compte rendu intégral

Présidence de Mme Valérie Létard

vice-présidente

Secrétaires :

M. Pierre Cuypers,

Mme Victoire Jasmin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 octobre 2022 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il va être procédé, dans les conditions prévues par l’article 86 bis du règlement, au scrutin secret pour l’élection à la Cour de justice de la République.

Ce scrutin se déroulera dans la salle des conférences ; la séance ne sera pas suspendue durant les opérations de vote.

Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.

Une seule délégation de vote est admise par sénateur.

Je remercie nos collègues Victoire Jasmin et Marie Mercier, secrétaires du Sénat, qui vont superviser ce scrutin.

Le juge à la Cour de justice de la République nouvellement élu sera immédiatement appelé à prêter serment devant le Sénat.

Je déclare ouvert le scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Il sera clos dans une demi-heure.

3

 
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
Discussion générale (suite)

Orientation et programmation du ministère de l’intérieur

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (projet n° 876 [2021-2022], texte de la commission n° 20, rapport n° 19, avis n° 9).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter, au nom du gouvernement de la République, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi).

C’est un moment très important pour le ministère de l’intérieur, ainsi que pour l’ensemble des services concourant à la sécurité des Français. Le terme « sécurité » doit d’ailleurs être mis au pluriel : sécurité dans le sens où nous l’entendons, c’est-à-dire lutte contre la délinquance ; sécurité civile, et nous avons vu cet été à quel point les Français étaient de plus en plus inquiets des difficultés qui pouvaient découler d’un mauvais modèle de sécurité civile ; sécurité cyber, et l’actualité nous pousse à réfléchir à ces sujets très importants ; enfin, sécurité et intérieur, puisque le texte comporte des dispositions sur l’organisation territoriale de l’État, le rôle des préfets, des sous-préfets et des agents de préfecture dans l’action du ministère.

Hasard – mais ce n’en est pas totalement un ! – du calendrier, le texte arrive en discussion au Sénat au moment même où l’Assemblée nationale entame l’examen du projet de loi de finances. Le présent projet de loi, qui prévoit 15 milliards d’euros supplémentaires sur les cinq ans à venir, s’articule avec le projet de loi de programmation des finances publiques et le projet de loi de finances pour 2023, dans lequel cette rallonge budgétaire est bien inscrite.

Il s’agit donc d’une loi d’orientation qui, si j’ose dire, est déjà concrète, puisque le Parlement en votera les crédits en même temps, d’abord, dans la chambre basse, puis – je l’espère –, dans la chambre haute.

Nous avons fait le choix d’une loi de programmation du ministère de l’intérieur en considérant que les enjeux qui sont devant nous et devant le peuple français le justifiaient, comme pour nos amis militaires. Nous avons retenu une échelle assez longue, cinq ans, ce qui est sans précédent dans les annales du ministère. Il a pu y avoir dans le passé des lois d’orientation et de programmation de la sécurité intérieure (Lopsi), mais il n’y a jamais eu de Lopmi, c’est-à-dire de loi de programmation pour l’ensemble du ministère de l’intérieur.

Certes, de telles lois ont permis de faire évoluer la sécurité intérieure. La loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, adoptée alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur, a introduit l’image et la vidéosurveillance, et la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), votée lorsque le même était Président de la République, a prévu une réorganisation de la sécurité publique dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP).

Mais le ministère de l’intérieur n’a jamais connu sur cinq ans de programmation budgétaire importante lui permettant non pas de répondre ici et maintenant aux problèmes qui concernent tout un chacun, et le ministère de l’intérieur en premier lieu – je pense à la délinquance au coin de la rue, aux difficultés pour résorber les points de vente de stupéfiants ou encore à la question de l’accueil dans les commissariats, etc. –, mais bien de réfléchir à demain, c’est-à-dire aux crises de demain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi vise à répondre à cinq crises, en élaborant des stratégies et en mobilisant des moyens budgétaires.

La première de ces crises, toujours persistante, est la crise terroriste.

