M. le président. La parole est à Mme Christine Herzog.

Mme Christine Herzog. Monsieur le ministre, en mai dernier, Martine Filleul et moi-même avons remis un rapport d’information sur la mise en place des ZFE mobilité au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Nous y préconisions une phase de concertation entre l’État et les collectivités territoriales.

La nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre fait consensus, mais la mise en œuvre pose question. Comment ? Quand ? Avec quel argent et, surtout, selon quelle communication ? Nos concitoyens se posent mille questions avant de passer à l’achat d’un véhicule électrique.

Qui dit ZFE mobilité dit renouvellement du parc automobile. L’idée de supprimer les véhicules est donc clairement sous-jacente, mais comment se passer d’un véhicule pour aller au travail ? C’est une réalité du monde rural trop souvent oubliée.

Même avec une aide à la conversion de 19 000 euros, l’achat d’un véhicule électrique, qui coûte au moins 30 000 euros, représente une dépense trop importante. Les jeunes qui entrent dans la vie active ne peuvent se le permettre : ils prévoient en moyenne 5 000 euros pour l’achat d’un premier véhicule. Aussi, ce sont principalement les petits revenus urbains et ruraux qui se trouvent pénalisés.

Où sont les bornes ? Comment les financer ? Quid de l’aménagement des parkings extérieurs et souterrains de copropriété ? Combien de bornes de recharge allez-vous faire installer en milieu urbain et rural pour assurer la mise en conformité sans taxer les communes ?

Que vont devenir les stations-service ? Va-t-on envisager, comme en Chine, des stations de recharge de batteries ? Y aura-t-il un modèle universel de batterie ou seront-elles différentes selon les constructeurs ? Comment faire pour les déplacements des travailleurs frontaliers, par exemple de Moselle, qui travaillent à l’étranger ?

Les Français ont besoin de savoir. Nous devons sortir de la science-fiction pour retomber dans le réel.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Herzog, compte tenu du temps dont je dispose, et si vous me le permettez, je ne reviendrai pas sur les dispositifs d’aide que vous avez mentionnés. Il est essentiel de disposer de cette offre de seconde main, dont je parlais précédemment, et de modèles plus adaptés.

Vous avez évoqué un sujet dont on parle très peu, celui des stations-service. Je veux rappeler à cet égard qu’il existe un dispositif spécifique pour permettre aux stations-service indépendantes qui délivrent moins de 2 500 mètres cubes d’essence par an de bénéficier d’un taux de subvention de 60 % à 70 % pour s’équiper en bornes de recharge. C’est typiquement une mesure qui va faciliter la conversion en milieu rural. C’est concret, c’est tangible, et cela existe depuis la loi de finances rectificative pour 2021.

En parallèle, la stratégie de la haute recharge s’impose ; elle doit s’accompagner d’une réflexion sur les aires d’autoroute et les mobilités transfrontalières. Le fait d’avoir des constructeurs principalement européens et des standards arrêtés à l’échelon européen tend à effacer les frontières administratives, le modèle étant globalement le même partout en Europe.

La plus grande station de recharge rapide va ouvrir au mois d’avril prochain, à Madeleine-Tronchet, et représentera l’équivalent de 500 postes de recharge. Nous avons quantité d’autres dispositifs de ce type dans les tuyaux. Nous réfléchissons notamment au branchement de bornes de recharge rapide sur des sites de production d’énergies renouvelables répartis sur l’ensemble du territoire.

Une entreprise très innovante a levé beaucoup de fonds pour développer un système très prometteur, avec des capacités de recharge électrique très rapide partout en France. Il s’agirait du meilleur élément de réponse aux problématiques que nous sommes en train d’évoquer – je ne ferai pas de publicité dans l’hémicycle, mais je serai à votre disposition à l’extérieur. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Elsa Schalck. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Elsa Schalck. Monsieur le ministre, la question de l’acceptabilité sociale est primordiale s’agissant des zones à faibles émissions.

