compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Marc Gabouty

vice-président

Secrétaires :

M. Éric Bocquet,

M. Dominique de Legge.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour un rappel au règlement.

M. Jean Louis Masson. Mon rappel au règlement concerne les modalités d’application de l’article 45 de la Constitution.

C’est sur le fondement de cet article que le Conseil constitutionnel juge nécessaire de rejeter tout amendement sans rapport avec un texte de loi en cours d’examen. Tout relève donc de cette notion de rapport avec le texte.

Or à l’heure actuelle – on l’a encore vu ce matin en commission des lois, mais c’est le cas aussi ailleurs –, il arrive de plus en plus fréquemment que les commissions en rajoutent par rapport à l’application de l’article 45 et à la jurisprudence en la matière : si tel ou tel amendement que l’on présente ne plaît pas, elles considèrent qu’il est sans rapport avec le texte de loi examiné !

Ainsi, nous examinions ce matin – dans ce cadre, je n’ai pas été le seul à me plaindre des arbitrages rendus – une proposition de loi visant à modifier, pour ce qui concerne Mayotte, la récente loi sur l’immigration. Un certain nombre d’amendements, qui, pourtant, tendaient à modifier cette loi votée voilà quatre mois pour le cas de Mayotte et, donc, visaient le même objectif, ont été déclarés irrecevables, car sans lien avec le contenu de la proposition de loi.

On se retrouve donc dans un système où, en fonction du contenu des amendements – selon qu’ils plaisent ou ne plaisent pas –, on empêche des parlementaires d’exercer leur droit légitime à déposer des amendements.

Je souhaiterais que nous en ayons le cœur net, mes chers collègues ! Car le Conseil constitutionnel a bon dos ! On va prétendre qu’il ne laissera jamais passer tel ou tel amendement, mais, en définitive, on le fait parler sans lui demander son avis !

Dans cette affaire, c’est le droit d’amendement qui est en cause. J’aimerais donc que le président du Sénat saisisse le Conseil constitutionnel à propos des amendements qui n’ont pas été examinés ce matin, selon une procédure viciée dans laquelle le droit d’amender n’a pas pu s’exercer.

Il faut que nous en ayons le cœur net, car il n’existe aucune jurisprudence sur la question. Je demande par conséquent une saisine, par le président du Sénat, après le vote du texte, du Conseil constitutionnel, afin que celui-ci puisse déterminer si nous avons été brimés dans l’exercice de notre droit d’amendement, et ce même si les amendements concernés n’avaient aucune chance de passer, et si le fait que des dispositions législatives ont été votées en contradiction avec ce droit d’amendement ne justifie pas leur annulation.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Je souhaite tout d’abord donner à mon collègue l’assurance que l’examen de la recevabilité de ses amendements a naturellement été mené en toute objectivité par le rapporteur. Ce dernier a émis, pour certains d’entre eux, des propositions d’irrecevabilité, qui ont été retenues par la commission.

Notre devoir est naturellement de défendre le droit d’amendement détenu par chacune et chacun d’entre nous, mes chers collègues, mais il faut le faire dans le strict respect de la Constitution.

Si l’on veut bien faire preuve de bon sens, il faut aussi prendre en considération la façon dont les choses ont évolué au fil des années, ce dont nos compatriotes se plaignent beaucoup : les lois ont enflé au point, parfois, de devenir obèses.

Il n’est pas rare qu’un texte de loi triple ou quadruple de volume à l’occasion de son examen au Parlement. Ce n’est d’ailleurs pas seulement du fait de nos propres amendements, qui sont légitimes ; c’est aussi parce que, mû par une sorte de remords, le Gouvernement, qui, pourtant, a souvent pris dix-huit mois pour préparer son texte de loi, qui l’a soumis au Conseil d’État avant de le faire adopter en conseil des ministres, juge opportun, le train ne repassant pas en gare régulièrement, d’y accrocher des wagons supplémentaires sans attendre de nouveaux projets de loi.

Par conséquent, les critiques se multiplient – il faut que nous y soyons attentifs – quant au caractère de moins en moins lisible, pour nos concitoyens, de notre travail législatif. Pour cette raison, dans les années récentes, le Conseil constitutionnel s’est montré plus sévère à l’encontre des amendements n’ayant pas de lien suffisant avec les projets de loi en discussion.

