M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat porte sur la prochaine réunion du Conseil européen, qui se tiendra dans plus de quinze jours et dont l’ordre du jour, qui peut encore évoluer, tient en quelques mots vagues.

Dans ces conditions, comment le Sénat peut-il exercer un contrôle politique effectif sur le pouvoir exécutif qui représente notre pays au Conseil européen ?

Je pose cette question au nom du bureau de la commission des affaires européennes issu du renouvellement sénatorial, qui, à peine reconstitué jeudi dernier, m’a interpellé sur ce sujet, ainsi que sur le déroulement de ce débat.

M. André Reichardt. Absolument !

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Il nous faudra en rediscuter sans tarder.

Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Mathilde Ollivier applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Pour l’heure, je soulèverai trois questions centrales à l’approche du Conseil européen : la première a trait au budget européen, la deuxième à la sécurité économique et la troisième à la politique migratoire.

Au début de l’été, la Commission européenne a proposé une révision inédite du cadre financier pluriannuel à mi-parcours. Il est vrai que, depuis la définition de ce cadre en 2020, la pandémie de covid-19, l’agression de l’Ukraine par la Russie et la crise énergétique ont complètement rebattu les cartes. Dans l’intervalle, le budget européen a mué avec la création d’un instrument de relance, Next Generation EU, fondé sur un emprunt commun. Il est devenu un outil de gestion de crise grâce à des redéploiements et à la mobilisation de toutes les flexibilités possibles.

Sans doute n’est-il plus à même de répondre aux nouvelles priorités politiques : Ukraine, compétitivité et défis externes ? Toutefois, avant d’envisager une rallonge, que la Commission européenne imagine être de l’ordre de 80 milliards d’euros, prêtons attention à l’opinion défavorable portée par la Cour des comptes européenne sur la légalité et la régularité des dépenses budgétaires.

En 2022, les erreurs dans les dépenses financées par le budget de l’Union européenne ont fortement augmenté pour atteindre 4,2 %, et même 6 % pour les dépenses fondées sur des remboursements. Il faut mieux contrôler l’usage des fonds européens. La France entend-elle le faire valoir en préalable à la discussion sur le cadre financier ?

Nous devons aussi en tenir compte dans la controverse sur l’avenir de l’aide européenne à la Palestine, qui divise l’Union européenne après l’assaut criminel du Hamas contre Israël. Cette aide est principalement accordée au titre de l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale – Europe dans le monde : la Cour des comptes a examiné de près cette rubrique, dont la Palestine est le quatrième bénéficiaire avec 120 millions d’euros en 2022.

Or la moitié des opérations examinées comportaient des erreurs. La Cour des comptes cite notamment l’exemple d’une opération destinée à promouvoir l’utilisation durable des ressources naturelles en Palestine : les fonds ont été versés sans que le projet ait jamais vu le jour, faute de vérification… Si nous devons continuer de soutenir les Palestiniens, qui ne peuvent être assimilés au Hamas – j’insiste sur ce point –, nous devons aussi absolument renforcer le contrôle sur l’usage qui est fait des fonds européens dans ce territoire.

De même, nous ne pouvons ignorer le risque que représentent, pour le budget européen, les 18 milliards d’euros de prêts consentis en décembre 2022 à l’Ukraine au titre du nouvel instrument « assistance macrofinancière + ». En effet, ces prêts ne sont assortis d’aucun provisionnement pour couvrir le risque de défaut, ce qui est inédit concernant un État tiers. Les pertes éventuelles seront donc à la charge du budget de l’Union européenne, ce qui l’expose de manière inquiétante. Aussi voudrions-nous savoir, madame la secrétaire d’État, si la France soulèvera également ce risque lors des discussions budgétaires prévues lors du Conseil européen.

Mon deuxième sujet de préoccupation a trait à la sécurité économique : les chefs d’État ou de gouvernement prévoient d’évaluer les progrès européens en la matière. La récente recommandation de la Commission européenne sur les technologies critiques identifie, à cet égard, sans discussion, quatre technologies stratégiques comme particulièrement sensibles, mais laisse ouverte la question pour plusieurs autres, dont la technologie de fusion nucléaire.

Madame la secrétaire d’État, la France entend-elle rappeler au Conseil européen l’importance stratégique du nucléaire et son caractère éminemment critique pour la sécurité économique de l’Union comme pour la transition verte ? Cela vaut aussi bien pour la législation « zéro net » en négociation.