Nous avons toujours insisté, au Sénat, sur l’impérieuse nécessité d’anticiper les aides financières à déployer, de renforcer les mesures d’accompagnement, d’agir de manière progressive et non à marche forcée. Autant de conditions pour éviter que les ZFE, qui sont des outils pour combattre la pollution atmosphérique, ne se transforment in fine en « zones à forte exclusion ».

Actuellement, il demeure un reste à charge trop élevé pour un grand nombre de ménages, notamment les plus modestes, les jeunes actifs et ceux qui sont éloignés des transports en commun. Il en est de même pour les entreprises, en particulier les commerçants et les artisans, déjà fortement fragilisés par la conjoncture. Faisons attention à la césure qui pourrait s’accentuer entre les milieux urbain, périurbain et rural.

En voulant laver plus vert que vert, certains territoires se dirigent malheureusement tout droit vers une ZFE restrictive et punitive. Nous avons de nombreux débats au sein de l’Eurométropole de Strasbourg, où il a été décidé, contre l’avis de certains maires, d’appliquer le dispositif à l’ensemble des communes de manière uniforme et d’interdire, dès 2028, les Crit’Air 2, c’est-à-dire tous les diesels, soit 38 % du parc automobile.

À cet égard, monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur le système de vignettes, qui peut susciter un sentiment d’incompréhension et d’injustice.

Comment expliquer qu’une Porsche essence neuve consommant 11 litres aux 100 kilomètres soit classée Crit’Air 1, quand une Clio de 2005, qui consomme 5 litres aux 100 kilomètres, est classée Crit’Air 4 ? Nous le savons, certains critères importants, comme la puissance, le poids, la consommation, l’entretien du véhicule ne sont pas pris en compte.

Quelles aides financières concrètes le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour rendre socialement acceptable le dispositif de ZFE ? Comment comptez-vous faire évoluer le système des vignettes pour le rendre plus juste ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice, vous avez raison : la vignette Crit’Air ne repose aujourd’hui que sur les deux sources de pollution qui nous préoccupent particulièrement, à savoir les particules fines et le dioxyde d’azote. Plus nous avançons, plus la connaissance scientifique s’affine. Nous avons ainsi compris que plus un véhicule est lourd, plus il est susceptible de générer des particules fines au moment du freinage. Cette abrasion pourrait donc aussi être prise en compte.

L’Europe va y remédier avec la nouvelle norme Euro 7, qui ne manquera pas de susciter chez certains constructeurs et, sans doute, certains législateurs, des interrogations sur l’utilité d’ajouter des normes aux normes et sur les délais accordés pour leur mise en œuvre. Cependant, c’est bien la réponse à la question que vous posez.

L’enjeu est d’appliquer des normes identiques à tous les constructeurs, partout en Europe. Nous aurons alors sans doute à nous pencher de nouveau sur notre dispositif vignettes, mais le faire par anticipation n’aurait pas de sens.

Disons-nous les choses clairement : il est peu probable qu’un véhicule Crit’Air 5 puisse devenir Crit’Air 1, quelle que soit la nouvelle norme. La question se posera plutôt pour les véhicules tangents, ceux qui pourraient basculer d’un côté ou de l’autre. Il s’agit non pas de « sauver » les véhicules dont le caractère polluant est avéré, mais de constater que certains de ceux qui étaient considérés comme propres ne le sont pas tant que cela.

Là aussi, je plaide pour une forme de progressivité. Un certain nombre d’entre vous ont expliqué que les choses ne devaient pas se faire à marche forcée. Il faut à la fois avoir les yeux rivés sur ce que l’on apprend et éviter d’accélérer un calendrier qui, à certains égards, est déjà difficile à tenir et se heurte à des critiques.

Si nous voulons faire ces ZFE, il faut assumer le discours tel quel, tenir le calendrier, faire de la pédagogie, réaliser l’accompagnement. C’est la raison pour laquelle nous devons nous appuyer sur les suggestions des élus. La comparaison entre les territoires peut aussi être instructive : certains mettent place un dispositif fonctionnant sept jours sur sept quand d’autres préservent le soir et le week-end ; certains prennent des mesures pour l’ensemble du territoire quand d’autres les réservent aux cœurs de ville plus denses. Nous apprendrons de l’analyse de toutes ces expériences.

