Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Muriel Jourda, rapporteur. Madame Benbassa, vous connaissez la position traditionnelle, juridiquement étayée, de la commission des lois sur les demandes de rapport. Non seulement le Parlement ne peut pas donner d’instructions au Gouvernement, mais de surcroît nous disposons nous-mêmes de moyens d’évaluation qui nous permettent de présenter des rapports. C’est d’ailleurs le rapport que vous avez présenté avec Mme Troendlé que vous citez pour justifier votre demande.

Par conséquent, il me semble – je parle sous le contrôle de M. le président de la commission des lois – qu’il est toujours possible pour la commission de travailler sur un tel rapport.

J’ajoute qu’un organisme indépendant, l’Institut français des relations internationales (IFRI), a publié en février 2021 une étude sur le sujet qui vous intéresse, madame Benbassa – je note au passage qu’il cite votre propre rapport…

En tout état de cause, au regard de la jurisprudence habituelle de la commission des lois, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour tout vous dire, madame la sénatrice, le Gouvernement n’est pas très favorable à la multiplication des rapports. Il me semble que le Parlement dispose déjà de multiples moyens d’information et de contrôle de l’activité du Gouvernement.

Dans ces conditions, je suis contraint de vous dire que je suis défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 5.

(Lamendement nest pas adopté.)

Vote sur l’ensemble

Article additionnel après l'article 3 - Amendement n° 5
Dossier législatif : proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, à la demande du Gouvernement, nous allons interrompre nos travaux pour trente minutes.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures cinquante-neuf.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Organisation des travaux

Mme la présidente. Mes chers collègues, je tiens à vous informer que M. le garde des sceaux, ministre de la justice est retenu plus longtemps que prévu à l’Assemblée nationale, l’examen du texte pour lequel il était requis s’étant prolongé. C’est en raison de ce retard que nous n’avons pas pu reprendre nos travaux à dix-sept heures cinquante, ainsi que le Gouvernement l’avait demandé.

Nous n’avons d’autre choix que d’attendre le retour du garde des sceaux, car le ministre chargé des relations avec le Parlement n’est pas en mesure de le remplacer dans l’immédiat.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures quinze.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention
 

5

Rappel au règlement

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le garde des sceaux, cela fait maintenant près d’une heure que nous vous attendons.

Même si nous comprenons parfaitement vos impératifs, puisque vous deviez, je crois, vous rendre à l’Assemblée nationale pour assister au vote solennel sur un texte important, l’agenda du Sénat – comme celui de l’Assemblée nationale d’ailleurs – est très serré. De fait, le Gouvernement aurait peut-être pu prévoir qu’un autre membre du Gouvernement prenne le relais.

Si je le dis, c’est pour que vous parveniez à une meilleure coordination à l’avenir et que nous perdions le moins de temps possible même si, encore une fois, je comprends les raisons de votre absence dans cet hémicycle.

Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Monsieur le garde des sceaux, puisqu’il semblerait que vous souhaitiez présenter des excuses, je vous donne la parole à titre exceptionnel.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie, madame la présidente. (M. le garde des sceaux est essoufflé.)

Je tiens à présenter, malgré l’essoufflement qui est encore le mien, mes plus plates excuses à l’ensemble des sénatrices et des sénateurs.

Je suis contre le rappel à la loi, parce que je pense qu’il ne sert à rien, mais sachez que j’entends votre rappel au règlement, monsieur le président Retailleau. (M. Bruno Retailleau rit puis applaudit.) J’ai en effet mal évalué le temps qui m’était nécessaire.

Une fois encore, je vous prie de bien vouloir m’excuser de vous avoir fait attendre. Un ministre, même de bonne volonté, n’a pas le don d’ubiquité : c’est un défi trop difficile à relever.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale
Discussion générale (suite)

Irresponsabilité pénale

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale
Article 1er

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande respective du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi tendant à revoir les conditions d’application de l’article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, présentée par Mme Nathalie Goulet et plusieurs de ses collègues (proposition n° 232 [2019-2020]), et de la proposition de loi relative aux causes de l’irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l’expertise en matière pénale, présentée par MM. Jean Sol, Jean-Yves Roux, Mme Catherine Deroche, MM. François-Noël Buffet, Philippe Bas, Bruno Retailleau, Mme Nathalie Delattre et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 486) (texte de la commission n° 603, rapport n° 602, avis n° 598).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi et rapporteur.

