compte rendu intégral

Présidence de M. Georges Patient

vice-président

Secrétaires :

M. Daniel Gremillet,

M. Loïc Hervé.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

 
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant la mise en place d'un Agenda rural européen
Discussion générale (suite)

Mise en place d’un agenda rural européen

Adoption d’une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de résolution demandant la mise en place d’un agenda rural européen, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Patrice Joly et plusieurs de ses collègues (proposition n° 839 rectifié bis [2020-2021]).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, demandant la mise en place d'un Agenda rural européen
Rappel au règlement

M. Patrice Joly, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Vienne, Rome, Prague, Madrid, la liste est longue des très belles villes européennes dont fait partie, bien sûr, Paris !

Ah, Paris ! Paris, plus belle ville du monde ! Paris, ville lumière ! Berceau de Notre-Dame, écrin du Louvre ou encore monture de la tour Eiffel. (Sourires.) Notre capitale était pour l’écrivain Jules Renard, également maire d’une petite commune de campagne, une ville à laquelle il manquait seulement deux lettres pour être un « paradis »…

Ville la plus visitée au monde, Paris émerveille encore par ses trésors et sa manière d’incarner la beauté architecturale.

Toutefois, la France n’est pas seulement Paris, et si le monde entier envie notre capitale, il nous envie aussi la France de nos villages.

Leben wie Gott in Frankreich – « vivre comme Dieu en France » – disent nos amis allemands. Au travers de ce proverbe, ils nous signifient à quel point l’art de vivre à la française, la qualité des paysages de notre pays et la diversité de ses terroirs sont une chance que l’on ne saurait ignorer.

Pourtant, notre pays a occulté trop longtemps cette richesse extraordinaire que les Français ont commencé à découvrir ou à redécouvrir en allant s’y confiner ou encore à la faveur de deux étés au cours desquels ils ont dû privilégier le territoire national pour leurs vacances.

Ce que nos compatriotes ont pu mesurer à cette occasion, c’est que la beauté n’est pas l’apanage de quelques villes qui monopolisent le désir. Cette beauté, qui a fait l’objet dans l’imaginaire collectif d’une confiscation par certaines villes, a produit une forme de déclassement territorial.

Au travers de ce phénomène, nous avons vu émerger un mépris de classe lié au dédain que certaines populations peuvent avoir envers ceux qui habitent au sein d’une localité mal considérée, car celle-ci est perçue comme trop banale, trop motorisée, trop « supermarchisée »…

Cette considération esthétique, loin d’être anecdotique, doit être prise au sérieux, puisque le beau non seulement participe de la reconnaissance des territoires, mais les ségrègue entre eux.

De son côté, l’État prend part à cette forme de déclassement territorial, comme en témoigne la répartition du budget du ministère de la culture, qui a dépensé, en 2019, quelque 139 euros par Francilien et seulement 15 euros par habitant des autres régions. Même si l’on exclut de ces dépenses les monuments nationaux concentrés à Paris, l’inégalité reste flagrante, puisque 41 % des crédits bénéficient au territoire francilien, ce qui représente deux fois plus que le poids démographique de l’Île-de-France ; c’est loin d’être un détail.

Quant à l’action de l’Union européenne, où se trouve l’équivalent pour les territoires ruraux du programme « Capitales européennes de la culture » ? Le patrimoine et la vie artistique dans ces territoires n’ont-ils pas suffisamment de valeur pour mériter un plan de soutien spécifique, qui aurait pu être intitulé « Campagnes européennes de la culture » et qui aurait constitué une véritable reconnaissance ?

Si j’insiste sur les représentations que nous avons des territoires, c’est qu’elles ont pour conséquence directe la manière dont nous définissons les politiques publiques.

Nous pouvons donc reprendre la méthode du pamphlet de l’abbé Sieyès et poser les questions suivantes : qu’est-ce que la ruralité ? C’est 80 % du territoire et 30 % de la population en France comme en Europe. Qu’a-t-elle été jusqu’à présent dans les politiques publiques ? Elle a été oubliée ! Et cela au profit d’une logique de métropolisation inconsidérée. Que demande-t-elle ? Une juste considération !