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre, 40 000 décès par an sont attribués aux particules fines : c’est trop, pour ne pas dire insupportable !

Inciter à l’usage des modes de transport alternatifs est nécessaire, mais encore faut-il qu’ils existent. Je pense ainsi aux artisans, qui sont particulièrement inquiets. À ce jour, leur parc utilitaire est quasi exclusivement composé de véhicules diesel. Les alternatives électriques sont encore rares et très onéreuses, bien que des aides spécifiques leur aient été accordées. Il faut tout de même savoir que beaucoup d’entre eux ont fait l’acquisition d’une camionnette d’occasion dont la valeur est inférieure au coût du rétrofit.

Leur activité ne peut être mise en péril, alors qu’aucune solution alternative crédible n’est proposée. Il existe un véritable risque de désorganisation des modes d’acheminement des marchandises et de disparition de la main-d’œuvre dans le cœur des villes.

Un rapport de l’Assemblée nationale proposait des solutions, comme le report du passage aux véhicules Crit’Air 0 ou 1 en fonction de la disponibilité des solutions alternatives ou la création d’un guichet unique centralisant les aides nationales et locales, pour une meilleure visibilité.

Monsieur le ministre, allez-vous tenir compte de ces préconisations pour accompagner au mieux les artisans et les petites entreprises du bâtiment ? Avez-vous d’autres pistes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Filleul, à la minute où je vous parle, le Gouvernement n’a instauré aucune obligation en ce qui concerne les véhicules utilitaires.

Les mesures que vous évoquez sont le fait de collectivités qui ont souhaité harmoniser les mesures s’appliquant aux véhicules légers et aux utilitaires.

Nous avons pris les devants, compte tenu des décisions d’un certain nombre de territoires, et mis en place des aides. Toutefois, nous ne poussons pas pour accélérer la mise en place d’obligations qui ne figuraient pas dans la loi.

Je comprends la cohérence qui conduit des élus à aligner les artisans sur les particuliers, mais, j’y insiste, le Gouvernement avait justement décidé de laisser de la souplesse pour permettre au dialogue local de prendre toute sa place.

Les aides servent précisément à accompagner les artisans. L’âge moyen de leur parc de véhicules est différent de celui des particuliers. Plusieurs soucis se posent : quid, par exemple, des dépanneurs qui ne pourraient plus accéder aux centres-villes, faute d’un véhicule adapté ? Toutes ces questions seront au cœur des travaux du groupe de concertation spécifique d’harmonisation qui va se mettre en place.

Pour résumer, nous mettons en place des aides, mais nous ne pouvons adoucir le calendrier prévu pour les véhicules utilitaires légers, puisque celui-ci n’existe pas !

M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faudrait que le Gouvernement communique officiellement sur l’existence d’une dérogation homogène et transitoire pour les véhicules des professionnels ne disposant d’aucune solution alternative crédible.

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Laure Darcos. Monsieur le ministre, l’instauration des zones à faibles émissions mobilité, en particulier celle de la région Île-de-France, suscite la vive inquiétude des chefs d’entreprise et artisans, qui voient se dresser devant eux un mur écologique et économique.

Le durcissement des règles, entériné par le comité ministériel sur les ZFE du 25 octobre dernier, a été particulièrement mal vécu. De nouvelles restrictions d’accès aux soixante-dix-sept communes situées à l’intérieur du périmètre de l’autoroute A86 doivent également s’appliquer à partir du 1er juillet 2023. Elles risquent de provoquer un naufrage économique pour les 100 000 entreprises franciliennes des secteurs du bâtiment, des travaux publics et du transport routier concernées. Comment desservir les chantiers en cours, assurer les livraisons ou répondre à des marchés avec des véhicules ne correspondant plus aux critères exigés ?

Vous ne pouvez ignorer, monsieur le ministre, l’absence d’offre constructeurs adaptée aux professionnels leur permettant de renouveler leur parc de véhicules utilitaires légers et de poids lourds, dans les délais impartis et à des coûts qui ne fragilisent pas leur activité.