Mme Nathalie Goulet, auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les textes que nous examinons portent sur la question de l’irresponsabilité pénale et de la place du fait fautif de l’auteur. Ce sujet est extrêmement délicat, car il est aux confins du droit, de la médecine et de la santé.

Nous avons beaucoup travaillé au Sénat sur le terrorisme, et sur cette tendance – on l’a vu lors du précédent débat – à « psychiatriser » les actes terroristes. C’est d’ailleurs à la suite des multiples attaques au couteau survenues en janvier 2020, et des déclarations d’irresponsabilité pénale de leurs auteurs, que j’ai déposé ma proposition de loi, et non à cause de l’arrêt de la cour d’appel de Paris de décembre 2019 sur l’affaire Sarah Halimi.

À l’époque, j’avais pensé dupliquer sottement la règle bien connue nemo auditur, considérant que les auteurs de ces actes, qui se seraient rendus eux-mêmes irresponsables par l’absorption d’alcool ou de stupéfiants, ne pourraient invoquer leur consommation pour se dégager de leur propre responsabilité.

Mais, finalement, j’ai changé d’avis, et pas seulement en raison de l’excellentissime travail de l’avocate générale près la Cour de cassation, Mme Zientara. (M. le garde des sceaux acquiesce.)

Je conseille d’ailleurs à ceux qui ne l’auraient pas encore fait de lire les 87 pages de l’avis qu’elle a rendu. C’est un travail de dentelle, d’un niveau tel que l’on a rarement l’occasion d’y être confronté, même dans une institution comme la nôtre. Le rapport de la commission des lois lui consacre du reste un encadré pour en souligner l’excellence.

J’ajoute que les attaques personnelles dont elle a fait l’objet à cette occasion sont tout à fait honteuses.

Cela étant, si j’ai changé d’avis, ce n’est pas tant en raison de l’excellence de ce travail, disais-je, qu’à cause d’une critique très virulente parue dans le recueil Dalloz, intitulée La turpitude du fou, et dans laquelle la transposition de la règle nemo auditur que je viens de mentionner n’avait pas reçu l’accueil chaleureux que j’escomptais.

Si l’on ne touche pas aux principes de la responsabilité pénale découlant de l’application de l’article 122-1 du code pénal, quelle place accordera-t-on et quelle réponse fera-t-on aux familles des victimes, placées dans une situation très difficile ? Que faire des auteurs de crimes et de délits pour lesquels des doutes subsistent ? Comment règlera-t-on cette question ?

Le débat devant la chambre de l’instruction a montré ses limites, car il ne s’agit en aucune façon d’une juridiction de jugement. En effet, elle ne prononce pas de peines ; les audiences d’irresponsabilité, même si elles peuvent être longues – ce fut le cas pour l’affaire Sarah Halimi, dont l’audience a duré huit heures –, peuvent se tenir en l’absence de la personne mise en examen ; enfin, les victimes n’en sortent ni apaisées ni satisfaites.

Ce genre de procès finit toujours par être celui de la justice. C’est la raison pour laquelle notre commission des lois a adopté un texte qui ne modifie pas le dispositif de l’article 122-1, mais qui, en quelque sorte, dans le continuum de la loi Dati de 2008, va ouvrir aux victimes le droit à un procès, dans les cas où le fait fautif de l’auteur a partiellement aboli son discernement. Selon une jurisprudence constante, c’est dans pareil cas que les difficultés surgissent.

Il ne s’agit pas de juger les fous, mais de savoir qui et comment on juge de l’existence d’un trouble psychiatrique exonératoire de responsabilité. Il ne s’agit donc pas de juger la folie, mais de repenser, dans les rares cas où la responsabilité pénale est contestée, l’accès au juge au sens l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.