La commission des lois, tout comme les autres commissions d’ailleurs, applique cette règle, et elle le fait sans en oublier le sens. Le droit, s’il n’avait pas de sens, ne mériterait pas qu’on soit déférent à son égard ; mais, si on lui donne sens, alors on fait œuvre utile pour toute la société. Il s’agit donc bien d’être attentif à élaborer de bonnes lois, qui ne se dispersent pas.

Plus le texte de loi touche des domaines multiples et variés, moins la loi est claire ! Le Conseil constitutionnel nous invite à prendre garde à cette forme de dérive, qui finit par dévaloriser la loi.

Telle est la réponse que je souhaitais apporter à mon collègue Jean Louis Masson, mais, pour ma part, je serai évidemment très heureux que le Conseil constitutionnel veuille bien préciser sa jurisprudence, qu’il nous indique si certaines irrecevabilités ont été abusivement prononcées, si nous avons agi à tort et si des sanctions s’imposent.

3

Souhaits de bienvenue à une délégation polynésienne

M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation polynésienne. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre, se lèvent.)

Cette délégation est conduite par le président de la Polynésie française et le président de l’assemblée de la Polynésie française.

Leur présence dans notre assemblée, alors que s’ouvre la discussion générale sur deux textes relatifs à la Polynésie française, témoigne des parfaites relations de travail entre nos institutions respectives sur les sujets qui intéressent directement nos concitoyens polynésiens.

Le Sénat a la mission constitutionnelle d’assurer la représentation de l’ensemble des collectivités territoriales de la République dans leur diversité. C’est pourquoi il est appelé à examiner en premier cette modification du statut d’autonomie de cette collectivité d’outre-mer.

Dans le respect des sensibilités politiques de chacun, les sénateurs conservent à l’esprit la contribution essentielle des Polynésiens à la vie de notre Nation.

Que nos collègues élus qui ont la charge de les représenter soient les bienvenus au Sénat ! (Applaudissements.)

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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.

M. Jean-Pierre Sueur. Le rappel au règlement de M. Jean Louis Masson et la réponse de M. Philippe Bas nous invitent à la réflexion, mes chers collègues.

Pour ma part, je m’interroge : je comprends bien les arguments du président de la commission, mais je ne suis pas sûr que la bonne solution consiste à demander l’avis du Conseil constitutionnel.

Patrick Kanner, qui préside mon groupe – le groupe socialiste et républicain –, a écrit à ce sujet au président du Sénat. En effet, si position il doit y avoir, ce doit être celle des parlementaires que nous sommes. Après, nous verrons bien, comme toujours, d’ailleurs, ce que dit le Conseil constitutionnel.

Il m’est arrivé d’être, pendant dix ans, député et de ne pas entendre parler, une seule fois, de cet article 45 de la Constitution. Il m’est même arrivé de vivre deux mandats au sein du Sénat de la République sans en entendre parler une seule fois.

Le droit d’amendement, pour les parlementaires que nous sommes, c’est comme l’oxygène : c’est essentiel !

Un jour, je me suis retrouvé à déposer un amendement sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté. Il s’agissait, à la demande des familles des victimes des attentats terroristes, de donner une sépulture décente à des concitoyens, massacrés dans ces circonstances et dont le corps était dans un état que je tairai. D’après vous, mes chers collègues, cette disposition n’a-t-elle rien à voir ni avec l’égalité ni avec la citoyenneté ? Pourtant, décision a été prise, par je ne sais qui, qu’elle était contraire à l’article 45 de la Constitution. Il y a vraiment un problème !

Je suis partisan de ne pas s’autolimiter de manière excessive. Bien sûr, M. le président Philippe Bas a raison, il ne faut pas se retrouver, à tout moment, avec des amendements n’ayant absolument aucun rapport avec le sujet – cela n’aurait aucun sens. Mais il faut tout de même disposer d’une certaine ouverture d’esprit et avoir la ferme volonté de défendre le droit d’amendement. Cela me paraît tout à fait nécessaire pour nous.

Je remercie donc M. Jean Louis Masson et M. Philippe Bas d’avoir éclairé le débat, mais je vous remercie aussi, monsieur le président, de m’avoir laissé la parole, afin que je puisse insister sur la nécessité de ne pas s’autolimiter à cet égard.

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.

Nous ne pouvons pas engager un débat sur ce sujet, qui ne figure pas à l’ordre du jour, mais je pense que la question pourra être utilement évoquée en conférence des présidents, conférence réunissant à la fois les présidents de groupe et les présidents de commission.