Vous ne pouvez ignorer non plus la durée d’amortissement relativement longue des véhicules destinés aux entreprises du bâtiment et des travaux publics.

Dans ces conditions, et sans mettre en doute l’urgence à agir en faveur des populations vivant dans ces zones denses les plus polluées, il me semble nécessaire de faire preuve d’un minimum de réalisme.

Le Gouvernement est-il prêt à renforcer les aides à l’acquisition des véhicules utilitaires propres ? Vous n’avez répondu que partiellement à cette question, raison pour laquelle je vous la repose. À l’heure actuelle, celles-ci ne sont absolument pas à la hauteur des enjeux : pas moins de 900 000 véhicules polluants doivent être remplacés dans les seules entreprises artisanales du bâtiment.

Le calendrier de mise en place des ZFE sera-t-il adapté ? Des dérogations de circulation seront-elles accordées ou prolongées ? Enfin, la question des infrastructures de recharge adaptées aux véhicules professionnels reste entière. Un immense défi se pose à nous dont il faut tenir compte.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Darcos, la réunion du 25 octobre dernier était de concertation : aucune mesure de durcissement n’y a été décidée.

J’ai réuni l’ensemble des présidents d’agglomération et nous avons seulement décidé de la mise en place d’un référent, qui sera nommé après-demain, et de nous réunir de nouveau.

Je vais être très clair : le Gouvernement a prévu une entrée en vigueur des mesures de restriction au 1er janvier 2025 pour les Crit’Air 3. Toute date plus précoce serait le fait non d’un arbitrage ministériel, mais d’une décision des autorités locales, lesquelles opteraient pour un calendrier plus contraignant.

J’entends certains me dire qu’il faut temporiser, qu’il faut aller moins vite, mais ce n’est pas moi qui ai voulu aller plus vite que les bornes temporelles qui avaient été fixées. Je peux comprendre cette motivation, au vu des maintiens de dépassements de seuils, mais je ne peux revenir sur une décision que je n’ai pas prise !

Et si nous ne l’avons pas prise, c’est bien parce que nous avions conscience de la nécessité de produire de nouveaux véhicules propres ; or plus on durcit les règles, plus le nombre de véhicules concernés est important.

Chaque année, même sans mise en place de ZFE, le parc automobile connaît de toute façon un renouvellement : les véhicules les plus anciens sont peu à peu remplacés par des véhicules nettement plus récents, même s’ils sont de seconde main. Chaque année qui passe améliore donc l’état du parc.

Laisser plus de temps aux acteurs permet à la fois aux véhicules les plus polluants de sortir du parc automobile, à la filière électrique de s’organiser et à l’offre de se mettre en place. C’est ce que nous faisons avec les aides que nous commençons à offrir et les perspectives que j’esquisse.

Cela étant dit, j’ai entendu vos propos ; certes, je ne décide pas en la matière, mais je vais du moins les relayer.

M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.

Mme Laure Darcos. Je suis bien d’accord avec vous, monsieur le ministre, et je vous remercie de nous aider à relayer cette information auprès de la métropole du Grand Paris.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier.

M. Stéphane Le Rudulier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, excusez-moi d’être redondant, mais je vais une nouvelle fois focaliser mon propos sur Marseille.

Le prix moyen du mètre carré au cœur de cette métropole atteint désormais 3 654 euros ! Les classes populaires et même les classes moyennes n’ont plus les moyens d’acquérir un bien immobilier dans le centre et sont contraintes d’utiliser la voiture pour s’y rendre.

Les ZFE vont inexorablement créer un fossé entre ceux qui pourront répondre aux normes en changeant de véhicule et ceux qui n’en auront pas les moyens et qui se retrouveront de facto privés de l’accès aux centres urbains.

En effet – il me faut le redire après mes collègues –, le coût d’un changement de véhicule est difficilement supportable pour les catégories les plus fragiles de la population, même avec les aides prévues.

Les ZFE vont donc intensifier la ségrégation spatiale et renforcer la séparation entre les urbains et les habitants plus modestes des zones périphériques. Or il me paraît inconcevable d’exclure de la sorte les plus modestes de nos grandes villes et de nos métropoles. Cela ne saurait être la conséquence principale d’une politique écologique digne de ce nom.

