M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Monsieur le sénateur, je tiens à saluer la qualité des travaux que la commission des affaires économiques a conduits sur le sujet. Nous les avons suivis de près et je remercie la présidente Sophie Primas.

Il ne s’agit pas d’entrer aujourd’hui dans le détail des négociations. Certains fonds et acteurs financiers ont fait des propositions. Il ne serait pas responsable de prendre position pour les uns ou pour les autres tant que la situation n’est pas stabilisée.

Ce débat contribue cependant grandement à fixer le cadre global de l’opération. Celle-ci doit être amicale et non pas hostile. Elle doit préserver la concurrence entre les acteurs, car c’est essentiel pour les collectivités locales, comme vous l’avez rappelé. Elle ne doit pas porter atteinte à l’emploi dans les territoires, et nous devons y veiller, car nous savons que tout rapprochement, et a fortiori toute fusion d’entreprises, crée un risque pour l’emploi. Elle doit préserver les qualités technologiques et industrielles de ces deux grands groupes, comme un certain nombre d’entre vous l’ont indiqué.

C’est sur cette base que nous examinerons les différentes propositions. Encore une fois, dans la mesure où l’opération concerne des acteurs privés, c’est à eux qu’il revient de trouver un accord, mais je considère que celui-ci reste possible.

M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc.

M. Jean-Baptiste Blanc. Monsieur le ministre, les questions se répètent, mais nous souhaitons tous une sortie de crise, et nous la voulons tellement que je me permets d’insister.

Cette affaire a commencé depuis plus de six mois et les deux fleurons français s’écharpent par voie de presse et devant les tribunaux. Cette guerre intestine ne peut plus durer tant elle les fragilise. Elle offre en outre un spectacle au caractère assez indécent.

En tant qu’élus de la Nation, nous ne pouvons pas détourner le regard et laisser cette situation en l’état. Nous avons tous le devoir de faire pression pour que les représentants des deux entreprises échangent et trouvent une solution.

L’enjeu de l’opération est colossal, car l’eau est une denrée extrêmement précieuse, célébrée en tant que telle, le 22 mars dernier, lors de la Journée mondiale de l’eau.

Je ne m’attarderai pas sur les conséquences en matière d’emploi, que beaucoup ont déjà mentionnées. Je rappellerai seulement, et chacun l’aura compris, que l’effet de taille ne s’impose pas comme une évidence.

Il faut aussi rester très vigilant sur la situation de quasi-monopole qui pourrait découler de cette opération. Nos concitoyens et les collectivités locales seront les premières victimes en cas d’absence de concurrence significative.

Monsieur le ministre, sans aller plus avant sur ce sujet, nous n’avons vraiment pas été convaincus par les représentants du fonds Meridiam que la commission des affaires économiques a auditionnés. Leurs réponses n’avaient rien de rassurant, que ce soit sur les délégations de service public, le devenir des contrats publics ou des marchés publics pour les collectivités locales.

Dans la mesure où l’accès à l’eau et la gestion des déchets sont des secteurs particulièrement stratégiques et, de toute évidence, nous ne pouvons pas nous passer de la connaissance historique des réseaux détenue par les opérateurs.

Monsieur le ministre, il faut aider les deux entreprises à trouver cet accord hautement stratégique pour notre pays. L’État doit se faire « médiateur de la République », même s’il n’est pas strictement partie prenante, comme chacun l’a bien compris. Rien ne l’en empêche. Nous vous demandons juste encore un effort, monsieur le ministre.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Bruno Le Maire, ministre de léconomie, des finances et de la relance. Nous allons faire cet effort, monsieur le sénateur, car il est utile, même si nous rencontrons certaines réticences, pour ne pas dire davantage, de la part d’acteurs qui restent parfois campés sur leurs positions et qui ont un peu de mal à avancer sur la voie du dialogue. Peut-être n’ont-ils pas la même pratique du compromis que celle que nous avons tous ici.

Ce sens du dialogue est pourtant nécessaire pour notre industrie, pour ces deux acteurs industriels que sont Veolia et Suez, ainsi que pour leurs salariés, auxquels je pense en cet instant, notamment les salariés de Suez qui sont très inquiets et qui se demandent ce qu’ils vont devenir et ce qui va leur arriver.

Notre responsabilité à tous est justement de rassurer ces salariés, de leur donner des perspectives et de leur garantir que l’opération peut se faire à l’amiable.

