compte rendu intégral

Présidence de M. Vincent Delahaye

vice-président

Secrétaires :

Mme Martine Filleul,

Mme Marie Mercier.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d’un sénateur

M. le président. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai le profond regret de vous faire part du décès, survenu cette nuit, de notre collègue Patrick Boré, qui était sénateur des Bouches-du-Rhône depuis août 2020.

M. le président du Sénat prononcera son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire.

3

 
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement
Discussion générale (suite)

Article 1er de la Constitution et préservation de l’environnement

Adoption en deuxième lecture d’un projet de loi constitutionnelle modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement (projet n° 703, rapport n° 725).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi  constitutionnelle complétant l'article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement
Article unique

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de présenter une nouvelle fois à la Haute Assemblée le projet de révision constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

La genèse de cette réforme historique en faveur du climat, de l’environnement et de la diversité biologique est connue de tous ; je me bornerai donc à rappeler que le projet qui vous est soumis est d’abord le fruit du travail et de l’engagement des 150 Français de la Convention citoyenne pour le climat. Qu’ils en soient ici chaleureusement remerciés.

Ce projet tient aussi à l’engagement du Président de la République de reprendre leur proposition citoyenne de modification de l’article 1er de la Constitution, dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.

Nos précédents débats avaient fait apparaître que les désaccords se cristallisaient sur l’emploi de deux des dix-huit mots du projet de loi. Ces deux mots, qui ont donné lieu à de savantes exégèses, sont les verbes « garantir » et « lutter ».

Vous le savez, le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont souhaité, dans un esprit d’ouverture et de conciliation, faire un pas vers votre Haute Assemblée. L’expression « lutter contre le dérèglement climatique » a donc été remplacée par « agir contre le dérèglement climatique ».

Je comprends, au regard du projet proposé par votre commission et qui fait l’objet d’un amendement de réécriture de l’article unique, que la main tendue n’a pas été saisie. Je le regrette, car vous fermez ainsi la possibilité pour les Français de s’exprimer sur le sujet de première importance qu’est l’avenir écologique de notre pays.

Au soutien de la proposition de réécriture, vous avez reproché au Gouvernement d’entretenir zones d’ombre et contradictions quant aux effets juridiques attendus du projet de révision constitutionnelle. Je vais donc m’employer, une nouvelle fois, à préciser le sens et la portée de cette réforme.

Je dirai quelques mots, pour commencer, sur le texte que vous proposez. Vous souhaitez indiquer que « la France agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

On peut se demander, à la lueur de cette rédaction bien timide, si ce qui vous inquiète, finalement, ne réside pas tant dans les prétendues incertitudes juridiques entourant notre projet que dans la volonté, pleinement assumée par la majorité présidentielle, de renforcer juridiquement la préservation de l’environnement.

À l’inverse, la rédaction que vous proposez ne produirait aucun effet juridique nouveau, comme votre commission l’a d’ailleurs reconnu. À l’heure où nous vivons une crise climatique majeure qui inquiète les Français et mobilise, en particulier, notre jeunesse, première concernée par les conséquences de cette crise, une réforme purement symbolique n’est pourtant pas envisageable.

Il n’est pas possible de convoquer les Français à un référendum pour leur dire : « Nous réformons la Constitution, mais notre but est de ne strictement rien changer ». Or c’est cela que vous nous proposez, ne rien changer en répétant le préambule de notre Constitution et en renvoyant simplement à la Charte de l’environnement, qui existe déjà.

Le Gouvernement et l’Assemblée nationale pensent au contraire qu’il faut assumer pleinement la responsabilité historique qui est aujourd’hui la nôtre et affirmer que la portée juridique de la protection de l’environnement doit évoluer, que ce qui est une ambition doit devenir une garantie.

Je souhaiterais tellement vous convaincre du bien-fondé du projet repris de la Constitution citoyenne pour le climat !

Il s’agit, tout d’abord, de rehausser la protection de l’environnement au cœur de nos principes constitutionnels.

Certes, comme vous le savez, elle est inscrite dans la Charte de l’environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait donc pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et le Conseil constitutionnel, par sa jurisprudence récente, en particulier par deux décisions de 2020, a contribué à renforcer les principes qu’elle contient.

Il subsiste toutefois d’importantes limites. En effet, dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a jugé que la préservation de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constituait seulement un objectif à valeur constitutionnelle.

