collecte, et non pas sur la destination.

Ainsi, contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, je ne vous propose pas de remettre en question le statut du fermage ni le rôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) dans la régulation du foncier agricole. Ces sujets sont structurants, mais ils ne constituent pas, à proprement parler, l’objet de cette proposition de loi.

Et pour cause, une fois que l’argent aura été collecté auprès des épargnants et que le terrain aura été acquis, toutes les règles qui s’appliquent aujourd’hui aux GFA s’appliqueront demain aux GFAE.

Le risque de prédation par des acteurs étrangers, qui a été agité par certains comme un épouvantail, n’est pas non plus un argument opposable à ce dispositif. Je ne dis pas que le risque n’est pas réel, bien au contraire, mais il existe déjà dans le droit actuel : j’en suis parfaitement consciente, d’autant plus en tant qu’élue d’un terroir viticole. Le dispositif proposé ne change rien à cet égard ; s’il ne résout pas le problème, il ne l’aggrave pas non plus. Des acteurs étrangers pourront tenter de se servir de ce nouveau véhicule, comme ils le font déjà avec les GFA existants.

Je tiens également à dissiper une autre crainte qui a pu être exprimée. Non, un investissement dans un GFA d’épargnants n’a pas vocation à être un produit d’épargne ultraliquide.

Ces groupements seront en effet soumis aux dispositions du code monétaire et financier et respecteront des règles claires en matière de dépôt, de retrait et de cession d’actifs. Cependant, ces règles relèvent du domaine du règlement, et non de celui de la loi.

C’est pourquoi je m’en suis remise à la sagesse de notre rapporteur, dont je tiens à saluer le travail, ainsi que la démarche extrêmement constructive avec laquelle il a abordé ce texte. Sur son initiative, la commission des finances a renommé les GFA d’épargnants en GFA d’investissement.

La notion d’investisseurs semble susciter moins de confusion. Elle ne s’adresse pas à un public d’initiés et présente l’avantage de rassurer sur la finalité du véhicule.

Cette dénomination est aussi une façon de souligner la ressemblance avec les groupements forestiers d’investissement (GFI), qui constituent des outils très bien connus dans le domaine forestier.

Je me suis inspirée de ces véhicules, qui ont déjà prouvé leur efficacité pour mobiliser des capitaux privés vers la consolidation et l’entretien de nos forêts. Je remarque au passage – et je le dis à l’attention des fans du statu quo – que les GFI n’ont pas particulièrement transformé nos parcelles sylvicoles en des places de marché livrées à la seule vénalité des spéculateurs.

Enfin, comment ce dispositif s’articulera-t-il avec les autres politiques publiques ?

Il ne remet nullement en cause ce qui existe déjà, ni les GFA d’exploitants familiaux, ni le rôle des Safer, ni les aides à l’installation. Il s’agit simplement d’ajouter une corde à notre arc de politiques publiques, en faveur de la transmission des exploitations et du renouvellement générationnel.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous redire l’objectif de ce texte.

Si notre agriculture constitue un atout stratégique pour la Nation, elle est aussi traversée par de profondes évolutions, qui sont celles de notre temps.

On ne préparera pas la relève des agriculteurs sans adapter notre modèle aux aspirations des jeunes générations. Il faut valoriser d’autres modèles d’exploitation que le modèle familial, dans lequel ceux qui travaillent possèdent à la fois le foncier et l’outil de production.

L’hybridation des formes d’exploitation progresse, sous l’effet de la montée en puissance des services. Plus fondamentalement, le rapport à la propriété évolue. Pour beaucoup de jeunes, la valeur réside dans l’usage, et non dans la propriété.

Il s’agit non pas d’opposer les modèles, mais bien de permettre à tous les Français qui veulent exercer la noble profession de travailler la terre, même lorsque leurs parents ou que leurs grands-parents ne sont pas agriculteurs, de trouver le modèle qui leur convient.

Il s’agit de fédérer les énergies autour d’un objectif clé : la souveraineté alimentaire et l’excellence agricole de la France.

