M. Jean-Pierre Sueur. Mieux vaut ne rien écrire dans le rapport annexé dans l’attente des conclusions de la mission !

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Mon cher collègue Sueur, vous connaissez comme moi la procédure parlementaire, nous avons tous deux quelques heures de vol ! (Sourires.) Le texte va ensuite être examiné à l’Assemblée nationale, puis en commission mixte paritaire. D’ici là, la mission d’information de Nadine Bellurot et Jérôme Durain nous permettra de disposer de certains éléments. Nous pourrons alors, je l’ai dit publiquement, adopter des amendements complémentaires.

Pour l’heure, au stade où nous en sommes, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur ces amendements, par cohérence avec la position de la commission.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit d’une question très importante, qui mérite que l’on s’y arrête.

Je note que, même si personne n’en parle, on constate une augmentation de la délinquance, que chacun dénonce, et une baisse continue des taux d’élucidation du plus haut du spectre. Je pense notamment aux homicides.

Que faisons-nous sur le fondement de ce constat ? Peut-être sommes-nous mal organisés ? Cela tombe bien : sept rapports sénatoriaux ont été réalisés depuis l’époque où Pierre Joxe, qui n’appartient pas à ma famille politique, était ministre de l’intérieur. Je rappelle qu’il est le premier à avoir eu l’idée de cette réforme. Tous ces rapports – les sept, et je ne parle pas des rapports de la Cour des comptes, de l’Assemblée nationale, ni des témoignages des spécialistes de la spécialité – ont conclu que l’organisation en silos de la police nationale était une mauvaise chose.

Pour préparer notre débat, je me suis intéressé aux auteurs de ces rapports. C’est amusant : le premier rapport publié à la suite de la proposition de M. Joxe, daté du 30 mai 1991, a été réalisé par un sénateur du Rassemblement pour la République (RPR), M. Lucien Lanier.

Puis ont été publiés un rapport de M. Aymeri de Montesquiou, sénateur radical, un rapport de M. René Vandierendonck, un socialiste,…

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Grand sénateur !

M. Gérald Darmanin, ministre. … et un rapport de M. François Pillet, éminent juriste qui siège désormais au Conseil constitutionnel. Tous disent la même chose. Je pourrais multiplier les exemples et évoquer également les travaux de Michel Boutant, ancien sénateur socialiste, et de M. Grosdidier, qui était jusqu’à il y a peu sénateur du groupe Les Républicains. Ces sept rapports disent sept fois la même chose !

Monsieur le sénateur Favreau, il faut cesser de relayer des fake news. Il est très insultant de prétendre que cette réforme porterait atteinte à la séparation des pouvoirs. Cela signifierait que la gendarmerie ou la préfecture de police fonctionneraient depuis deux siècles en totale contradiction avec ce qui fonde un État démocratique. Or c’est le contraire qui est vrai : la direction générale de la police nationale est la seule des trois forces à être organisée comme elle l’est. Arrêtons donc de tenir des propos inexacts.

De plus, monsieur le sénateur, le rapport annexé n’a pas de caractère législatif. Pensez-vous réellement que si la réforme de la police nationale devait porter atteinte au fonctionnement démocratique du pays, nous pourrions la mener seulement au moyen de règlements et d’arrêtés ?

L’article 12-1 du code de procédure pénale est entièrement respecté : le magistrat conserve le libre choix du service instructeur.

Monsieur Sueur, la police judiciaire est un service du ministère de l’intérieur.

M. Jean-Pierre Sueur. Au service de la justice !

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est vrai que cela fait l’objet de discussions et que d’aucuns souhaiteraient que la police judiciaire soit placée auprès du ministère de la justice ou que l’administration pénitentiaire relève du ministère de l’intérieur. On peut s’amuser à modifier les organigrammes, mais tel n’est pas l’objet de cette réforme. La PJ a toujours été un service du ministère de l’intérieur et j’espère qu’elle le restera.

Monsieur Sueur, vous êtes trop fin juriste et vous connaissez trop bien ces questions pour être convaincu par votre propre argument. En effet, 90 % des enquêtes judiciaires relèvent de la sécurité publique, donc des commissariats de France. Le choix du service d’enquête relève des procureurs de la République. La police judiciaire représente donc 10 % des enquêtes.

Il faudrait que M. le garde des sceaux réponde à vos questions. Nous l’inviterons bien volontiers, il sera le bienvenu.