Le troisième et dernier sujet sur lequel je souhaite insister est la politique migratoire. Le Conseil européen devrait avoir une discussion stratégique sur la dimension externe des migrations, notamment sur la coopération avec les pays tiers, le sommet de Grenade n’ayant rien donné à ce sujet.

De fait, l’Union n’est toujours pas en mesure de juguler la pression migratoire à ses frontières extérieures : depuis le début de l’année, un nombre record d’étrangers en situation irrégulière est arrivé par la mer en Italie, représentant déjà le double de toute l’année 2022 et près du triple de l’année 2021.

Je me rendrai en Italie dans deux semaines avec le président de la commission des lois, François-Noël Buffet. Nous devons solidairement mieux contrôler ces flux, de nombreux migrants irréguliers se pressant à la frontière franco-italienne.

C’est dans ce contexte tendu, qui justifie le rétablissement temporaire par la France de contrôles à ses frontières intérieures, que la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt très préoccupant le mois dernier : celui-ci prive, en pratique, d’effet utile tout refus d’entrée que la France déciderait à l’égard d’un migrant.

Madame la secrétaire d’État, que reste-t-il de notre politique migratoire après cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ? La France compte-t-elle mettre le sujet sur la table lors du Conseil européen ?

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Sur ces sujets régaliens – le budget, la sécurité, l’immigration –, nous ne pouvons laisser ainsi dériver l’Europe au risque d’alimenter encore l’euroscepticisme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Georges Patient.

M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la date du prochain Conseil européen approche. Nous n’en connaissons pas encore l’ordre du jour, mais nous pouvons aisément imaginer qu’il serait dominé par la dramatique actualité internationale.

En effet, les conflits aux portes de l’Union européenne se multiplient : guerre depuis près de vingt mois dans sa marge orientale entre l’Ukraine et la Russie, drame humanitaire dans le Haut-Karabagh, très vives tensions entre le Kosovo et la Serbie, attaque terroriste du Hamas en Israël. Je tiens d’ailleurs à renouveler la plus ferme condamnation de cette attaque au nom du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Les foyers de déstabilisation se multiplient donc à la périphérie de l’Union européenne, alors que celle-ci a trouvé la voie de la paix pour elle-même. En effet, les pays qui la composent connaissent la plus longue période de paix de leur histoire. C’est aussi là que les libertés individuelles et collectives, que l’égalité entre les hommes et les femmes, que la solidarité entre individus et entre États sont les mieux garanties.

L’Union européenne est une réussite pour elle-même, mais elle se montre, dans le même temps, incapable de conduire les pays de son voisinage sur ce même chemin. Voulons-nous peser dans la conduite du monde, quitte à perdre de notre autonomie au profit de l’Union européenne ? Ou préférons-nous rester chacun de notre côté et regarder l’histoire s’écrire sans nous au bénéfice des grands acteurs que sont les États-Unis et la Chine ?

Depuis 2022, un nouvel outil de coopération internationale a été créé sur l’initiative du Président de la République : la Communauté politique européenne, la CPE, qui regroupe quarante-sept États du continent. Sa dernière réunion, qui s’est tenue le 5 octobre à Grenade, a été l’occasion pour les dirigeants présents de réaffirmer leur engagement en faveur de la paix, de la sécurité et de la prospérité en Europe. Dans une déclaration commune, ils se sont engagés à renforcer la coopération dans les domaines de la sécurité, de la défense, de l’économie, de l’énergie et de la migration.

La CPE offrira-t-elle plus de marges de négociation, conférera-t-elle plus de poids pour résoudre les conflits ? Quelle peut être son utilité ? L’Union européenne peut-elle s’en servir pour accroître son influence ?

Pour l’heure, dans les faits, cet outil, certes encore balbutiant, n’a pas empêché l’Azerbaïdjan de rouvrir le conflit au Haut-Karabagh. Le fait marquant de la réunion du 5 octobre a été l’absence du président de l’Azerbaïdjan, qui a décidé au dernier moment de ne pas y participer, privant ainsi le sommet de l’un de ses objectifs, à savoir une rencontre avec son homologue arménien sous l’égide de l’Union européenne. Ainsi, malgré le rôle essentiel joué par cette dernière, la question de ses relations avec les pays tiers reste posée.

