compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

Mme Françoise Gatel,

M. Guy-Dominique Kennel.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des lois a été publiée.

Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

3

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, en vertu des règles sanitaires, il convient de laisser un siège vide entre deux sièges occupés ou, à défaut, de porter un masque. Ce n’est pas qu’une formule rituelle : nous devons tous y être attentifs !

Je vous rappelle également – ce n’est pas tout à fait ce qui s’est passé hier – que vous devez sortir de la salle des séances par les portes situées sur le pourtour de l’hémicycle ; les membres du Gouvernement doivent, quant à eux, sortir par le devant.

Enfin, je salue M. le Premier ministre, ainsi que Mmes et MM. les ministres présents parmi nous ce matin.

La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.)

M. Jean Castex, Premier ministre. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire l’immense honneur et la grande émotion que je ressens au moment de m’exprimer devant la Haute Assemblée que vous formez.

Si j’ai tenu à présenter la politique de mon gouvernement devant le Sénat, c’est avant tout pour marquer mon attachement personnel, peut-être familial aussi, au bicamérisme…

M. Jean Castex, Premier ministre. … et à l’équilibre démocratique qu’il garantit.

Devant vous, comme hier devant l’Assemblée nationale, je veux témoigner de notre profond attachement à notre système représentatif.

M. Yvon Collin. Très bien !

M. Jean Castex, Premier ministre. Je m’adresse à vous, ce matin, dans un moment très particulier pour notre pays.

Je mesure pleinement la gravité du contexte national, européen et international dans lequel j’ai accédé à cette haute responsabilité. Je mesure que je dirige un gouvernement de crise, donc un gouvernement de combat.

L’actualité me conduit à rappeler que la crise, c’est encore et toujours la crise sanitaire. Je tiens à préciser au Sénat les intentions du Gouvernement dans la période actuelle, marquée – vous le savez – à la fois par une forte activité de l’épidémie dans certaines parties du monde et par une situation nationale qui, au contraire, reste orientée de manière plutôt favorable, même si certaines situations localisées exigent la plus grande vigilance. Je pense notamment à la Guyane, où j’ai d’ailleurs tenu à me rendre dès ma prise de fonctions.

En conséquence, les mesures que je vais prendre, annoncées par le chef de l’État, ne visent pas tant à répondre, ici, en métropole, à une situation d’urgence, qu’à nous inscrire dans une logique préventive.

À cet effet, nous allons agir dans trois directions.

Premièrement, nous sommes en train de renforcer nos dispositifs de contrôle des entrées sur le territoire pour les voyageurs en provenance de tous les pays où la circulation virale est plus forte. Les personnes concernées sont souvent des ressortissants français : c’est pourquoi les interdictions absolues sont difficiles à concevoir.

L’idéal serait que les contrôles sanitaires soient effectués dans les pays de départ ; c’est d’ailleurs ce qui est envisagé. Mais nous devons être pragmatiques : sans certitude absolue qu’une telle action soit possible, j’ai décidé que nous allions amplifier les mesures de contrôle sanitaire à l’arrivée sur le territoire national, dans les ports et les aéroports.

Deuxièmement, nous entendons développer encore les tests de dépistage. Leur volume est en constante augmentation ; et le point le plus positif, c’est que leur résultat, quand ils sont pratiqués, demeure très largement favorable. En tout cas, le nombre de tests positifs est très nettement inférieur aux modélisations réalisées au mois de mai dernier, ce qui témoigne sans doute de l’efficacité de la politique conduite.

Cela étant, le nombre de tests demeure insuffisant, ce qui s’explique par la considération précédente. Je le dis au Sénat : nous ne manquons ni d’équipements ni de personnels pour les réaliser, notamment depuis que les techniciens de laboratoire ont été autorisés à effectuer les prélèvements ; mais nos concitoyens ne se font pas suffisamment tester, tout simplement… (Marques de scepticisme sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains. – Mme Éliane Assassi sesclaffe.)

M. Pierre Cuypers. C’est la meilleure !

Mme Annie Guillemot. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Castex, Premier ministre. Nos concitoyens sont sensibles à l’ambiance générale – on affirme que l’épidémie est maîtrisée, ce qui est le cas. Il faut donc lever tous les obstacles, y compris psychologiques, qui expliquent cette situation.