Oui, je reste convaincu qu’il faut atteindre l’objectif louable de réduction de la pollution de l’air, qui génère 40 000 décès prématurés par an. Mais est-ce véritablement cohérent de demander pour ce faire à un particulier de mettre 10 000, 20 000, voire 30 000 euros sur la table, soit parfois un an de salaire ?

Ma question est somme toute assez simple, dans le prolongement de celle que vous a posée ma collègue Elsa Schalck : comment concilier ambition écologique et progrès social pour les classes moyennes et populaires, afin qu’elles ne soient pas les victimes perpétuelles d’une forme d’écologie punitive ? L’écologie, oui, mais l’écologie pour tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Monsieur le sénateur Le Rudulier, encore une fois, je partage la conclusion : il faut mettre en place des mesures permettant d’accompagner les gens. À cet égard, je veux faire plusieurs remarques.

Tout d’abord, sans vouloir attaquer ainsi la ville de Marseille ou sa métropole, je dois souligner que des progrès peuvent sans doute être réalisés en matière de transports en commun sur une partie de son territoire. J’ai entendu les demandes qui nous ont été adressées sur ce sujet, en particulier par Martine Vassal, et vous n’avez pu manquer de relever les crédits inscrits dans le cadre du plan « Marseille en grand » afin d’accompagner le développement des alternatives à la voiture sur une partie du territoire métropolitain. Des discussions sont en cours sur ce point avec la métropole et la ville de Marseille.

Ensuite, je crois profondément au leasing, système qui permettra de concilier respect de l’impératif écologique et offre de tarifs soutenables. En permettant aux particuliers de disposer d’un véhicule à 100 euros par mois, on répondra, sinon à toutes les situations, du moins à énormément d’entre elles. Si l’on calcule le coût total de la possession d’un véhicule thermique, avec les pleins d’essence, et qu’on le confronte au faible coût des recharges électriques pour ceux qui bénéficieront de ce système, on se rend compte du caractère social et écologique de la mesure.

Seulement, il ne faut pas que ce mécanisme soit assis sur des voitures chinoises fabriquées dans des usines employant le charbon ! Sinon, ce qu’on gagnera d’un côté en matière d’empreinte écologique, on le perdra de l’autre. C’est alors que l’on se rend compte qu’il nous faut encore du temps, d’où le caractère progressif de la mise en place de ces ZFE.

Le débat que nous avons est utile, parce que vous faites somme toute œuvre de lanceur d’alerte en prévenant que la généralisation du dispositif, dès demain matin, à tout le monde, à toutes les classes de véhicules, nous conduirait vers cette exclusion sociale. Mais des raccourcis sont parfois faits : on argumente comme si ces zones concernaient d’ores et déjà l’ensemble des véhicules, alors que, pour le moment, il ne s’agit que d’une fraction d’entre eux.

Le caractère progressif de la mise en place des ZFE ainsi que le choix de préférer, durant la présente phase, la pédagogie à la verbalisation, nous permettent de bénéficier de la structuration progressive de l’offre de seconde main et des voitures bon marché qui pourront être intégrées dans le dispositif de leasing promis par Emmanuel Macron lors de sa campagne pour sa réélection.

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Micouleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Brigitte Micouleau. Monsieur le ministre, si nul ne remet en cause le bien-fondé de définir des ZFE afin de limiter l’accès des véhicules les plus polluants au centre des grandes agglomérations – parmi lesquelles Toulouse, dont je suis élue –, la loi d’orientation des mobilités, qui a rendu obligatoire l’instauration des ZFE, et la loi Climat et résilience, qui les a renforcées, ont vu le jour avant des bouleversements mondiaux que l’on ne pouvait prévoir.

L’application de ces dispositifs est basée sur l’attribution aux véhicules d’une vignette Crit’Air. Ce système, appliqué de manière globale, se révèle totalement insatisfaisant et particulièrement pénalisant pour les ménages aux revenus modestes et les populations les plus précaires.