La question des futures adhésions à l’Union européenne sera aussi très certainement débattue au cours du prochain Conseil européen. L’Union européenne devrait accueillir jusqu’à neuf nouveaux membres au cours de la prochaine décennie : l’Ukraine, la Moldavie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Serbie, ainsi que la Géorgie et le Kosovo. Si l’adhésion de ces nouveaux membres, en particulier celle de l’Ukraine, recueille le vif assentiment des hauts responsables de l’Union européenne, tel n’est pas le cas dans tous les États membres. Qu’en est-il de la France, madame la secrétaire d’État ?

Une autre problématique prégnante, qui revient régulièrement depuis plusieurs années dans l’actualité, sera assurément abordée pendant le Conseil européen : la gestion des migrations. Le drame qui se joue au milieu de la Méditerranée devrait nous conduire à réfléchir à la valeur que l’on accorde à la vie et à notre humanité.

Le 4 octobre dernier, un accord a été trouvé entre les Vingt-Sept sur la répartition de la prise en charge des migrants, demandeurs d’asile et réfugiés. C’est un point de blocage en moins, qui ouvre la voie à l’adoption du futur pacte européen sur la migration et l’asile. Cela permettra non seulement de ne plus laisser l’Espagne, l’Italie et la Grèce seules face à l’afflux de migrants, mais également de mieux répartir les demandeurs d’asile, qui se trouvent aujourd’hui pour moitié en Allemagne, en France et en Espagne.

Ce plan stratégique d’urgence mis en place par l’Europe, dans lequel l’Italie joue le rôle de gestionnaire des flux, ne pourra pas durer longtemps. L’Allemagne a suspendu, depuis la fin du mois d’août, l’accueil volontaire des demandeurs d’asile et la France n’accueillera pas de migrants passés par Lampedusa, à l’exception des réfugiés politiques, ce qui représente entre 3 % et 7 % des personnes. Or, selon les ONG, la pression migratoire pourrait persister dans les mois à venir, voire s’aggraver, en raison de la concurrence entre les réseaux criminels de passeurs, qui baissent les prix de la traversée.

Il est donc urgent de mettre en œuvre ce futur pacte. Il ouvre la voie à une coopération plus grande avec les pays de départ. Mais ne nous y trompons pas : si nous voulons assécher les filières de passeurs et de traite des êtres humains, il nous faudra revoir notre politique de visa ; il faudra en accorder beaucoup plus.

N’est-il pas préférable de voir arriver en Europe, de manière légale et organisée, des personnes pour lesquelles nous pourrons mettre en place une véritable politique d’accueil – cours de langue, sensibilisation aux lois et à la culture du pays d’accueil, hébergement temporaire, contrat de travail signé avant le départ pour une durée déterminée, prise en charge du trajet aller et retour – plutôt que de continuer à subir cet afflux incontrôlé, qui jette des migrants, quand ils ne se sont pas noyés en Méditerranée, dans les rues et dans les bras de réseaux mafieux qui les exploitent, voire les réduisent en un esclavage moderne ?

La guerre en Ukraine a montré que l’Europe pouvait accueillir un grand nombre de réfugiés et que les frontières ouvertes ne laissaient pas forcément passer des trafiquants d’êtres humains.

L’histoire montre que les migrants, poussés par la misère, par l’espoir d’une vie digne et par le souhait d’offrir à leurs proches restés au pays des moyens de subsistance, font preuve d’une détermination qui leur permet de surmonter tous les obstacles, qu’il s’agisse de déserts, de montagnes ou de mers. Rien, aucun mur, aucune barrière, ne les arrête.

Alors combien de temps encore allons-nous laisser croire à nos concitoyens que l’on peut réguler le flux des migrants juste en fermant les frontières ? Ce discours fait le jeu des extrêmes, favorise une rhétorique toujours plus radicale, qui sape la confiance de la population dans notre capacité à agir et à trouver les véritables solutions.

En outre, au regard de l’évolution démographique de l’Europe, l’immigration deviendra un apport indispensable à notre économie et à notre modèle social. Les États-Unis ont historiquement construit leur dynamisme économique et leur prospérité grâce à l’afflux constant de populations immigrées. Dans une moindre mesure, la France en a également bénéficié dès le milieu du XIXe siècle.

Madame la secrétaire d’État, quand pensez-vous que le pacte européen sur la migration et l’asile pourra entrer en application ?

