M. le président. La parole est à Mme Vanina Paoli-Gagin.

Mme Vanina Paoli-Gagin. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous le savons, la France fait partie des États européens dont les prisons sont les plus encombrées et dont la population pénale augmente. En 2019, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté établissait que la densité moyenne des maisons d’arrêt en France était de 138 personnes pour 100 places opérationnelles, quarante-quatre de ces établissements ayant une densité supérieure à 150 %. Pour certains d’entre eux, le taux d’occupation pouvait aller jusqu’à 200 %, voire 213 %.

Alors que le principe d’encellulement individuel est inscrit dans notre droit depuis la loi de juin 1875 sur le régime des prisons départementales, cette surpopulation chronique a de graves conséquences sur les droits et la dignité des détenus. Notre pays est d’ailleurs régulièrement condamné pour des conditions de détention contraires aux dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Prenant acte des divers arrêts et sanctions visant notre République, la proposition de loi présentée par notre collègue François-Noël Buffet a deux objets principaux : le premier est de garantir à tous les détenus des conditions de détention compatibles avec le principe de dignité de la personne humaine ; le second est de créer une voie de recours effective lorsque la dignité du détenu est bafouée. Je me réjouis donc que la commission mixte paritaire soit parvenue à une rédaction commune de l’ensemble des dispositions restant en discussion. Je souhaite néanmoins faire plusieurs remarques.

En premier lieu, je regrette que, sur ce sujet, ce soit une proposition de loi qui vienne apporter une réponse aux injonctions qui sont adressées à la France et que le Gouvernement n’ait pas affiché de véritable ambition pour faire cesser une situation insupportable au pays des droits de l’homme.

En second lieu, il est bien évident que l’adoption de cette proposition de loi ne résoudra pas, à elle seule, le problème posé par les conditions de détention dans notre pays. Elle ne nous dispensera pas non plus de poursuivre notre programme de construction et de rénovation de places de prison.

Je veux rappeler que le Gouvernement s’est engagé à ouvrir 7 000 places d’ici à 2022 et à lancer des opérations pour l’ouverture de 8 000 places supplémentaires à l’horizon de 2027. Mon collègue Alain Marc, dans le cadre des travaux de la commission des lois, a régulièrement relevé le manque d’ambition de ce programme, qui se contente de prolonger des projets lancés par la précédente majorité, alors qu’il faudrait les amplifier.

J’espère que vos annonces, monsieur le garde des sceaux, seront suivies d’effets concrets. Aussi, je souhaite insister sur la nécessité de ne voir ni retard ni mesures budgétaires affecter ou freiner la réalisation de ce programme immobilier.

Avant de conclure, je souhaite exprimer toute ma reconnaissance aux personnels pénitentiaires. J’aurai une pensée toute particulière pour ceux de la maison centrale de Clairvaux, que vous avez rencontrés, monsieur le garde des sceaux. Ils remplissent une mission majeure, dans des conditions de travail souvent très difficiles.

Mes chers collègues, reconnaître et respecter la dignité des détenus n’est pas une mesure de complaisance. Il s’agit d’une mesure indispensable pour faire de ces derniers des citoyens à part entière et leur permettre une vraie réinsertion dans le corps social.

Cette proposition de loi représente une grande avancée pour notre démocratie. Le groupe Les Indépendants, particulièrement attentif au respect des droits fondamentaux des personnes, votera ce texte à l’unanimité. (Mme Marie Mercier applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, entre surpopulation carcérale et conditions de détention inhumaines et dégradantes, nos prisons ne sont plus, depuis bien trop longtemps maintenant, à l’image d’un pays qui se revendique patrie des droits de l’homme.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est vrai !

M. Guy Benarroche. Comme le rappelle l’Observatoire international des prisons, pas moins de quarante établissements sur l’ensemble du territoire ont fait l’objet de condamnations en raison de conditions indignes de détention.