Je crois que cette proposition de loi apporte une petite pierre à ce vaste édifice. J’espère que le Sénat l’adoptera et qu’elle pourra utilement enrichir, monsieur le ministre, votre plan d’avenir pour l’agriculture. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDPI, RDSE et UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christian Klinger, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous prenons peu à peu la mesure du déclin progressif de notre secteur agricole. Les constats sont connus : des conditions de travail peu enviables, une rémunération globalement insuffisante, des enjeux environnementaux de plus en plus prégnants et la concurrence de pays qui ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous.

Face à ces diagnostics très largement partagés – et je ne vous apprendrai rien, monsieur le ministre, en soulignant l’implication de plusieurs de nos collègues sénateurs sur ces sujets –, la réaction du Gouvernement se fait encore attendre. On nous annonce depuis quelques mois un projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles, mais le calendrier reste flou.

La situation est d’autant plus inquiétante qu’elle contribue à stigmatiser un secteur déjà durement pénalisé par son manque d’attractivité. En moins de soixante-dix ans, le nombre d’exploitants agricoles a été divisé par cinq, passant de plus de 2,5 millions en 1955 à 496 000 en 2020. Surtout, environ 43 % des travailleurs du secteur agricole pourraient partir à la retraite d’ici à 2033.

Le sujet du renouvellement générationnel est donc majeur, alors que plus de la moitié des candidats à l’installation ne sont plus issus du milieu agricole, donc du modèle traditionnel d’exploitation familiale.

Les nouveaux entrants sont majoritairement des personnes qui ne disposent pas d’un capital foncier. Ce constat doit nous amener à faire évoluer notre politique agricole pour tenir compte des transformations en cours, parmi lesquelles la question du foncier occupe une place centrale. Bien sûr, les leviers à actionner sont multiples pour lever les freins à l’installation et à la transmission : il y a des enjeux tout autant de régulation que de concurrence, de droit du travail, d’accompagnement des cédants, de fiscalité ou encore de portage du foncier.

Un objectif unique doit pourtant nous guider, celui de rétablir notre souveraineté alimentaire.

La présente proposition de loi, déposée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin, s’inscrit dans ce contexte. Son ambition n’est pas de résoudre l’ensemble des difficultés que je viens de soulever – qui le pourrait d’ailleurs ? Elle s’attache à une modalité précise de soutien à l’installation et à la transmission des exploitations agricoles, celle du portage collectif du foncier. Je tiens d’ailleurs à souligner ici, devant vous, monsieur le ministre, le travail de notre collègue Vanina Paoli-Gagin et la qualité de nos échanges.

Le dispositif proposé, que nous avons voté et soutenu en commission des finances, vise à créer une nouvelle voie de financement et d’accès au foncier agricole, à travers des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). Cette initiative repose sur l’idée que l’abondance d’épargne privée des Français devrait pouvoir être mobilisée au profit de formes d’investissement « éthiques », au service des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire et d’un « retour à la terre ».

Je crois, monsieur le ministre, que nous pouvons tous, ici, souscrire à cet objectif.

J’ai, pour ma part, considéré que la création d’un nouveau véhicule d’investissement était une solution parmi d’autres pour renforcer nos outils d’aide à l’installation et à la transmission. Ce véhicule innovant peut répondre aux attentes de certains exploitants agricoles, en fonction de leurs besoins, de leur secteur d’activité, mais aussi du coût du foncier dans leur territoire. J’ai donc abordé la création des GFAI comme une piste de réflexion, intéressante, mais sans doute modeste.

Je sais que la création de ces groupements fonciers agricoles d’investissement a suscité des interrogations, en commission comme ailleurs. Celle-ci n’est pourtant pas le Grand Soir du monde agricole. Si vous me permettez cette expression pour qualifier ce que nous proposons, « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Il faut que tout change, tout d’abord, parce que, justement, le but est de mobiliser l’épargne de personnes physiques pour aider les agriculteurs à s’installer, pour porter à leur place le coût du foncier, qui est de plus en plus élevé. Ouvrir la souscription des parts de GFA au public permet d’atteindre cet objectif.