Je rappelle qu’un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d’une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, n’emporte qu’une obligation de moyens et nécessite, pour sa mise en œuvre, l’intervention du législateur. Nous voulons ici mettre en place un principe à valeur constitutionnelle, qui pourra être invoqué même lorsque le législateur n’est pas intervenu.

Par ailleurs, je vous rappelle que les objectifs à valeur constitutionnelle ne sont théoriquement pas invocables à eux seuls à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. Il s’agit donc bien de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l’environnement.

Ensuite, le Gouvernement vise, avec ce projet, à instaurer un véritable principe d’action des pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.

Bien sûr, l’article 2 de la Charte prévoit déjà pour toute personne le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. Mais, ici, nous allons plus loin : nous voulons créer, à la charge des pouvoirs publics, une garantie de la préservation de l’environnement.

Enfin, j’en viens à la signification du fameux verbe « garantir », que vous craignez tant. Je dois avouer que je suis toujours surpris que l’emploi de ce terme fasse l’objet d’un tel rejet de la part de votre Haute Assemblée : faut-il de nouveau rappeler que notre Constitution l’emploie déjà ?

Ainsi, lorsque les constituants ont inscrit dans la Constitution, en 1946, la garantie de la santé et de la protection matérielle, du repos, des loisirs, ils n’ont pas imposé une responsabilité automatique de l’État pour toute personne malade ou en grande précarité. Les dangers que vous dénoncez, sur ce point, sont illusoires.

S’agissant des effets juridiques du verbe « garantir » sur la mise en jeu de la responsabilité des personnes publiques, je ne puis que répéter ce qui a déjà été exposé : il est certain que l’État peut déjà voir sa responsabilité engagée en matière environnementale, mais nous voulons aller plus loin et créer une quasi-obligation de résultat ou, comme je l’ai toujours dit, une obligation de moyens renforcée pour les pouvoirs publics.

Cela signifie tout simplement faciliter la charge de la preuve pour les requérants et, à l’inverse, rendre beaucoup plus difficile pour la personne publique mise en cause de s’exonérer de ses obligations.

Il ne s’agit donc pas de se satisfaire des carences ou de l’inaction des pouvoirs publics pour les condamner ensuite, mais bien au contraire de les obliger à agir pour protéger concrètement et efficacement l’environnement.

La Constitution doit s’adapter aux enjeux et aux défis de notre temps. Elle doit donc être aujourd’hui à la hauteur du défi écologique majeur auquel notre pays se trouve confronté.

Voilà pourquoi le Gouvernement et l’Assemblée nationale, à l’unisson de la Convention citoyenne pour le climat, entendent garantir la protection de l’environnement. Ce combat est aujourd’hui le nôtre, il devrait aussi être le vôtre, car c’est le combat de la France pour le siècle à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, président la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale, rapporteur. Monsieur le garde des sceaux, avec cette réforme constitutionnelle, vous portez un bien lourd fardeau. Le poids du devoir vous oblige, nous pouvons le comprendre, mais tout de même : il ne suffit pas que les gouvernements affirment quelque chose pour que cela soit la vérité ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le travail de la Haute Assemblée est d’essayer de trouver cette vérité constitutionnelle à laquelle nous aspirons.

Dans les propos tenus au cours de la première lecture et réitérés il y a quelques minutes, le Gouvernement nous dit qu’il entend rehausser la protection de l’environnement ; il ajoute, quelques secondes plus tard, que cette garantie ne changera finalement pas grand-chose ; enfin, il affirme qu’il s’agit d’exiger quasiment une obligation de résultat…

De deux choses l’une, soit « garantir » a un vrai sens et une vraie portée, et alors il faut s’en expliquer clairement, soit nous sommes là pour entériner ce que la Convention citoyenne a proposé, dans une démarche que l’on peut estimer légitime, mais dont il nous revient à nous, parlementaires et constitutionnalistes pour la circonstance, d’apprécier la réalité des effets.

Nous avons toujours dit à cette tribune que nous souhaitions naturellement que les parlementaires assument cette responsabilité de constitutionnalistes, en ne permettant pas au Conseil constitutionnel de devenir un véritable gouvernement des juges. C’est pourquoi la précision est nécessaire.

Le Sénat est donc saisi, en deuxième lecture, d’un projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, modifié par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 11 mai dernier.

La commission des lois n’a pu que constater, à regret, que les conditions d’un accord entre les deux assemblées sont encore très loin d’être réunies.

Je vous rappelle que le projet initial du Gouvernement, décalque de l’une des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, prévoyait d’insérer à l’article 1er de notre Constitution une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. » Il avait été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, sans modification.