Les décisions rendues depuis des années sont édifiantes et font honte à notre pays. Comment encore accepter, au XXIe siècle, qu’un juge doive imposer de vérifier que chaque cellule dispose d’un éclairage et d’une fenêtre en état de fonctionnement ou demander à l’administration pénitentiaire de trouver un autre moyen de servir les repas que de déposer les barquettes à même le sol ?

Ce n’est pas nouveau. C’est, hélas ! une réalité bien ancrée dans notre pays, et nous ne cessons de critiquer le sort réservé aux détenus dans les prisons françaises.

Les chiffres de la surpopulation sont aussi alarmants : en moins de vingt ans, les prisons françaises sont passées de 48 000 à 72 000 personnes détenues. Si ce chiffre a récemment connu une légère baisse liée à la crise sanitaire, il n’en reste pas moins qu’au 1er janvier 2021 ce sont plus de 20 000 personnes qui sont encore détenues dans des établissements, dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %, allant même parfois jusqu’à 200 %. Cette surpopulation carcérale est une constante des dix dernières années.

Cette situation, nous ne pouvons pas prétendre la découvrir aujourd’hui. Déjà en 2018, ma collègue Esther Benbassa interpellait le Gouvernement sur les violences et les mauvais traitements que subissaient certains détenus à la prison de Villefranche-sur-Saône. La garde des sceaux d’alors ne lui avait formulé, hélas ! qu’une réponse reflétant le déni ordinaire des pouvoirs publics face à ce sujet si important, mais très peu traité par les médias ou porté par la société civile.

Elle n’est pas la seule à avoir tenté d’alerter ces dernières années. Pourtant, ces nombreux appels sont restés lettre morte jusqu’aux décisions de la CEDH du 30 janvier 2020 et surtout du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier.

La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi notifié à la France qu’elle devait, pour mettre fin aux conditions indignes de détention, prendre des mesures pour se mettre en conformité avec le droit européen et notamment parvenir à une résorption définitive de la surpopulation carcérale.

Le texte résultant de la commission mixte paritaire ne vient pas s’attaquer à ce problème : il répond à l’injonction de la deuxième décision, celle du Conseil Constitutionnel, qui a considéré qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge pour des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. L’échéance avait été fixée au 1er mars 2021, ce qui explique la précipitation avec laquelle ce texte a été inscrit à l’ordre du jour de notre chambre.

Parce que la défense de la dignité des personnes détenues est notre engagement de longue date, nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi et nous y associer.

Monsieur le garde des sceaux, selon votre prédécesseure, l’objectif du Gouvernement était que, « d’ici à la fin du quinquennat, des conditions de détention plus dignes et conformes aux engagements européens soient mises en place ». Le temps presse. L’action de notre chambre pour apporter sa pierre à cette transformation nécessaire du système carcéral vous oblige.

Cette proposition de loi est une première étape. À défaut de présenter une mesure construite, forte, pour une lutte systémique contre les conditions indignes, elle permet une plus grande effectivité pour les personnes détenues de voir leur situation individuelle s’améliorer. Nous attendons toutefois une amélioration urgente des conditions de vie dans les lieux de détention, ainsi que des relations entre les personnes détenues et les surveillants. Nous attendons aussi davantage d’écoute de la part du personnel médical et d’encadrement de ces établissements. Il est également important d’accorder une plus grande attention aux travaux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Ce n’est pas en construisant de nouvelles prisons, sitôt construites, sitôt remplies, que l’on réglera le problème de la surpopulation carcérale.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Guy Benarroche. La réforme des lieux de privation de liberté reste un chantier ample et complexe, qui ne se limite pas à la question du foncier.

En attendant, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte, lequel, à défaut de s’attaquer au problème général de la surpopulation carcérale, permet aux individus enfermés de faire valoir leurs droits face à ce naufrage. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Maryse Carrère et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, à la suite de plusieurs décisions récentes de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel nous a enjoint implicitement – en abrogeant l’alinéa 2 de l’article 144-1 du code de procédure pénale – à mettre notre droit en conformité, au 1er mars 2021, avec l’exigence de création d’une voie de recours effective contre des conditions de détention indignes. Après un essai infructueux du Gouvernement, en décembre dernier, d’insérer un amendement à cet effet lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen, le président de la commission des lois du Sénat a déposé, en février 2021, une proposition de loi s’en inspirant. Un mois et demi plus tard, Sénat et Assemblée nationale parvenaient sans peine à un accord sur ce texte lors de la commission mixte paritaire qui s’est tenue le 23 mars dernier.

