Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-François Carenco, ministre délégué auprès du ministre de lintérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit vous-même : tout commence par les PPE. Or seule La Réunion l’a fait l ! Je lance donc un appel : tous ces territoires doivent accélérer la signature des PPE. On ne peut pas sans cesse changer de partition. Il faut arrêter de tourner en rond !

Les énergies renouvelables, auxquelles je suis extrêmement favorable, seront prises en compte dès lors qu’il y aura des PPE, que ce soit de gré à gré ou dans le cadre d’appels d’offres.

J’ai fait part de mon mécontentement au ministère de la transition énergétique, car, jusqu’à présent, les appels d’offres sur les énergies renouvelables de base n’étaient pas lancés. Ce sera bientôt chose faite.

Cela étant, ces appels d’offres ne doivent pas cacher l’absolue nécessité, quel que soit le développement des énergies renouvelables, de garder une énergie bioliquide et les grandes usines qu’elle implique.

Cette énergie est indispensable pour stabiliser et sécuriser les approvisionnements. C’est tout le problème en Guyane, avec la centrale du Larivot ; il en est de même en Corse et dans les autres zones non interconnectées (ZNI).

La Commission de régulation de l’énergie (CRE) agit en ce sens, de même que le Gouvernement, au travers de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). En complément des énergies renouvelables, il faut accepter de payer une usine fonctionnant au minimum, afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement.

J’en viens aux énergies marines outre-mer. Lorsque j’étais président de la CRE, les décisions étaient, à ma demande, prises en comité interministériel de la mer. Ainsi, dès lors qu’une PPE entrait en vigueur, toutes les études relatives à l’implantation d’éoliennes en mer étaient financées par la CSPE. Mais encore faut-il que les PPE soient votées…

Enfin, les régions ultramarines doivent être fières des innovations qu’elles recèlent en matière d’énergie. Je pense aux Sea Water Air Conditioning (SWAC) de La Réunion, à la centrale à hydrogène de Saint-Laurent-du-Maroni et à nombre d’initiatives encore. Mais l’État ne saurait tout faire : les opérateurs ont aussi un rôle à jouer et – j’y insiste –, pour qu’ils puissent entrer en action, il faut que les PPE soient votées. Pardonnez-moi mon léger mouvement d’humeur à ce sujet…

Conclusion du débat

Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à vous remercier de ces échanges très riches. Les problématiques abordées au cours de ce débat ne concernent pas seulement l’outre-mer ; il s’agit en réalité de la place de la France dans le monde.

Je salue l’engagement remarquable de nos trois rapporteurs, Annick Petrus, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth, qui ont fait un travail à la fois d’évaluation et de proposition, résumé dans leurs quarante recommandations.

L’ambition de la délégation que j’ai l’honneur de présider est de replacer l’outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale, ce qui, nous semble-t-il, a fait défaut en 2017.

Monsieur le ministre, nous appelions un tel débat de nos vœux, afin de donner un élan commun et coordonné à la légitime ambition maritime de notre pays. Nous espérons que vous ne vous arrêterez pas là, que le Parlement sera pleinement associé à l’élaboration de la prochaine stratégie maritime et que nos territoires ultramarins pourront y apporter leurs contributions, indispensables.

Hier, lors du débat sur les fonds marins, le secrétaire d’État chargé de la mer a qualifié le Conseil national de la mer et des littoraux (CNML) de « Parlement de la mer ». Toutefois, comme l’a rappelé Annick Petrus, cette instance ne saurait se substituer aux assemblées parlementaires. Le Sénat et l’Assemblée nationale sont seuls légitimes à se prononcer sur les orientations d’une telle politique, déterminante pour notre avenir.

Notre conviction est aussi qu’il faut, sans tarder, engager une révolution culturelle autour de l’océan. L’espace maritime ultramarin est en effet au confluent de tous les grands enjeux actuels.