Je terminerai mon intervention en rappelant que, proportionnellement à leur population, ce sont la Guyane et Mayotte, deux territoires français, qui accueillent le plus d’immigrés et d’étrangers. Ces deux collectivités sont dans des situations complètement différentes du reste du territoire national. Selon le dernier recensement effectué en Guyane en 2020, plus de 30 % des habitants de ce territoire sont d’origine immigrée, pour un total de 56 % d’étrangers. Plus de la moitié de la population guyanaise est étrangère !

M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Georges Patient. À Mayotte, selon des données un peu plus anciennes, la proportion d’étrangers dans la population est de 48 %.

Quels seront les effets de ce pacte en Guyane et à Mayotte ? Ces deux territoires ont-ils seulement été pris en compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER – Mme Mathilde Ollivier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Blatrix Contat. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Florence Blatrix Contat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à faire part de tout notre soutien au peuple israélien, touché par les insoutenables attentats terroristes du Hamas. Nous espérons que l’Union européenne sera à la hauteur de ce moment et de ce défi majeur.

Le Conseil européen des 26 et 27 octobre prochain abordera de nombreux dossiers, dont certains sont structurants pour l’avenir de l’Union européenne. Dans le temps qui m’est imparti, je concentrerai mon propos sur les volets énergétique et financier.

Guerre en Ukraine, inflation, entretien et renouvellement des infrastructures : l’énergie est au cœur de tous les débats. L’augmentation de son coût est une préoccupation majeure des Français, qui peinent à se chauffer, mais aussi de nos entreprises, qui voient leur compétitivité s’éroder.

Il nous faut prendre des décisions, et vite.

Seul l’échelon européen permettra de répondre à ces défis, car l’énergie est depuis toujours un enjeu central de la construction européenne, comme le montrent la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), celle de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom) ou encore les objectifs ambitieux qui figurent dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Pourtant, la gestion de ce bien commun a été laissée au seul marché, ce qui a eu les conséquences que l’on connaît aujourd’hui : les graves dysfonctionnements dus à l’envolée historique des prix du gaz et de l’électricité observés l’hiver dernier.

Le marché actuel de l’énergie libéralisé n’est, en réalité, ni à même de réguler les crises ni en mesure d’assurer une énergie bon marché. Il faut donc rapidement trouver une solution à ces graves et récurrentes défaillances du marché européen de l’énergie, qui plombent aujourd’hui la compétitivité de nos entreprises et grèvent le budget des services publics, de nos collectivités territoriales et de nos ménages.

Nous devons travailler à une politique énergétique qui garantisse notre souveraineté – c’est absolument essentiel – tout en associant décarbonation et prix bas de l’électricité. C’est l’ambition que nous devons avoir pour la prochaine réforme du marché européen de l’électricité.

Dans un rapport publié hier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) affirme que l’Europe pourrait manquer de gaz ou devoir en acheter à prix d’or si l’hiver était rigoureux. Il est urgent que nous réfléchissions à une réforme qui rapproche les tarifs de l’électricité de leur coût réel de production et assouplisse le couplage des prix entre électricité et gaz.

La réforme du marché de l’électricité présentée le 14 mars dernier par la Commission européenne relève finalement plus de l’ajustement que du changement en profondeur que nous souhaitions. Elle maintient les grands principes en vigueur, notamment le système de prix marginal.

Cette proposition de réforme avait pour but d’inciter les producteurs d’électricité à conclure des contrats de long terme et à prix fixe, afin que les prix de l’électricité soient moins exposés aux variations des prix du gaz, lequel peut devenir extrêmement onéreux à court terme. Elle révèle les fortes dissensions entre la France et l’Allemagne, qui, en la matière, défendent deux modèles différents. L’enjeu, c’est bien la compétitivité industrielle au sein de l’Union européenne. Ce sont aussi les risques de distorsions que les modèles énergétiques impliquent.

Selon les dernières informations dont nous disposons, la présidence espagnole vient de présenter un compromis : toutes les dispositions concernant les contrats de complément de rémunération appliqués aux centrales existantes seraient supprimées. En outre, une possibilité de dérogation resterait ouverte, permettant aux centrales à charbon dépassant les limites d’émission de gaz à effet de serre de bénéficier de mécanismes de soutien.

Madame la secrétaire d’État, comment la France compte-t-elle défendre sa position lors du prochain Conseil Énergie ? Le Président de la République a évoqué une régulation franco-française du marché de l’électricité avant la fin des discussions européennes. Cette régulation vous semble-t-elle envisageable ? Il nous faut des réponses, car ces enjeux sont essentiels.