Je vous renvoie d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, ainsi que vos services, à un article très intéressant de Mme Dervieux, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris – elle est bien placée pour connaître son fait –, sur le besoin du procès tel qu’elle l’expose : elle est assez convaincante dans sa démonstration.

En tous les cas, si vous ne modifiez pas l’article 122-1 du code pénal, monsieur le garde des sceaux, il faudra malgré tout trouver une solution. Je vous invite à cet égard à suivre la position que notre commission a adoptée.

Nous devons trouver le moyen le plus juste d’appréhender les effets du fait fautif sur l’irresponsabilité de l’auteur d’un acte criminel ou délictuel. C’est bien au juge qu’il appartient de décider de l’irresponsabilité pénale et, singulièrement, du lien entre le fait fautif et l’irresponsabilité.

Dans le prolongement de la réforme Dati de 2008, la commission des lois a donc choisi un renvoi par le juge d’instruction vers le juge du fond, à savoir le tribunal correctionnel ou la cour d’assises, lorsque le fait fautif de l’auteur a causé, au moins partiellement, l’abolition temporaire de son discernement.

La cause est nécessairement au moins partielle, car les causes exclusives ne se rencontrent presque jamais. L’abolition du discernement doit être temporaire, car l’abolition définitive du discernement doit continuer d’empêcher tout procès.

En modifiant non pas l’article 122-1 du code pénal, mais, au contraire, le code de procédure pénale, nous apportons deux innovations majeures dans notre droit : la première est la prise en compte du fait fautif antérieur sur l’abolition du discernement ; la seconde est que, dans le cas d’un fait fautif, l’abolition du discernement entraîne non pas l’irresponsabilité, mais le renvoi vers le juge du fond, qui, lui, se prononce sur l’irresponsabilité et pourra ne pas la reconnaître.

On nous reproche que les tribunaux correctionnels, et, surtout, certaines cours d’assises ne prononceront pas l’irresponsabilité pénale en cas de fait fautif. Je rejette totalement cette idée qui suppose que les jurés populaires des cours d’assises seraient incapables de juger au cas par cas, ce qui est leur mission. Au contraire, qui mieux que le juge du fond saura placer correctement le délicat curseur entre responsabilité en raison d’un fait fautif et irresponsabilité partielle du fait de l’abolition du discernement.

Cette solution, qui permettra de décider de l’application de l’article 122-1 du code pénal, est celle qui nous paraît offrir les garanties les plus importantes au regard des principes de notre droit, répondre aux interrogations légitimes de l’opinion publique et donner satisfaction aux victimes.

En 2018, on a dénombré 326 non-lieux pour abolition du discernement et 13 495 classements sans suite, soit un doublement des cas motivés par l’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux de la personne mise en cause. Le nombre de cas a doublé entre 2012 et 2018. Alors, certes, ils ne constituent que 0,7 % de l’activité des parquets, mais ils représentent tout de même près de 14 000 affaires. C’est beaucoup !

Une autre option aurait été de créer une infraction spécifique en cas d’homicide en situation d’abolition du discernement, comme cela existe en Suisse ou en Espagne.

Dès janvier 2020, après un débat de contrôle sur le sujet avec Mme Belloubet, nous avions demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée pour tenter d’identifier quelle pourrait être la meilleure solution. Nous n’en avons pas trouvé, et il nous a paru totalement inopportun de créer un nouveau délit. Tout cela pour dire que la solution que la commission a adoptée semble être la plus claire et la plus lisible.

Par cohérence, la commission des lois a cependant choisi de prévoir que l’intoxication alcoolique ou par stupéfiant constitue un cas d’aggravation systématique des peines et délits inscrits au code pénal. On sait en effet très bien que ces intoxications sont très souvent la cause de l’irresponsabilité.

Je laisserai mon collègue Jean Sol développer l’importante question de l’expertise psychiatrique, qui se fonde sur le très important travail qu’il a conduit au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois. Il vous interpellera, monsieur le garde des sceaux, sur l’état de l’expertise psychiatrique, son manque de personnel et de moyens, et les difficultés des conditions d’exercice de cette mission essentielle à tous les niveaux de l’instruction et du jugement.