Saisi de ce texte, le Sénat avait observé que la rédaction proposée avait une portée juridique beaucoup trop vague pour pouvoir être adoptée en l’état.

Comme le soulignait alors la commission, et contrairement aux allégations qui ont été exprimées, les pouvoirs publics sont d’ores et déjà soumis à de fortes obligations de valeur constitutionnelle ayant pour objet la protection de l’environnement, obligations qui découlent de la Charte de l’environnement de 2004.

En revanche, compte tenu, notamment, de l’emploi du verbe « garantir » et du défaut d’articulation avec la Charte, il avait paru impossible à notre commission de déterminer avec un tant soit peu de précision les effets des dispositions envisagées, d’une part, sur l’engagement de la responsabilité des personnes publiques, et, d’autre part, sur la validité des actes des pouvoirs publics.

Le Sénat avait donc substitué aux dispositions proposées une phrase selon laquelle la France « préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ».

Cette rédaction supprimait la référence à la notion de « garantie » et levait, grâce à un renvoi exprès, tout problème d’articulation entre l’article 1er de la Constitution, modifié, et la Charte de l’environnement, partie intégrante du bloc de constitutionnalité.

La substitution du verbe « agir » au verbe « lutter », déjà suggérée par le Conseil d’État, visait seulement, quant à elle, à éviter un effet rhétorique dénué de toute portée juridique. Je veux bien que nous soyons « en guerre » contre bien des choses, y compris contre le dérèglement climatique, mais, dans la loi fondamentale, nous préférons la sobriété du style aux effets de manche.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale, sous couleur de rechercher un terrain de compromis avec le Sénat, a presque intégralement rétabli le texte initial, en acceptant seulement le remplacement du verbe « lutter » par le verbe « agir », un point tout à fait accessoire en réalité.

Le texte adopté par les députés, aux termes duquel la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique », ne lève aucune des zones d’ombre du projet initial, et ses effets juridiques restent tout aussi indéterminés.

Les députés n’ont pas cherché à répondre aux arguments juridiques exposés par le Sénat. Bien au contraire, les débats en deuxième lecture à l’Assemblée nationale n’ont fait qu’entretenir le flou sur les effets que le Gouvernement et sa majorité attendent de ce projet de révision.

Permettez-moi d’en citer quelques exemples. Le Gouvernement, après avoir répété à qui voulait l’entendre que son texte visait à instituer « un véritable principe d’action des pouvoirs publics » en faveur de la protection de l’environnement, a enfin reconnu devant la commission des lois de l’Assemblée nationale que la Charte de l’environnement s’applique aux autorités publiques depuis seize ans. Dont acte ! C’est une avancée que nous relevons.

Alors qu’il prétendait auparavant que le projet de révision visait à assigner aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière de protection de l’environnement, le Gouvernement ne parle plus désormais que d’une « obligation de moyens renforcée ». Il faudrait savoir ce que cela veut dire et quel est le sens de cette notion, qui n’a ni source ni signification.

En effet, les notions d’« obligation de moyens », d’« obligation de moyens renforcée », d’« obligation de résultat » ou encore d’« obligation de résultat atténuée » n’ont pas tout à fait la même acception.

Pour donner corps à cette notion, le Gouvernement déclare que son objectif est d’inverser la charge de la preuve et d’obliger ainsi les pouvoirs publics, si leur responsabilité est recherchée en justice, à établir eux-mêmes la démonstration qu’ils ont accompli toutes les diligences raisonnables pour assurer la préservation de l’environnement.

Soit, mais il faut tout de même beaucoup d’imagination pour faire produire au verbe « garantir » de tels effets sur le régime de la preuve dans le procès administratif. La notion de garantie, dans le langage courant comme dans le langage juridique, a une autre signification.

Pendant ce temps, le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale prétend toujours que le texte aurait pour effet « d’ériger la protection de l’environnement en principe constitutionnel », ce qui est tout simplement faux ou relève d’une ignorance de sa part. En effet, chacun sait que la Charte de 2004 fait partir du bloc de constitutionnalité et a valeur constitutionnelle.

Il a également déclaré que le texte adopté par les députés pourrait constituer « le support d’actions en carence contre le législateur », ce qui, pour le coup, constituerait une nouveauté, puisque, dans notre État de droit et conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, aucune juridiction n’a le pouvoir d’adresser des injonctions au législateur non plus d’ailleurs que de condamner l’État à réparer les dommages causés par d’éventuelles carences du législateur. Il est bien évident que la disposition proposée ne suffirait pas, à elle seule, à opérer un tel bouleversement juridique.