Je pense tout d’abord aux enjeux géopolitiques, sécuritaires et diplomatiques. La France est bordée de 23 000 kilomètres de frontières maritimes avec près de trente États, ce qui la place – faut-il le rappeler ? – dans une situation unique au monde. C’est aussi le seul pays présent sur les quatre océans : l’Atlantique, avec la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, et Saint-Pierre-et-Miquelon ; l’océan Indien, avec La Réunion et Mayotte ; l’océan Austral, avec les TAAF ; et l’océan Pacifique, avec la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, sans oublier l’île de La Passion-Clipperton, chère à notre collègue Philippe Folliot.

Il faut aussi prendre en compte les enjeux relatifs aux communications. Au total, 90 % du commerce mondial est assuré par voie maritime. Les câbles sous-marins voient même transiter 95 % du trafic mondial de données ; c’est colossal.

S’y ajoutent les enjeux énergétiques, avec l’objectif de développement des énergies marines renouvelables, sur lequel M. le ministre a insisté, les enjeux scientifiques et de recherche, avec notamment l’exploration des grands fonds, qui sont encore largement méconnus – je vous renvoie à cet égard à notre débat d’hier sur les abysses et à l’excellent rapport de nos collègues Michel Canévet et Teva Rohfritsch –, et les enjeux climatiques et environnementaux, qui ne sont pas les moindres, les outre-mer représentant 80 % de la biodiversité française.

Il est plus que jamais nécessaire d’encourager massivement l’acculturation au fait maritime, dans l’Hexagone comme dans nos outre-mer. C’est important de le souligner.

Pour y parvenir, deux leviers sont indispensables : l’éducation et la formation. Ils ont été insuffisamment mobilisés jusqu’à présent. Notre collègue Vivette Lopez, que je salue, a insisté à juste titre sur les classes Enjeux maritimes.

Notre rapport avance toute une série de propositions de bon sens sur le sujet. Nous suggérons ainsi de promouvoir le brevet d’initiation à la mer dans tous les collèges et lycées, en particulier dans les régions maritimes, de réaliser des études de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), territoire par territoire, pour mieux orienter les jeunes vers les métiers de la mer ou encore de généraliser les plateformes des métiers du maritime dans les territoires ultramarins.

À cet égard, l’année 2022 offrait a priori un contexte exceptionnellement favorable pour promouvoir une ambition maritime plus conforme aux réalités géographiques de notre pays. La conjonction inédite de la double présidence du Conseil de l’Union européenne et la conférence des RUP par la Martinique devait permettre de mettre en avant les atouts que représentent nos outre-mer pour l’Europe et de défendre des orientations tenant compte de leurs besoins et de leurs réalités.

La présidence des RUP courant jusqu’en novembre 2022, le bilan est encore prématuré. Mais nous ne manquerons pas de le dresser en fin d’année.

En attendant, comme vous le savez, les collectivités ultramarines souhaitent notamment être mieux associées aux visites et réunions de haut niveau organisées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères lorsqu’elles concernent le bassin océanique. Ce serait déjà un grand pas pour l’efficacité de notre diplomatie si nous parvenions à cette approche coordonnée.

J’insiste à mon tour sur l’opportunité de faire des outre-mer un levier pour la stratégie indo-pacifique. On en a beaucoup parlé au cours du dernier quinquennat. Selon nous, cette stratégie ne doit pas se limiter à la dimension militaire.

Le secrétaire d’État chargé de la mer a utilisé hier le terme d’Indo-Océanie, qui traduit peut-être une approche plus française des réalités géostratégiques de cette région : on peut s’en féliciter. Cette région est présentée comme le nouveau centre de gravité du monde. Beaucoup d’indicateurs vont effectivement dans ce sens. Elle concentre 60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international et, d’ici à 2030, représentera 60 % du PIB mondial.