La proposition de loi de notre collègue François-Noël Buffet organise donc ce recours au juge judiciaire pour tous les détenus – qu’ils se trouvent en détention provisoire ou qu’ils soient condamnés – demandant à ce qu’il soit mis fin aux conditions de détention qui seraient contraires à la dignité humaine. L’article 803-8 nouveau, inséré dans le code de procédure pénale, permettra ainsi au juge de demander à l’administration pénitentiaire de vérifier la situation d’un détenu ayant apporté un commencement de preuve avec des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles, et d’apporter ses observations.

Si le magistrat juge cette requête fondée, il fera savoir à l’administration les conditions de détention qu’il estime indignes et lui demandera d’y mettre fin en moins d’un mois. Si l’administration ne s’exécute pas, le juge pourra alors ordonner une mise en liberté, s’il s’agit d’un prévenu, un aménagement de peine pour un condamné ou le transfèrement de la personne – cette dernière possibilité devra bien évidemment tenir compte de la vie privée et familiale du requérant.

L’Assemblée nationale a respecté le dispositif présenté par le Sénat en précisant néanmoins les délais successifs applicables à chaque étape de la procédure, y compris en appel, en soumettant la présentation de requêtes successives par un même détenu à l’existence d’éléments nouveaux afin d’éviter l’engorgement des tribunaux et en obligeant l’administration pénitentiaire à informer le juge des mesures prises.

Nous en sommes tous conscients, la création de cette voie de recours indispensable ne saurait, à elle seule, redresser la situation que connaissent les établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer de notre pays depuis de très nombreuses années. C’est la politique de déflation carcérale, menée par le Gouvernement et matérialisée par l’augmentation des crédits consacrés à la rénovation du parc pénitentiaire et au recrutement de personnel, par la construction de nouvelles places de prison et par la multiplication, chaque fois que cela est possible, des alternatives à l’enfermement, qui pourra en venir à bout.

Encourageant le Gouvernement à poursuivre et à amplifier son action en ce sens, le groupe RDPI votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il me revient de vous exposer la position du groupe du RDSE concernant les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de cette proposition de loi issue des travaux du Sénat.

Comme j’ai pu l’énoncer en première lecture, la France a été condamnée de nombreuses fois pour non-respect de la dignité des détenus : dix-neuf fois par la CEDH au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. Aussi apparaissait-il urgent de faire cesser ces violations.

Toutefois, ne soyons pas dupes : l’adoption de cette proposition de loi ne mettra pas fin à la surpopulation carcérale, non plus qu’à des années d’abandon des prisons. Elle n’empêchera pas non plus l’entrée dans une délinquance profonde que peut provoquer un passage en détention. Elle ne permettra pas non plus de lutter contre l’insalubrité carcérale, qui touche près de trente-cinq établissements pénitentiaires français, selon l’Observatoire international des prisons. Pour cela, il faudra du temps et de la volonté politique. Nous y veillerons.

À ce terrible constat, s’ajoutait celui de l’impossibilité, dans notre droit, de signaler ces conditions et donc de les faire cesser. C’est là tout l’intérêt de cette proposition de loi. Je remercie le président de la commission des lois de l’avoir déposée. En créant un droit de recours effectif pour les prisonniers, ce texte permet à la France d’être en conformité avec ses engagements internationaux. C’est à ce titre que nous soutiendrons les conclusions de cette commission mixte paritaire.

Pour être efficace, ce recours devra nécessairement être rapide, ce que ne garantit pas le texte. Nous serons donc particulièrement vigilants quant à son application.