Je profite de cette dernière question pour vous remercier de l’organisation de ce débat. Celui-ci a permis de définir une position qui nous rassemble tous, celle de la nécessité d’une opération amiable et de la nécessité de préserver la concurrence dans le domaine de la gestion de l’eau et du traitement des déchets.

Je ne saurais trop vous dire à quel point les auditions que vous avez menées et que vous continuerez de mener sont extrêmement utiles. En effet, elles permettent de connaître les intentions exactes des acteurs, de découvrir ce qu’ils souhaitent faire : leurs intentions sur le long terme, leurs projets industriels, leur stratégie en termes d’empreinte industrielle, d’emploi et de concurrence. Tout cela est absolument indispensable.

Je conclurai, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous adressant un grand merci. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Conclusion du débat

M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Franck Montaugé, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat proposé par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, il me revient de conclure en tirant les enseignements des arguments formulés.

Comme cela a été dit, le silence assourdissant du Gouvernement tout au long des développements de l’affaire Veolia–Suez ne manque pas de susciter des interrogations. Il s’agit en effet de deux entreprises françaises, leaders dans le domaine de la gestion de biens communs comme l’eau, qu’elles ont contribué à développer, qui sont capables d’œuvrer également avec excellence dans les secteurs qui dessinent le monde de demain.

Plus largement, la question que pose cette affaire, comme d’autres affaires qui ont déjà défrayé la chronique, souvent quand il était trop tard pour les salariés et les territoires alors concernés, est de savoir quel rôle l’État français doit jouer auprès des entreprises françaises évoluant dans une économie de marché ouverte à la mondialisation, qu’il s’agisse pour l’État d’un patrimoine industriel dont il est pour partie détenteur, ou d’actifs considérés comme stratégiques sans qu’il en soit propriétaire.

Quels sont aujourd’hui, hors situation de crise comme celle que nous vivons, les enjeux qui justifient que l’État prenne part au capital d’une entreprise – et à quel niveau ? – ou qu’il use de son influence pour sauver des actifs stratégiques ?

De notre débat, il ressort que les enjeux à prendre en compte ont trait à l’emploi et à ses conséquences territoriales, à l’impact environnemental et à la soutenabilité du secteur économique concerné, à la compétitivité des entreprises dans un monde où les chaînes de valeur ont été décomposées à l’extrême, rendant souvent difficiles leurs relocalisations.

Surplombant ces trois enjeux, la souveraineté nationale doit être en permanence notre boussole. Ce concept de souveraineté nationale doit être précisé par l’exécutif, débattu et évalué par le Parlement, peut-être dans le cadre d’une loi-cadre ou d’une loi d’orientation, monsieur le ministre.

L’affaire Veolia–Suez soulève à l’évidence des enjeux sociaux, économiques et environnementaux considérables pour notre pays. Or, depuis la sortie d’Engie du capital de Suez, qui a très vite suivi la non-reconduction de Mme Kocher et l’enclenchement de l’OPA hostile de Veolia, nous constatons un silence radio, ou presque, de la part du Gouvernement.

Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement au sujet de ces deux grandes entreprises et de leurs actifs, que nous considérons comme stratégiques, compte tenu de leur importance sur les plans national et international ? Vous avez certes répondu à cette question, mais il y en a d’autres.

Par exemple, le Gouvernement considère-t-il que l’entrée de fonds de pension américains avides de rendements élevés et rapides au capital de Suez est un gage de consolidation de son capital et de stabilité à long terme pour ses développements futurs ?

Quels sont les objectifs et les déterminants de la politique actionnariale et d’influence de l’État français en ce qui concerne les entreprises françaises à forts enjeux ?

Quel sens donnez-vous au concept d’« État stratège » auquel, monsieur le ministre, vous vous référez si souvent ?

Vous ne pouvez pas invoquer le principe de concurrence ou de liberté des acteurs quand il y va de l’intérêt général, des territoires par exemple. Sans parler de la souveraineté nationale en matière industrielle – c’est essentiel, comme on le sait plus encore en 2021 qu’en 2019 –, qu’il s’agisse de santé, de climat, d’énergie, de défense, d’alimentation, et – je l’ajoute – de culture, tant la question démocratique en dépend de plus en plus par l’entremise du numérique.