La commission des lois a cherché, sur la question complexe de l’irresponsabilité, à trouver une solution équilibrée, conforme à nos principes et permettant, nous l’espérons, de progresser ensemble.

Nous savons que vous êtes en train d’élaborer un texte en la matière. Nous savons aussi que la commission des lois de l’Assemblée nationale a lancé une mission « flash » sur la question, même si elle ne m’a malheureusement pas auditionnée. Nous attendons donc de connaître votre position sur ce sujet précis.

Nous avons sollicité notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Justice », pour mener un travail spécifique sur le budget de votre ministère en ce qui concerne l’expertise psychiatrique.

Nous sommes également déterminés à engager un travail en profondeur sur l’indemnisation des victimes.

Le texte de la commission des lois est, je le répète, clair et lisible. Quelques amendements ont été déposés. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous pourrez le soutenir ou, en tous les cas, que vous nous donnerez votre point de vue sur ce dossier important, car, voyez-vous, au-delà de l’affaire Halimi, ce sont des centaines de victimes qui attendent que nous réglions le problème de l’irresponsabilité liée à la faute de l’auteur des faits incriminés. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol, auteur de la proposition de loi et rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)

M. Jean Sol, auteur de la proposition de loi et rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative à la responsabilité pénale et à l’expertise psychiatrique.

Deux textes ont été examinés conjointement par la commission des lois : l’un, déposé par notre collègue Nathalie Goulet, visait à modifier l’article 122-1 du code pénal ; le second, dont je suis l’auteur, prévoyait également de modifier cet article, mais visait aussi, et surtout, les conditions de l’expertise psychiatrique en matière pénale.

C’est en tant qu’auteur que j’interviens donc aujourd’hui, mais – et je sais que ce n’est pas la règle habituelle dans notre assemblée – également en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.

Ces deux propositions de loi concernent un sujet grave : l’appréciation portée sur l’état mental d’une personne au moment des faits qu’elle est accusée d’avoir commis.

Elles ont en partie été pensées en réaction à certaines affaires tragiques que nous avons encore malheureusement tous à l’esprit. Je pense ici particulièrement à l’assassinat de Sarah Halimi et à l’émotion que cet acte antisémite a suscitée dans notre pays.

En tant que législateur, il nous appartient cependant d’écrire le droit non pas en réaction aux horreurs commises, mais bien pour le temps long.

Concernant la rédaction de l’article 122-1 du code pénal, que l’article unique de la proposition de loi de Mme Goulet et l’article 1er de ma proposition de loi entendaient modifier, la commission des affaires sociales ne s’est pas prononcée, se montrant ouverte aux intentions exprimées par le rapporteur de la commission des lois.

L’article 122-1 du code pénal pose un principe d’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du discernement au moment des faits en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique. Il prévoit en outre le cas d’une altération du discernement.

Mme Goulet souhaitait lever l’application des dispositions de cet article en cas de faute de l’auteur. Je souhaitais, pour ma part, inscrire que l’abolition du discernement ne pouvait résulter que d’un état pathologique ou d’une exposition contrainte aux effets d’une substance psychoactive. J’insiste sur la notion de « contrainte » que l’article 1er tendait à introduire.

Comme plusieurs de nos collègues l’ont très justement fait remarquer en commission, il est parfois délicat, voire impossible de prévoir l’ensemble des cas possibles lorsque l’on légifère. C’est bien au juge qu’il appartient de décider : nous devons donc faire preuve de prudence quand nous modifions les instruments du droit dont il dispose.

Je constate que, sur l’initiative de son rapporteur, dont je salue le travail, la commission des lois a retenu un autre dispositif que ceux qui étaient proposés. Nous allons en discuter dans quelques minutes.

J’en viens maintenant aux articles relatifs à l’expertise.

Ces dispositions sont, je le rappelle, issues des conclusions des travaux menés avec notre collègue Jean-Yves Roux au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois sur l’expertise psychiatrique et psychologique.

Ce rapport et les vingt préconisations qu’il formule étaient le fruit de plus d’un an de travail sur la mission peu connue des experts psychiatres ou psychologues, entre justice et santé.