Enfin, la création de ce recours nous donne l’occasion de réfléchir plus largement à l’incarcération et à ses conséquences dans le parcours des délinquants. Pensons à d’autres types de peines, sans remettre en cause le principe de l’incarcération. Interrogeons-nous sur les causes de la délinquance et ses motifs, notamment quand un cinquième des détenus est incarcéré pour une infraction liée aux stupéfiants. Ne nous interdisons pas de regarder ce qui se fait ailleurs en Europe.

Je voudrais dire un dernier mot sur les mineurs incarcérés dans nos prisons. Même si la plupart d’entre eux sont détenus dans un des six établissements pénitentiaires spécialisés, beaucoup se trouvent dans les quartiers pour mineurs des prisons, où il n’est pas rare qu’ils subissent les mêmes conditions matérielles indignes et vétustes. Et que dire de l’intervention éducative continue quand les mineurs peuvent attendre plus d’un mois avant de voir un premier professeur ? Dans ces conditions, l’incarcération est bien loin de remettre les mineurs dans le droit chemin. Tout au contraire, elle peut les en détourner de manière durable.

Vous l’aurez compris, malgré ces interrogations, le groupe du RDSE approuvera les conclusions de la commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a décidé, le 2 octobre dernier, que le Gouvernement devait produire une loi, avant le 1er mars 2021, permettant aux personnes placées en détention provisoire de faire respecter le droit à être incarcéré dans des conditions dignes. Nous sommes aujourd’hui le 25 mars, et le texte qui arrive en bout de course n’est pas d’initiative gouvernementale, mais sénatoriale.

Le travail est donc fait, et vous conviendrez, monsieur le garde des sceaux, qu’il était plus que temps : cette injonction du Conseil constitutionnel fait suite à un certain nombre de condamnations de notre pays par les instances européennes pour conditions de détention inhumaines et dégradantes. Et nous oublions souvent que des conditions de détention indignes sont synonymes de conditions de travail extrêmement dégradées pour nos personnels pénitentiaires !

Vous avez coutume de rappeler, en référence à Albert Camus, qu’« une société se juge à l’état de ses prisons ».

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Fabien Gay. La proposition de loi que nous allons définitivement adopter aujourd’hui vient, comme une piqûre de rappel, nous signaler que l’état de nos prisons n’est pas reluisant. Ce n’est ni de votre fait ni de celui du gouvernement auquel vous appartenez, mais de la responsabilité de l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé depuis tant d’années. Je vous laisse tirer les conclusions que vous souhaitez sur ce que cela reflète de notre société.

Au groupe CRCE, nous ne sommes guère surpris. Nous faisons régulièrement valoir notre droit de visite parlementaire dans les lieux de privation de liberté, et nous alertons régulièrement, notamment lors des dernières grandes réformes de la justice, sur les problèmes structurels des prisons françaises, dont celui de la surpopulation carcérale que nous ne parvenons pas à enrayer. Il s’agit de l’une des causes principales des conditions de détention non conformes à la dignité humaine.

Cela met surtout en lumière une ambition carcérale réduite à la détention de détenus, au détriment d’une véritable réflexion sur le sens de la peine et d’une politique de réinsertion ayant les moyens de ses ambitions.

Votre idée de suppression des réductions de peines automatiques pourrait commencer à avoir du sens si les détenus avaient effectivement accès aux activités éducatives de réinsertion, aux formations et à l’emploi. Il n’en est rien, ou si peu aujourd’hui, comme l’a souligné récemment la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot.

Nous souscrivons à cette proposition de loi, mais notre vote s’accompagne d’une forme d’amertume devant le retard accumulé sur cette question. Malheureusement, nous avons la conviction que cela ne changera pas grand-chose au regard des obstacles dressés sur le parcours du détenu, avant même le dépôt d’un recours, lorsqu’il estimera indignes ses conditions de détention. Cela fait beaucoup.

Selon l’Observatoire international des prisons (OIP), avec cette mesure « lourde de conséquence », « aucune assurance n’est apportée en ce qui concerne les conditions de détention dans l’établissement d’accueil, le maintien des liens familiaux – quand la personne est prévenue – ou encore la sauvegarde des autres droits fondamentaux, tels que le droit à la santé si la personne est engagée dans un parcours de soin, ou encore le droit à la réinsertion pour les personnes qui suivent une formation, travaillent ou préparent un projet d’aménagement de peine ». Tout cela fait dire à l’OIP que, « s’il représente une avancée par rapport à l’existant, le dispositif adopté reste très largement insatisfaisant ».