Malheureusement, comme nous l’ont indiqué les responsables territoriaux lors de nos auditions, cette stratégie nationale reste aujourd’hui très étato-centrée, sans réelle association des collectivités ultramarines. Plusieurs de nos collègues ont insisté sur la nécessité de mettre un terme à une telle situation.

Ce qui est vrai pour l’Indo-Pacifique l’est pour la stratégie maritime dans son ensemble.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre message est clair : il faut changer d’optique. Les outre-mer sont la clé de la réussite de la stratégie maritime française. (Applaudissements.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Discussion générale (suite)

Régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce

Adoption en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce
Articles 1er et 2

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, présentée par Mme Nathalie Goulet (proposition n° 768 [2021-2022], texte de la commission n° 902, rapport n° 901).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous examinons en urgence une proposition de loi déposée par notre collègue Nathalie Goulet, que je tiens à remercier de sa vigilance.

Il s’agit de régler diverses questions liées à l’éligibilité des juges consulaires des tribunaux de commerce, avant les élections annuelles que le Gouvernement a décalées, à dessein, à la fin du mois de novembre prochain.

C’est la deuxième fois et, je l’espère, la dernière que notre collègue est conduite à prendre une telle initiative quant à l’élection des juges consulaires des tribunaux de commerce.

À l’automne dernier, nous avions déjà adopté un texte visant à corriger les malfaçons héritées de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte.

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, texte voté conforme par les deux chambres en première lecture, a ainsi permis de faire revenir les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats aux élections des juges consulaires. Il s’agirait aujourd’hui de renouveler l’exercice. En effet, la conférence générale des juges consulaires de France et le ministère de la justice ont de nouveau relevé des difficultés relatives au régime d’élection des juges consulaires.

Je tiens à vous rassurer tout de suite : les travaux que j’ai menés n’ont pas mis en lumière de risque d’invalidation du mandat des juges consulaires ou de disparition des tribunaux de commerce, comme certains l’évoquent. Il n’y a eu, semble-t-il, aucun contentieux remettant en cause les élections organisées depuis 2019.

L’enjeu est de corriger certaines erreurs de plume, mais surtout d’élargir le vivier des candidats en permettant aux cadres dirigeants de se présenter aux futures élections.

Avant l’adoption de la loi Pacte, en 2019, les cadres dirigeants salariés faisaient partie du corps électoral des délégués consulaires. À ce titre, ils étaient éligibles aux fonctions de juge consulaire.

La suppression et le remplacement des délégués consulaires par les membres élus des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des chambres des métiers et de l’artisanat (CMA) ont mis, indirectement, un terme à leur éligibilité. Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales. La conférence générale des juges consulaires de France estime ainsi que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.

La commission a jugé opportun de rétablir l’éligibilité des cadres dirigeants salariés, étant rappelé que ceux-ci seraient soumis aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l’ensemble des juges composant les tribunaux de commerce. Elle a toutefois estimé que l’article 1er apportait une modification dépassant cet objectif, car celui-ci vise à changer le corps électoral des chambres de commerce et d’industrie en permettant aux cadres dirigeants salariés de l’intégrer.

C’est la raison pour laquelle elle a supprimé cet article et modifié l’article 3, lequel porte sur l’éligibilité des juges consulaires, pour intégrer les cadres dirigeants à cette catégorie.

L’article 2 de la proposition de loi abordait un tout autre sujet : il visait à créer une cinquième cause de cessation des fonctions des juges consulaires en cas de refus de siéger sans motif légitime. La commission a estimé que ce sujet n’était pas frappé du sceau de l’urgence.

Par ailleurs, dans un précédent rapport publié l’année dernière, François Bonhomme et moi-même avions relevé qu’une réponse disciplinaire pouvait être apportée à la situation de refus de siéger et avions recommandé que les chefs de cour se saisissent de leur pouvoir disciplinaire.

