Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pratique de l’adoption a connu ces dernières années des évolutions nécessaires pour adapter notre régime juridique aux transformations de notre société – toujours, bien évidemment, dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est défini par la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.

Parmi ces textes, je pense en premier lieu à la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Je pense, ensuite, à la loi du 14 mars 2016 venue apporter des modifications permettant d’assurer plus de cohérence et de stabilité pour les enfants dans le cadre des dispositifs de protection et d’accueil.

Certaines lacunes restent cependant à combler, et les évolutions sociétales relatives au modèle familial doivent être prises en compte. La présente proposition de loi, dont je salue l’initiative, permet, en partie seulement, de répondre à ces nécessités.

Les conditions d’accès à l’adoption restent largement imprégnées par le modèle familial traditionnel, puisque seuls les couples mariés peuvent y prétendre. Or le mariage n’est plus le seul modèle adopté par nos concitoyens et concitoyennes, il est concurrencé par le concubinage et le PACS – ce dernier séduit chaque année 200 000 couples.

En élargissant l’accès à l’adoption à tous ces couples, cette proposition de loi permettra de rendre l’adoption plus égalitaire. Je regrette toutefois qu’aucune attention ne soit portée aux personnes trans : il leur est souvent compliqué, voire impossible, d’établir un lien de filiation dans le genre choisi après un changement d’état civil.

Je regrette la suppression par la commission des lois du Sénat de l’article 9 bis, qui devait permettre aux mères intentionnelles de demander l’établissement de la filiation avec leur enfant dans le cas du refus abusif de leur ancienne compagne ayant porté l’enfant.

Enfin, je souhaite alerter le Gouvernement sur le fait qu’il convient de revoir à la hausse le financement des organismes et collectivités responsables de l’accueil, de la protection et de l’adoption des enfants. Cette revalorisation est primordiale pour leur permettre d’assumer les responsabilités qui leur sont confiées.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Laurence Harribey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « refonder le modèle de l’adoption, afin de permettre à chaque enfant de trouver le projet de vie le plus adéquat à son profil et d’en faire un outil majeur de protection de l’enfance », ce sont deux grands objectifs que notre collègue députée Monique Limon, auteure de la proposition de loi, mettait en exergue lors de la discussion de son texte à l’Assemblée nationale en décembre dernier. Difficile de ne pas souscrire à ces objectifs louables, tout le monde ici en convient.

On en convient d’autant plus, si l’on rappelle la genèse de ce texte, comme l’ont déjà fait M. le secrétaire d’État et Mme la rapporteure. Cette proposition de loi fait suite à un rapport intitulé Vers une éthique de ladoption - Donner une famille à un enfant. Il ne s’agit donc pas de donner un enfant à une famille et c’est une philosophie à laquelle nous souscrivons.

Ce rapport était lui-même une commande du Gouvernement, après le rapport réalisé par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de mars 2019 à la suite de la révélation, dans un département, de pratiques discriminatoires fondées sur l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption. Rappelons tout de même que ce rapport n’avait pas conclu à l’existence de discriminations, mais il avait révélé des risques de fragilités dans le dispositif.

Cette précision est importante, parce qu’il nous semble que, si la volonté de fluidifier et de rendre plus transparent le système en place est louable, il aurait été judicieux de procéder à son évaluation, en concertation avec ses acteurs. Notamment, il serait bon d’évaluer la fameuse loi de 2016, car nombre de ses dispositions, tout particulièrement celles portant sur le projet de vie de l’enfant, ne sont pas, ou très inégalement, mises en œuvre dans plusieurs départements, comme le souligne le rapport Limon-Imbert.

Ce n’est visiblement pas le choix qui a été fait, en privilégiant la voie législative, qui plus est en passant par une proposition de loi, ce qui n’exige ni étude d’impact ni avis du Conseil d’État. Pour aller encore plus vite, le Gouvernement a enclenché la procédure accélérée. Sur tous ces aspects, nous rejoignons la position de Mme la rapporteure.