Il est à propos de reprendre ces trois questions posées à la veille de la Révolution, car, d’une part, elles soulignent la nécessité de mener une action en faveur des territoires ruraux, sur le modèle de celle qui a été portée avec ambition dans les territoires urbains, lorsqu’un agenda urbain européen a été adopté, en 2015 ; et, d’autre part, elles en rappellent l’urgence, car le point de rupture est certainement très proche.

Qu’il s’agisse de l’accès aux soins, à la mobilité, aux études supérieures, au numérique ou encore à la culture, les domaines dans lesquels les fractures territoriales et les inégalités entre citoyens s’expriment toujours plus sont cruciaux.

Ainsi, le Conseil économique, social et environnemental, a récemment rappelé que, malgré des résultats supérieurs à la moyenne nationale au baccalauréat, la proportion des jeunes ruraux qui disposent d’un diplôme universitaire est deux fois moindre par rapport à celle des jeunes urbains, notamment à cause de l’autocensure et de l’éloignement des centres d’enseignement supérieur.

De même, une étude récente de l’Association des maires ruraux de France a mis en lumière les conséquences de la désertification médicale croissante dans les campagnes, qui conduit au tragique constat d’une espérance de vie inférieure de plus de deux ans dans les territoires par rapport aux villes.

Cela n’a rien d’étonnant, dès lors que six millions de ruraux habitent à plus de trente minutes d’un service d’urgence. Que dire aussi des fermetures de maternités, qui mettent chaque jour des milliers de femmes et d’enfants en danger, puisqu’il est établi qu’un temps de trajet supérieur à quarante-cinq minutes jusqu’à la maternité multiplie par deux le taux de mortalité des nourrissons et par treize celui de la mère, lors d’accouchements inopinés.

Concernant les mobilités, alors que les autosolistes sont régulièrement voués aux gémonies, existe-t-il de réelles alternatives quand neuf personnes sur dix sont toujours dépendantes de la voiture dans la ruralité ?

Pour une part importante de nos concitoyens, en particulier les plus fragiles comme les personnes âgées, les femmes isolées ou les foyers précaires, l’absence de solution de transport est une assignation à résidence, qui entrave l’accès à la santé, à l’emploi, à la culture ou tout simplement à la sociabilité.

Néanmoins, face à ces fractures, nous ne nous résignons pas et nous voulons participer à l’émergence d’une politique véritablement ambitieuse pour les campagnes. Celle-ci se dessinera d’autant plus naturellement que « l’inaccompli bourdonne d’essentiel », comme le disait René Char.

L’essentiel, c’est répondre aux besoins concrets de nos concitoyens ruraux, en leur garantissant les mêmes possibilités qu’à leurs compatriotes urbains et en faisant en sorte que la jeunesse dispose des mêmes chances dans son développement personnel et professionnel.

Il s’agit également d’offrir une vision de long terme aux territoires ruraux, en stimulant leur développement tout en agissant pour le bien-être social, la protection de la nature et la préservation de la qualité de vie.

Ce sera aussi l’occasion d’appréhender la valeur des services écologiques rendus par les territoires ruraux à la société tout entière et de les traduire par une valorisation financière.

Espérer, c’est démentir l’avenir. Si donc nous espérons l’avènement de cet agenda rural européen, c’est parce qu’il permettra de démentir l’avenir que certains promettent à nos campagnes, les condamnant soit à l’abandon et au déclin, soit à vivre dans le sillage des grandes métropoles.

Sans fard, il faut affirmer que, en dépit des difficultés qu’ils éprouvent, nos territoires vivent dans leur temps et présentent tous les atouts pour devenir des lieux privilégiés de la relance, notamment en raison de leurs disponibilités foncières et des ressources humaines présentes, nécessaires pour développer des écosystèmes industriels performants qui participent à la reconquête de notre souveraineté, dont les fragilités ont été révélées par la crise sanitaire, dans de nombreux secteurs.