Dans ces conditions, la commission a préféré limiter les débats à la problématique qui fonde l’urgence de la proposition de loi, à savoir le vivier des candidats aux élections des juges des tribunaux de commerce. L’article 2 a ainsi été supprimé dans le texte issu de ses travaux. Ce sujet aurait plutôt sa place dans le projet de loi sur la justice du quotidien, qui est envisagé en réponse au rapport du comité des États généraux de la justice.

L’article 3, qui traite des conditions d’éligibilité aux fonctions de juge consulaire, est le cœur de cette proposition de loi. Il vise à rectifier certaines malfaçons issues de la loi Pacte.

Il s’agit, en particulier, de clarifier la question de l’inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d’industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA). Le législateur de 2019 n’a pas souhaité imposer une obligation de double inscription. La commission a donc approuvé la modification de rédaction.

L’article 3 vise également à permettre aux juges en exercice et aux anciens juges présentant six ans d’ancienneté d’être réélus dans leur tribunal ou dans un tribunal limitrophe, sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial fixé par décret en Conseil d’État pour les tribunaux non limitrophes.

En l’état de la législation, les juges en exercice et les anciens juges doivent justifier dans tous les cas d’une domiciliation ou d’une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d’un tribunal limitrophe.

Je confesse une hésitation sur cette dernière question, car les conditions actuelles résultent de la loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, et il pouvait paraître injustifié de les retoucher aussi rapidement en l’absence d’élément nouveau.

Toutefois, le ministère de la justice et la Conférence générale des juges consulaires de France ont fait valoir que 307 juges consulaires ne pourraient plus se représenter aux élections si la règle était maintenue. Il s’agit de personnes qui étaient domiciliées dans le ressort du tribunal dans lequel elles étaient élues en raison de leur activité professionnelle et qui, après la retraite, ne disposent plus de cette domiciliation. Il leur serait donc désormais difficile de se porter candidat, sauf à se faire domicilier chez un tiers.

Compte tenu de cette information, la commission a choisi une solution d’équilibre : elle a levé la condition de résidence lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d’origine ou dans un tribunal limitrophe. Elle a cependant maintenu cette condition pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes. Il lui apparaît en effet nécessaire que le candidat conserve un lien géographique minimal avec le tissu économique local du tribunal dans lequel il souhaite exercer.

Tel est, mes chers collègues, le texte modifié que la commission vous invite à adopter. Je forme le vœu qu’il permette aux juridictions commerciales de bénéficier d’un vivier élargi de candidats aux fonctions de juge consulaire.

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons ce soir afin de débattre ensemble de la proposition de loi de votre excellente collègue de l’Orne, Nathalie Goulet, qui porte sur un sujet crucial pour notre économie dans le contexte que nous connaissons : la justice commerciale.

Les siècles d’existence de la justice commerciale sont une preuve indiscutable de son efficacité, mais aussi de son adaptabilité. Elle a su se renouveler maintes et maintes fois pour relever sans cesse de nouveaux défis, jusqu’à aujourd’hui. Elle joue un rôle essentiel, souligné avec insistance par le rapport du comité des États généraux de la justice, à la rédaction duquel le président de votre commission, François-Noël Buffet grandement participé – je veux ici l’en remercier chaleureusement.

La présente proposition de loi vient donc tout d’abord élargir le vivier de candidatures des juges des tribunaux de commerce. Vous l’aurez compris, le Gouvernement y est très favorable.

Suivant la même logique d’élargissement du vivier des candidats juges consulaires, la présente proposition de loi vise à supprimer la condition de résidence à l’égard des juges consulaires et des anciens juges se présentant à leur propre réélection.

S’il est indispensable que, lors de la première élection, les juges consulaires aient leur entreprise au sein du ressort du tribunal de commerce, cette condition n’est plus nécessaire lors des mandats suivants.

En effet, de nombreux juges consulaires cessent leur activité professionnelle en cours de mandat et ne possèdent plus d’entreprise, non plus que de résidence dans le ressort du tribunal où ils ont été élus. Cette situation est très fréquente dans les grandes régions, par exemple en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur ou dans les Hauts-de-France.