Ainsi, le Président de la République a annoncé la fin des prescriptions médicales obligatoires pour se faire tester. En outre, j’ai demandé que nous accélérions l’évaluation de la fiabilité scientifique des tests salivaires, lesquels sont beaucoup plus simples à réaliser et beaucoup moins douloureux.

Par ailleurs, nous devrons continuer à intensifier les actions proactives, en invitant les habitants de certaines communes et de certains quartiers à réaliser des tests. Nous avons entrepris cet effort il y a plusieurs semaines, notamment en Île-de-France, et son efficacité est certaine.

Troisièmement, et enfin, le port du masque constitue, avec le respect des gestes dits « barrières », une mesure de prévention et de protection efficace. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Husson. Vous n’avez pas toujours dit cela !

M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai donc proposé que l’obligation de le porter soit renforcée dans tous les établissements recevant du public clos, en particulier – ce n’est pas le cas aujourd’hui – les commerces. Cette mesure nécessite un décret, alors que, dans les locaux dits « professionnels », elle suppose une évolution des protocoles sanitaires régissant les activités concernées.

Nous envisagions une entrée en vigueur de ces dispositions le 1er août prochain, car – j’y insiste – nous agissons dans une logique préventive, et non sous l’empire de l’urgence. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Même pas de l’urgence sanitaire !

M. Jean Castex, Premier ministre. J’ai entendu et compris que cette échéance paraissait tardive ou suscitait quelques interrogations : le décret entrera donc en vigueur la semaine prochaine. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. Roger Karoutchi. Très bien !

M. Jean Castex, Premier ministre. Par ailleurs, j’ai demandé aux ministres chargés de la santé, de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur de donner très rapidement des indications précises aux familles et au corps enseignant quant aux conditions dans lesquelles se déroulera la rentrée de septembre dans les établissements d’enseignement.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la gestion de cette crise, les élus ont été remarquables d’implication et de dévouement,…

M. Christophe Priou. Les élus locaux !

M. Jean Castex, Premier ministre. … à commencer par les maires,…

M. Jean Castex, Premier ministre. … qui ont, comme toujours, été des combattants de la première ligne et de la première heure.

Vous le savez, chargé par le précédent gouvernement de préparer le déconfinement, j’avais recommandé que le couple maire-préfet de département soit placé au cœur du dispositif, ce qui fut fait. J’avais également suggéré que l’on soutienne les collectivités territoriales dans leur politique d’acquisition de masques pour conforter et démultiplier nos actions, ce qui fut fait également.

Au-delà de la crise sanitaire, nous devrons en tirer, ensemble, un enseignement structurel pour la conduite de l’action publique. Nous connaissons en effet une crise économique et sociale sans précédent.

Depuis plusieurs mois, cette crise frappe notre économie très durement. Elle accentue encore la vulnérabilité des plus démunis – j’y reviendrai – et risque de creuser les inégalités, y compris – elle l’a déjà fait – face à la maladie. Elle dégrade fortement nos finances publiques et nos finances sociales, venant fragiliser notre modèle. Elle nous rappelle également l’ampleur du défi écologique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il est des heures où l’ensemble des forces vives d’un pays doivent plus que jamais se rassembler. Ma conviction est que nous sommes précisément dans un tel moment.

Ce qui m’anime, c’est l’esprit de dialogue, la volonté de dépasser les postures et les clivages ; et ce sont, je le sais, des principes qui vous sont chers.

À ce titre, les Français eux-mêmes nous ont donné l’exemple. Ils ont été solidaires et résilients face à la crise sanitaire.

Nous devons prendre collectivement la mesure de la situation. Si nous ne réagissons pas, elle pourrait accentuer les fractures qui traversent notre pays et menacer notre unité, déjà bien mise à mal, notamment en aggravant les fractures territoriales.

Prendre cette crise à bras-le-corps, protéger les Français, reconstruire notre économie et, au-delà, conforter notre pacte républicain : tels sont les défis qui se présentent devant moi et devant le gouvernement que je conduis.