Dans chacun de ces domaines, et dans le cadre de politiques publiques de long terme, clairement explicitées et débattues, évaluées in itinere, le Parlement a un rôle éminent à jouer.

Dans un monde en évolution rapide et profonde, au-delà de la médiatisation de quelques moments de crise à propos de telle ou telle entreprise en difficulté, ou du vote du compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », dont nous ne cessons de dire, loi de finances après loi de finances, qu’il est très réducteur et peu clair, nous devons, nous parlementaires, engager avec les gouvernements un dialogue régulier, fondé sur l’intérêt général et national, autrement dit le temps long, et à l’aune des enjeux de l’emploi, de la compétitivité et de la soutenabilité que j’évoquais il y a quelques instants.

Nous en sommes loin. Le Gouvernement, les gouvernements doivent prendre leurs responsabilités et cesser de s’abriter derrière le fait accompli ou le non-dit qui laisse place à toutes sortes d’interprétations.

Il faut se le dire, il n’y aura pas de développement soutenable demain et, donc, de planète Terre vivable pour nos enfants si nous n’instaurons pas un autre rapport au temps, à la durée. Cela donne une responsabilité majeure aux États, censés être les garants du temps long.

Le Gouvernement ne peut pas se comporter uniquement en banquier d’affaires.

Si, dans l’opinion et chez les élus, les choix du Gouvernement semblent reposer sur des arrière-pensées non assumées, c’est l’intérêt national, qui a toujours une dimension locale, qui est amoindri. Or, dans une démocratie républicaine comme la nôtre, c’est inacceptable !

Il est grand temps que le gouvernement français donne une consistance à son concept d’« État stratège », qu’il discute et explicite sa politique actionnariale et sa politique publique d’influence économique.

Une planification stratégique adaptée aux temps nouveaux devrait en résulter. Je ne crois pas me tromper en disant que la Chambre haute est prête à y apporter sa contribution. Ce débat de contrôle l’a amplement démontré. Je remercie d’ailleurs tous les groupes qui se sont exprimés. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Veolia-Suez : quel rôle doit jouer l’État stratège pour protéger notre patrimoine industriel ? »

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)

M. le président. La séance est reprise.

3

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Discussion générale (suite)

Protection des mineurs contre les crimes et délits sexuels et l’inceste

Adoption en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (proposition n° 447, texte de la commission n° 468, rapport n° 467).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, j’avais pris l’engagement devant vous, dès le 21 janvier, de poursuivre à vos côtés le travail normatif pour renforcer ensemble la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. C’est désormais chose faite.

En faisant prospérer l’initiative sénatoriale, le Gouvernement a fait le choix de saisir votre main tendue, mesdames, messieurs les sénateurs, pour dépasser les clivages sur un sujet qui nécessite notre mobilisation collective. Pour adopter les meilleures solutions que nous puissions apporter face à ces situations, il nous fallait conduire les réflexions avec hauteur de vue, nuance et discernement. Là aussi, c’est chose faite.

Sous l’impulsion du Président de la République, mon collègue Adrien Taquet et moi-même avons pris le temps de consulter largement les associations engagées au quotidien aux côtés des victimes, afin de dégager les points de consensus, mais aussi de prendre en compte les nombreuses divergences légitimes.

Trois dispositions fondamentales se sont clairement dégagées de nos échanges : la fixation d’un seuil d’âge à 15 ans, le renforcement de la répression de l’inceste et, enfin, l’allongement de la prescription en cas de pluralité des victimes.

Nous y avons ajouté au cours des débats parlementaires à l’Assemblée nationale la prise en compte d’une réalité intolérable, la prostitution des plus jeunes, qui progresse malheureusement et qui doit être combattue sans relâche. Nous avons également pris en compte les remarques que le Sénat avait formulées en janvier dernier pour mieux réprimer tous les actes bucco-génitaux subis ou imposés. Ce sont donc au total cinq avancées incontestables qui figurent dans cette proposition de loi.

Ces évolutions majeures sont de plus, je le crois, respectueuses de notre État de droit et, en particulier, des exigences constitutionnelles en matière de proportionnalité et d’égalité devant la loi pénale. C’est ainsi que, le 15 mars dernier, l’Assemblée nationale a adopté ces avancées historiques à l’unanimité.