J’avais alors insisté sur les conditions de réalisation des expertises et les modalités d’exercice des experts, en soulignant un manque criant de moyens. Je tiens à profiter de cette tribune pour interpeller M. le garde des sceaux, ministre de la justice, et le Gouvernement sur cette question.

Les conditions dans lesquelles les expertises sont diligentées et réalisées ne sont parfois pas à la hauteur des enjeux que ces expertises peuvent soulever. Quant au travail des experts, force est de constater que les critères de rémunération ne correspondent pas à la complexité de certaines affaires.

Je le sais, ce sujet est pour partie réglementaire et budgétaire, et il est du ressort du Gouvernement d’y travailler et d’y répondre.

La proposition de loi relative aux causes de l’irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l’expertise en matière pénale reprend les recommandations d’ordre législatif figurant dans ce rapport d’information.

Neuf articles portent sur l’expertise ; cinq concernent l’expertise présentencielle. Nous avons ainsi souhaité concentrer l’expertise sur les seules causes d’irresponsabilité ou d’atténuation de la responsabilité pénale – c’est l’objet de l’article 2 –, mais aussi prévoir à l’article 3 un délai maximal de deux mois après l’incarcération pour la réalisation de la première expertise. Sur ce second sujet, je connais les réticences, mais, là encore, j’estime qu’il s’agit pour l’essentiel d’une question de moyens.

Toujours en ce qui concerne l’expertise présentencielle, nous avons tenu, à l’article 4, à exclure l’expertise psychiatrique de l’examen clinique de garde à vue.

Pour ce qui est des moyens des experts pour réaliser leur mission, nous avons proposé d’intégrer le dossier médical aux scellés : tel est l’objet de l’article 5.

Enfin, à l’article 6, nous avons souhaité mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter une contre-expertise.

Les trois articles suivants ont trait à l’expertise postsentencielle.

Nous avons voulu inscrire la communication systématique par le juge d’application des peines des résultats des expertises aux experts chargés de l’examen des détenus et aux conseillers des services pénitentiaires d’insertion et de probation : c’est l’objet de l’article 7.

À l’article 8, nous avons jugé nécessaire de prévoir une meilleure répartition des missions entre l’équipe chargée de l’évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité et l’expert postsentenciel.

Nous avons enfin prévu la possibilité pour l’expert psychiatre postsentenciel d’assurer les fonctions de médecin coordonnateur du détenu lors de sa sortie d’incarcération : tel est le sens de l’article 9.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi, l’article 10, vise à renforcer les obligations déontologiques des experts et prévoit une déclaration d’intérêts obligatoire.

La commission des affaires sociales a adopté trois amendements qui ont également été présentés par le rapporteur de la commission des lois.

Le premier, à l’article 4, tend à préserver l’obligation légale d’expertise psychiatrique dans le cas des infractions sexuelles. Le deuxième vise à modifier l’article 5 pour prévoir une transmission obligatoire du dossier médical sans passer par le juge. Le dernier, qui porte sur l’article 10, a pour objet de contraindre les experts à un devoir de réserve sur les affaires en cours.

Pour finir, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, et en tant qu’auteur de l’une des deux propositions de loi, je tiens à souligner deux principes fondamentaux en matière de justice concernant l’état de la personne jugée.

Nous devons garder à l’esprit dans ce débat que c’est bien de l’état de la personne, et de son état mental, en l’occurrence, que nous parlons. Le principe d’irresponsabilité pénale doit être regardé comme un principe fondamental de notre droit pénal. Il s’inscrit dans la tradition humaniste de notre pays et le principe selon lequel « on ne juge pas les fous ».

Enfin, je rappelle que le droit à un procès équitable est garanti par la Convention européenne des droits de l’homme et que nous devons toujours avoir à l’esprit que n’ont vocation à comparaître et à être jugées que des personnes en capacité de l’être au regard de leur état médical. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la décision de la Cour de cassation du 14 avril 2021, qui a confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Sarah Halimi-Attal, n’a pas été comprise. Elle a suscité une très forte et très légitime émotion.

Les pouvoirs publics doivent y répondre, sur le fondement d’une analyse claire et partagée des améliorations souhaitables et possibles de notre droit.