La réforme de la police nationale n’entraînera ni un changement de statut de la police judiciaire ni une modification des liens entre les magistrats et ce service du ministère de l’intérieur. Elle ne nécessite qu’une modification réglementaire et ne constitue qu’une petite partie de la réforme de la police nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez déjà accueilli un Président de la République, un Premier ministre, voire un ministre de l’intérieur sur un tarmac d’aéroport, par exemple. Sont présents un préfet, un gendarme et quatre policiers, qui disent : « bonjour, je suis le directeur départemental de la sécurité publique », « bonjour, je suis le directeur départemental de la police aux frontières », « bonjour, je représente le service départemental de renseignement territorial », etc. On voit bien physiquement qu’il y a un problème !

Tout le monde le sait, et c’est la raison pour laquelle M. Joxe avait eu l’idée de cette réforme de bon sens, mais très difficile à mettre en œuvre : la délinquance est aujourd’hui multiforme, plus encore que dans les années 1990. Elle ne relève pas seulement de la sécurité publique, de la police aux frontières ou du renseignement. Tous ces services doivent travailler ensemble, comme le font les gendarmes et la préfecture de police, sous un commandement unique.

Si l’on perd du temps dans les zones de police, c’est parfois en raison des protocoles mis en place entre services. Je suis à la tête d’une administration qui met en œuvre des protocoles entre directeurs des mêmes services d’un même ministère pour pouvoir se transmettre des informations !

Mon projet n’est pas de renverser la pyramide de Kelsen (Sourires.), il est très pragmatique, et tout le monde s’en est rendu compte. L’immense majorité des syndicats de police sont d’ailleurs favorables à cette réforme, depuis très longtemps.

Je comprends qu’elle suscite des interrogations, et je suis prêt à accepter un amendement, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un amendement de suppression, ce qui n’aurait pas de sens.

Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous que l’on inscrive dans le texte, même s’il n’est pas de nature législative, que nous allons laisser aux magistrats le libre choix des services instructeurs et la libre instruction ? Je suis d’accord, même si ce n’est pas l’objet de la réforme.

Il y a 5 000 officiers de police judiciaire sur 150 000 policiers, dont 2 500 relèvent de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris et ne sont donc pas concernés par la réforme. Souhaitez-vous, afin de les rassurer, inscrire dans le texte qu’aucun policier de la PJ ne fera autre chose que de la police judiciaire, pour des enquêtes du haut du spectre ? Je suis d’accord !

Souhaitez-vous que l’on écrive que tout ce qui concerne la délinquance financière et la probité des élus sera traité non pas à l’échelon départemental, mais à un niveau régional ou zonal ? Je suis d’accord !

Souhaitez-vous que l’on indique que la cartographie ne sera pas modifiée, que l’on conservera les offices et les antennes régionales, les mêmes qu’aujourd’hui ? Je suis d’accord !

En revanche, je ne suis pas d’accord, quand je constate que la délinquance augmente et que le taux d’élucidation de la direction générale de la police nationale baisse, pour que les services continuent de fonctionner comme au temps de Georges Clemenceau, même si je l’aime beaucoup.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas le cas de tout le monde, en effet. Pourtant, il fut sénateur !

Pour ma part, j’aime beaucoup Clemenceau, mais le monde change.

Bien sûr, il faut rassurer et je suis prêt à faire cette réforme en discutant avec les organisations syndicales qui auront été nouvellement élues et en écoutant leurs propositions d’amendement.

Si je soumets à délibération le rapport annexé, monsieur le sénateur, c’est par respect pour le Parlement, afin de l’informer de ce que nous allons faire, mais ce rapport n’a aucun caractère législatif. J’aurais pu ne pas le faire figurer dans le projet de loi, mais j’ai préféré être honnête avec le Parlement. Quel drôle de ministre je serais si je préparais une grande réforme sans l’inclure dans ce projet de loi d’orientation et de programmation ! Grâce à cela, nous pouvons en débattre.

Monsieur le rapporteur, au risque de comparer des choses qui ne sont pas comparables, cette réforme de la police nationale est mutatis mutandis de même nature que celle que vous avez connue quand il s’est agi de fusionner la direction générale des impôts et la direction générale de la comptabilité publique.

J’étais ministre des comptes publics après que le gouvernement dont vous étiez membre, monsieur Sueur, a courageusement lancé cette fusion. Nous avons fait face aux mêmes grèves et aux mêmes manifestations. Nous avons entendu dire que le préfet prendrait connaissance des contrôles fiscaux, que tout le monde cesserait d’en faire, parce que, évidemment, nous n’aurions pas envie de sanctionner la fraude, que nous ne ferions plus que de l’aide aux collectivités locales, que le métier changerait.