Je veux ainsi souligner la qualité des travaux menés par l’ensemble des parlementaires, en saluant en particulier l’implication tout à fait remarquable des rapporteures, Mme la députée Alexandra Louis et, bien sûr vous-même, madame la sénatrice Marie Mercier. Le dialogue que nous avons pu instaurer grâce à vous et au président Buffet, que je tiens également à saluer, a été primordial pour aboutir à la version du texte dont nous débattons aujourd’hui.

Permettez-moi également d’avoir un mot tout à fait particulier pour l’auteure de cette proposition de loi, la présidente Annick Billon dont l’engagement nous a, lui aussi, permis d’être réunis ici aujourd’hui. Je me désole, et je le dis de la manière la plus solennelle, de la campagne de désinformation, pour ne pas dire plus, dont vous avez pu faire l’objet, madame la sénatrice, au mépris total du travail conduit et des avancées réalisées. (Mmes Esther Benbassa et Valérie Boyer applaudissent.)

M. Julien Bargeton. Très bien !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je tiens donc, madame la sénatrice, dans cet hémicycle et en ce moment important, à vous adresser mes remerciements et à vous apporter mon plus chaleureux soutien. (Applaudissements.)

Mme Valérie Boyer. Merci, monsieur le garde des sceaux !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je le sais et je l’ai déjà dit, si le sujet qui nous occupe aujourd’hui suscite les passions et sans doute beaucoup d’émotions légitimes, cette passion et ces émotions ne peuvent, en matière pénale, être nos seules guides. La passion et les émotions sont souvent mauvaises conseillères comme en témoignent les suggestions de toutes sortes, qui visent à renverser la charge de la preuve – pourquoi pas ? –, à prévoir des peines plus lourdes que pour le meurtre – pourquoi pas ? –, ou encore l’imprescriptibilité pour ces faits – pourquoi pas, là encore ?

Je le dis solennellement, il est de notre devoir d’aborder cette question en responsabilité pour que la réponse juridique soit à la hauteur de l’attente des victimes que nous savons grande. Rien ne serait pire que de les décevoir en adoptant un dispositif bancal ou même contraire à notre Constitution.

C’est pourquoi je me félicite que votre commission des lois ait voté en conscience ces avancées historiques tout en poursuivant le travail d’enrichissement du texte. Je ne doute d’ailleurs pas que la poursuite de nos débats nous permettra d’aboutir sur les tout derniers points restant en discussion.

Le travail de pédagogie en direction de nos concitoyens est immense. C’est pourquoi il nous faut être concrets. Quels seront les effets de ce texte dans notre droit pénal ? Comment renforcera-t-il la protection des enfants face aux violences sexuelles commises par des adultes ? C’est à ces questions qu’il nous faut répondre clairement.

Tout d’abord, aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d’un mineur de 15 ans. Le texte prévoit d’ajouter de nouvelles définitions au crime de viol et au délit d’agression sexuelle, qui permettent d’exclure du débat judiciaire la question du consentement du mineur.

Je l’ai dit, nos exigences constitutionnelles doivent être prises en compte. C’est pourquoi il nous faut garantir la proportionnalité de la répression, qui tend vers une criminalisation automatique de nombreuses situations. C’est la prise en compte de l’écart d’âge de cinq ans qui permet de protéger les amours adolescentes. Parce que, qu’on le veuille ou non, nos adolescents ont une sexualité ! Parce que c’est la vie, parce que c’est leur vie ! Ne devenons pas les censeurs de leur vie sentimentale…

J’ai entendu les débats houleux – qui découlent peut-être de mauvaises informations – autour de cet écart d’âge, mais, là encore, il nous faut être clairs : l’instauration de cet écart d’âge n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de protéger des délinquants sexuels au bénéfice de leur jeune âge.

Par ailleurs, tout en instaurant une loi pénale plus forte qui, en vertu de nos principes constitutionnels, ne s’appliquera que pour l’avenir, il nous faut maintenir un niveau très élevé de protection pour toutes les victimes de faits commis avant l’entrée en vigueur de cette loi nouvelle.

Ainsi, les dispositions issues de la loi de 2018 continueront de s’appliquer.

Le viol et l’agression sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise, sont évidemment maintenus. De même, le délit d’atteinte sexuelle ne sera pas supprimé, afin notamment de sanctionner des faits qui ne tomberont pas sous le coup des nouvelles qualifications, mais aussi de continuer de réprimer les faits commis avant la réforme. Il n’est en effet pas envisageable de laisser sur le bord de la route les victimes passées d’abus sexuels commis par des majeurs, et d’adopter une réforme qui aurait pour conséquence d’amnistier les auteurs de ces actes.