En développant les territoires ruraux, nous garantirons à l’Union européenne les ressources dont celle-ci a besoin pour mener à bien les transitions qui s’imposent, dans les secteurs économique, énergétique, climatique, environnemental, sanitaire ou alimentaire.

À la suite de la crise sanitaire qui a ébranlé bien des certitudes, nous participerons ainsi à la construction du monde d’après et nous trouverons de nouvelles voies pour répondre à la question qui constitue l’intitulé de l’ouvrage de Bruno Latour, Où atterrir ? Nous pourrons alors garantir une meilleure habitabilité du monde.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, l’avenir de la France et de l’Europe passera nécessairement par le développement des coopérations entre tous les territoires. Cela nous oblige à penser les modes d’organisation de nos sociétés en abandonnant les logiques qui opposent le centre aux périphéries pour leur substituer celles d’une organisation en réseau où chaque territoire est reconnu pour ce qu’il est et pour ce qu’il apporte au collectif, de sorte qu’ils sont tous d’égal intérêt et de même dignité, tout comme les populations qui y habitent.

En proposant la mise en place d’un agenda rural européen, nous souhaitons que l’Europe prenne en compte la question rurale au-delà de la politique agricole commune (PAC). Il s’agit en réalité de corriger les fragilités des ruralités, en permettant la montée en puissance de dispositifs tels que le programme Leader (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale), et, plus globalement, en mettant en place un grand plan d’action en faveur de ces territoires.

Un tel agenda doit être l’occasion d’affirmer l’ambition européenne en faveur des territoires ruraux constitués de la campagne et de villes, petites et moyennes. Il doit répondre à leur diversité ainsi qu’à la dimension multisectorielle de leur réalité culturelle, économique et sociale.

Même si l’agenda rural français, présenté en septembre 2019, reste encore très incantatoire, car financièrement modeste, au regard des nouveaux enjeux imposés par les crises que nous traversons, il aura permis de repositionner la ruralité dans le débat public. À ce titre, il pourrait fournir les premiers éléments d’une trame pour un agenda rural européen.

À l’heure où les campagnes attirent des populations qui souhaitent construire un projet professionnel ou familial fondé sur une autre qualité de vie, toute la société nous pousse à agir pour accompagner ce désir de campagne.

En adoptant cette proposition de résolution, le Sénat incitera la future présidence française de l’Union européenne à se fixer comme ambition de sensibiliser la Commission européenne à la nécessité de ruraliser l’Europe.

Notre pays, qui dispose du plus vaste et du plus bel espace rural en Europe, a toute la légitimité pour agir durant cette présidence.

Au-delà de l’occasion qui sera ainsi donnée à l’Union européenne d’envisager un autre avenir, il y va aussi de la considération que nous accordons à des populations très longtemps délaissées et qui ne se reconnaissent pas dans une Europe par trop lointaine. Donnons à l’Union européenne l’occasion de leur montrer qu’elles peuvent compter sur elle !

Mes chers collègues, je suis certain que le Sénat saura encore une fois démontrer qu’il est la chambre des territoires, de tous les territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Unie dans la diversité » : cette devise nous rappelle que c’est à partir des cultures, des traditions et des langues propres à chacun de ses membres, que l’Union européenne s’est construite, et que c’est en se nourrissant de cette diversité qu’elle œuvre pour la paix entre les États qui la composent et pour leur prospérité.

La proposition de résolution que nous examinons s’inscrit dans le droit fil de cette devise, puisqu’il s’agit de faire en sorte que l’Union européenne prenne pleinement conscience de la diversité des territoires qui la composent en faisant des régions rurales, de leurs spécificités et de leurs problématiques, des thématiques à part entière des politiques européennes.

Dès lors que la ruralité compte 137 millions d’habitants qui représentant près de 30 % de la population européenne, ce serait mentir que de dire qu’elle n’a jamais fait partie des préoccupations de l’Union européenne.