Qui se plaint aujourd’hui de la direction générale des finances publiques ? Qui peut ignorer qu’il s’agit d’une administration moderne qui prend en compte les difficultés de notre temps ? Le contrôle fiscal était multiforme.

J’ai été trois ans ministre des comptes publics, comme d’autres ici. Les préfets ne commentent pas les contrôles fiscaux visant des élus ou tel ou tel chef d’entreprise. Le secret fiscal, plus que le secret de l’instruction, est absolument gardé. Tout le monde s’intéresse au secret de l’instruction, c’est une très bonne chose, même si son respect ne m’avait pas sauté aux yeux depuis que je suis ministre de l’intérieur.

En tout état de cause, le secret fiscal est respecté, et le préfet n’est pas au courant des contrôles fiscaux effectués par les agents des services compétents, pas plus, d’ailleurs, que ne l’est le directeur départemental des finances publiques, vous le savez très bien.

Je partage l’avis du rapporteur : rien n’empêche de compléter l’orientation de la réforme, mais cela fait quasiment trente-cinq ans que tout le monde essaie de la mettre en place. Je comprends qu’il faille rassurer, j’ai multiplié les signes positifs, mais, de grâce, mesdames, messieurs les sénateurs, ne voyons pas une atteinte à la démocratie là où il n’y a qu’une quête d’efficacité des services !

La véritable atteinte à la démocratie, à la confiance dans notre régime, c’est lorsque l’on ne parvient pas à retrouver l’auteur d’un homicide ou lorsqu’on met en place des protocoles entre services de police et que l’on perd ainsi du temps avant de lancer des écoutes téléphoniques ou des filatures. Cela porte atteinte au respect de l’État de droit.

Encore une fois, cette réforme n’est pas de nature législative, ce qui est la démonstration par l’absurde – la preuve du pudding, c’est qu’il se mange ! – qu’elle n’entraîne aucun changement dans nos rapports avec la justice.

Je le dis donc devant la Haute Assemblée : je suis prêt à accepter les amendements, à condition qu’ils ne tendent pas à supprimer la réforme.

Monsieur Sueur, jamais autant de gens ne se sont intéressés à cette réforme que je propose démocratiquement. Celle-ci fait ainsi l’objet d’un rapport d’évaluation de l’inspection générale de l’administration (IGA), de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et même de l’inspection générale de la justice (IGJ). On pourrait d’ailleurs demander, au nom de l’égalité de traitement, que l’IGPN ou l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) fasse aussi parfois des rapports avec l’inspection générale de la justice. Ce rapport sera rendu public et j’en discuterai avec les organisations syndicales.

Mme Bellurot et M. Durain préparent également un rapport, comme deux de leurs homologues à l’Assemblée nationale.

Peut-être n’a-t-on pas envie de mener cette réforme ? Dans ce cas, il faut le dire. Il faut dire que l’on veut que la PJ soit rattachée directement au ministère de la justice, car les taux d’élucidation étant en baisse, il faut proposer autre chose. Que proposez-vous d’autre ?

On peut aussi soutenir que M. Joxe et les auteurs des sept rapports sénatoriaux se sont trompés ces trente-cinq dernières années. C’est tout à fait possible, mais alors, il faut vite s’intéresser au fonctionnement de la gendarmerie nationale et de la préfecture de police.

Bien sûr, cette réforme va changer des habitudes. J’ai le plus profond respect pour les policiers de la police judiciaire.

Monsieur le sénateur Benarroche, je ne partage pas votre opinion : on ne manifeste pas masqué ou cagoulé dans des locaux de police. Les contestations, les tracts, les grèves, tout cela est tout à fait normal, mais la police de la République se doit de respecter certaines limites. Mon rôle de chef est de le rappeler.

Indépendamment de cela, je suis prêt à faire la réforme non pas au forceps, mais en étant à l’écoute. Il me semble toutefois que, après trente-cinq ans de discussions, il est temps de conclure !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Ma position est difficile : M. le ministre a pris douze minutes pour détailler sa position, je ne dispose quant à moi que d’un sixième de ce temps. Je vais devoir être lapidaire.