La décarbonation de notre économie nécessitera des investissements massifs. Ces derniers sont indispensables si nous voulons modifier nos modes de production et de consommation énergétique et, ce faisant, mettre en œuvre l’accord de Paris.

Pour la seule transition énergétique, la Commission européenne a estimé que 379 milliards d’euros d’investissements étaient nécessaires chaque année pour la période courant de 2020 à 2030. Or nous sommes loin du compte si nous voulons déclencher l’effet de levier nécessaire.

À ce défi s’ajoutent d’autres besoins, que vous avez vous-même évoqués : le soutien financier à l’Ukraine, les intérêts de la dette (Mme la secrétaire dÉtat le confirme.) pour financer le plan de relance économique Next Generation EU, la réponse aux crises émergentes, la transition numérique ou encore la mise en place de la plateforme de technologies stratégiques pour l’Europe, outil indispensable si nous voulons rester compétitifs.

En conséquence, les élus du groupe socialiste soutiennent un cadre budgétaire ambitieux pour répondre à ces défis environnementaux, de cohésion, de solidarité et de compétitivité.

La réponse à ces besoins passe nécessairement par l’augmentation des ressources propres. Le cadre actuel ne permet déjà plus de disposer des financements nécessaires pour relever les défis immédiats ni d’atteindre les objectifs que l’Union européenne s’est fixés. Il est urgent de mettre en place la taxe sur les transactions financières, qui est dans les tuyaux depuis longtemps, mais n’est toujours pas en vigueur. Selon nous, il est également indispensable d’instaurer un impôt de solidarité sur la fortune vert.

Nous attendons dès lors de la France qu’elle défende une position forte. Quelle sera-t-elle ?

J’y insiste, il est indispensable de doter l’Union européenne de moyens financiers puissants. De même, il faut alléger les contraintes financières pesant sur les États membres afin qu’ils puissent jouer leur rôle en déployant les investissements publics nécessaires.

C’est l’enjeu de la réforme du pacte de stabilité et de croissance engagée cette année. La crise de 2020 a démontré que ce cadre n’était plus adapté aux défis rencontrés par les États membres et qu’il avait contribué à brider la croissance et l’investissement, faisant prendre à l’Europe un retard considérable face à la Chine ou aux États-Unis. Sa suspension a été l’illustration de cette prise de conscience.

En l’état actuel des finances publiques des pays de l’Union européenne, personne ne peut évidemment imaginer revenir aux règles fondatrices du pacte. Les investissements liés à la transition écologique doivent, selon nous, être exclus des règles de déficit, sans quoi nous nous exposons à des retards considérables. Il faut certes rassurer les marchés, mais il faut également répondre aux besoins de nos concitoyens.

Madame la secrétaire d’État, alors que la clause de sauvegarde du pacte de stabilité et de croissance arrive à échéance, quelles sont les perspectives de révision avant la fin de cette année…

M. le président. Il faut conclure, chère collègue !

Mme Florence Blatrix Contat. … et quelles seraient les conséquences d’une absence d’accord ? (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST. – Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard.

M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’agression russe contre l’Ukraine a marqué le retour de la guerre, une guerre totale, sur le continent européen. Nous assistons presque impuissants à l’essor d’une instabilité grandissante au pourtour de l’Union européenne et à l’affaiblissement des instances internationales de dialogue et de résolution des conflits.

Qu’en est-il, dans tout cela, de l’Union européenne ? Malgré les quelques mesures prises, les Européens font face à la convergence des autoritarismes, de régimes qui se soutiennent plus ou moins directement et tentent par tous moyens d’action ou d’opportunité de nous déstabiliser.

Il y a quelques jours, au début de ce mois, Vladimir Poutine a fait cette déclaration : la guerre en Ukraine est non pas « un conflit territorial », mais un événement qui doit déterminer les « principes sur lesquels le nouvel ordre mondial sera fondé ».

Je le relève à mon tour : la récente attaque de groupes terroristes liés à certaines puissances contre Israël est aussi un message adressé à ses alliés occidentaux. Il en est de même de l’évincement de la France en Afrique au profit de la Russie, de la Chine ou de la Turquie.

Dans un monde qui devient chaotique, la politique des sanctions n’a pas permis, pour l’instant, de faire fléchir les États visés par des mesures restrictives. En fait, les sanctions sont souvent vues comme un complot contre les puissances émergentes et vécues comme une fierté nationale : vont-elles assez loin ou sont-elles seulement symboliques ?