Toutefois, si le Parlement et la Commission européenne ont pu témoigner au travers de différentes actions d’un certain souci du monde rural, celui-ci ne s’est pas encore traduit par une politique transversale et ambitieuse en faveur de cette ruralité.

Aussi, le texte qui nous est proposé invite nos instances européennes à se doter d’un agenda rural européen. Il charge notamment le Gouvernement de le porter à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Mes chers collègues, la question est simple : qui mieux que la France pourrait porter cette ambition au niveau européen ? La France n’a-t-elle pas été, par la voix de ses ministres Jacqueline Gourault et Joël Giraud, le premier des États membres à soutenir l’élaboration d’un agenda rural national, sans attendre celui de l’Europe ?

Cet agenda, dont l’une des ambitions est de réduire les inégalités territoriales, compte plus de 92 mesures qui ont déjà été réalisées depuis le mois de septembre 2019 et 77 autres qui sont en cours de réalisation. Il a ainsi permis des avancées substantielles dans plusieurs domaines.

Dans le secteur du numérique, on constate des progrès considérables concernant la couverture mobile et internet des territoires.

Le secteur de la jeunesse et de l’égalité des chances a bénéficié d’initiatives telles que les campus connectés, l’accompagnement des jeunes pour l’obtention du permis de conduire et le déploiement de 30 000 services civiques dans les territoires ruraux.

L’agenda comprend également des mesures en faveur de l’école, dont la prise en compte des spécificités des territoires et des classes multi-âges, lors de la formation des enseignants et dans l’accompagnement de leur carrière, afin de les inciter à venir travailler dans ces zones.

Pour soutenir les collectivités locales, il est prévu d’accompagner les élus dans leurs projets visant à améliorer la vie des citoyens et à renforcer l’attractivité de leur territoire. L’opération Mille cafés, le programme Petites Villes de demain, le plan Avenir montagnes et les contrats de relance et de transition écologiques (CRTE) y contribuent.

En matière d’accès aux services publics, le déploiement des maisons France Services doit permettre à tous les habitants de disposer à proximité de chez eux d’un socle de services publics.

L’agenda rural se concentre également sur la lutte contre les déserts médicaux. En effet, la crise sanitaire et le contexte général de vieillissement de la population ont démontré que l’accès aux soins reste l’une des problématiques majeures des zones rurales.

À ce titre, le rapport que nous avons publié avec Philippe Mouiller sur les collectivités à l’épreuve des déserts médicaux a montré les différentes initiatives que celles-ci mettent en œuvre pour pallier le manque d’offre de soins dans les territoires ruraux.

Parmi celles-ci, le recours à la télémédecine a connu, grâce au soutien des pouvoirs publics, une accélération considérable durant la crise. Dans la mesure où il relève toutefois de dispositions dérogatoires, nous devons désormais réfléchir à un cadre pérenne, qui permettra le développement de ces pratiques.

Dans tous ces domaines, la France a su, grâce à une vision transversale et à une feuille de route qui appréhende tous les aspects de la ruralité, mettre en œuvre des politiques publiques efficaces en faveur non pas de la ruralité, mais des ruralités.

Elle a su saisir les spécificités de chaque territoire. Elle a œuvré à faire de leurs différences une force pour en développer l’attractivité, en dynamiser l’économie et, plus largement, y améliorer la vie des Français qui ont fait le choix de s’y installer.

Le souci de la ruralité participe directement de la mise en œuvre du principe républicain d’égalité, auquel nous sommes attachés. Il est désormais intégré au cœur de chaque politique publique.

Conformément à l’agenda rural, chaque cabinet ministériel, chaque administration centrale, chaque préfecture départementale a vu la nomination en son sein d’un référent ruralité.

Au regard de ces éléments, je le répète, qui mieux que la France peut porter auprès de la Commission européenne la mise en œuvre d’un agenda rural européen ?

Le groupe RDPI est persuadé que ce qui est réalisé dans nos campagnes peut être amplifié grâce à la puissance de l’Union européenne. Le modèle peut aussi être répété à l’échelle européenne.