Mon discours de politique générale, prononcé hier devant l’Assemblée nationale, a été lu devant vous par M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Je ne reviendrai donc pas en détail sur l’ensemble des mesures que j’ai évoquées.

Mme Catherine Procaccia. Merci ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean Castex, Premier ministre. Vous l’avez compris : ma conviction est que, pour réussir, nous devons changer nos façons de faire.

Il faut le dire et le réaffirmer : l’État a un rôle majeur, mais il ne pourra agir seul. Il devra fédérer les bonnes volontés, mobiliser toutes les énergies et faire confiance à tous ses partenaires, à commencer par les collectivités, que vous représentez.

Je suis aujourd’hui devant la chambre des territoires, et c’est de ces derniers que je me revendique : j’entends être le Premier ministre des territoires et de la vie quotidienne des gens.

J’évoquerai les priorités de mon gouvernement pour les deux prochaines années. Je vous exposerai également la manière dont j’entends engager la mise en œuvre concrète de ces orientations. En effet, l’exercice de la responsabilité politique ne peut s’arrêter aux intentions, si louables et ambitieuses soient-elles. Rien ne vaut sans l’obsession du résultat et de l’impact sur la vie de nos concitoyens.

J’ai rappelé hier cette phrase célèbre : « L’intendance suivra. »

M. Jean Castex, Premier ministre. Non, l’intendance ne suit pas, en tout cas pas toujours, et même de moins en moins, alors même que cela devrait être la priorité. La mise en œuvre, l’exécution, les conditions de réalisation doivent entrer clairement dans le champ de la politique et ne plus être considérées comme de simples sujets triviaux et techniques.

Je vous le concède volontiers : il s’agit là d’un choc culturel dans un pays où, depuis le siècle des Lumières, le débat d’idées, l’invocation des grands principes et le maniement des concepts monopolisent le débat public.

C’est sur l’exécution que nos concitoyens nous attendent et sont fondés à nous juger. C’est surtout par l’exécution, par la charge de la preuve, que se reconstruira la confiance, dont les responsables publics ont tant besoin et qui, vous le savez comme moi, s’est fortement altérée.

Pour réussir, nous ne pouvons donc pas nous contenter de fixer un cadre juridique national. Nous devons nous impliquer dans le déploiement, dans la mise en œuvre des politiques publiques au sein des territoires, pour les adapter à la vie des gens dans nos régions, nos départements, nos cantons, nos communes et nos quartiers.

Pour cela, il faut faire confiance aux territoires.

La France des territoires, c’est la France de la proximité,… (Murmures sur les travées des groupes SOCR, CRCE et Les Républicains.)

M. Jean-Pierre Sueur. Lapalissades !

M. Jean Castex, Premier ministre. … à laquelle nous devons impérativement faire confiance, car elle détient, pour une large part, les leviers du sursaut collectif.

Libérer les territoires, c’est libérer les énergies.

Mme Éliane Assassi. Du Juppé dans le texte !

M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons réarmer nos territoires. Nous devons investir dans nos territoires. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants. – M. Jean-Claude Requier applaudit également. – Marques dironie sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. Jean-Pierre Sueur. Quelle litanie…

M. Vincent Éblé. Aux actes !

M. Jean Castex, Premier ministre. Nous devons nous appuyer sur nos territoires.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais concrètement ?

M. Jean Castex, Premier ministre. La République territoriale, c’est l’unité dans la diversité.

Je compte sur vous, durant les 600 jours qu’il nous reste, pour m’aider dans un esprit de concorde, parce que, si la défiance progresse encore, elle nous emportera tous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la bataille de l’emploi sera la priorité absolue. Pour 2020, nous prévoyons à ce jour une récession de 11 %, soit la récession la plus sévère depuis que les comptes nationaux ont été créés.

Derrière les données comptables, il y a des drames humains, des territoires meurtris. Tout cela, nous devons le prévoir, l’accompagner, le soulager, et nous devons aller plus loin. Nous devons nous saisir de cette situation pour reconvertir notre économie, nos travailleurs et nos salariés ; pour les rendre plus forts et plus compétitifs ; pour les orienter davantage vers une croissance durable et respectueuse de l’environnement.