M. le rapporteur nage dans la contradiction. Tout le monde entend que la commission des lois prépare un rapport pour décider s’il faut ou non aller vers une réforme de la police judiciaire. On ne connaît donc pas la position de la commission, on sait juste qu’elle travaille sur le sujet. M. le rapporteur soutient néanmoins qu’il faut inscrire dans le rapport annexé le rattachement de la police judiciaire au directeur départemental. C’est incompréhensible !

M. Gérald Darmanin, ministre. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si l’on prépare un rapport sur le sujet, on ne doit pas affirmer une telle position tant que celui-ci n’aura pas été remis.

Ensuite, je connais bien Pierre Joxe, il a beaucoup parlé de réforme de la police, mais il ne me semble pas que l’on puisse trouver dans ses actes ou ses propos le moindre élément qui porterait atteinte, si peu que ce soit, à l’indépendance de la justice. (M. le ministre sexclame.) Je ne pense pas que vous puissiez enrôler Pierre Joxe dans cette opération.

Enfin, monsieur le ministre, je reconnais que vous avez beaucoup de talent, mais, à mon sens, vous auriez intérêt à accepter nos amendements et à retirer ces quatre alinéas. Vous enverriez ainsi un signe aux policiers de la PJ, vous leur signifieriez qu’un dialogue est possible et que tout n’est pas terminé.

Vous nous dites que ce n’est pas ce que vous allez faire, que l’on peut ajouter deux pages au rapport annexé pour développer votre position plutôt que d’en supprimer quatre alinéas.

Mme la présidente. Il faut conclure !

M. Jean-Pierre Sueur. J’utilise au mieux mon sixième de temps, madame la présidente !

Nous n’irons pas dans ce sens, monsieur le ministre, car ajouter deux pages au rapport serait perçu comme une véritable provocation, alors même que nous nous sommes exprimés dans l’intérêt du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Après les explications que vient de fournir M. le ministre, je souhaite revenir sur le calendrier.

Nous aurions pu, en amont, ajouter non pas deux pages, monsieur Sueur, mais quatre lignes, très claires, à l’amendement de M. Durain et de Mme Bellurot, par lequel ceux-ci prennent date en demandant que nous les laissions mener leur mission d’information.

Leurs principales conclusions seront connues d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire. Je m’engage devant vous, après avoir pris l’avis du président de la commission, à défendre en commission mixte paritaire une rédaction du rapport qui tiendra compte des principales conclusions de la mission. Le ministre dit des choses, c’est normal, il est dans son rôle ; la mission d’information, pour sa part, fera des préconisations que le président fera sans doute voter en commission. Nous défendrons cette position en commission mixte paritaire.

En revanche, si nous adoptions vos amendements, nous supprimerions du texte la départementalisation. Or ce n’est pas conforme à la position de la commission, laquelle souhaite que la rédaction du rapport garantisse la prise en compte de la spécificité de la police judiciaire.

J’ai été plus clair encore en indiquant les trois ou quatre points qui me semblent fondamentaux et qui recoupent ce que nous avons entendu durant nos auditions, en particulier de la part du monde judiciaire, mais pas seulement.

À défaut, quelle serait l’utilité d’une mission d’information ? Pourquoi les parlementaires travailleraient-ils pendant des jours et des jours, organiseraient-ils des auditions ? Le ministre défend sa position et concédera les avancées qu’il croit devoir concéder, il est dans son rôle ; le nôtre est d’avancer des propositions afin d’obtenir les garanties que nous souhaitons.

Le ministre vient de le dire : si nous souhaitons adopter un amendement visant à confirmer que la PJ restera sous l’autorité du judiciaire, que les affaires sensibles seront toujours de son ressort, que l’on pourra dépasser les frontières départementales en matière de lutte contre la criminalité ou la délinquance organisée en définissant des structures adaptées, il est d’accord. Comme moi, vous l’avez entendu le dire !

Monsieur Sueur, nous ajouterons donc trois ou quatre phrases, et non deux pages, par voie d’amendement, lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Si nous faisions autrement, nous préempterions les résultats de la mission d’information, ce qui n’est pas mon rôle en tant que rapporteur de la commission des lois.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.

Mme Nathalie Delattre. Je retire mon amendement, car je pense que, après les manifestations et la discussion de nos amendements d’appel, qui ont fait écho aux inquiétudes, nous avons été entendus.

Les propos rassurants du ministre, mais aussi les engagements de notre rapporteur concernant la suite du processus, sont de nature à nous permettre d’avancer sur cette question.

Mme la présidente. L’amendement n° 118 rectifié est retiré.

La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.