Pour que rien ne change, ensuite : la création des GFAI ne remet absolument pas en cause le régime juridique des baux ruraux, très protecteur des exploitants agricoles. C’était le plus important pour la commission des finances. Au contraire, le fonctionnement de ces groupements ne dérogera pas aux règles des baux de long terme. Les détenteurs de parts de GFAI ne pourront pas s’immiscer dans la vie de l’agriculteur, qui doit rester maître chez lui.

C’est donc avec cet impératif en tête que nous avons travaillé sur le dispositif des GFAI en commission. J’espère, monsieur le ministre, que vous soutiendrez ces évolutions.

Nous avons d’abord modifié sa dénomination, transformant les groupements fonciers agricoles d’épargnants en groupements fonciers agricoles d’investissement.

Il s’agit en effet d’un nouveau véhicule d’investissement, qui sera soumis à la supervision de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Comme tout produit financier, il comporte des risques, en termes de liquidité comme de rendement. Les GFAI seront par définition des produits peu liquides, dans la mesure où le foncier agricole est donné à bail à long terme, et aux perspectives de rendement faibles, sauf à augmenter les loyers des exploitants agricoles preneurs de baux, ce qui n’est pas souhaitable.

Autant donc désigner clairement ces groupements pour ce qu’ils sont, sur le modèle d’ailleurs des groupements forestiers d’investissement, que nous connaissons tous ici.

La commission des finances a également adopté un amendement pour préciser la composition de l’actif de ces groupements, afin de le rendre un peu plus liquide.

Enfin, elle a prévu, de nouveau dans un sens favorable aux exploitants, que tous les apports en numéraire devraient être utilisés dans un délai de deux ans pour des investissements à vocation agricole. Ce délai était initialement de trois ans, ce qui pouvait apparaître un peu long.

À l’article 2, nous avons également préservé le droit de préemption des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural : celles-ci pourront préempter les parts de GFAI, au même titre que les parts de GFA. De nouveau, rien ne change sur ces aspects-là.

Je dois souligner la sagesse des auteurs de la proposition de loi, qui ont souhaité conserver, pour les GFAI, les règles de fonctionnement des GFA, très protectrices des associés personnes physiques et des exploitants agricoles. Par exemple, et c’est l’objet de l’article 3, les personnes physiques disposeront d’un droit de vote double, contre un droit de vote simple pour les personnes morales.

Enfin, l’article 4 étend aux parts de groupements fonciers agricoles d’investissement deux dispositifs fiscaux favorables, qui existent pour les parts de GFA. D’une part, les donataires de parts de GFAI bénéficieront d’une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit (DMTG). D’autre part, les détenteurs de ces parts seront totalement ou partiellement exonérés d’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il s’agit là, à mon sens, d’un simple alignement du régime fiscal des GFAI sur celui des GFA. De tels avantages fiscaux devraient également être de nature à inciter davantage d’épargnants à souscrire ce produit, en compensation de rendements limités.

La commission des finances vous propose donc d’adopter un dispositif équilibré et encadré pour faciliter l’installation des jeunes agriculteurs. Ce dernier trouvera sans doute à s’appliquer pour ceux qui n’ont pas les moyens financiers d’acquérir du foncier dès le début de leur vie professionnelle. On peut aussi penser aux agriculteurs qui travaillent dans des territoires frappés par une forte hausse du coût du foncier, comme c’est le cas, par exemple, des viticulteurs dans certaines régions.

Pour conclure, et je le redis devant vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous proposons la création d’un dispositif susceptible de soutenir l’installation des agriculteurs et la transmission des exploitations, sans remettre en cause le principe cardinal qui veut que l’agriculteur soit maître chez lui.