Le risque est de produire un texte aux nombreuses zones d’insécurité juridique et chacun a pu constater que ce risque était élevé. Nous nous sommes donc retrouvés avec un texte qui s’apparentait à un agrégat de mesures, sans grande cohérence. L’architecture même du texte posait problème. Ainsi, le titre II relatif au statut de la tutelle avait plutôt sa place dans le projet de loi relatif à la protection des enfants qui, lui-même, aurait dû être examiné, comme l’a souligné Mme la rapporteure, avant ce texte, car l’adoption n’est que l’une des formes de la protection de l’enfance.

En outre, nous avons été frappés par les inquiétudes sur la faiblesse juridique du texte, exprimées unanimement par les acteurs du secteur, toutes fonctions confondues – magistrats, avocats, associations d’adoptants ou d’adoptés, services départementaux.

Vous n’en avez sans doute pas été dupe, monsieur le secrétaire d’État, puisque le Gouvernement a été amené lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale à solliciter une habilitation à légiférer par ordonnances afin, je reprends vos propos, de mieux harmoniser et coordonner le code civil et le code de l’action sociale et des familles, et donc de préserver la parfaite lisibilité de ces questions. C’est l’aveu de la fragilité juridique du texte !

C’est aussi une curieuse façon de concevoir le travail et le rôle du Parlement. Nous connaissons tous ici l’amour de ce gouvernement pour les ordonnances, mais j’ai la faiblesse de penser, comme nombre de mes collègues, que le Parlement a pour missions essentielles d’écrire la loi du mieux qu’il peut et de contrôler l’action du Gouvernement, ce qui passe notamment par une loi bien écrite.

De plus, il est quelque peu choquant de solliciter une habilitation à légiférer par ordonnance sur un domaine de droit civil qui tient aux droits de la personne, a fortiori dans le cadre d’une proposition de loi.

Vous comprendrez donc, monsieur le secrétaire d’État, que cette disposition ait été repoussée par notre commission à la quasi-unanimité et que nous ne souscrirons pas à votre demande de rétablir cette habilitation.

Cela dit, le législateur que nous sommes a considéré que cette proposition de loi concerne l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle comporte quelques avancées. Il convenait donc, pour nous, d’adopter une démarche constructive et d’amender ce texte pour le rendre un minimum efficace. Après tout, c’est aussi cela les vertus de la navette parlementaire !

Un des apports essentiels du texte est celui relevant de l’article 2, selon lequel peuvent adopter ensemble non seulement des couples mariés, mais aussi les partenaires de PACS et les concubins. Il était inéluctable d’en arriver à cette précision dans le contexte actuel des filiations non biologiques. En 2012 en effet, la Cour de cassation jugeait que réserver l’adoption conjointe à des couples unis par le mariage ne consacrait pas un principe essentiel reconnu par le droit français.

Par ailleurs, nous avons présenté des amendements pour tenter de corriger ce qui pouvait être considéré comme des contresens ou des zones d’imprécision, notamment sur les questions du consentement, sujet évoqué par Mme la rapporteure, et des agréments.

Il en est de même en ce qui concerne le statut des OAA, que le texte issu de l’Assemblée nationale revenait à liquider partiellement (M. le secrétaire dÉtat hoche la tête en signe de désaccord.), en particulier en ce qui concerne l’adoption en France, alors même que certains d’entre eux sont justement reconnus d’utilité publique pour leur activité d’intermédiaire pour l’adoption. Je vous vois hocher la tête, monsieur le secrétaire d’État, mais c’est le sentiment que nous avons ressenti au cours des auditions et en lisant le texte.

Nous avons également déposé des amendements sur le conseil de famille et le statut du tuteur.

J’aimerais souligner le travail extrêmement constructif qui a été fait en commission des lois et le travail minutieux de notre rapporteure, ainsi que son honnêteté intellectuelle, qu’elle vient de démontrer – les membres de la commission des lois comprendront –, et son écoute : beaucoup des amendements que nous avons présentés ont été adoptés.

En somme, le texte qui nous est soumis est un texte assez largement remanié. Il nous semble garantir les apports essentiels souhaités par ses auteurs, tout en réduisant les problèmes juridiques que posaient certaines mesures.