Ainsi, l’état du droit actuel aurait pour effet d’empêcher la réélection des juges les plus expérimentés dans un ressort dont ils connaissent pourtant toutes les spécificités : ils y ont exercé leur activité professionnelle depuis de nombreuses années et en connaissent parfaitement le tissu économique.

Or c’est précisément de ces juges que nous avons besoin : ceux qui ont une expérience juridictionnelle confirmée et qui connaissent charnellement, si j’ose dire, leur ressort. Ils y occupent fréquemment les postes stratégiques de président de tribunal de commerce ou de président de chambre.

L’adoption de la proposition de loi enrichie par les apports de la commission des lois du Sénat, dont je veux ici saluer le rapporteur Thani Mohamed Soilihi et son excellent travail, permettra de lever cet obstacle.

Permettez-moi d’insister sur l’importance d’une adoption rapide de cette proposition de loi afin que ce texte s’applique aux prochaines élections, prévues entre le 21 novembre et le 4 décembre 2022.

Acteurs de terrain indispensables, les juges consulaires accompagnent et soutiennent nos entreprises dans les périodes difficiles. C’est la raison pour laquelle, au-delà de tout clivage partisan, le Gouvernement apporte son soutien plein et entier à la présente proposition de loi.

Enfin, permettez-moi de saluer également le travail de coconstruction réalisé avec le Conseil national des tribunaux de commerce et la Conférence générale des juges consulaires de France.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux saluer le travail de notre collègue Nathalie Goulet qui, grâce à son attention particulière à la situation des juges consulaires, permet de veiller à la sécurité juridique de leurs conditions d’exercice, ainsi qu’à leur pérennité, alors que l’ensemble de la justice est souffrante.

Il est heureux que le Gouvernement puisse compter sur une telle alliée pour couvrir, si ce n’est une négligence, du moins plusieurs oublis.

Nous nous retrouvons ici, car le temps presse, avec la tenue prochaine de nouvelles élections consulaires. Plus de 130 tribunaux ont la responsabilité d’étudier près de 140 000 affaires par an. Outre les difficultés communes au système judiciaire – problèmes de moyens financiers, recrutements nécessaires, notamment de greffiers, etc. –, ces tribunaux ont aussi subi des modifications importantes et successives sous les derniers mandats, par exemple au travers de la loi Pacte.

Cette loi, qui se voulait simplificatrice, a réformé les modalités d’élection des juges consulaires, qui seront désormais élus par les membres des CCI et des CMA, en plus des juges et anciens juges du tribunal. Elle a donc emporté des conséquences importantes sur le corps électoral, dont celle d’écarter les cadres dirigeants salariés des entreprises.

Aussi, le présent texte, sur lequel la commission s’est retrouvée, propose de permettre de nouveau à ces cadres d’être électeurs directs de ces formations juridictionnelles.

Cette modification se justifie d’autant plus qu’il a été rappelé que 40 % des juges consulaires en exercice sont des cadres dirigeants salariés. À l’heure où la participation citoyenne et démocratique est en grande difficulté dans notre pays, il apparaît plus que raisonnable de permettre une plus grande participation aux institutions de notre quotidien, ou plutôt de maintenir cette participation active aux tribunaux de commerce.

Dans ce même esprit, tenant à la fois du bon sens et de la rustine face au manque de magistrats, la commission a accepté de lever les conditions de résidence, lesquelles, au vu des relocalisations suivant les retraites, auraient asséché le vivier que constituent les juges à la retraite susceptibles de continuer à exercer dans leur juridiction d’origine ou dans les tribunaux limitrophes.

Le choix de valoriser l’expérience des anciens juges ou des juges déjà en exercice reste équilibré, mais nous devons éviter l’écueil d’une trop grande professionnalisation. L’équilibre recherché est difficile à trouver, entre réelle implication dans la vie locale et besoin de renouvellement, mais il ne doit pas être perdu de vue.