Faire évoluer la vignette Crit’Air devient une nécessité au moment où nombre de garagistes expliquent que certains véhicules Crit’Air 3 ou 4, bien entretenus et en très bon état mécanique, polluent beaucoup moins qu’un SUV disposant du précieux sésame que constitue la vignette Crit’Air 1. De plus, nombre de véhicules Crit’Air 3 ou 4 roulent peu.

Nous nous trouvons ainsi face à un système qui commence à coûter très cher aux contribuables et qui ressemble à une obsolescence programmée par l’État du parc de véhicules existants.

Avant d’imposer une transition brutale, ne serait-il pas judicieux de faire évoluer les contrôles techniques vers des vérifications plus approfondies des véhicules à vignette Crit’Air 3 et 4, ce qui permettrait leur utilisation dans les ZFE ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Madame la sénatrice Micouleau, si je suivais à la lettre ce que vous me suggérez, il faudrait réécrire le texte !

En effet, l’attribution des différentes vignettes Crit’Air repose sur des données objectives et lisibles. Il m’est arrivé, dans ma vie antérieure de parlementaire, de me plaindre de textes difficiles à lire et à comprendre. Or, dans le cas présent, si je reconnais qu’il y a peut-être plus simple encore que cette vignette, du moins se fonde-t-elle sur des millésimes, des années : tout un chacun peut comprendre le système sans être obligé de passer chez un garagiste ou de vérifier que le véhicule est équipé de tel ou tel dispositif.

Je suis d’ailleurs prêt à parier avec vous que si l’on expliquait, demain, qu’il est possible, sous réserve de remises à niveau chez son garagiste ou de contrôles techniques spécifiques, de bénéficier d’une vignette permettant de circuler en ZFE, certains ne manqueraient pas de dénoncer une sorte de taxe ou d’obligation d’aller refaire des travaux pour prolonger la durée de vie de son véhicule !

Vous avez en revanche raison sur un autre point, madame la sénatrice : il faut faire attention à ne pas jeter des véhicules qui fonctionnent encore. Cela est important d’un point de vue écologique, quand on sait qu’il faut environ deux tonnes de pétrole pour produire un véhicule, quelle que soit sa motorisation. Il importe donc de ne pas encourager de manière excessive, trop rapide, ces évolutions.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous croyons au rétrofit. Garder un véhicule ancien et en changer la motorisation n’est pas une solution universelle, mais peut constituer un moyen de résoudre une partie de la difficulté que vous évoquez. Le rétrofit est éligible à des aides, ce qui rend le reste à payer moins élevé.

En revanche, certains éléments pris en compte pour apprécier les émissions d’un véhicule n’entrent pas dans les critères des ZFE. Le plus gros écueil en matière de réduction des émissions de particules fines et de dioxyde d’azote concerne les moteurs diesel. On peut prendre le problème par tous les bouts, le principal souci en matière de santé publique reste l’importante diésélisation du parc automobile actuel. C’est la raison pour laquelle nous devons faire en sorte d’en accélérer la mutation.

Tel est bien l’objet des ZFE, avec un calendrier progressif, de la pédagogie et des mesures d’accompagnement.

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à Mme Christine Lavarde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Lavarde, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à écouter tous les orateurs, j’ai eu l’impression de revivre un peu le paradoxe de la poule et de l’œuf : constamment, on s’est demandé si les ZFE devaient entraîner une adaptation de notre parc roulant ou s’il aurait plutôt fallu adapter celui-ci avant de les mettre en place.

Il se trouve que la loi a été votée – certains d’entre nous ne siégeaient pas encore sur ces travées – et qu’elle existe. Il convient désormais de l’appliquer, et ce de la meilleure manière possible pour les citoyens et les acteurs économiques.

Comme il a été largement rappelé, c’est un enjeu vital, puisque la pollution de l’air réduit d’environ 2,2 ans l’espérance de vie et qu’elle entraîne plusieurs milliers de morts par an.