Nous pensons que des améliorations sont encore possibles, notamment sur les questions de l’adoption internationale et de l’accompagnement global de l’ensemble des demandes d’accès aux origines personnelles. C’est le sens des amendements que nous avons déposés en vue de la séance publique.

Plus généralement, à force d’être remanié, et par petites touches, depuis 1966, le droit à l’adoption est devenu, sur nombre de points, illisible. Ce texte avait la prétention de le rendre plus lisible.

M. Adrien Taquet, secrétaire dÉtat. C’était l’objectif des ordonnances !

Mme Laurence Harribey. Nous ne sommes pas sûrs qu’il atteigne son but, même s’il comprend certaines améliorations.

Nous regrettons que ce qui se voulait une refonte de l’adoption n’ait pas fait l’objet d’une étude juridique approfondie ni d’une véritable concertation avec les acteurs de l’adoption. Je crois que cela valait pourtant le coup ! Il nous restera du travail à faire, mais nous ne nous opposerons pas à ce texte en l’état actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de notre collègue députée Monique Limon visant à réformer l’adoption.

Ce texte, fruit d’un travail transpartisan, puisqu’il découle du rapport que Monique Limon a rédigé avec notre collègue Corinne Imbert, répond à deux objectifs. D’une part, il vise à sécuriser le recours à l’adoption, avec le souci de donner une famille à chaque enfant. D’autre part, il s’agit de renforcer le statut de pupille de l’État, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’adoption est un sujet de société central. Il s’agit aussi d’une réalité profonde, qui nous touche, de par nos histoires personnelles ou celles de nos proches. C’est enfin un sujet de protection de l’enfance, lorsqu’elle concerne des mineurs.

L’adoption recouvre en tout cas un grand nombre d’enjeux techniques et a fait l’objet de plusieurs évolutions depuis le début du XXe siècle. Je pense notamment à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant – je salue à cet égard notre collègue Michelle Meunier.

Mes chers collègues, nous souscrivons aux deux objectifs qui ont guidé l’auteure de cette proposition de loi et nous partageons son approche centrée sur l’intérêt de l’enfant, qui nous rassemble assez largement dans cet hémicycle.

À l’issue de la commission et sur l’initiative de notre rapporteure, 11 des 27 articles de la proposition ne figurent plus dans le texte. Il subsiste néanmoins des dispositions intéressantes, que je veux souligner.

Tout d’abord, l’ouverture de l’adoption aux couples pacsés et aux concubins s’inscrit en cohérence avec la distinction juridique de la filiation et du mode de conjugalité. Cette disposition est d’ailleurs largement soutenue au Sénat, puisque l’amendement de suppression de la rapporteure, qui n’était fondé, à notre sens, ni en droit ni en opportunité, n’a pas été adopté en commission. Nous saluons le consensus exprimé sur cette disposition au-delà des clivages : son maintien dans le texte permettra notamment l’adoption de l’enfant du partenaire ou du concubin.

Le maintien du droit en vigueur sur la capacité des personnes seules d’adopter est également heureux et je salue le fait que Mme la rapporteure ait décidé, en commission, de retirer son amendement qui visait à limiter cette capacité aux seuls enfants des conjoints.

Un autre ensemble de dispositions importantes, conservé dans le texte, consiste dans l’amélioration de la préparation et de l’information des candidats à l’adoption en amont de la délivrance de l’agrément, ainsi que dans le renforcement de la formation des membres des conseils de famille. Ces dispositions vont dans le sens des demandes des acteurs de terrain, qui concourent à cet accompagnement déterminant pour la réussite des parcours d’adoption.

Enfin, je veux saluer plusieurs dispositions relatives plus spécifiquement à la situation de l’enfant : le maintien de l’avis conforme de la commission d’agrément, la fixation d’un écart d’âge maximum de 50 ans entre le plus jeune des adoptants et le plus jeune des adoptés, la réalisation d’un bilan d’adoptabilité des pupilles ou encore le rehaussement de 2 à 3 ans de l’âge jusqu’auquel un examen semestriel du statut des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance est réalisé.