Je vous invite donc à voter pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, INDEP et RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Marc Fesneau, ministre de lagriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Paoli-Gagin, mesdames, messieurs les sénateurs, le prix du foncier agricole et le statut du fermage constituent, chacun en convient, des atouts pour la compétitivité de notre agriculture, notamment par rapport à nos voisins européens, mais la difficulté d’accès au foncier, pour les futurs exploitants, en particulier ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole – ils sont de plus en plus nombreux à être dans ce cas – est considérée de manière consensuelle comme l’un des freins à l’installation des jeunes générations.

Il s’agit d’un enjeu de souveraineté alimentaire majeur et c’est tout l’intérêt du débat que nous aurons aujourd’hui, lors de l’examen de cette proposition de loi déposée sur l’initiative de Vanina Paoli-Gagin et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, que je tiens à saluer.

Naturellement, cet enjeu était, et demeure, comme vous le savez, au cœur des concertations que nous avons menées sur le projet de pacte et de loi d’orientation visant à faciliter le renouvellement des générations agricoles, annoncé par le Président de la République.

Je souhaiterais saluer, à cette tribune, cet exercice démocratique inédit. Menée à l’échelle nationale et régionale, sous l’égide du ministère, de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) et de Régions de France, cette concertation, qui avait aussi un volet ultramarin, a mobilisé l’ensemble des écosystèmes agricoles et alimentaires, les acteurs de l’enseignement, de la recherche, de l’orientation et de la formation continue, de l’installation, ainsi que le monde associatif, les parlementaires et les élus locaux.

Les jeunes de l’enseignement agricole y ont également participé, tout comme la société civile, par le biais notamment du Conseil économique, social et environnemental (Cese), qui a rendu un avis, et le grand public.

Cette concertation a, de mon point de vue, montré qu’il était possible de dégager un certain nombre de points de consensus sur un sujet aussi essentiel que celui de notre agriculture, de notre souveraineté alimentaire et du renouvellement des générations des exploitants – un sujet qui nourrit parfois les caricatures et les excès de toutes sortes.

Je sais qu’il s’agit sans doute ici, au Sénat, d’une évidence, mais je tiens à remercier les parties prenantes d’avoir joué le jeu, d’avoir débattu du fond, d’avoir échangé dans la diversité, sans s’arrêter aux divergences, et d’avoir su se projeter collectivement sur l’avenir de notre agriculture à l’horizon de vingt ans, en dépit du poids des défis, en particulier climatiques, écologiques et démographiques qui sont devant nous.

Cette concertation a mis en exergue, de manière consensuelle, le besoin de simplifier l’accès aux outils et aux moyens de production et, dans cette perspective, la nécessité d’encourager le développement du portage, temporaire ou pérenne, du foncier.

Le débat est posé de manière claire avec cette proposition de loi qui part d’un constat simple : les groupements fonciers agricoles, sociétés de portage dédiées à l’agriculture, créées il y a déjà plusieurs années, constituent des véhicules utiles pour drainer des capitaux en faveur de l’agriculture, et décharger ainsi les agricultrices et les agriculteurs du poids, parfois excessif, de l’investissement initial dans le foncier.

Il n’en reste pas moins que des difficultés subsistent pour collecter des capitaux auprès des particuliers, notamment en raison de l’impossibilité pour ces groupements de solliciter les investisseurs en procédant à l’offre au public de leurs parts sociales.

Plusieurs difficultés freinent également l’utilisation des GFA : la faible rentabilité générale de l’investissement dans le foncier agricole ; la responsabilité illimitée de l’investisseur en cas de pertes, qui est proportionnelle au nombre de parts détenues ; le caractère peu liquide des parts sociales et l’absence de marché pour négocier ces dernières ; ou encore la négociation difficile des conditions de sortie des propriétaires de parts au regard des incidences sur les exploitants lorsque ces conditions n’ont pas été suffisamment précisées lors de la souscription.

Pour répondre à ces difficultés, les auteurs de la proposition de loi proposent de créer un nouveau type de groupements fonciers, les groupements fonciers agricoles d’épargnants, sur le modèle, le rapporteur l’a indiqué, des groupements fonciers forestiers. Ces GFAE sont devenus, au terme de l’examen en commission, les groupements fonciers agricoles d’investissement. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité et le sérieux des travaux du rapporteur et de la commission des finances.