Autre avancée majeure, les viols incestueux et les agressions sexuelles incestueuses seront désormais définis de manière autonome dans le code pénal et protégeront tous les mineurs : le seuil d’âge est ici fixé à 18 ans. Les ascendants sont nécessairement visés par le viol incestueux et l’agression sexuelle incestueuse. L’oncle, la tante, le grand-oncle et la grand-tante, les neveux, nièces, frères et sœurs, les conjoints de ces derniers, les beaux-pères ou les belles-mères exerçant une autorité de fait ou de droit sur le mineur seront évidemment concernés.

Pourquoi dès lors introduire la notion d’autorité de droit ou de fait dans le cadre des nouvelles incriminations incestueuses ? C’est parce que, en dehors des ascendants, nous ne pouvons pas, automatiquement et sans individualisation, criminaliser la relation sexuelle en raison de liens de sang.

Dans ces cas, il nous faut faire confiance au discernement et à l’appréciation des situations par les procureurs et par les juges. Vous les rencontrez régulièrement dans le cadre de vos travaux parlementaires, et vous connaissez leur engagement malgré la difficulté de leur mission : ils sont confrontés tous les jours à l’indicible et à l’inaudible, et ils savent distinguer ce qui relève de la loi pénale.

Je souligne avec force devant vous l’avancée réalisée en matière de relations incestueuses entre un majeur et un mineur puisque, désormais, les tribunaux n’auront plus à rechercher la violence, la contrainte, la menace ou encore la surprise.

Autre évolution majeure, dans les situations où un même auteur réitère des crimes ou délits sexuels sur plusieurs victimes, je m’étais engagé à proposer un dispositif garantissant un traitement judiciaire égalitaire pour toutes les victimes.

Les travaux normatifs nous ont conduits à instaurer un régime de prescription spécifique protégeant les mineurs. Le mécanisme de prescription prolongée, qui permet de faire bénéficier toutes les victimes de la prescription la plus longue, est complété par un autre mécanisme permettant d’interrompre la prescription de tous les crimes par la plainte de la dernière victime. Ainsi, même si le dernier crime n’est finalement pas poursuivi faute de preuves, ou s’il fait l’objet d’un acquittement, les autres crimes révélés grâce à ce dernier crime pourront tout de même être jugés.

Enfin, je l’ai évoqué au début de mon propos, la situation des mineurs victimes de prostitution est bien prise en compte. Désormais, grâce aux nouvelles incriminations, tout majeur de 18 ans qui rémunère une relation sexuelle avec un mineur de 15 ans commet un viol puni de vingt ans de prison ou un délit d’agression sexuelle puni de dix ans de prison.

Je salue ici, madame la rapporteure, l’introduction d’une précision souhaitée par votre commission, qui complète le texte en incluant, non seulement la relation sexuelle rémunérée, mais également la promesse de rémunération, la fourniture d’un avantage en nature ou la promesse d’un tel avantage. Cette disposition contribue à renforcer véritablement la protection de nos mineurs.

C’est dans ce même esprit que votre commission a autorisé l’extension du nouveau délit de « sextorsion » à tous les mineurs de 18 ans.

Vous le voyez, le texte qui vous est présenté aujourd’hui, loin d’être un mauvais texte, comme j’ai pu le lire, comporte des avancées inédites sur de nombreux aspects de la protection que nous devons à nos mineurs face aux violences sexuelles qu’ils subissent. L’ambition historique qu’il porte nous permettra de dire solennellement aux victimes : il y aura un « avant » et un « après » cette loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a exactement dix jours, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi dont le titre a changé, puisqu’elle vise désormais « à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste », de manière à prendre en compte les nombreuses dispositions qui ont enrichi le texte présenté par notre collègue Annick Billon.

Le Sénat avait également adopté cette proposition de loi à l’unanimité, après l’avoir amendée.

Ces votes successifs montrent que le texte répond à une attente : dans leur grande majorité, nos concitoyens demandent un renforcement de la protection des mineurs contre les violences sexuelles qui peuvent être commises par les adultes. L’objectif principal est qu’il ne soit plus nécessaire de s’interroger sur la question du consentement du jeune mineur eu égard à son manque de maturité et de discernement.