Notre collègue, M. Sueur, a tenté en vain de vous soumettre des amendements visant à améliorer le dispositif de transfèrement, mais aucun n’a été adopté, ce qui est regrettable. Il semblerait que cette proposition de loi ait pour seule visée de satisfaire à l’attente du Conseil constitutionnel.

Mais qu’en est-il sur le fond ? Quel sens donner à ce texte ? Il devrait, selon nous, être un point de départ à une réflexion d’envergure sur la décroissance carcérale à engager d’urgence, seule réponse qui vaille pour lutter efficacement contre les conditions de détention indignes en attendant, bien évidemment, de revoir l’échelle des peines et de s’intéresser sérieusement au sens de la peine.

Nous voterons pour les conclusions de cette commission mixte paritaire. Nous prenons en compte l’avancée, mais nous avons encore beaucoup d’attentes sur l’avenir. Nous ferons preuve d’une vigilance accrue sur cette question. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Vérien.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voici réunis à nouveau autour de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention après son passage en commission mixte paritaire, chargée, le 23 mars dernier, de trouver un compromis.

Mon groupe et moi-même nous félicitons de ce travail parlementaire, et ce d’autant plus qu’il s’agissait de pallier l’absence de réaction du Gouvernement après que le Conseil Constitutionnel, le 2 octobre 2020, l’a enjoint de légiférer sur le sujet. Il fallait le faire rapidement : le second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale étant abrogé depuis le 1er mars dernier, les personnes placées en détention n’ont plus la possibilité de saisir le juge lorsqu’elles considèrent leurs conditions de détention indignes. Le Sénat s’en est chargé, et je remercie le président de notre commission des lois d’avoir déposé cette proposition de loi.

La commission mixte paritaire propose un dispositif efficace et équilibré. Il s’agit bien évidemment du respect des droits fondamentaux, mais pas seulement. C’est également la sécurité, tant celle des détenus que celle des personnels, et les conditions de travail de ces derniers qui sont en jeu.

Notre groupe tient à rappeler un point important : ce texte n’apportera, à lui seul, qu’une réponse très limitée au problème récurrent des conditions de détention le plus souvent déplorables qui touche beaucoup de lieux de privation de liberté de notre pays. Prévoir une voie de recours, c’est très bien ; améliorer les conditions de détention pour qu’on n’en ait plus besoin, c’est mieux !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est vrai !

Mme Dominique Vérien. Mais je sais que cette mission est extrêmement complexe, monsieur le garde des sceaux, et que le piteux état de nos prisons ne date bien évidemment pas de votre prise de fonction.

Pour remédier au problème structurel de surpopulation carcérale, la France se doit d’adopter une réforme d’ampleur visant à rénover nos établissements pénitentiaires et à enfin disposer d’un nombre de places équivalent à celui des hommes et des femmes détenus aujourd’hui en France. C’est la raison pour laquelle nous invitons le Gouvernement à maintenir ses engagements visant à ouvrir 7 000 places d’ici à 2022…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous y arrivons !

Mme Dominique Vérien. … et à lancer les opérations pour l’ouverture de 8 000 places supplémentaires à l’horizon de 2027. La mise en œuvre de ces objectifs devrait contribuer à améliorer une situation qui fait honte à notre pays.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Union Centriste soutiendra sans réserve le texte adopté par la commission mixte paritaire.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a quelque chose d’étonnant dans ce débat : j’ai écouté avec attention toutes les interventions, et je n’en ai pas entendu une seule – même si le débat n’est pas encore fini – qui soit favorable au texte. C’est que chacun sait que cette proposition de loi vise non pas à répondre aux demandes de la Cour européenne des droits de l’homme, mais à l’injonction du Conseil constitutionnel.