Par conséquent, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. Nous faisons une entière confiance au Gouvernement pour porter cette ambition à la tête du Conseil de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Bernard Jomier. C’était presque parfait : il y avait juste une phrase en trop ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord féliciter Patrice Joly et les auteurs de cette proposition de résolution.

Comment mieux penser la ruralité qu’à l’échelle européenne ? Les vingt-sept États membres de l’Union sont jalonnés de territoires ruraux ou hyper-ruraux, dont la surface représente 80 % du territoire européen et où vit un tiers de la population. L’Union européenne ne s’est pas trompée en proposant en juin dernier une vision à long terme pour les zones rurales à l’horizon de 2040.

Je partage la position de l’auteur de la proposition de résolution pour la mise en place d’un agenda rural européen, afin de permettre une relance économique de nos territoires ruraux. La volonté et le dynamisme de leurs habitants doivent être accompagnés.

Un atout important de notre ruralité est son agriculture. Il faut permettre sa diversification, notamment en ce qui concerne l’irrigation par les retenues collinaires. Il faut aussi donner à notre agriculture les moyens d’effectuer progressivement des transitions, pour maintenir l’aménagement du territoire en favorisant une agriculture familiale.

À ce titre, la stratégie européenne Farm to Fork n’est pas, en l’état, satisfaisante. Nous ne devons pas sacrifier une agriculture forte sur l’autel de la transition écologique, alors que l’agriculture est l’un des vecteurs importants de cette transition.

Notre souveraineté alimentaire en dépend. Si nous étions amenés à augmenter nos importations de produits alimentaires depuis les pays les plus pollueurs, comme la Chine, l’Inde ou l’Australie, nous perdrions sur tous les tableaux.

Notre ruralité peut nous aider à faire la différence : l’Europe doit rester une puissance agricole mondiale, permettant à ses territoires de retrouver de la vitalité. Nous devons développer notre agriculture, qui a perdu des parts de marché depuis quinze ans.

Revitaliser notre ruralité, c’est aussi s’occuper de nos petites villes, de nos villages et de nos centres-bourgs. Nous devons mener des luttes importantes contre les passoires énergétiques, comme pour la revitalisation de nos centres-bourgs.

Au passage, je déplore les paroles de la ministre déléguée en charge du logement, Mme Emmanuelle Wargon. Non, les maisons individuelles ne sont pas un non-sens écologique et social ! (M. Jean Hingray approuve.)

Les gens viennent dans nos campagnes pour trouver de l’espace et respirer. Nous devons faire en sorte que les rénovations ou la construction de bâtiments neufs soient en lien avec la transition, mais en aucun cas nous ne devons condamner la maison individuelle, car cela reviendrait à désertifier les communes rurales.

Cette proposition de résolution nous demande d’encourager le développement de projets qui utilisent les atouts et les forces des territoires. C’est sur ce point que les innovations industrielles et technologiques, comme le numérique, doivent faire la différence.

La pandémie de l’année 2019 nous a montré que les Français étaient véritablement intéressés par le fait de retourner vivre dans nos campagnes. Nous devons le leur permettre, comme nous devons permettre aux élus et aux collectivités de travailler sur la revitalisation économique de leurs territoires, notamment en ce qui concerne l’accès au numérique, la création d’emplois, le soutien au commerce, la réindustrialisation. Ceci est possible, en particulier grâce à l’aide de l’Europe sur l’immobilier et l’équipement.

Il faut également permettre le développement du tourisme, notamment les hôtels et les hébergements ruraux.

Il en va de même pour l’accès à la santé. Les zones rurales vivent sous la contrainte des déserts médicaux, ce qui n’est pas acceptable dans nos pays occidentaux. Nous rencontrons le même problème concernant l’accès à l’éducation. Nous ne pouvons plus accepter que nos concitoyens vivant à la campagne n’aient pas accès à ces services.

Tous les éléments que je viens d’évoquer ont besoin de l’Union européenne pour développer des outils pour la ruralité. Mais nous avons surtout besoin de moyens. La Commission européenne doit donc inclure des propositions financières pour mieux prendre en compte les spécificités du développement des zones rurales.