En tant que ministre de l’agriculture, je perçois dans le dispositif proposé un double avantage.

J’y vois la capacité à augmenter le nombre d’investisseurs dans le secteur du foncier agricole et à apporter de nouveaux capitaux dans les exploitations agricoles. Nos concitoyens pourront ainsi s’impliquer davantage dans les questions agricoles et accompagner le renouvellement des générations, tout en contribuant à notre souveraineté alimentaire.

Au regard du fonctionnement des actuels groupements fonciers agricoles, nous pensons qu’une profondeur de marché de 100 millions d’euros par an pourrait être atteinte avec cette nouvelle mesure.

Madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, vous avez souligné les craintes que certains ont exprimées. Je répète que cette proposition de loi ne vise nullement à remettre en cause le statut des baux ruraux.

S’il ne faut pas y voir une solution miracle, elle apporte néanmoins une pierre à l’édifice de la question foncière. Ses dispositions seront d’autant plus utiles qu’elles seront pensées en cohérence avec d’autres outils favorisant, à l’échelle locale, le renouvellement des générations.

Dans le cadre de la mise en œuvre du fonds Entrepreneurs du vivant, qui sera financé par France 2030, l’État s’est ainsi engagé à soutenir en fonds propres, à hauteur de 400 millions d’euros, des solutions de partage innovantes pour les exploitations agricoles.

À la différence du GFAI, qui sera destiné aux particuliers épargnants et qui permettra donc des apports de capital privé dans le foncier agricole, le fonds Entrepreneurs du vivant offre à l’État la possibilité d’abonder les différentes structures de portage existantes, qu’elles soient publiques ou privées, nationales ou locales.

Ces deux outils seraient donc complémentaires. Compte tenu des besoins de portage du foncier associés au renouvellement des générations, ils sont sans doute aussi nécessaires l’un et l’autre.

Par ailleurs, les GFAI tels que vous les avez pensés me semblent des structures susceptibles d’apporter des garanties en matière de maîtrise des capitaux. Grâce aux garde-fous qu’elles imposeraient quant au type d’investisseurs autorisés, elles nous permettraient de conserver, comme le font la plupart des pays du monde, notre souveraineté sur cet élément stratégique qu’est le foncier.

Ce n’est pas le cas de l’ensemble des outils d’investissement à long terme, qui ne tiennent pas toujours compte des enjeux propres à la souveraineté alimentaire.

Je sais d’ailleurs que cette préoccupation s’est exprimée en commission et que l’auteure de cette proposition de loi y est particulièrement attentive.

J’y vois un impératif au regard de l’enjeu de renouvellement des générations auquel nous sommes confrontés et de notre volonté partagée de préserver la diversité de nos modèles agricoles.

Naturellement, la mise en œuvre des GFAI pose – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur – un certain nombre de questions, auxquelles nos débats, je n’en doute pas, apporteront des réponses.

La question du foncier est cruciale. La formation est un élément central du renouvellement des générations. Il faut donner aux agriculteurs qui s’installent, comme à ceux qui sont en place, la capacité de mener les grandes transitions à venir : énergétique, écologique, phytosanitaire.

Afin d’inciter les jeunes qui le souhaitent à s’installer – ces derniers ne sont plus issus, désormais, majoritairement de milieux agricoles –, nous devons leur tenir un discours plus positif sur l’agriculture et leur donner des perspectives.

Nous devons leur dire que, sur les questions du foncier, de l’investissement ou des grandes transitions qui sont à l’œuvre, l’État, les collectivités et nous tous sommes à leurs côtés.

Ce débat et le vote du Parlement enverront, en tout état de cause, un signal fort sur la nécessité de développer des outils de portage du foncier et des capitaux, conformément à ce que nos travaux de ces derniers mois ont fait ressortir.

Je m’engage à y être particulièrement attentif à l’occasion de la prochaine présentation du pacte d’orientation en faveur du renouvellement des générations et de la loi qui en découlera. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP et UC.)