Rappelons-nous le « un homme ça s’empêche » de Camus. Il est effectivement de la responsabilité de l’adulte de respecter des limites pour préserver l’intégrité physique et psychique des enfants et des adolescents. Je crois que nous en sommes tous d’accord.

En première lecture, nous avions estimé que la création d’une infraction autonome de crime sexuel sur mineur, avec un seuil d’âge fixé à 13 ans, répondait à nos objectifs. Il en aurait résulté une gradation dans la protection des mineurs, avec le délit d’atteinte sexuelle puni de sept ans d’emprisonnement, pour protéger les mineurs de 15 ans, et le nouveau crime sexuel sur mineur, puni de vingt ans de prison, pour protéger les mineurs de 13 ans.

Il nous faut cependant reconnaître que le choix d’un seuil d’âge à 13 ans, même s’il s’appuie sur de solides justifications, a pu être mal compris et parfois perçu comme un recul par rapport au seuil de 15 ans qui vaut pour le délit d’atteinte sexuelle. Comme vous l’avez fait, monsieur le garde des sceaux, je veux assurer Annick Billon de ma sympathie, car notre collègue a fait l’objet, dans les jours qui ont suivi l’adoption du texte au Sénat, d’attaques parfois inacceptables sur les réseaux sociaux.

Avec l’appui de la Chancellerie, l’Assemblée nationale a imaginé une solution différente, qui tient compte de nos préoccupations, tout en étant mieux comprise par les associations de protection de l’enfance, comme les auditions auxquelles j’ai procédé me l’ont montré.

Dans le texte qui nous est transmis, le seuil d’âge est fixé à 15 ans, mais il est assorti d’un écart d’âge de cinq ans entre l’auteur des faits et la victime : de cette manière, les relations consenties entre un mineur âgé d’un peu moins de 15 ans et un tout jeune majeur, relations qui ont d’ailleurs pu débuter alors que les deux partenaires étaient mineurs, ne seront pas automatiquement criminalisées. C’est le terme « automatiquement » qui importe ici.

Le choix de créer une infraction autonome avait également suscité des réserves, certains lui reprochant d’évacuer la dimension violente du passage à l’acte, qui serait mieux prise en compte avec la qualification de viol ou d’agression sexuelle. Sur ce point également, l’Assemblée nationale a fait preuve d’esprit de synthèse en décidant de qualifier de viol la nouvelle infraction sexuelle sur mineur.

Je tiens à dire que certaines infractions prévues par le code pénal renvoient à plusieurs définitions. C’est le cas par exemple pour le harcèlement sexuel, qui suppose en principe la commission d’actes répétés, mais qui peut aussi être constitué si un acte unique particulièrement grave a été commis. Tel serait désormais le cas aussi pour le crime de viol : à la définition classique, qui suppose un élément de contrainte, de menace, de violence ou de surprise s’ajouterait une nouvelle définition, qui ne sera applicable que si la victime est un mineur de 15 ans.

Concernant la définition du viol, je signale que l’Assemblée nationale a conservé la mesure que le Sénat avait adoptée, sur l’initiative de nos collègues Esther Benbassa et Laurence Rossignol, qui tend à l’élargir aux actes bucco-génitaux. Il s’agit d’une avancée importante, ces actes pouvant être tout aussi traumatisants pour la victime qu’une pénétration sexuelle.

Sur la question de l’inceste, le texte renforce la protection de tous les mineurs jusqu’à 18 ans en introduisant deux nouvelles infractions de crime incestueux et d’agression sexuelle incestueuse, qui seront constituées si les faits sont commis par un ascendant ou par un membre de la famille ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime.

Par membre de la famille, il faut entendre les frères et sœurs, les oncles et tantes, les neveux et nièces, ainsi que leurs conjoints, concubins ou partenaires de PACS. L’Assemblée nationale a souhaité ajouter à cette liste les grands-oncles et les grands-tantes.

Je sais que l’exigence d’une autorité de droit ou de fait a pu susciter des interrogations. Après réflexion, j’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agit d’un critère essentiel à la cohérence d’ensemble du dispositif : en l’absence d’une relation d’autorité, comment distinguer en effet l’auteur des faits de la victime ? Certains diront que le partenaire majeur est forcément coupable, mais cette affirmation ne résiste pas à un examen objectif de la diversité des situations que l’on peut rencontrer sur le terrain.