L’Union européenne doit devenir un atout indispensable pour le développement de ces territoires. Notre collègue Colette Mélot a réalisé un excellent rapport d’information sur le sujet. Deux de ses propositions me semblent essentielles.

Premièrement, la mise en œuvre d’une ingénierie locale, afin que les fonds soient bien répartis sur l’ensemble du territoire.

Deuxièmement, l’importance d’écouter les acteurs de terrains, qui connaissent leurs besoins et qui pourront orienter efficacement l’argent sur des projets concrets et utiles.

Chaque territoire a ses spécificités, ce qui fait la beauté de nos pays. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires partage les points soulevés par cette proposition de résolution. C’est pourquoi il votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’initiative de cette proposition de résolution demandant la mise en place d’un agenda rural européen est tout à fait opportune. Nous avons besoin, en effet, d’un signal politique fort pour témoigner du renouvellement de notre soutien aux territoires ruraux.

La ruralité fait partie de l’ADN de l’Europe. Son histoire, son identité, sa diversité, mais aussi son autonomie et son dynamisme, lui sont intimement liées. Ses politiques communes le sont également, comme bien sûr la PAC, entrée en vigueur dès 1962, et la politique de cohésion économique, sociale et territoriale, à partir de 1986.

Bien que leur part relative accuse une baisse constante dans le budget communautaire, ces deux politiques en représentent toujours plus de 60 %. Les sommes considérables ainsi investies au fil des ans ont porté de nombreux fruits, dont les zones rurales ont profité.

Cependant, le rythme toujours plus élevé des changements économiques et sociaux a fait peser sur les communautés rurales une pression croissante.

Si l’on ne saurait nier l’apport décisif des programmes européens, il faut également admettre que, en matière de développement des territoires ruraux, les résultats sont désormais décevants, et les perspectives inquiétantes.

Déficit persistant en infrastructures, notamment numériques et de transports, désagrégation progressive du tissu industriel et artisanal, rentabilité déclinante de l’activité agricole, ou encore recul continu des services de base essentiels à la vie quotidienne : les difficultés rencontrées par les régions rurales sont largement connues.

À cette érosion des chances et de la qualité de vie s’ajoute en outre une lente paupérisation. En effet, le PIB par habitant plafonne dans la plupart des campagnes à 70 % de la moyenne européenne, alors qu’il culmine à plus de 120 % de cette moyenne dans les zones urbaines.

Conséquence logique de ce sombre tableau de la dévitalisation rurale, le vieillissement et le déclin démographique se poursuivent, quoique ce soit à des rythmes différents selon les États membres de l’Union européenne.

Face à de tels constats, force est de reconnaître que les objectifs fixés par les traités ne sont pas atteints. Selon leurs propres termes, la population agricole devrait être assurée d’un « niveau de vie équitable […] notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture » et l’écart de développement entre régions urbaines et rurales devrait être significativement réduit.

À l’évidence, et malgré l’apport des politiques communautaires, la situation actuelle est tout autre. Elle voit au contraire croître la détresse d’un monde rural qui se sent abandonné, parfois méprisé, et en tout cas de plus en plus déconnecté du reste de la société, dont une partie ne voit les campagnes que comme une sorte de musée naturel à protéger, et non comme des bassins de vie et d’activité à faire prospérer.

Alors que, en 2016, l’Europe se penchait au chevet de ses villes en adoptant un agenda urbain, il est effectivement plus que temps, comme le demandent les auteurs de la proposition de résolution, d’établir un agenda rural.

Cette nouvelle page, la Commission européenne a commencé de l’écrire en proposant le 30 juin dernier une « vision à long terme pour des zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères ».

Cette communication est en soi une bonne nouvelle, car elle démontre que le fossé qui se creuse entre monde rural et monde urbain est aujourd’hui de plus en plus pris au sérieux. Par ailleurs, la Commission y détaille un état des lieux pertinent des difficultés à surmonter, des champs d’action à investir et des occasions à saisir dans un monde en pleine mutation.