Ces dernières dispositions permettront d’assurer une meilleure adéquation entre les besoins de l’enfant et son statut.

Le texte que nous examinons ce soir contient donc des avancées importantes, que nous saluons et que nous soutiendrons pleinement.

Je souhaite toutefois évoquer certaines évolutions qui nous semblent plus contestables au regard de l’objectif de ce texte de sécuriser un certain nombre de situations, objectif qui semblait pourtant partagé par notre rapporteure.

L’article 4 sur l’extension des possibilités d’adoption plénière des enfants âgés de plus de 15 ans nous semblait répondre à l’objectif de valorisation de l’adoption dans l’intérêt même de l’enfant, notamment par les personnes l’accueillant depuis son plus jeune âge ou en cas de décès de l’un des parents de naissance qui ne s’est pas occupé de lui.

Nous proposerons donc de rétablir cet article, mais dans une rédaction de compromis qui encadre mieux les hypothèses prévues.

L’article 9 bis instaurait un dispositif transitoire d’établissement de la filiation des enfants nés par recours à une procréation médicalement assistée (PMA) réalisée à l’étranger par un couple de femmes avant l’entrée en vigueur de la loi relative à la bioéthique. Il permettait de sécuriser la filiation de l’enfant, mais il a été supprimé, tout comme l’article 11 bis.

La suppression de ce dernier article m’amène à souligner un certain paradoxe. D’un côté, pour des motifs de sécurisation des situations des enfants, vous avez souhaité, madame la rapporteure, limiter les conditions d’accès à l’adoption, en tentant notamment de supprimer la faculté pour les personnes pacsées ou concubines d’adopter. De l’autre, vous vous opposez à l’interdiction des adoptions internationales individuelles, laissant libre cours à de potentielles dérives.

Vous vous opposez également à la compétence exclusive de l’aide sociale à l’enfance en matière d’adoption nationale. De fait, vous laissez à des organismes privés la faculté de recueillir des enfants en vue de l’adoption.

Nous proposerons plusieurs amendements de rétablissement ou de compromis afin, d’une part, de sécuriser l’adoption internationale et, d’autre part, de favoriser l’accès du mineur au statut protecteur de pupille chaque fois que cela est adapté à sa situation.

Au-delà des points de convergence soulignés tout à l’heure, deux types de nuances semblent se dessiner.

Il y a d’abord des divergences de forme, notamment sur la réalité, la portée ou l’utilité de certaines dispositions. En l’occurrence, nous pourrons probablement trouver des points d’accord dans le cadre de la navette.

Il y a ensuite des divergences de fond, que je viens de mentionner. En la matière, nous espérons obtenir des avancées au cours de nos débats, dans l’intérêt de l’enfant.

Enfin, sur les procédures de délaissement, nous devons, me semble-t-il, aller plus loin que le dispositif instauré par la loi de 2016. Il faut qu’il y ait plus d’enfants adoptables ; c’est l’intérêt des enfants. Surtout, il faut éviter que des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance passent dix-huit ans sans pouvoir être adoptés et vivre une vie normale sous prétexte que leurs parents se contentent, pour schématiser, d’envoyer une carte postale par an… (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Michelle Meunier applaudit également.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Nathalie Delattre.)

PRÉSIDENCE DE Mme Nathalie Delattre

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer l'adoption
Discussion générale (suite)

6

Communication d’un avis sur un projet de nomination

Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable par dix-sept voix pour, et aucune contre, à la reconduction de M. François Villeroy de Galhau aux fonctions de gouverneur de la Banque de France.

Acte est donné de cette communication.

7

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer l'adoption
Discussion générale (suite)

Réforme de l’adoption

Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer l'adoption
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 45 rectifié

Mme la présidente. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à réformer l’adoption.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons s’inscrit dans une dynamique de libéralisation de la famille. La dernière loi de bioéthique a permis aux femmes seules et aux couples de femmes de recourir à la procréation médicalement assistée.

Dans cette logique, le texte propose de réformer le régime de l’adoption, afin d’en ouvrir plus largement l’accès. Une telle évolution est compréhensible et les Français, semble-t-il, l’appellent de leurs vœux.