Dans une famille, un fils de 17 ans peut fort bien avoir l’ascendant sur le reste de la fratrie, y compris sur sa sœur de 18 ans et demi. Si le père est absent, il arrive même parfois que le fils aîné se comporte quasiment en chef de famille. En cas de relation incestueuse, il convient donc d’examiner chaque situation au cas par cas – c’est le rôle du juge –, afin de déterminer qui a imposé l’acte sexuel, sans quoi nous nous exposerions à un risque élevé d’erreurs judiciaires.

J’en arrive à la question un peu complexe de la prescription pour vous indiquer que l’Assemblée nationale a maintenu l’allongement du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation d’infraction sur mineur, que le Sénat avait adopté, en le recentrant sur les crimes et délits sexuels, ce qui est cohérent avec l’objet du texte.

En ce qui concerne la prescription des crimes et délits sexuels eux-mêmes, l’Assemblée nationale a adopté, sur proposition du Gouvernement, un double mécanisme.

Le premier s’inspire de celui que le Sénat a introduit. Il aurait pour effet de prolonger le délai de prescription d’un crime ou délit sexuel sur mineur si l’auteur commet un autre crime ou délit sexuel sur un autre mineur.

Le deuxième mécanisme s’inspire de la notion de connexité : un acte interruptif de prescription, une audition par exemple, interromprait la prescription, non seulement dans l’affaire considérée, mais également dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée au même auteur la commission d’un autre crime ou délit sexuel sur mineur.

Avec ces deux dispositifs, toutes les victimes pourront comparaître comme telles devant la cour d’assises, alors que les victimes les plus « anciennes » sont seulement entendues en tant que témoins aujourd’hui, parce que les faits sont prescrits. Je sais que le garde des sceaux, fort de sa longue expérience d’avocat pénaliste, est sensible à cette évolution, que notre commission a approuvée.

J’évoquerai enfin les autres dispositions qui figurent dans le texte.

Tout d’abord, l’Assemblée nationale a conservé les mesures à caractère préventif que nous avions adoptées sur l’initiative de Michel Savin et de Valérie Boyer. Elles tendent à élargir la liste des infractions entraînant une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Elles incitent les juridictions à prononcer la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact habituel avec un mineur.

L’Assemblée nationale a enrichi le texte sur l’initiative de la rapporteure Alexandra Louis de manière à mieux réprimer des phénomènes nouveaux apparus sur internet et, je dois le dire, très inquiétants, par lesquels des majeurs demandent à des mineurs d’accomplir des actes obscènes devant une caméra, leur demandant de se filmer à un, à deux, à trois, puis de leur envoyer les images. Parfois qualifiés de « sextorsion », ces agissements peuvent ouvrir la voie à un véritable chantage exercé sur le mineur pour l’amener à accomplir des actes de plus en plus avilissants.

Je vous propose d’approuver ces dispositions nouvelles, afin que la loi pénale exprime clairement notre refus de ce type de comportement.

Au total, le texte qui vous est soumis renforce vraiment la protection des mineurs au prix, il est vrai, d’une plus grande complexité des règles de droit applicables. Un travail de pédagogie devra être mené par la Chancellerie auprès des juridictions et je souhaite que nous puissions, après l’adoption de ce texte, stabiliser les règles applicables aux infractions sexuelles sur mineurs afin que les professionnels du droit aient le temps de se les approprier.

Ce texte donne des outils au juge avec le but, que nous partageons tous, de diminuer le nombre de décisions de classement sans suite. Le regard du juge évolue aussi avec la société.

La commission vous propose de préserver les grands équilibres du texte. Certes, il n’est pas parfait, mais je suis convaincue qu’il marquera une étape importante dans nos politiques de sauvegarde de l’enfance.

Il faudra bien sûr l’accompagner de mesures de prévention et d’éducation dans les écoles, dans les milieux sportifs, dans les associations et, surtout, dans les familles. Ces mesures ne relèvent pas du domaine de la loi, mais elles sont décisives pour préserver les enfants et les adolescents contre les violences sexuelles.

Je suis également convaincue qu’il ne suffit pas de changer la loi : ce sont aussi les mentalités qui doivent évoluer. Vraiment, nous devons préserver nos enfants, les enfants ne doivent pas être saccagés, il faut que, tous ensemble, nous soyons là pour préserver leur rêve. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SER.)