Je veux le redire ici, devant la Haute Assemblée, la menace terroriste est extrêmement prégnante sur le territoire national et dans le monde, en particulier le monde occidental. Je ne reviendrai pas sur les causes – elles sont nombreuses – de la menace terroriste en France. Mais un constat s’impose : si nous avons déjoué plus de trente-neuf attentats depuis l’élection du Président de la République, les informations qui nous parviennent, les analyses de ce qui se passe dans d’autres pays et les travaux de prospective qu’un grand ministère comme celui de l’intérieur doit mener révèlent que cette menace est d’autant plus prégnante qu’elle se modernise et se « technologise ».

Au risque de vous paraître farfelu, je vous indique que les attentats de demain ne seront peut-être pas simplement commis avec une arme dans une salle de spectacle ou avec un couteau devant une boulangerie. Un drone, chargé d’explosifs, pourrait foncer sur une foule et créer ainsi, comme sur les théâtres d’opérations extérieures, la même terreur que d’autres armes considérées comme plus traditionnelles. Or le travail du ministère de l’intérieur est de prévoir l’acte terroriste de demain.

C’est pourquoi la loi de programmation doit apporter des moyens importants pour faciliter l’intervention des forces de police et, plus généralement, de l’État, dont les réseaux radio, par exemple, sont éculés.

Monsieur le rapporteur, vous avez accepté que le Gouvernement dépose en séance un amendement tendant à intégrer dans le projet de loi ce qui était prévu dans l’ordonnance pour le réseau Radio du futur (RFF). Nous vous demandons 2 milliards d’euros pour que, demain, l’ensemble des forces de sécurité et des administrations concourant à la sécurité des Français disposent d’un seul et unique réseau radio capable d’intervenir en images et en sons partout sur le territoire national, fonctionnant indépendamment des attaques de toutes natures et permettant l’intervention de la sécurité civile et de forces comme l’unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion (Raid), la brigade de recherche et d’intervention (BRI) ou le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

Je peux désormais l’annoncer, des sociétés françaises, dont Airbus, ont remporté ce marché public, que nous espérons concrétiser grâce à l’adoption du texte.

Face à la crise terroriste de demain, un travail d’anticipation s’impose à l’évidence, qu’il s’agisse de lutte anti-drones, engins dont nous devons nous prémunir, ou de communication, d’où le projet réseau Radios du futur.

La deuxième crise que je souhaite évoquer est une crise d’ordre public.

Chacun a pu constater à la faveur de la crise des « gilets jaunes » que les manifestations « à la papa » étaient terminées. Le temps où les préfets ou le ministre de l’intérieur se réunissaient avec les grandes organisations syndicales pour s’assurer de la présence d’un service d’ordre organisé et s’accorder sur un parcours déterminé est révolu. À l’époque, même si plusieurs millions de personnes manifestaient, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, le fait d’avoir des policiers aguerris – le maintien de l’ordre public est un métier, et il est assuré uniquement par les policiers qui y sont formés – permettait de ne pas avoir de débordements, en tout cas pas au-delà de l’acceptable.

Les manifestations sont désormais spontanées, numériques, difficilement chiffrables, sans organisateur – ou si peu – et rarement déclarées. Elles se sont multipliées sur l’ensemble du territoire national. Jusqu’à présent, les petites et moyennes villes étaient peu concernées par les phénomènes comme celui qu’elles ont pu connaître tous les samedis avec les « gilets jaunes ».

L’une des difficultés résidait dans le défaut d’organisation de nos services de renseignements pour comprendre ces manifestations nouvelles, qui touchent d’ailleurs l’ensemble du monde occidental, et dans le manque d’effectifs de police spécialistes de l’ordre public pour les organiser.

Je suis malheureusement obligé de constater que quinze escadrons de gendarmerie mobile et de compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été supprimés ces vingt dernières années. Lorsque la crise des « gilets jaunes » est survenue, les policiers spécialisés dans l’ordre public, spécialisation qui suppose un entraînement, un matériel, des effectifs et une stratégie particuliers, étaient peu nombreux. Cela a forcé des policiers dont ce n’était pas le métier – je pense par exemple à des policiers municipaux – à intervenir.

Les difficultés étaient extrêmement graves non seulement pour les policiers eux-mêmes, mais également pour les manifestants. Or le rôle du ministre de l’intérieur est d’assurer la sécurité de ces derniers, y compris, paradoxe démocratique, quand ils manifestent contre la police.