M. Guy Benarroche. Je partage les propos de M. Sueur concernant la contradiction du rapporteur.

On crée une mission d’information parce que l’on se pose des questions sur la départementalisation, mais l’on préempte – j’utilise le même mot que vous, monsieur le rapporteur – ses résultats en maintenant la mesure dans le texte en l’état !

Monsieur le rapporteur, vous indiquez que, s’agissant d’une orientation générale du ministère, nous n’aurions pas à en discuter. Dès lors, pourquoi débattons-nous d’amendements sur ce rapport de 86 pages ? Nous ne faisons que cela !

Il s’agit bien d’une orientation, dont nous questionnons les éléments. Nous avons même voté des amendements, qui, sans remettre en cause fondamentalement les points principaux de ce rapport – ce serait compliqué –, les remettent en question.

Nous sommes maintenant parvenus à la mesure principale, que nous contestons. Une mission va mener ses travaux et, bis repetita placent, il nous semble qu’il convient de ne pas préjuger ses conclusions sur la départementalisation.

Je rappelle par ailleurs que beaucoup d’acteurs s’opposent à cette réforme et qu’il nous revient d’émettre un signal. Nous ne le ferons pas en ajoutant seulement quatre conditions.

Pour terminer, j’indique à M. le ministre que les policiers n’étaient pas cagoulés. Ils étaient masqués, certes, mais pas particulièrement menaçants. Je comprends qu’ils encourent des sanctions, cela ne relève pas de ma responsabilité, mais bien de la vôtre. Je l’accepte volontiers.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Sueur, je ne peux pas vous laisser dire que cette réforme porte atteinte aussi peu que ce soit à l’indépendance de la justice. Ce serait faire de la politique et tromper ceux qui nous écoutent, or je sais que telle n’est pas votre intention.

Encore une fois, la réforme de la police nationale n’est pas de nature législative. Or vous savez mieux que quiconque qu’une modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les forces de l’ordre relèverait nécessairement de l’échelon législatif.

Le fait qu’aucune disposition législative ne soit nécessaire pour créer la police nationale « nouvelle formule », à l’instar de ce qui a été fait pour la gendarmerie ou la préfecture de police, et mettre en œuvre la départementalisation démontre bien qu’il n’y a aucune modification des rapports entre l’autorité judiciaire et les services qui dépendent du ministère de l’intérieur. Il me paraît nécessaire de le souligner.

Par ailleurs, personne n’a proposé d’autre réforme que la mienne. Cela n’a rien d’étonnant puisque cela fait trente-cinq ans que tout le monde propose la même !

Le taux de résolution des homicides diminue. La délinquance est de plus en plus multiforme, complexe et internationale, notamment pour ce qui concerne les stupéfiants et la délinquance financière. L’époque des gangs « à la papa » est révolue : nous avons désormais affaire à des réseaux extrêmement complexes et « technologisés ». Enfin, tout le monde s’accorde pour dire que notre filière investigation est en souffrance et trop peu efficace, les pouvoirs publics ne faisant pas beaucoup d’efforts pour la remotiver.

Fort de tous ces constats, je vous présente la même réforme que celle qu’ont proposée une grande partie de mes prédécesseurs et la Haute Assemblée elle-même – j’ai déjà évoqué les rapports d’origine variée qui ont été faits sur le sujet. Or on me répond que j’ai raison, mais qu’il ne faut rien changer. Je suis navré, mais la politique, ce n’est pas cela !

Si l’on est d’accord sur le fait que les homicides sont en augmentation, que les trafics de stupéfiants sont de plus en plus complexes et qu’ils pourrissent la vie de nos concitoyens, que l’élucidation n’est pas au rendez-vous et que l’investigation est en souffrance, il faut en tirer des conclusions.

Permettez-moi d’évoquer deux enquêtes récentes sur des trafics de stupéfiants, la première menée par la PJ et la seconde par la sûreté départementale – afin de préserver le secret de l’instruction, je ne divulguerai aucun nom – qui permettent de mieux comprendre la réalité du quotidien.

Au terme d’un long travail, la PJ a saisi 5,5 kilogrammes de drogue, trois véhicules et elle a procédé à cinq mises sous écrou dans un territoire du sud de la France, tandis que dans un département différent, la sûreté départementale a saisi 21 kilogrammes de drogue et procédé à trois mises sous écrou.