Faute de réelles solutions européennes sur divers sujets, nous nous sommes liés dangereusement avec la Turquie, sur les questions migratoires, et avec l’Azerbaïdjan, pour des raisons énergétiques. Chacun connaît pourtant les visées territoriales de ces deux pays et les liens historiques qui les unissent.

Madame la secrétaire d’État, dans ces conditions, comment envisagez-vous de dialoguer avec ces États, notamment après la prise de vive force du Haut-Karabagh par l’Azerbaïdjan ? Pour mémoire, au cours des dernières décennies, le groupe de Minsk n’a pas été en mesure d’obtenir une solution pacifique et négociée à propos du Haut-Karabagh.

Quelles seront les conséquences, s’il y en a, de la guerre éclair menée par l’Azerbaïdjan sur la politique européenne du Partenariat oriental, et quelles aides humanitaires met-on en place ?

Après le bannissement des productions pétrolières et gazières russes, envisageons-nous de réduire notre dépendance aux sources d’énergie de la Caspienne, dans le cadre d’une vision stratégique globale ?

Je souhaite aussi, à mon tour, appeler votre attention sur les questions migratoires.

L’intensification des flux en direction, non seulement de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni – la géographie est têtue ! –, témoigne d’une crise migratoire porteuse de nombreux dangers.

Je pense tout d’abord au sort des migrants, qu’il convient de rappeler. Souvent moins bien traités que des marchandises, ces femmes, ces hommes et ces enfants périssent régulièrement en mer ou sur les routes.

Je pense ensuite au renforcement des organisations criminelles : le trafic d’êtres humains leur vaut des profits colossaux pour des risques très limités, du moins pour elles. En parallèle, on constate la saturation des dispositifs d’accueil des États et, in fine, la montée de l’inquiétude des Européens au sujet de l’immigration incontrôlée extra-européenne.

Nous savons aussi que certains États utilisent l’« arme migratoire » pour semer la discorde entre membres de l’Union et au sein des populations européennes. Cette stratégie de fracturation de l’intérieur commence malheureusement à porter ses fruits : les récents scrutins qui se sont tenus en Allemagne illustrent la percée de l’extrême droite et je crains que les résultats des prochaines élections européennes ne traduisent lourdement cette tendance.

Dès lors, envisage-t-on réellement de tarir ces flux ou seulement de les gérer et de les répartir ? C’est, à mon sens, la question centrale, face à laquelle les Européens attendent une réponse politique et non des mesures techniques.

Qu’en est-il de l’accord entre l’Union européenne et la Tunisie, que les autorités locales rechignent à mettre en œuvre, et quelle fiabilité peut-on attendre de la Turquie, dont le pouvoir dit ne plus rien attendre de l’Europe ? Comment coopérer en Afrique avec certains des pays d’origine, dont les autorités – la France est bien placée pour le savoir – résultent de récents coups d’État militaires ?

Madame la secrétaire d’État, avant de conclure, je me dois de dire un mot de la Chine.

Une prise de conscience européenne tardive émerge à l’égard de cette puissance, sur le déséquilibre des échanges, le non-respect de la propriété intellectuelle, les différences de normes ou encore, évidemment, les visées géopolitiques chinoises.

Les autorités européennes ont récemment annoncé vouloir défendre les domaines stratégiques, qu’il s’agisse des semi-conducteurs, de l’intelligence artificielle, des technologies quantiques ou de la biotech. Quand et comment ces mesures seront-elles mises en place ? Quelles dispositions va-t-on prendre pour lutter efficacement contre la concurrence déloyale et contrer la coercition économique menée par la Chine ? On a bien en tête les mesures économiques de la Chine à l’encontre de la Lituanie, qui soutient Taïwan.

Quelles mesures envisage-t-on en réponse aux nouvelles régulations approuvées récemment par la Chine en matière de cybersécurité, de contre-espionnage et de gestion des données ?

Enfin, il faudra suivre de près les évolutions de l’économie chinoise : une éventuelle aggravation de la crise que connaît ce pays présenterait un risque important pour le monde et notamment pour l’Europe – dépendance, quand tu nous tiens…

Telles sont les quelques observations dont je souhaitais vous faire part avant ce Conseil européen. Son ordre du jour peut encore évoluer, mais je crois pouvoir dire que la tâche est immense et je crains que vous n’ayez perdu beaucoup de temps. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)