Si l’on en croit les déclarations faites en séance publique par le rapporteur de l’Assemblée nationale, la prétendue concession faite au Sénat serait l’expression de « l’esprit de dépassement et de rassemblement » qui, comme chacun sait, anime le parti majoritaire… (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Au moins, cela ne manque pas d’humour.

Eh bien, monsieur le garde des sceaux, nous avons, nous aussi, le souci du « dépassement » et du « rassemblement ». Pour tout vous dire, nous sommes surtout assez impatients que ce débat constitutionnel entre enfin dans le dur et devienne, plutôt qu’une opération de communication, un véritable débat de droit.

Nous nous posons aujourd’hui la question : s’agit-il de gagner la bataille de la communication ou celle du droit ? Pour notre part, nous avons fait le choix de défendre le droit, conformément à notre mission première.

La commission a donc déposé un amendement dont la rédaction est légèrement différente de celle qui a été adoptée par le Sénat en première lecture.

Nous proposons d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la France non plus « préserve », comme dans notre première rédaction mais « agit pour la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement de 2004 ». Telle est la proposition que la commission des lois a acceptée et qui est adressée au Sénat cette après-midi et.

J’ai entendu, il y a quelques jours, et ce matin encore, de la part de deux membres du Gouvernement – pas vous, monsieur le garde des sceaux – des propos extrêmement désagréables à l’égard du Sénat. (Exclamations sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. Roger Karoutchi. Pas possible !

M. François-Noël Buffet, rapporteur. Nous serions ici pour bloquer le système, notre ringardise serait absolue, nous ne souhaiterions pas la protection de l’environnement et l’Assemblée nationale aurait fait un pas vers le Sénat… (Mêmes mouvements.)

Monsieur le garde des sceaux, je répondrai à vos deux collègues que, eux-mêmes, en défendant ce qui est presque indéfendable, ont commis un faux pas, et même plus qu’un faux pas : une faute. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour la seconde fois, nous sommes convoqués pour débattre du projet de loi constitutionnelle visant à modifier l’article 1er pour y inscrire la protection de l’environnement.

Sans surprise, le Sénat, en première lecture, a réécrit le texte afin d’en affaiblir la portée, réduisant l’insertion à une sorte de tautologie renvoyant à la Charte de l’environnement.

Sans surprise non plus, après l’annonce par le Président de la République que le texte continuerait de cheminer, l’Assemblée nationale a rétabli le fameux « garantit » concernant la protection de l’environnement, tout en cédant sur le verbe « lutter » s’agissant de dérèglement climatique.

Nous voilà donc coincés dans un débat purement sémantique sur la portée concrète des verbes « garantir », « préserver » et « agir », dans le cadre d’une navette qui pourrait se poursuivre éternellement.

J’avais dit, en première lecture, que nous nous inscrivions en faux contre cette instrumentalisation du Parlement, une manœuvre dilatoire aux effets pervers. En effet, loin de consacrer constitutionnellement la protection de l’environnement, ces rédactions fragilisent au contraire la Charte, sans créer aucune obligation de quasi-résultats, malgré vos déclarations, monsieur le garde des sceaux.

Pour cette raison, nous vous avions proposé de réduire ces modifications constitutionnelles, non pas aux symboles, mais à l’enrichissement de la Charte, selon les principes de solidarité écologique et de non-régression.

Ces dispositions utiles auraient permis au juge constitutionnel de censurer un certain nombre de lois récentes, comme la réautorisation des néonicotinoïdes ou les mesures de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, la loi ASAP.

Les faits sont cependant têtus, et l’objectif du Gouvernement, comme de la majorité sénatoriale, n’est pas d’être utile, mais bien de faire illusion. Je dois vous le dire : cette farce constitutionnelle commence à nous agacer sérieusement,…

M. Roger Karoutchi. Très bien !

Mme Éliane Assassi. … d’autant que, nous le savons tous ici, le fameux référendum qui justifie ce texte ne verra jamais le jour.

M. Roger Karoutchi. C’est évident !

Mme Éliane Assassi. Pour bien me faire comprendre, je citerai Le Guépard de Visconti et son fameux « il faut que tout change pour que rien de change », qui décrit exactement la stratégie de ce gouvernement en matière de transition écologique, avec la complicité de la majorité sénatoriale.