Dans ces conditions, comment peut-on affirmer que la PJ n’intervient que sur le haut du spectre et que la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) ne traite, comme je l’ai entendu dire, que le « petit judiciaire » ? C’est non seulement insultant, car je rappelle que les policiers affectés à la sécurité publique sont saisis de 90 % des enquêtes, mais aussi inexact, car ce qui était vrai il y a quarante ans ne l’est plus aujourd’hui : chaque jour, les policiers des commissariats de France saisissent des dizaines de kilogrammes de cannabis et sont saisis de tentatives d’homicide et d’homicides.

Or les policiers affectés à la sécurité publique ne bénéficient pas de la même formation et du même accompagnement que leurs collègues de la police judiciaire, qui sont des policiers très qualifiés. Ils ne sont pas intégrés dans une chaîne judiciaire leur permettant de bénéficier des technologies, d’accéder aux échanges internationaux et aux informations sur lesquels leurs collègues s’appuient.

Sur les 20 000 enquêteurs de police judiciaire que compte la France, 5 000 sont des enquêteurs de la PJ et 15 000 sont dans les commissariats.

Grâce à la réforme que nous proposons, et qui est proposée depuis très longtemps, la PJ comptera non pas 5 000 effectifs comme c’est le cas aujourd’hui, mais 20 000. Cette réforme a pour objectif non pas d’appauvrir la police judiciaire en lui retirant ses 5 000 enquêteurs, mais de la renforcer en rattachant à la filière judiciaire 15 000 enquêteurs qui dépendent actuellement de la sécurité publique.

Si un OPJ peut en effet être amené à traiter du « petit judiciaire », il ne viendrait à l’idée de personne de demander à de grands enquêteurs issus de brigades très spécialisées de traiter des violences intrafamiliales, quoique cela n’ait rien d’infamant. Tel n’est pas le discours que je porte depuis des années – je pense que tout le monde l’aura compris. En revanche, il peut arriver qu’un OPJ particulièrement dynamique repère que le point de deal et le chouf qui se trouvent sur son secteur sont en lien avec un réseau plus important.

Mesdames, messieurs les sénateurs, on peut déployer autant de policiers que vous le souhaitez, mais si l’on n’arrête que les détaillants, jamais les grossistes, on pourra continuer longtemps à augmenter les effectifs ! Le problème, c’est que l’on n’arrête pas suffisamment de grossistes, car ils se trouvent à Dubaï ou en Asie – ils sont sans doute français –, d’où ils commandent, sur leur ordinateur, la cocaïne qui arrive dans nos ports ! Le fait est que, malheureusement, la délinquance s’est beaucoup transformée par rapport à ce que vous avez pu connaître dans différents services de police, si bien que ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionne plus et que les services de police ont évolué.

Il y a deux solutions, monsieur Sueur.

Soit vous vous prononcez contre la réforme pour des raisons politiques, et je pourrais le comprendre puisque nous faisons de la politique. Mais, dans ce cas, il est un peu vain de débattre des amendements et des missions.

Soit vous considérez qu’il faut faire cette réforme que tout le monde essaie de mettre en œuvre depuis trente-cinq ans. Je conviens que le contexte est sans doute difficile, puisque les élections professionnelles de la police nationale, comme partout dans la fonction publique, auront lieu dans un mois. J’aurais pu attendre avant de vous proposer cette réforme, mais j’ai choisi de faire ce qui me paraît conforme à l’intérêt général.

Comme l’a dit M. le rapporteur, nous pouvons évaluer les directions territoriales de la police nationale (DTPN) qui existent déjà dans les territoires ultramarins – pas un procureur général ne s’est d’ailleurs plaint de ces directions uniques –, mais aussi les directions départementales de la police nationale qui ont été mises en œuvre, à titre expérimental, dans dix départements de métropole. Certains sénateurs, issus de ces départements, connaissent ces expérimentations.

De plus, deux missions parlementaires travaillent actuellement sur cette question.

Enfin, je vous propose, monsieur le président de la commission des lois, de m’inviter à vous présenter le rapport que j’ai demandé à l’IGJ, à l’IGPN et à l’IGA quand celui-ci me sera remis. Il sera encore temps de modifier certains points de la réforme, puisque, je le répète, celle-ci relève uniquement du domaine réglementaire.

Monsieur Sueur, je vous ai proposé de rectifier votre amendement afin d’y inclure toutes les conditions que vous évoquez. Vous ne saisissez pas la balle au bond, ce qui me conduit à penser que vous souhaitez sans doute davantage contrarier le Gouvernement que réformer la police nationale !