Les sénateurs du groupe Les Indépendants sont majoritairement favorables à l’ouverture de l’adoption aux couples non mariés, qu’ils soient liés ou non par un pacte civil de solidarité (PACS). Cette disposition tient compte des changements intervenus au sein de la société. En effet, il pouvait sembler difficilement compréhensible que l’adoption soit ouverte aux personnes seules sans que les couples non mariés puissent y avoir accès.

Lors de son examen, la commission des lois a opté pour une position de sagesse sur plusieurs dispositions tendant à réformer le régime de l’adoption ; beaucoup d’entre elles ont ainsi été supprimées.

Nous en sommes convaincus, le droit de l’adoption ne peut être modifié qu’avec d’extrêmes précautions, dans la mesure où il engage le destin de milliers d’enfants. En effet, chaque année, environ 12 000 enfants sont adoptés.

Nous sommes favorables au fait que nos concitoyens aient davantage de choix et de libertés, mais il nous paraît indispensable de connaître avec précision les conséquences de changements au sein du régime de l’adoption. Le véhicule retenu, celui de la proposition de loi, nous prive d’une étude d’impact, document qui serait pourtant fort utile à cet égard.

La volonté de moderniser ne doit pas nous faire perdre de vue l’essentiel : l’adoption n’est pas un mode de satisfaction d’un chimérique droit à l’enfant ; c’est un mécanisme rendu nécessaire par l’existence d’enfants sans famille. C’est leur intérêt, et non le désir d’enfant, qui doit guider les décisions d’adoption. C’est bien ce principe fondamental et fondateur qui a toujours servi de boussole en matière de droit de l’adoption. Alors que nous étudions la réforme de ce régime, un tel principe doit rester le socle de notre vision.

Néanmoins, il nous paraît important que les parents biologiques aient leur mot à dire. Nous nous félicitons ainsi que le consentement des parents à l’adoption de leur enfant soit toujours demandé.

Dans cette même logique, nous nous sommes interrogés sur la suppression de la disposition empêchant la mère ayant accouché de s’opposer sans motif légitime à la reconnaissance par la mère d’intention de l’enfant dont elle serait séparée. La question du consentement est fondamentale. À cet égard, nous soutenons majoritairement la position de la commission.

Nous approuvons également le fait que la commission ait laissé aux parents la possibilité de confier leur enfant non seulement à l’aide sociale à l’enfance (ASE), mais aussi aux organismes autorisés pour l’adoption. Nous pensons qu’il est sain de laisser le choix aux individus.

Nous comprenons la suppression de l’article relatif à l’obligation d’avoir recours à un organisme autorisé pour l’adoption ou à l’Agence française de l’adoption dans le cadre d’une adoption internationale. Il semble pertinent d’encadrer plus étroitement la situation actuelle.

Les autres dispositions du texte, notamment celles qui améliorent l’information des candidats à l’adoption, vont dans le bon sens.

Le nombre d’enfants à besoins spécifiques s’est considérablement accru. Il est devenu incontournable de mieux informer et former les candidats sur les besoins des enfants qu’ils pourraient être amenés à adopter. C’est aussi primordial pour le bien-être des enfants que pour les parents.

La rédaction proposée par la commission nous semble constituer une solution d’équilibre et de sagesse. Nous ne pouvions pas modifier en profondeur le régime de l’adoption dans le cadre d’une simple proposition de loi. Le texte permet cependant d’inscrire dans le droit des avancées significatives.

Par conséquent, le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui porte sur un sujet sensible : l’adoption, donc la filiation.

Pratique courante dans l’antiquité, notamment chez les sénateurs romains (Sourires.), l’adoption permettait surtout de trouver un héritier et d’établir des alliances entre les familles.

Au fil de l’évolution de notre société, la procédure d’adoption s’est adaptée pour permettre au lien juridique de se substituer ou de se superposer avec celui du sang.

Organisée par la loi du 11 juillet 1966, la pratique de l’adoption a largement diminué en raison de la baisse du nombre d’enfants à adopter, tant auprès de l’ASE qu’à l’étranger.