Mme Éliane Assassi. La discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets en est un exemple criant. Nous avons passé deux semaines à débattre d’une poignée de mesures insignifiantes, déjà obsolètes, qui ne remettent en cause ni l’organisation du système financier et de production ni la préservation des intérêts économiques et les droits acquis.

Cette manière de procéder décrédibilise le Parlement et la politique dans son ensemble. Ce n’est pas en poursuivant ces débats stériles que nous convaincrons nos concitoyens d’user de leur droit de vote.

Cette réforme constitutionnelle passe ainsi à côté de l’essentiel : elle ne porte pas les évolutions constitutionnelles dont notre pays a tant besoin pour sortir de la présidentialisation du régime, pour engager l’irruption citoyenne et le respect de la souveraineté populaire, notamment en rééquilibrant les pouvoirs en faveur du Parlement.

Concernant le climat, aucune réforme constitutionnelle n’aura d’effectivité sans mettre en œuvre de politiques publiques ambitieuses. Il faudrait ainsi, et prioritairement, faire respecter la Charte.

Il faudrait également remettre en cause les accords de libre-échange et les politiques libérales de privatisation et de casse du service public ; engager un vaste plan de reconquête dans les secteurs clés que sont les transports et l’énergie, en s’appuyant sur les opérateurs publics, EDF et la SNCF, voire en revenant dans le capital de certains opérateurs ; enfin, respecter les engagements contractés dans l’accord de Paris.

Des décisions de justice administrative récentes nous y obligent. Le Conseil d’État vient ainsi d’enjoindre le Gouvernement, dans le cadre de « l’affaire du siècle », à prendre toutes les mesures utiles pour que la France tienne ses objectifs. Dans un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris avait déjà reconnu une carence partielle de l’État, qui engageait sa responsabilité.

Pour reprendre l’image de la maison qui brûle, je dirais que depuis le début de ce mandat, c’est à grand renfort d’essence que vous nous nourrissez ce feu. Il ne restera bientôt que des cendres et la colère de nos concitoyens ; une colère légitime face à l’inaction climatique de la France, mais aussi, et surtout, face à l’incapacité du politique à agir pour garantir à chacun des conditions d’existence dignes, trop occupés que vous êtes à démanteler tous les conquis sociaux.

Nous confirmons donc notre vote négatif sur ce projet de loi inutile et inopérant, qui n’a d’autre objet que détourner notre attention des véritables objectifs de ce gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Émilienne Poumirol applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas souhaité donner suite aux trois points soulevés par le Sénat le 21 juin dernier.

À cet égard, monsieur le garde des sceaux, le débat entre les deux chambres n’est pas uniquement sémantique. Permettez-moi de rappeler les trois points avancés par le Sénat.

Le premier concerne l’incertitude béante quant aux conséquences d’une telle garantie par la Nation. Je veux bien admettre que, sur ce point, le choix du verbe ait une incidence.

Deux autres points n’ont pas été abordés par l’Assemblée nationale : d’une part, notre refus d’une hiérarchie entre les normes constitutionnelles ; d’autre part, notre attachement au droit dit « subjectif » et à une conception des droits de l’homme qui est traditionnelle, mais respectable, monsieur le garde des sceaux, car c’est celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Nous nous opposons donc au basculement des droits dits « subjectifs », les droits de l’homme, vers des droits dits « objectifs », ceux de la nature. À titre personnel, il me semble que l’éthique à l’égard de l’être humain doit rester première. Parmi les motifs évoqués, ce troisième élément me semblait le principal.

Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi tout d’abord de réagir à votre intervention, assez incisive, puisque vous avez commencé en nous disant que le Sénat n’avait pas souhaité saisir la main tendue. Mais où est la main tendue, ne serait-ce que sur l’un des trois points soulevés par le Sénat ? Où est la volonté de dialogue ? Où est le désir d’aboutir à un accord ?

Par ailleurs, vous nous dites que les propositions du Sénat n’auraient pas d’effet juridique. Nous ne partageons pas ce point de vue, puisque celles-ci visent à ajouter, à la préservation de la biodiversité et de l’environnement figurant dans la Charte de l’environnement, la référence à la lutte contre le dérèglement climatique, qui n’y figure pas.

En outre, sans même entrer dans le débat sur l’effet des propositions formulées, la contradiction intellectuelle du Gouvernement et de l’Assemblée nationale sur ce sujet est tout à fait patente.