Afin de tenir compte d’une telle difficulté d’ordre public et des nouvelles formes de manifestations, nous vous proposons – c’est la première fois depuis vingt-cinq ans pour le ministère de l’intérieur – la création de onze unités d’intervention, dont sept escadrons de gendarmerie mobile et quatre unités de CRS, sur le modèle de la « CRS 8 » ; nous aurons l’occasion d’évoquer la nouvelle stratégie d’ordre public, monsieur le rapporteur.

Le choix de recréer sept escadrons de gendarmerie mobile répond aussi à nos problèmes ultramarins, essentiellement gérés par des gendarmes mobiles, et non par des CRS. Je pense aux événements potentiels en Nouvelle-Calédonie, aux difficultés à Mayotte et en Guyane, etc.

Sachons regarder les choses en face. Il y a fort à parier que, quels que soient le gouvernement ou la majorité des assemblées, la puissance publique aura besoin de plus d’escadrons de gendarmerie et de CRS pour répondre aux manifestations spontanées, numériques et nouvelles, ainsi qu’aux crises ultramarines.

Il s’agit donc de professionnaliser l’ordre public encore plus que nous ne l’avons fait jusqu’à présent et de nous en donner les moyens, ce qui mérite une loi de programmation. Je le précise, nous créerons l’intégralité de ces onze unités d’intervention au cours des deux prochains exercices budgétaires, afin d’être prêts pour les jeux Olympiques, ce grand rendez-vous qui va rythmer la loi de programmation.

La troisième crise à laquelle nous avons affaire est une crise cyber.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la prochaine pandémie que nous vivrons sera sans doute une pandémie cyber. Nous voyons bien les difficultés. Les attaques contre de grandes entreprises, mais également contre de plus petites, ou contre des collectivités sont quasi quotidiennes ; vous en êtes témoins dans vos territoires. Des hôpitaux publics font l’objet de demandes de rançon.

Le fonctionnement régulier des services publics est à la portée d’attaques cyber – elles sont le fait d’États étrangers dans le cadre d’une guerre qui ne dit pas son nom, de groupes terroristes ou encore de délinquants cyber – consistant à dévoiler le secret de la correspondance, à empêcher l’action d’une administration ou à réclamer des rançons se chiffrant parfois en milliards d’euros.

Le ministère de l’intérieur étant celui de la sécurité, dans sa dimension non seulement curative, mais également préventive, il doit garantir la sécurité de demain, qui est déjà la sécurité d’aujourd’hui. Savez-vous que plus de 50 % des escroqueries subies par les Français sont liées à des attaques cyber ? Lorsqu’une dame vient vous voir dans votre permanence pour vous expliquer qu’elle a reçu un mail dont elle ne connaît pas l’auteur pour lui demander d’envoyer de l’argent, c’est déjà une attaque cyber. Lorsqu’un monsieur vient vous expliquer qu’on lui fait du chantage sur sa messagerie personnelle, c’est une attaque cyber. Cela représente donc 50 % des escroqueries, contre 15 % voilà encore deux ans ; dans les mois ou années à venir, ce sera 100 %. Mesdames, messieurs les sénateurs, songez que, pendant les jeux de Tokyo, pourtant peu fréquentés par le public, pandémie oblige, quatre milliards d’attaques cyber ont été recensées. Cela fait presque figure de passé un peu lointain au regard de l’étendue actuelle des attaques quotidiennes de grandes administrations ou de grandes entreprises. Il y a donc fort à parier que la Coupe du monde de rugby, mais surtout les jeux Olympiques de 2024 seront l’occasion de dizaines de milliards d’attaques cyber, visant l’organisation elle-même ou couplées à des actes terroristes.

Nous devons nous préparer à un scénario noir : celui d’une attaque par drone lors de la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques combinée à une attaque cyber sur les hôpitaux qui prévoiraient un plan blanc en région parisienne : les morts se compteraient non pas par dizaines ou par centaines, mais par milliers.

C’est pourquoi plus de la moitié des 15 milliards d’euros supplémentaires que je sollicite dans le cadre de la loi de programmation, soit 8 milliards d’euros, sont consacrés aux services numériques et cyber du ministère de l’intérieur. Les dépenses de personnels représentent moins de 15 %, le reste étant essentiellement du matériel, d’ordre cyber et numérique pour plus de la moitié des crédits. Mon objectif est que la voiture numérique ou cyber du policier ou du gendarme aille aussi vite que la voiture numérique ou cyber du voleur.