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POLYNÉSIE FRANÇAISE : MODIFICATION DU STATUT D’AUTONOMIE ET DISPOSITIONS INSTITUTIONNELLES

Discussion d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission

 
 
 

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique portant modification du statut d’autonomie de la Polynésie française (projet n° 198, texte de la commission n° 294, rapport n° 292) et du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (projet n° 199, texte de la commission n° 293, rapport n° 292).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la ministre.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de satisfaction que le Gouvernement voit commencer aujourd’hui la discussion sur le projet de loi organique, et le projet de loi ordinaire qui l’accompagne, relatif à la Polynésie française.

En effet, ce texte est sur le métier depuis 2015. Il constitue le pendant législatif de l’accord de l’Élysée, signé le 17 mars 2017, qui a marqué le renouveau des relations entre l’État et la Polynésie française et qui est porteur, selon ses propres termes « d’un nouveau pacte républicain fondateur ».

Ce pacte, c’est d’abord celui de la confiance retrouvée, et je tiens à souligner que cette confiance a également irrigué les échanges entre le ministère des outre-mer, les élus de Polynésie et la commission des lois dans la préparation de ce texte. Un travail dense, riche et productif a été conduit.

À cet égard, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, je vous adresse, ainsi qu’à l’ensemble de vos collaborateurs, mes plus chaleureux remerciements. C’est le quatrième texte spécifiquement ultramarin sur lequel nous travaillons ensemble, le deuxième projet de loi organique, et chaque fois, je veux le redire, nous avons œuvré collectivement dans un même esprit, au plus grand bénéfice des territoires d’outre-mer.

Le projet de loi organique qui vous est soumis inscrit dans le statut de la Polynésie française la pierre angulaire de l’accord de l’Élysée : la reconnaissance du fait nucléaire et de ses conséquences.

Cette reconnaissance répond à une attente très forte de la population et des élus de la Polynésie française. Le fait nucléaire, aujourd’hui incontournable dans le débat politique local, ne doit pas être tu. Il doit être abordé sereinement, objectivement. Le taire serait faire le lit d’une construction mémorielle tronquée, d’une réécriture de l’histoire au détriment des faits.

C’est donc avec fierté que le gouvernement actuel poursuit le travail engagé, dès 2010, avec la loi dite « Morin » relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Dans la continuité de l’accord de l’Élysée, beaucoup a été accompli au cours des deux dernières années.

Le système d’indemnisation des victimes, sous l’impulsion de la sénatrice Lana Tetuanui, a été profondément réformé. Alors qu’un nombre très faible de dossiers déposés par des Polynésiens avait abouti à une indemnisation jusqu’alors, ce sont 75 demandes qui, en 2018, ont été acceptées par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN. Tout laisse à penser qu’il en sera de même dans les années à venir ; le budget du CIVEN a d’ailleurs été augmenté.

En parallèle, de nombreux efforts sont conduits par l’État et le pays pour accompagner les victimes ou leurs ayants droit dans la constitution des dossiers.

Ma collègue Agnès Buzyn a présidé lundi le comité de suivi des indemnisations, qui réunit les experts, les élus, les associations. Je crois que chacun a pu mesurer, à cette occasion, l’ampleur des avancées.

L’État accompagne également la Polynésie française dans le traitement des pathologies radio-induites. Il soutient le développement du service d’oncologie du centre hospitalier de Papeete par un apport en investissement en matériels de 6 millions d’euros sur trois ans.

Enfin, l’histoire et la mémoire ne pouvant se construire que de manière apaisée, l’accord de l’Élysée a décidé qu’il convenait « d’établir un rappel historique juste et partagé des faits de cette période et de présenter toutes les implications de la présence sur le territoire polynésien du [Centre d’expérimentation du Pacifique ou] CEP entre 1966 et 1996 ».

Pour ce faire, l’État et le pays œuvrent à la création d’un centre de mémoire, dans le cadre d’un comité de pilotage conjoint, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de présider aux côtés du président Édouard Fritch lors de mon dernier passage en Polynésie. Le Parlement a en parallèle fixé le principe d’un transfert de l’État au pays de l’emprise foncière nécessaire au projet. C’est donc un dossier qui progresse.

Mais la question nucléaire ne résume pas les relations entre la Polynésie française et la République. Nous avons en partage une histoire, des valeurs, des projets communs. Tout cela ne doit pas être occulté par une ombre pesante qui écraserait tout et finirait par remettre en cause la capacité de la Polynésie française à se projeter dans l’avenir.