Tel est l’objectif central, et même unique, de notre politique, notamment du plan de relance de l’économie que j’ai présenté hier à l’Assemblée nationale.

À l’occasion de ce débat, j’ai entendu que nous n’agirions ni assez vite ni assez fort pour soutenir l’économie et lutter contre la dégradation de l’emploi.

M. Pierre Charon. C’est vrai !

M. Jean Castex, Premier ministre. Je vous le confirme : nous avons pour objectif de présenter notre ambitieux plan de relance à la fin du mois d’août prochain, après une phase de concertation.

M. Jean-François Husson. Encore quelques centaines de milliards d’euros…

M. Jean Castex, Premier ministre. L’explication de ce calendrier est simple : ce plan sera la nouvelle étape d’un processus de soutien à l’activité caractérisé par son ampleur et sa précocité et engagé sous l’égide de mon prédécesseur. Vous en connaissez les vecteurs : le chômage partiel, les prêts garantis par l’État et le fonds de solidarité, qui ont représenté un effort global et massif de près de 500 milliards d’euros.

Cette politique nous a permis d’éviter l’effondrement de notre économie. Lorsque nous regardons autour de nous, nous constatons qu’elle a été la plus ambitieuse d’Europe ; ses résultats ont été salués par tous, à commencer par le peuple français.

Très vite et très tôt, nous avons également mis en place des plans sectoriels très ambitieux dans le tourisme, l’aéronautique, l’automobile, la culture, le commerce, le bâtiment et les travaux publics (BTP), ou encore les nouvelles technologies. Vous le vérifierez, car tel est votre rôle, mesdames, messieurs les sénateurs : tout cela a porté ses fruits.

Grâce à ces mesures, les derniers chiffres publiés par l’Insee et par la Banque de France semblent indiquer une reprise plus rapide que prévu.

M. Jérôme Bascher. Mais grâce à qui ?

M. Jean Castex, Premier ministre. En particulier, la consommation des ménages affiche une reprise solide depuis la fin du confinement.

Nous ne disposons pas encore des chiffres définitifs, mais nous n’excluons pas que, au mois de juin dernier, la consommation ait été proche de son niveau normal, avec un effet de rattrapage marqué pour les biens d’équipement.

Grâce au plan relatif au secteur automobile que j’ai évoqué, les immatriculations de véhicules neufs ont retrouvé dès le mois de juin leur niveau de février. Elles l’ont même dépassé de 30 % pour les ventes aux particuliers.

Nous nous inscrivons donc dans la continuité de ce qui a été fait. Tout ne commence pas avec le plan de relance. Il s’agit d’une nouvelle étape, mais notre philosophie est inchangée : protéger les Français, reconstruire et moderniser la France.

En particulier, en prolongeant les dispositifs d’activité partielle, nous mettons tout en œuvre pour préserver l’emploi et les salaires dans les entreprises les plus touchées par la crise.

Je le dis et je le répète – nous en parlerons demain avec les partenaires sociaux –, le Gouvernement a pris acte de ce contexte économique bouleversé en décidant d’aménager la réforme de l’assurance chômage. Il s’agit là d’une bonne réforme, mais elle a été élaborée dans d’autres circonstances et elle est nécessairement affectée par ce nouveau contexte.

La première urgence, parce qu’ils seront nécessairement les premiers touchés par la crise économique, ce sont les jeunes. Au total, 700 000 à 800 000 d’entre eux vont arriver sur le marché du travail. C’est une force pour notre pays – nos voisins allemands seraient très heureux d’avoir autant de jeunes ! –,…

M. Christophe Priou. Et nous serions très heureux d’avoir leurs excédents !

M. Jean Castex, Premier ministre. … mais cette situation nous oblige. Pendant le confinement, beaucoup ont vu leurs études arrêtées, leurs stages interrompus, leur vie sociale profondément perturbée.

La Nation ne peut pas accepter que le chômage constitue le seul horizon pour ces centaines de milliers de jeunes Français. Il n’est pas question de laisser s’installer l’idée d’une génération sacrifiée à cause de cette crise.