À cet égard, il me semble que deux éléments doivent d’emblée être soulignés. D’une part, l’abolition du discernement de l’auteur d’un homicide peut aujourd’hui résulter de son intoxication volontaire, notamment après l’absorption de substances stupéfiantes. D’autre part, la haute juridiction de l’ordre judiciaire n’a fait qu’appliquer le droit actuel, dans ce dossier douloureux, en dressant le constat, par les mots de son avocat général, « que les dispositions de l’article 122-1, premier alinéa, du code pénal ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement ».

Je voudrais d’ailleurs me joindre à votre hommage, madame la rapporteure : Mme l’avocat général Zientara-Logeay a effectivement réalisé un travail absolument remarquable. Comme vous, je ne peux qu’inviter chacun à lire ce texte, d’une grande précision, d’un grand intérêt et tout à fait éclairant sur l’état de notre droit.

Le moment me semble venu de faire évoluer ce droit, comme la Cour de cassation, elle-même, y invite le législateur. En effet, ainsi que ma prédécesseure l’avait indiqué dans cette enceinte, lors d’un débat organisé sur l’initiative de votre groupe, madame la rapporteure, il était nécessaire d’attendre l’énoncé de la Cour de cassation. Celle-ci a désormais dit les choses clairement : le juge ne peut distinguer là où le législateur ne le fait pas.

Comme je l’ai annoncé voilà quelques semaines, j’ai mené à la suite de la prise de parole du Président de la République une large consultation sur la modification du régime de l’irresponsabilité pénale. J’ai reçu les représentants des cultes, des magistrats, des experts psychiatres, des professeurs de droit.

Il s’agit d’un sujet éminemment complexe et vous-même, madame la rapporteure, avez pu évoluer dans votre appréhension de la réponse à apporter, dans un sens que, d’ailleurs, je salue.

Fort de ces consultations, et des avis concordants qui en sont issus, je vous rejoins sur le fait que l’article 122-1 du code pénal ne doit pas être modifié.

Article fondamental de notre droit positif, il est et doit rester le garant du principe essentiel posé par l’article 121-3 du même code : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

Dans notre pays, comme dans toutes les démocraties dignes de ce nom, on ne juge pas les fous. Revenir sur ce principe serait une régression insupportable, une ligne rouge qui ne doit pas être franchie et, bien sûr, ne le sera pas.

Cette cause traditionnelle d’irresponsabilité pénale répond à une exigence juridique, constitutionnelle et conventionnelle, qui est essentielle dans tout État de droit respectueux des libertés individuelles et de la personne humaine, et qu’il n’est nullement question de remettre en cause.

Je le dis et le redis, il n’est pas envisageable de condamner une personne pour un acte commis alors qu’elle ne disposait pas de son libre arbitre.

Nos débats nous permettront néanmoins d’échanger sur le contenu de l’article 1er de la proposition de loi, tendant à prévoir l’organisation systématique d’un débat devant la juridiction de jugement lorsque l’abolition temporaire du discernement de la personne mise en cause résulte au moins partiellement de son fait fautif.

Mais, du fait de la sensibilité toute particulière du sujet qui nous réunit aujourd’hui, il me semble indispensable de bénéficier des éclairages du Conseil d’État. J’ai donc souhaité disposer de son avis éclairé avant toute modification éventuelle du régime d’irresponsabilité pénale.

C’est pourquoi, comme je m’y étais engagé, le Gouvernement vient de soumettre à l’examen de celui-ci un projet de loi qui permettra de limiter l’irresponsabilité pénale lorsque l’abolition du discernement résulte d’une intoxication volontaire.

Vous comprendrez donc, mesdames, messieurs les sénateurs, que dans l’attente de cet avis du Conseil d’État, je me borne aujourd’hui aux quelques observations suivantes sur le texte proposé par votre commission.

Je tiens d’abord à saluer l’important travail réalisé par ses soins et les modifications apportées au projet initial. Nous nous rejoignons désormais sur la nécessité de ne pas modifier les règles posées par l’article 122-1 du code pénal et de maintenir l’irresponsabilité pénale en cas de disparition du libre arbitre.