Du reste, cela a été l’objectif de tous les ministres de l’intérieur au moins depuis Clemenceau, que l’on cite beaucoup en ce moment. Rendons-nous compte que beaucoup de choses changent. La police n’est pas tout à fait la même, car la délinquance n’est pas tout à fait la même qu’à l’époque de Clemenceau.

La quatrième crise à laquelle nous nous attendons concerne les violences et les atteintes aux personnes, que nous voyons remonter continuellement.

J’ai pu annoncer ce matin, pour m’en réjouir, une baisse des violences constatées sur le territoire national, notamment en agglomération parisienne, avec une baisse à deux chiffres.

Pour autant, ne perdons pas de vue que la crise de la violence touchant l’ensemble des pays occidentaux a, certes, des causes politiques et sociétales dont nous pouvons discourir à l’envi, mais qu’elle résulte également d’une crise de l’investigation dans la police et, dans une moindre mesure, dans la gendarmerie nationale.

Depuis plusieurs années, nous déployons beaucoup plus d’agents sur la voie publique. Les interpellations sont plus nombreuses : par exemple, 40 % de trafiquants de plus ont été arrêtés. Mais une fois que l’on a augmenté le nombre d’agents sur la voie publique et les moyens pour procéder à des interpellations, il faut toujours réaliser des enquêtes et se conformer aux procédures judiciaires. Pour cela, il faut des personnes qualifiées.

Les services de police et de gendarmerie nous disent qu’il n’y a pas suffisamment d’officiers de police judiciaire (OPJ), maillon évidemment essentiel pour garantir le respect de la procédure afin que les personnes présentées devant les magistrats puissent être effectivement condamnées.

Quand la société, et parfois même les policiers déplorent que les personnes ne soient pas justement condamnées, le ministère de l’intérieur doit aussi balayer devant sa porte et améliorer la mise en œuvre des procédures judiciaires par ses services.

Nous ne pouvons pas ne pas voir – songeons au grand nombre d’avocats spécialisés – que la forme prime souvent le fond. Lorsqu’une procédure est cassée pour vice de forme après des mois et des mois de travail pour retrouver tel délinquant ou criminel, il faut s’interroger. Nous devons augmenter le nombre d’OPJ. Il nous en manque environ 5 000 ; c’est un manque structurant pour la police nationale.

Mesdames, messieurs les sénateurs, lorsque vous m’écrivez pour avoir plus d’effectifs dans vos circonscriptions, je suis heureux de vous accorder, quand je le peux, grâce aux crédits votés, des policiers qui sortent de l’école. Mais le ministre de l’intérieur n’a pas le pouvoir d’affecter de force des OPJ dans vos commissariats ou dans vos services spécialisés. Nous ouvrons des postes, mais si les personnels ne souhaitent pas les occuper, nous ne pouvons pas les y contraindre.

Nous avons donc réfléchi à la manière de résoudre cette crise de l’investigation, faute de quoi il n’est ni réponse pénale ni travail de police qui vaille sur le long terme.

Aussi prévoyons-nous dans la Lopmi des améliorations révolutionnaires pour les OPJ.

Premièrement, un policier n’attendra plus trois ans à sa sortie d’école pour passer le bloc OPJ. Il pourra le faire dès la fin de sa formation, dont la durée a été portée, pour les gardiens de la paix, de huit mois à douze mois, et intégrer directement un commissariat avec la qualité d’officier de police judiciaire.

Deuxièmement, vous avez créé, dans la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, la réserve opérationnelle de la police nationale, sur le modèle de la gendarmerie nationale. Vous aurez pu constater que, dorénavant, un peu partout en France, des civils donnent quelques jours de leur temps par semaine ou par mois pour enrichir les effectifs de police, améliorant ainsi le lien police-population. Nous avons décidé de leur donner la possibilité de garder leur qualité d’OPJ lors de leur départ à la retraite. Jusqu’à présent, un policier pouvait revenir dans son commissariat à la réserve opérationnelle, mais ne pouvait plus réaliser d’enquêtes judiciaires.