Je rends hommage à M. Buffet d’avoir réparé les carences du Gouvernement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ah non, pas ça !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, personne ne vous empêchait de déposer un projet de loi dès le mois d’octobre… Mais ce débat-là est terminé ; c’est du passé, tournons-nous vers l’avenir.

L’examen de ce texte a été conduit avec une grande rapidité, sans prendre en compte, ni en première lecture ni lors de la commission mixte paritaire, ce qu’ont dit et écrit à la fois l’Observatoire international des prisons et Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Je dois dire que je ne comprends toujours pas pourquoi un certain nombre d’amendements que nous avions proposés n’ont pas été adoptés, à aucun stade de la procédure. Il est même arrivé cette chose étonnante, mes chers collègues, de voir la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale voter, en commission mixte paritaire, contre un de ses propres amendements de première lecture que j’avais repris. C’est qu’il fallait que ce texte fût voté dans la rédaction suggérée par le Gouvernement et que cet amendement constituait un cavalier budgétaire…

Pour ce qui est des délais, rien ne change. Pour ce qui est des conditions dans lesquelles la requête pourra être déposée, il n’est toujours pas tenu compte des conditions générales de détention, ce qui est contraire à un arrêt de la Cour de cassation, que vous connaissez encore mieux que moi, monsieur le garde des sceaux.

Par ailleurs, le juge judiciaire n’a pas de pouvoir direct – je cite Mme la Contrôleure – comme gardien effectif de la dignité des personnes détenues, en ce que les décisions relèvent toujours de l’administration pénitentiaire et que le juge intervient après.

Le texte qui sera voté dans quelques instants organise une hiérarchie : le juge peut, premièrement, ordonner le transfèrement de la personne ; deuxièmement, la mise en liberté – s’il s’agit de détention provisoire – ; et, troisièmement, un aménagement de peine. Nous avions proposé un ordre différent : refus ! Nous avions proposé qu’il n’y ait pas de transfèrement sans accord du juge – refus ! –, puis sans avis du juge : refus également !

Monsieur le garde des sceaux, en ce qui concerne le transfèrement, nous avions demandé des garanties qui ne se limitent pas seulement à la vie familiale. Nous voulions que soient pris en compte la vie sociale, les droits de la défense, la continuité des soins, la préparation de la sortie, l’activité… Rien de tout cela ne l’a été, ce que je ne comprends toujours pas.

Je crains, et je ne suis pas le seul, que ce texte n’aboutisse qu’à des solutions faciles de transfèrement. Vous nous avez dit, voilà quelques jours, que plus de 800 personnes dorment sur des matelas à même le sol dans des cellules de trois ou quatre détenus. La personne dormant sur un matelas va saisir le juge pour conditions indignes de détention. On la transférera alors dans une autre prison, à 500 kilomètres de là, avec les conséquences que cela implique, par exemple, pour voir sa famille au parloir, puis une autre personne viendra prendre sa place, sur le même matelas…

Comme l’a très bien souligné M. Benarroche, ce n’est pas en construisant plus de prisons, même s’il faut sans doute en construire, que l’on parviendra à lutter contre la surpopulation carcérale. Il n’y aura pas de véritable réponse à ce problème si l’on ne développe pas les alternatives à la détention. À la suite de l’épidémie de covid, 6 000 personnes – vous nous l’avez annoncé la dernière fois – ont été libérées. Cela n’a pas créé de problème !

Prévoyons des alternatives à la détention, mettons en œuvre des aménagements de peine et proposons des préparations à la sortie. Toutes ces mesures permettraient de mieux s’occuper de ceux qui sont en détention et qui doivent y demeurer. Pourquoi une telle politique n’est-elle pas mise en œuvre alors que cela fait des décennies que l’on en parle ?

Bien sûr, nous ne nous opposerons pas à ce texte, puisqu’il vise à créer un droit, même si nos collègues de l’Assemblée nationale ont eu peur – c’est étrange – que ce droit ne soit trop utilisé… Quoi qu’il en soit, comme nos remarques n’ont pas été prises en considération, notre groupe s’abstiendra une fois de plus sur ce texte.