Pour cela, nous allons engager des mesures fortes. Elles seront au menu de la conférence que nous tiendrons demain avec les partenaires sociaux, mais – je le dis à la représentation nationale – elles sont encore susceptibles d’être améliorées.

L’État a la volonté de baisser très fortement le coût du travail pour faciliter l’embauche des jeunes. Parallèlement, nous allons développer massivement, dans des proportions qui n’ont jamais été atteintes, les dispositifs d’insertion, en particulier à l’intention des jeunes les plus en difficulté.

Le service civique, au service de l’engagement des jeunes et de leur insertion, sera considérablement renforcé. Ce sera aussi l’une des manières de soutenir nos associations et leurs vingt millions de bénévoles, qui – personne ne l’oublie – sont un atout majeur pour renforcer la cohésion nationale et le lien social dans notre pays.

À l’université, la crise a agi comme révélateur des difficultés que rencontrent encore de trop nombreux étudiants. Nous avons décidé de geler les droits d’inscription et de porter à 1 euro le prix des repas dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers.

M. Jean-Pierre Sueur. Les seules mesures concrètes…

M. Jean Castex, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conforter notre action et notre cohésion, nous devons aussi consolider notre modèle social, que la crise affecte fortement. Aujourd’hui, ce dernier exige, de notre part, des interventions fortes et nouvelles : il faut améliorer son fonctionnement et mieux en garantir les équilibres dans la durée.

Je pense tout d’abord – évidemment ! – à notre système de santé. Finalement, ce dernier a démontré sa robustesse au cours des derniers mois, dans un contexte de tension extrême, qui – nous devons bien le reconnaître – préexistait à la crise du covid. Cette situation appelait une réponse d’envergure, et ce de toute urgence.

C’est l’objet du Ségur de la santé, qui a été lancé par mon prédécesseur en mai dernier et qui s’achèvera dans les prochains jours. À l’issue d’une négociation avec l’ensemble des acteurs, un accord majoritaire – un accord historique – a été conclu lundi dernier.

Cet accord, c’est d’abord le témoignage de reconnaissance de la Nation tout entière à l’endroit des personnels de santé : une mise à niveau de leur rémunération est prévue, de même qu’un investissement massif pour transformer et moderniser notre système.

Ainsi, 8 milliards d’euros seront consacrés à la revalorisation des salaires, ainsi qu’il était prévu, mais aussi, comme je l’ai annoncé ici même la semaine dernière, à la création d’emplois, ce qui n’était pas envisagé dans le projet initial.

Dans le cadre du plan de relance, 6 milliards d’euros seront alloués à l’investissement en ville et à l’hôpital, dans le domaine immobilier, mais aussi pour l’e-santé. Enfin, la reprise de 13 milliards d’euros de dette hospitalière permettra aux établissements de retrouver de l’oxygène, donc une capacité à investir – à l’hôpital comme ailleurs, vous le savez bien, l’investissement constitue l’un des leviers essentiels de la relance économique.

Au-delà de ces moyens financiers, il faut améliorer le fonctionnement quotidien des structures en leur donnant davantage de souplesse : elles doivent pouvoir déroger à certains cadres nationaux sur des questions de gouvernance interne, d’organisation et de modalités de temps de travail. Nous devons aussi favoriser davantage les logiques de décloisonnement entre ville et hôpital, à l’échelle des territoires.

Enfin, il faut permettre aux collectivités territoriales d’être davantage parties prenantes des stratégies d’investissement et d’organisation des soins, au niveau tant des agences régionales de santé que des établissements eux-mêmes.

À cet effet, je souhaite que régions, départements et intercommunalités puissent prendre une part plus grande dans la gestion de notre système de santé et, s’ils le souhaitent, s’associer aux investissements que nous allons décider en sa faveur. (Marques dironie sur les travées du groupe SOCR.)

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Évidemment, quand il s’agit de payer…

M. Jean-Pierre Sueur. Les collectivités contribuent déjà !

M. Jean Castex, Premier ministre. Cela se fera dans un cadre clair, sur la base de contrats territoriaux conclus avec l’État et les structures de soins, et avec à la clé, je le répète, une participation accrue des élus à la gouvernance du système.