Troisièmement, nous créons des assistants d’enquête ; ce point va, je pense, nous occuper un certain temps pendant le débat. C’est une mesure révolutionnaire pour la police nationale et la gendarmerie nationale. Un magistrat, notamment un juge d’instruction, dispose d’un greffier pour l’aider sur les aspects formalistes de la procédure. Il peut ainsi se concentrer sur son travail de magistrat, pour lequel il a été formé. Lorsqu’il s’agit de répondre à l’avocat, de taper à l’ordinateur, de faire passer des pièces ou de faire des photocopies, c’est le greffier – lui aussi a été formé – qui s’en charge.

Le policier, lui, doit tout faire : accueillir le gardé à vue, appeler le médecin, répondre aux sollicitations de l’avocat dès la première heure de garde à vue, faire les photocopies, taper à l’ordinateur lorsque celui-ci fonctionne – c’est de plus en plus souvent le cas grâce aux crédits que vous votez, et c’est une très bonne chose ! (Sourires.) – et répondre aux interrogations du procureur de la République ou de son substitut. Et comme les procureurs n’ont pas tous la même manière de travailler, il lui faut de surcroît savoir s’adapter.

Au lieu de dire, tels les démagogues, que nous allons « alléger les droits de la défense » pour alléger la procédure pénale, nous préférons dire que nous allons aider les policiers à répondre au formalisme nécessaire dont chacun a, et c’est bien logique, besoin s’il est accusé et les laisser se concentrer sur leur travail de policiers. Les assistants d’enquête que nous créons proviendront du personnel administratif du ministère de l’intérieur, qui fait un travail formidable. Nous les ferons monter en compétences grâce à des formations ; j’imagine que nous en rediscuterons avec M. le rapporteur. Ils s’occuperont du travail administratif et formel pour permettre aux policiers de se consacrer intégralement aux enquêtes, aux écoutes téléphoniques, aux auditions ou aux perquisitions, et non à des tâches qui sont, certes, nécessaires, mais qui font aussi perdre du temps aux OPJ.

Les 3 000 postes d’assistants d’enquête que nous souhaitons créer par cette loi de programmation vont révolutionner le travail des OPJ et de la gendarmerie nationale. Il s’agira d’un grand moment d’allégement des procédures pénales.

Par ailleurs, nous avons prévu une disposition relative aux amendes forfaitaires délictuelles ; en l’occurrence, le Sénat a souhaité suivre l’avis du Conseil d’État, et nous suivrons le Sénat. Ces amendes pénales sont prises sous le sceau, évidemment du législateur, mais aussi de l’action du procureur de la République, qui définit la politique pénale dans son ressort. Elles permettent d’alléger un certain nombre de procédures.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous m’avez longuement interrogé voilà quelques mois sur l’amende forfaitaire délictuelle, qui est inscrite au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) et qui est une amende pénale – ce n’est pas une simple amende –, s’agissant de la consommation de stupéfiants. Vous m’avez demandé si le dispositif fonctionnait. D’aucuns prédisaient que ce ne serait pas le cas quand d’autres jugeaient qu’une telle mesure déprécierait la réponse pénale du consommateur de cannabis sur la voie publique.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai été maire. Au début de mon mandat, j’ai accompagné les services de la police nationale de ma commune durant leur tournée. À vingt-trois heures trente, un monsieur est sorti de la rame du métro de Tourcoing avec un joint de cannabis. J’ai été interrogé par les agents et le commissaire de police, qui était venu ce soir-là accompagner le maire ; j’espère qu’ils le font aussi même quand il n’y a pas de maire ou de ministre. (Sourires.) Il m’a été demandé s’il fallait faire comme d’habitude ou agir différemment parce que j’étais là. Cela m’a rendu interrogatif ; je leur ai dit de faire comme d’habitude. Le commissaire de police a pris le joint, l’a jeté par terre, l’a « nettoyé » d’un pied et a dit à la personne de s’en aller. Quand je lui ai demandé pourquoi il ne l’avait pas interpellé, il m’a répondu ceci : « Monsieur le maire, si on interpelle quelqu’un qui fume un joint dans le métro, cela mobilise trois personnes. Il faut sortir du métro et l’emmener au commissariat, qui est à dix minutes d’ici. Puis, nous devrons appeler le procureur de la République pour mettre l’individu en garde à vue et lui notifier ses droits. Il va appeler son avocat et son médecin. Et, au bout de quelques heures, le procureur de la République va nous demander si nous n’avons pas plus urgent à faire que des procédures pour des consommateurs de cannabis. »

Il y a deux réponses à cela. La première, prônée par certains, est la légalisation ; ce n’est pas la position du Gouvernement. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et GEST.)