Pourtant, malgré ces demandes, les adoptions internationales ont été divisées par dix en quinze ans, et les pupilles de l’État se retrouvent souvent sans solution. Aujourd’hui, le rapport entre le nombre d’enfants adoptés et le nombre de parents agréés est d’un pour dix. À cela s’ajoute une augmentation du nombre d’enfants à adopter caractérisés « à besoins spécifiques », ce qui modifie les conditions d’adoption.

Devant un tel constat, la proposition de loi de la députée Monique Limon revêt un double objectif : faciliter le parcours des adoptants tout en sécurisant la situation de l’enfant.

Malheureusement, la réponse est seulement partielle. Si l’objectif fait consensus, le texte ne va pas assez loin et déçoit les acteurs de l’adoption et de la protection de l’enfance, et ce malgré l’optimisme affiché des auteurs de la proposition de loi initiale !

Il faut bien souligner des avancées concrètes, comme l’adoption pour les couples pacsés ou en concubinage, avec un encadrement des conditions d’âge et de durée de communauté de vie minimale des parents. On peut aussi collectivement se féliciter de la mise en place d’une obligation de formation juridique et déontologique préalable pour les membres du conseil de famille, réclamée par le Comité consultatif national d’éthique et par la Défenseure des droits. De même, l’obligation de suivre une préparation en vue de l’obtention d’un agrément pour l’adoption permettra de conforter l’intérêt de l’enfant et de mieux préparer son accueil.

Mais certaines dispositions de la proposition de loi initiale compromettaient de manière significative l’intérêt de l’enfant, en supprimant le consentement des parents pour l’adoption. D’une part, la suppression de la notion de consentement de la mère accouchant pour l’adoption par la mère d’intention ne nous semblait pas pertinente ; elle nous paraissait même dangereuse. D’autre part, la disparition du consentement à l’adoption des parents qui remettent leur enfant à l’ASE représentait un retour en arrière délicat. C’est pourquoi la commission des lois a préféré supprimer ou réécrire les dispositions concernées.

Paul Auster écrivait : « Négliger les enfants, c’est nous détruire nous-mêmes. » C’est toute l’inspiration du Sénat, qui a souhaité conserver les alternatives existantes à l’ASE, comme les organismes autorisés pour l’adoption (OAA). Celles-ci permettent de se passer d’un parcours souvent difficile pour les enfants.

La commission des lois a aussi estimé que la présence d’une personne qualifiée en matière d’éthique et de lutte contre les discriminations dans les conseils de famille représentait une mesure secondaire sans apport effectif.

Enfin, je déplore que ce texte survole un pan très important du sujet, l’adoption simple. La question est pourtant au cœur des préconisations de l’excellent rapport de notre collègue Corinne Imbert et de l’auteure de la proposition de loi. Y répondre aurait permis d’accroître les adoptions, dans l’intérêt des enfants.

Vous l’avez compris, le texte a une ambition limitée. Comme affiché dans l’exposé des motifs, il « comble des lacunes », en matière d’adoption, de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Cependant, il ne permettra pas de résoudre la difficile question de l’adéquation entre le nombre d’enfants à adopter et le désir des adoptants. Mais il a au moins quelques mérites : répondre à certains enjeux sociétaux, mieux préparer les adoptants à l’accueil de l’enfant et sécuriser le statut des jeunes pupilles.

Pour ces raisons, je voterai, tout comme une majorité des membres du groupe Les Républicains, la proposition de loi modifiée par la commission des lois. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Mélanie Vogel. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je crois que nous sommes toutes et tous d’accord au moins sur un point : il reste beaucoup à faire dans notre pays pour améliorer la procédure d’adoption.

Alors que de nombreuses familles sont à la recherche d’un enfant à adopter, les pupilles de l’État demeurent souvent sans solution. Ainsi, en 2019, parmi les 3 248 enfants bénéficiant du statut de pupille de l’État, seulement 706 enfants ont été adoptés. Ce sont donc les trois quarts des enfants concernés qui se sont retrouvés sans solution.