Je n’ignore pas que l’autre question majeure que nous posent nos concitoyens dans le domaine de la santé a trait à la difficulté qu’ils rencontrent pour accéder à un médecin, généraliste ou spécialiste, notamment en ville. Nous connaissons tous ici la difficulté du problème : il faut dix ans pour former de nouveaux médecins, et la tension, déjà réelle, s’étendra dans les prochaines années à la plupart des territoires.

Nous devons agir de manière pragmatique, pour être efficaces à court terme. La seule solution, en tout cas l’une des principales, consiste à permettre aux médecins en exercice de travailler dans de meilleures conditions, au sein d’organisations plus collectives, en favorisant la délégation de plus de tâches, en les dotant d’assistants médicaux et en les allégeant des trop nombreuses charges administratives, qui leur prennent du temps.

M. Vincent Segouin. Cela existe déjà !

M. Jean Castex, Premier ministre. L’autre priorité est de recourir davantage à la télémédecine, dont j’ai pu constater dans mon territoire qu’elle a connu, à la faveur de la crise du covid, un essor tout à fait spectaculaire, presque inattendu dans son ampleur. Il nous appartient maintenant de consolider et de sécuriser sa place parmi les pratiques médicales.

Nous ne retrouverons pas l’unité sans une attention accrue aux plus vulnérables d’entre nous. Davantage touchés par la crise sanitaire, ils seront également, avec les jeunes, les plus fortement affectés par la crise économique, à commencer par les personnes en situation de handicap. Nous réunirons une Conférence nationale du handicap consacrée à ces sujets.

Mesdames, messieurs les sénateurs, consolider notre modèle de protection sociale, c’est aussi prendre les mesures nécessaires pour assurer sa pérennité.

En matière de retraites, la crise nous invite plus que jamais à poursuivre nos objectifs vers un système plus juste et plus équitable, notamment pour les femmes et les travailleurs modestes.

Ce système passe par la création d’un régime universel, ce qui, à mes yeux, implique clairement – je l’ai dit, je le répète – la disparition à terme des régimes spéciaux, étant entendu que nous prendrons pleinement en considération, comme nous avons commencé de le faire lors de la réforme de 2008, la situation des bénéficiaires actuels de ces régimes.

Je suis déterminé à ce que cette réforme aille à son terme d’ici à la fin de la législature, parce que c’est l’intérêt du pays. Dans le même temps, je pense que nous devons entendre les inquiétudes et les incompréhensions exprimées par nos concitoyens s’agissant de certaines modalités du projet dont le Parlement a été saisi.

Mme Éliane Assassi. Ils ont très bien compris vos intentions !

M. Jean Castex, Premier ministre. Je proposerai donc aux partenaires sociaux, comme aux parlementaires, que, sur les bases que je viens d’indiquer, la concertation reprenne rapidement, afin d’améliorer le contenu et la lisibilité de cette réforme nécessaire, en la distinguant très clairement de tout enjeu d’ajustement paramétrique – pour employer une formule technocratique – des régimes existants.

En effet, je suis convaincu que, s’agissant d’une réforme qui nous engagera pour des décennies, il est nécessaire que nous prenions le temps d’essayer de trouver les meilleurs points d’équilibre. En ce sens, cette réforme s’inscrit pour moi dans la continuité de la première phase de réforme des régimes spéciaux, décidée en 2007.

Au-delà de la retraite, nous devons répondre aussi à la question du grand âge et de la dépendance. Ce chantier si souvent annoncé, si longtemps attendu et sur lequel le Sénat, monsieur le président, a déjà apporté de nombreuses contributions, doit aboutir à un projet de loi, dont vous serez saisis au premier semestre de l’année prochaine.

Par ailleurs, je demanderai demain aux partenaires sociaux de se saisir, avec l’État, des questions liées à l’équilibre de l’ensemble des régimes de protection sociale, profondément affectés par la crise.

L’unité suppose aussi que l’État demeure le garant de l’ordre républicain. L’État doit être le même pour tous : nous ne tolérerons aucune zone de non-droit ! (M. Stéphane Ravier sesclaffe.)