M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Très bien !

M. François Bonhomme. Nous sommes rassurés !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas non plus une position unanime dans tous les partis !

La deuxième option est, sans aller jusqu’à des gardes à vue et des peines de prison ferme pour des consommateurs de cannabis, d’apporter une réponse pénale qui ne se limite pas à un simple rappel à la loi. L’amende forfaitaire délictuelle, qui ne concerne que les majeurs et les non-récidivistes, fonctionne.

M. Loïc Hervé, rapporteur. Eh oui !

M. Gérald Darmanin, ministre. Depuis le mois de septembre 2020, 260 000 amendes ont été mises.

Mme Catherine Belrhiti. Sont-elles payées ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Plus que les amendes routières, madame la sénatrice. Depuis quelques mois, nous avons permis la saisie automatique des demandes de la direction générale des finances publiques sur les comptes bancaires individuels. Nous avons ainsi à la fois une inscription au casier judiciaire et un recouvrement des amendes.

Par ailleurs, cela permet aux policiers de réaliser des contrôles d’identité ou contrôles sur la voie publique. Chacun sait qu’ils ne le font pas sans une instruction du procureur de la République, sans être OPJ ou sans avoir un but pour le faire, comme l’amende forfaitaire délictuelle.

Le pire étant que le policier ou gendarme ne puisse pas procéder au contrôle ou sanctionner la personne qui trouble l’ordre public d’une manière ou d’une autre, une seconde amende forfaitaire délictuelle est expérimentée en ce moment.

Le fameux délit d’occupation illicite des halls d’immeuble, inventé par mes augustes prédécesseurs et qui n’avait jamais été appliqué, car il est très difficile à caractériser dans une procédure judiciaire complète, est ainsi désormais fonctionnel. Dans les Bouches-du-Rhône ou en Seine-Saint-Denis, les policiers peuvent mettre fin aux occupations illicites. Cela doit être généralisé.

L’amende forfaitaire vise donc à rendre la sanction pénale non pas moins dure, mais plus certaine. L’important n’est pas la dureté d’une peine ; c’est sa certitude. Il ne sert à rien de condamner les gens à des peines de prison qui ne sont jamais appliquées. En revanche, il est très utile, notamment pour la force de la loi, d’avoir la certitude que la sanction sera effectivement et immédiatement appliquée. Pour cela, nous devons nous reposer sur les policiers et gendarmes, qui sont des auxiliaires de justice et qui agissent au nom de la justice française.

J’ai proposé dans le texte une simplification de grande envergure de la procédure pénale : la possibilité de passer en amendes forfaitaires délictuelles, quand il n’y a pas récidive, toutes les peines de prison inférieures à un an, dont, à force de regarder les jurisprudences, nous savions bien qu’elles n’étaient pas appliquées. Le Conseil d’État a disjoint cette disposition, considérant que le périmètre était trop large.

Le Sénat avait deux possibilités : prévoir des critères ou dresser une liste de délits. Nous nous rangeons à la position du rapporteur Loïc Hervé, et nous discuterons sans doute du nombre de ces délits. Nous sommes certains que l’amende forfaitaire délictuelle – un tag ne mérite-t-il pas une amende plutôt qu’une inscription au casier judiciaire ou qu’une procédure pénale à l’aboutissement incertain ? – sera une meilleure réponse à ces désagréables actions du quotidien. Cette disposition donnera sans doute lieu à un débat très important, en lien avec la simplification de la procédure.

Le Sénat a également souhaité enrichir la liste d’un certain nombre de délits, notamment les rodéos urbains et les atteintes aux élus. Le Gouvernement sera avec sagesse à l’écoute de la Haute Assemblée sur cette question.

Je suis désolé de décevoir ceux qui attendent le Grand Soir de l’échelle des peines. Je ne suis qu’un premier rideau. C’est M. le garde des sceaux qui viendra vous présenter les États généraux de la justice.