En effet, on nous dit, d’une part, que ce texte constituerait l’expression d’une haute ambition environnementale – très bien ! –, et, d’autre part, qu’il n’y aurait pas de modification de la hiérarchie des normes juridiques. Or la seule manière de donner un sens au dispositif que vous nous proposez résiderait précisément dans le changement de hiérarchie des normes juridiques.

Il semble donc, monsieur le garde des sceaux, que la contradiction intellectuelle n’est peut-être pas là où vous l’avez située durant votre intervention.

Vous avez d’ailleurs complété votre propos en essayant de nous dire que, certes, la préservation de l’environnement et de la biodiversité figurait bien dans notre Constitution, mais que tout cela relevait d’un objectif constitutionnel qui, au fond, n’avait pas de portée réelle. Or tel n’est pas le cas : tout cela a bien une valeur normative.

Nous sommes bien d’accord pour estimer que le Conseil constitutionnel exerce un contrôle moins strict d’une disposition lorsqu’il le fait à la lumière d’un objectif à valeur constitutionnelle plutôt que d’une norme constitutionnelle précisément détaillée. Mais il s’agit uniquement de technique.

En revanche, qu’il soit bien clair pour chacun d’entre nous que l’ensemble des éléments qui figurent dans la Charte de l’environnement sont bien constitutifs d’une norme juridique applicable dans notre pays.

Enfin, déclarer qu’une révision de la Constitution serait menée pour une question de charge de la preuve est un élément assez étonnant. Assez nombreux sont les juristes siégeant dans cet hémicycle, et je n’oublie pas, monsieur le garde des sceaux, votre qualité éminente à cet égard. La charge de la preuve est une donnée procédurale : jamais personne n’a envisagé d’en faire un élément ayant un caractère, de près ou de loin, constitutionnel.

Je veux à présent tracer trois perspectives complémentaires pour expliquer la position de notre groupe et vous alerter, mes chers collègues, sur un point que vous connaissez bien, à savoir la juridictionnalisation de notre société, ainsi que sur la redécouverte de la portée des engagements.

La juridictionnalisation de la société est une donnée constante. Demandée par nos concitoyens, elle peut, à mon avis, être abordée avec beaucoup de sérénité en utilisant plus largement le dialogue avec les juges et entre eux, ainsi que nos moyens législatifs. Nombreux sont ces derniers ; je pense notamment aux articles 88-4 et 88-6 de la Constitution, relatifs à la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE.

Ce qui change aujourd’hui, en matière de juridictionnalisation de notre société, c’est que les juridictions s’emparent de dispositions adoptées par les États, soit à l’échelle nationale, soit dans le cadre d’accords internationaux.

La raison de l’arrêt Big Brother Watch de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, c’est l’existence des articles 8 et 10 de la CEDH. De la même manière, l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, trouve sa raison d’être dans le règlement général sur la protection des données, le RGPD. Et si la Cour de cassation a pu vous poser quelques problèmes, monsieur le garde des sceaux, sur la notion de décence en matière de détention, c’est parce qu’il y a eu des dispositions en la matière.

J’en arrive à l’arrêt non négligeable rendu le 1er juillet 2021, donc il y a quelques jours, par le Conseil d’État. Ce dernier constate que notre pays ne tient pas ses engagements dans l’accord de Paris. Historiquement, dans ce pays, les engagements pris par l’exécutif n’engageaient que ceux qui les écoutaient, autant dire qu’ils n’engageaient pas. Les juges ne voient pas la question de la même manière.

Cela signifie aussi que le débat sur la notion de garantie, qui ne me paraissait pas constituer le point essentiel lors de la séance du 21 juin dernier, prend, aujourd’hui, un reflet différent. Ainsi, de plus en plus régulièrement et, finalement, d’une manière assez justifiée, les juges donneront des effets juridiques aux différentes normes européennes ou, via le Conseil constitutionnel, nationales.

Le Sénat tient d’autant plus à la référence à la Charte de l’environnement que le Gouvernement – c’est ce qui fait la curiosité de sa proposition –, à aucun moment, n’explique en quoi la Charte de l’environnement serait défaillante. En quoi cet outil mis à la disposition de notre pays ne permettrait-il pas de défendre correctement l’environnement ?

Nous sommes étonnés que, à aucun moment, le Gouvernement ne nous ait présenté un bilan de l’application de la Charte de l’environnement, laquelle a pourtant permis, à diverses reprises, une protection convenable en matière d’environnement.

C’est dire que la volonté de dialogue exprimée par le Sénat n’a pas été saisie par l’Assemblée nationale. Par conséquent, le groupe Union Centriste ne manquera pas d’approuver la proposition faite par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)