Nous saluons donc la possibilité de faciliter l’adoption de ces enfants grâce à un allégement de la procédure de l’adoption simple.

Cependant, la présente proposition de loi est un peu un rendez-vous manqué. Elle aurait dû permettre de traiter de plusieurs sujets capitaux qui, au fond, n’ont pas même été abordés.

Nous regrettons, par exemple, l’absence de vision globale sur la protection de l’enfance, tout comme le silence sur les adoptions internationales, alors que leur nombre a été divisé par dix ces dernières années, cela a été dit, passant de 4 000 adoptions en 2005 à environ 400 en 2019. Nous regrettons, enfin, le silence sur les pratiques illicites dans le cadre des adoptions internationales, alors qu’une commission d’enquête est demandée par un collectif de familles victimes de ces procédures frauduleuses.

Alors que nous traitons de sujets très sensibles, touchant à la situation de milliers d’enfants et de familles, nous déplorons que ce texte prenne la forme d’une proposition de loi, qui n’est donc assortie ni d’une étude d’impact ni d’un avis du Conseil d’État. Compte tenu de leur gravité, ces sujets auraient mérité d’être présentés et débattus sous la forme d’un projet de loi. Le choix de la procédure accélérée prive en outre le Parlement d’un travail approfondi et nuit à la qualité des dispositions qui sont examinées aujourd’hui.

Malgré ces lacunes, nous nous félicitons de l’ouverture du droit à l’adoption aux couples de concubins et aux partenaires liés par un PACS. Les écologistes ont toujours défendu cette proposition, qui mettra fin à des années de différences de traitement entre les couples mariés et non mariés qui n’étaient plus justifiées que par des considérations depuis longtemps révolues. Cette avancée permettra de faire sortir la filiation du carcan des familles mariées. Nous restons cependant attentifs, et nous avons déposé un amendement en ce sens, à ce qu’aucune discrimination ne soit perpétrée en raison de l’orientation sexuelle ou de la situation de famille des futurs parents.

Nous approuvons aussi le choix de la rapporteure d’avoir supprimé certains dispositifs qui nous paraissaient à la fois ubuesques et relativement dangereux : je pense notamment au fait de ne plus recueillir le consentement des parents pour l’adoption de leur enfant placé en qualité de pupille de l’État. Au moment où les parents biologiques sont sur le point de prendre la décision de confier leur enfant à l’aide sociale à l’enfance, il est nécessaire de les informer et de les accompagner du mieux possible.

Nous nous interrogeons également sur la possibilité que confère au tribunal l’article 357 du code civil de modifier, sur la demande du ou des adoptants, les prénoms de l’enfant. L’article 9 de la présente proposition de loi permettra de recueillir le consentement de l’enfant de plus de 13 ans pour ce changement. Le prénom est pourtant un élément d’identité essentiel. Quel motif, au fond, pourrait nécessiter un changement du prénom de l’enfant, sans son consentement, jusqu’à l’âge de 13 ans ? Aller au-delà de l’opinion de l’enfant pour un tel changement d’identité me paraît aller totalement à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’enfant capable de discernement devrait avoir le droit d’exprimer son avis et d’être entendu par le juge. Nous avons déposé un amendement allant dans ce sens.

Je vous rappelle par ailleurs que, dans sa décision du 15 juillet 2020, la Défenseure des droits faisait le constat de la disparition progressive des services d’adoption spécialisés au sein des conseils départementaux. La mutualisation entre départements pourrait constituer une solution au problème de la répartition hétéroclite entre les territoires. Nous soutenons d’ailleurs les départements qui regrettent que le suivi post-adoption ne soit pas davantage renforcé.

Les principes et objectifs de cette proposition de loi ne représenteront in fine que des vœux pieux, si le financement et le soutien de l’État aux collectivités territoriales et à tous les organismes qui participent aux dispositifs d’adoption ne sont pas au rendez-vous.

Malgré ces réserves, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires soutiendra cette proposition de loi, tout en espérant, mes chers collègues, que les amendements qu’il a déposés trouveront soutien sur nos travées. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)