Plusieurs rapports ont déjà mis en avant les difficultés de la justice commerciale, dont l’un a été présenté en mai 2021 par notre rapporteur Thani Mohamed Soilihi, Le droit des entreprises en difficulté à lépreuve de la crise, et ces difficultés ont été confirmées lors des travaux des États généraux de la justice.

Si la confiance dans l’institution judiciaire vous est chère, monsieur le garde des sceaux, vous comprendrez que cette proposition de loi n’est qu’une petite pierre à l’édifice de travaux certes colossaux, mais nécessaires.

Nous resterons attentifs à l’équilibre obtenu en commission et, surtout, aux efforts qui seront faits pour aller vers la confiance dans la justice, voire, selon les mots de Mme la Première ministre, vers « l’amélioration de la justice du quotidien ».

En attendant, ce texte réparant les manquements des rédactions précédentes et conservant le vivier d’éligibilité des cadres dirigeants constitue une première mesure d’urgence équilibrée, ce qui permet au groupe GEST de le voter. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Favreau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Gilbert Favreau. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, les tribunaux de commerce sont des institutions vénérables, créées par un édit de 1563 du roi Charles IX.

Leur statut d’origine a été souvent modifié au cours des siècles, mais la proposition de loi qui nous occupe vise simplement à actualiser le régime de réélection des juges consulaires organisé par la loi Pacte du 22 mai 2019, laquelle avait réformé le système électoral concernant ces derniers.

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce avait déjà apporté certaines corrections au texte de 2019, mais celui-ci méritait qu’on lui en apporte quelques-unes de plus : d’abord, en clarifiant les conditions d’éligibilité des juges pour faciliter le renouvellement des magistrats consulaires, parfois en nombre insuffisant ; ensuite, en créant une nouvelle cause de cessation des fonctions de ces juges ; enfin, en corrigeant quelques erreurs commises dans les lois précédentes.

Cela précisé, la proposition de loi qui nous occupe a fait l’objet de trois amendements en commission – deux amendements de suppression et un amendement de modification. Les trois articles de cette proposition de loi, courte et simple, sont concernés par ces trois amendements, que la commission des lois a adoptés.

L’adoption des deux premiers amendements entraîne, certes, la suppression des mesures prévues par les articles 1er et 2 de la proposition de loi. Mais la suppression de l’article 1er est compensée par l’adoption de l’amendement n° 3 et celle de l’article 2 ne crée aucun problème urgent, la question du refus de siéger pouvant être résolue, comme elle l’est actuellement pour la même situation devant le conseil des prud’hommes, par l’article 1442-12 du code du travail.

L’amendement n° 3 visait utilement à permettre d’élire d’abord des juges ayant déjà exercé pendant au moins six ans et domiciliés dans le ressort du tribunal concerné ou des tribunaux limitrophes, mais également des cadres exerçant des fonctions de direction dans les entreprises situées dans le ressort du tribunal concerné ou des tribunaux limitrophes.

En résumé, l’adoption des trois amendements déposés permet d’atteindre de façon pragmatique les objectifs de la proposition de loi.

Les deux premiers sont des amendements de suppression. Le premier tend certes à supprimer l’article 1er de la proposition de loi, mais son contenu est repris dans l’amendement n° 3. Le deuxième vise à régler ultérieurement le problème du refus de siéger, comme il l’est actuellement en ce qui concerne les juridictions prud’homales. Enfin, le troisième, au-delà de quelques corrections de pure forme, tend à permettre d’accueillir dans les tribunaux d’anciens membres des tribunaux de commerce et des cadres d’entreprises.

Les modifications intervenues permettront à la fois de conforter les tribunaux de commerce qui viendraient à manquer de juges et de tenir dans les délais les élections qui devraient avoir lieu au mois de décembre prochain. Tel était l’objectif premier de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)