Pour autant, nous ne sommes pas prêts. Nous ne le sommes pas, parce qu’il n’existe pas aujourd’hui de réseau de transport performant dès lors que l’on réside hors d’une métropole et que l’on souhaite s’y rendre. Les réseaux de transport sont conçus soit à l’échelle de l’aire urbaine, soit pour des déplacements entre grandes métropoles, mais non pour se rendre depuis la zone périurbaine vers le cœur d’activité de la zone urbaine.

Nous ne sommes pas prêts, parce que, de fait, le système d’aides en vigueur pénalise ceux qui résident en dehors de la ZFE. Actuellement, si vous résidez dans la ZFE, vous allez bénéficier d’aides majorées ; si vous vivez en dehors, même si vous devez vous y rendre, vous n’y avez pas droit.

Les citoyens sont aussi pénalisés en fonction de leur agglomération de résidence : si vous êtes dans une ZFE qui a des moyens, vous allez pouvoir profiter d’une majoration de l’aide versée par l’État. Pourquoi ces différents systèmes, alors que l’enjeu de la voiture est le même pour chacun ?

Nous sommes aussi en retard parce que, aujourd’hui, notre parc roulant n’est pas prêt. Nous n’avons pas assez de véhicules de substitution, notamment lorsqu’il est question de catégories techniques spécifiques.

En outre, pardonnez-moi, monsieur le ministre, vous nous annoncez que l’on atteindra au premier semestre 2023 le palier de 100 000 bornes de recharge, mais il me semble que cet objectif était fixé pour 2021 : on peut certes toujours se réjouir d’être prêt à un moment ou à un autre, se dire que le retard pourrait être pire encore, mais nous avons bien deux ans de retard en la matière !

Par ailleurs, monsieur le ministre, vous nous annoncez un programme de communication à partir du premier semestre 2023, mais c’est là encore beaucoup trop tard ! C’est en octobre 2018 que l’État et quinze métropoles se sont engagés pour développer des zones à faibles émissions d’ici à 2020. On aurait pu faire tout cela beaucoup plus tôt !

Pour autant, le Sénat a déjà proposé un certain nombre de mesures concrètes, qui pourraient s’avérer utiles.

Vous avez vanté à l’instant les effets du leasing, mais pourquoi l’État refuse-t-il d’en ouvrir le bénéfice aux collectivités en incluant ces dépenses dans le champ du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ? Cette idée figure pourtant dans des documents produits par votre ministère, certes avant votre entrée en fonction.

Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour mettre en place le prêt à taux zéro ? Notre assemblée l’avait voté dès décembre 2020, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2021.

Pourquoi met-on autant de temps à s’intéresser aux émissions de particules de freinage ? C’est pourtant un véritable sujet, que vous avez rapidement évoqué en réponse à la question de Laurence Garnier sur les avions : 80 % des émissions de particules fines d’un véhicule ne sont pas prises en compte aujourd’hui, parce qu’elles émanent du système de freinage ! Une start-up française, Tallano, travaille sur ce sujet depuis dix ans. En France, elle en est uniquement au stade des essais, alors qu’elle a réussi à diffuser largement sa technologie en Asie. Pourquoi sommes-nous autant en retard ?

Précisons que cette question n’est pas uniquement liée aux voitures individuelles à moteur thermique ; elle est encore plus importante quand on s’intéresse aux systèmes de transports collectifs que sont les métros et les RER. Il conviendrait de s’attaquer à ce véritable enjeu de santé publique des transports collectifs et des zones urbaines.

Je sais que la France regarde avec intérêt ce qui va se produire dans le cadre des discussions européennes sur la nouvelle norme Euro 7, mais nous ne pouvons attendre plus longtemps.

Enfin, monsieur le ministre, une dernière chose m’a quelque peu choquée. Vous ne pouvez pas dire : « Ce n’est pas moi, c’est l’autre ! » ; vous ne pouvez pas dire : « Ce sont les collectivités qui vont trop vite pour mettre en place les ZFE, ce n’est pas l’État qui en a décidé ainsi… » Pardonnez-moi, mais l’enjeu de santé humaine nous concerne tous. Si des collectivités ont décidé d’aller plus vite, il faut les accompagner, parce que nous en tirerons collectivement les bénéfices ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)