Mais pourquoi, comme prévu dans la proposition de loi, saisir la juridiction de jugement, notamment la cour d’assises ?

Est-ce pour permettre aux jurés d’écarter l’article 122-1, car ils estimeraient que le discernement de la personne était simplement altéré, et non aboli ? Si les experts et le juge d’instruction ont conclu à l’absence de doute sur l’abolition du discernement, ce renvoi ne me semble pas justifié.

Est-ce pour permettre aux jurés de considérer que les dispositions de l’article 122-1 ne devraient pas s’appliquer, au motif que la disparition du libre arbitre résulte d’une consommation illicite, et donc fautive, de stupéfiants ? Il faudrait alors que cette exception soit explicitement prévue par la loi !

Je suis par ailleurs très réservé sur les dispositions de l’article 2 de cette proposition de loi, tendant à insérer une disposition générale d’aggravation des peines en cas d’infraction commise « en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise manifeste de stupéfiants ». Cette aggravation existe déjà dans de nombreux cas, comme les violences, le viol ou les agressions sexuelles. Elle pourrait sans doute être prévue pour d’autres infractions comme le meurtre. Mais la généralisation souhaitée ne va-t-elle pas à l’encontre de l’objectif visé, en banalisant pour toutes les infractions, même les moins graves, les consommations de substances psychotropes ?

S’agissant des dispositions relatives aux expertises, prévues aux articles 3 à 9 de la proposition de loi, elles sont le fruit d’un important travail des sénateurs Jean Sol et Jean-Yves Roux, que je tiens ici à saluer.

Après analyse, certaines ne me semblent pas relever de la loi et peuvent susciter des interrogations.

S’il est évident qu’une expertise psychiatrique doit intervenir aussi rapidement que possible, faut-il impérativement prévoir sa réalisation dans les deux mois du placement en détention provisoire de la personne ? Quelles seront les conséquences du non-respect d’un tel délai ? La nullité de l’expertise réalisée au-delà de ce délai ? L’impossibilité de procéder, hors délai, à cette expertise ? Et si la personne n’est arrêtée que plusieurs mois, voire plusieurs années après les faits, ce délai de deux mois a-t-il encore un sens ?

J’en viens à l’article 10 et aux obligations déontologiques des experts. Je tiens à préciser que celles-ci rejoignent pleinement les projets d’amélioration sur lesquels j’ai demandé aux services de la Chancellerie de travailler.

Il importe effectivement d’éviter des conflits d’intérêts lorsqu’une personne est chargée d’une expertise, et cette question dépasse évidemment la seule hypothèse des expertises psychiatriques.

L’expert doit donc faire connaître ses activités professionnelles ou bénévoles, ainsi que ses fonctions ou mandats électifs, passés ou en cours, susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts. Mais il ne me semble pas pertinent, comme proposé à l’article 10, d’imposer à l’expert des déclarations avant chacune de ses expertises, pas plus qu’on ne demande une déclaration d’intérêts aux magistrats avant chaque décision, ou aux parlementaires avant chaque vote.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme pour le texte précédent sur les sortants de prison, j’observe que nous travaillons sur des projets parallèles et, en réalité, très complémentaires. J’y vois un nouveau témoignage de l’implication conjointe du Sénat et du Gouvernement sur les sujets d’importance pour nos concitoyens. Je rappelle, pour être complet, que la commission des lois de l’Assemblée nationale a lancé de son côté une mission « flash » sur le sujet de l’irresponsabilité pénale.

L’occasion m’est donc à nouveau donnée de saluer la mobilisation des deux chambres du Parlement.

Toutefois, le travail engagé par le Gouvernement sur la question de l’irresponsabilité pénale, désormais soumis à l’avis du Conseil d’État, me semble mieux à même de répondre à la problématique posée par la décision de la Cour de cassation. Il permettra également de garantir la sécurité juridique des dispositions, lesquelles, en tout état de cause, seront examinées par le Parlement, à qui il reviendra de les modifier et de les compléter.

Je n’en doute pas, les propositions concrètes formulées aujourd’hui par le Sénat viendront utilement nourrir le projet de loi qui vous sera présenté prochainement.