Même si leurs modalités mériteraient d’être davantage précisées, certaines innovations me semblent également les bienvenues pour mieux appréhender la réalité du terrain. Je pense notamment à l’observatoire rural et, surtout, au « test rural », qui vise à analyser systématiquement l’impact des différentes politiques européennes sur les communautés et les espaces ruraux.

Le cœur du dispositif m’apparaît néanmoins plus nébuleux. Tout d’abord, le pacte rural et le plan d’action rural proposés par la Commission interviennent tard, sans doute trop tard.

Le budget européen étant déjà fixé jusqu’à 2027, les programmes relevant de la PAC et de la cohésion ayant déjà été agréés par les colégislateurs et les plans de relance nationaux étant déjà ficelés, les marges de manœuvre réelles permettant d’impulser une nouvelle dynamique apparaissent bien minces.

Ainsi, le pacte rural s’appuiera principalement sur les réseaux déjà existants. Les initiatives du plan d’action rural se contenteront pour la plupart d’outils de dialogue, de retours d’expérience et d’échanges de bonnes pratiques. Surtout, l’ensemble reposera sur une « boîte à outils sur l’accès aux possibilités de financement », c’est-à-dire sur un simple recensement des programmes financiers existants et sur une volonté de renforcer ex post leurs synergies et leur cohérence.

En d’autres termes, sans remettre en cause le bien-fondé de ces propositions, il faut bien relever qu’aucun instrument robuste et aucun fonds nouveau ne sont proposés pour le développement des territoires ruraux.

On peut donc s’interroger sur l’impact réel qu’aura, dans les prochaines années, cette vision proposée par la Commission. Sans doute faut-il alors retenir que celle-ci vise avant tout, comme son titre l’indique, le long terme et l’horizon 2040, et qu’elle n’est donc qu’une première étape vers l’établissement d’un agenda rural européen fonctionnel.

C’est dans cette perspective que j’appréhende la résolution proposée par notre collègue Patrice Joly. Mon groupe souscrit bien volontiers à ses constats et à ses préconisations.

Enfin, comment parler de ruralité sans évoquer l’agriculture, qui en constitue l’activité pivot ? Avec ses stratégies Biodiversité et De la ferme à la table, la Commission a souhaité accélérer la transition vers une agriculture écologiquement plus vertueuse.

C’est bien sûr essentiel, mais plusieurs études, dont celle de l’unité de recherche de la Commission elle-même, annoncent toutes une baisse de production agricole de 10 % à 15 % d’ici à l’année 2030. Outre les conséquences de cette baisse sur les prix au consommateur, sur le bilan carbone des produits qu’il faudra importer et sur notre souveraineté alimentaire, l’impact sur les revenus des producteurs sera une nouvelle fois dommageable.

On peut se demander ce qu’il adviendrait de ces stratégies si elles étaient passées au crible du « test rural » que j’évoquais à l’instant.

En effet, se pencher sur l’avenir des zones rurales, c’est aussi développer une politique environnementale, mais également des politiques commerciales de concurrence adaptées aux réalités de l’agriculture. Nous serons attentifs aux initiatives que portera la France à l’occasion de sa prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne.

Monsieur le secrétaire d’État, la crise sanitaire a confirmé ce que beaucoup d’entre nous perçoivent depuis plusieurs années : un renversement de tendance, un « retour du rural » est possible en Europe, singulièrement en France.

Toutefois, il ne se produira que si nous renforçons nos politiques et si nous les ajustons aux spécificités de ces territoires, afin que ces derniers puissent créer localement davantage de valeur et d’activité. Il faut que les gens qui y vivent bénéficient, comme ailleurs, de chances, de services et de revenus suffisants, pour qu’ils sentent, tout simplement, qu’ils peuvent encore construire leur avenir en milieu rural.

Le chantier est immense. Je me réjouis qu’il soit enfin lancé. Il devra maintenant se concrétiser. (MM. Patrice Joly et Jean-Claude Anglars, ainsi que Mme Patricia Schillinger, applaudissent.)