L’objet premier du projet de loi est de procéder au toilettage du statut, afin de le rendre plus fonctionnel, de le moderniser parfois, la priorité étant de permettre à la Polynésie française de bénéficier d’institutions stables et de politiques publiques efficaces. Nos concitoyens polynésiens demandent légitimement, comme en métropole, des réponses à leurs attentes du quotidien.

Avant d’évoquer les nombreux sujets de fond que ce projet de loi permet de traiter, je tiens à dire un mot de la question des dotations.

L’assemblée de la Polynésie française, dans son avis sur le projet de loi, a proposé d’inclure dans le statut la question des dotations dont bénéficie le pays. Cette question relève, à n’en pas douter, de la loi de finances et ne saurait trouver sa place dans la loi organique.

Cependant, l’interpellation de l’assemblée du pays m’a amené à demander à mes services une étude sur les dotations dont bénéficient les collectivités en Polynésie française. Ce travail a mis en évidence une particularité : 99 % des dotations du pays relèvent du programme 123, c’est-à-dire du ministère des outre-mer.

De ce fait, la Polynésie française pèse beaucoup dans le budget du ministère et subit les aléas de gestion de manière plus forte que les autres collectivités, qui, elles, bénéficient pour la plupart de la dotation globale de fonctionnement – la DGF. Cela en fait la seule collectivité de la République dont la principale dotation, votée en loi de finances, peut fluctuer en gestion.

C’est pourquoi, sur ma demande, le Gouvernement a décidé de retirer la dotation globale d’autonomie, ou DGA, qui représente plus de 90 millions d’euros par an, du budget du ministère des outre-mer. Dans le cadre du prochain projet de loi de finances, cette dotation sera transformée, à l’instar de la DGF, en un prélèvement sur recette d’un montant identique.

Cela permettra de régler une problématique de fond, qui a longtemps contraint le budget de la collectivité.

Les autres instruments financiers, dont la vocation est de financer des projets – troisième instrument financier, ou 3IF, contrat de développement, dotation territoriale pour l’investissement des communes, ou DTIC, fonds intercommunal de péréquation, ou FIP –, demeureront bien dans le programme 123 du ministère des outre-mer.

L’assemblée de la Polynésie française a donc eu raison de soulever cette question et, grâce à sa mobilisation, la sanctuarisation de la DGA sera à l’avenir une réalité juridique concrète.

Mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l’indiquais, les projets de loi qui vous sont soumis procèdent au toilettage des textes statutaires et institutionnels polynésiens.

Sans pouvoir mentionner chacun des sujets traités, je souhaite souligner quelques points.

L’article 4 du projet de loi organique permet de clarifier le régime des autorités administratives indépendantes créées par le pays qui constituaient jusqu’à aujourd’hui en quelque sorte un objet juridique non identifié, difficile à appréhender dans notre cadre légal. Je crois que l’écriture proposée, qui a fait l’objet d’échanges nourris, permet d’atteindre une forme d’équilibre entre l’indépendance indispensable à ces autorités et le souci de maintenir un cadre juridique offrant des garanties en matière de gestion budgétaire et administrative.

L’article 5 ouvre, quant à lui, la possibilité pour le pays de créer des sociétés publiques locales, outils dont la pertinence a été démontrée en métropole et qu’il fallait rendre opérants en Polynésie française. En parallèle, un toilettage du régime des syndicats mixtes est également proposé.

L’article 5 ter du projet de loi organique, complété par plusieurs articles du projet de loi ordinaire, constitue l’aboutissement d’un travail de fond engagé depuis près d’un an pour proposer des solutions en Polynésie française aux questions foncières. Le choix avait été fait, vous vous en souvenez, de ne pas inclure la Polynésie dans la loi relative à l’indivision successorale outre-mer adoptée récemment. Un travail complémentaire a été conduit, qui a permis d’adapter les avancées acquises pour l’outre-mer aux spécificités polynésiennes. Nous sommes bien au rendez-vous de la différenciation que le Président de la République appelle de ses vœux pour l’ensemble des territoires d’outre-mer !

Les deux textes de loi permettent également des avancées notables en matière d’intercommunalité, en adaptant le cadre national aux réalités locales et à une répartition des compétences qui n’est pas identique à celle de la métropole.

D’une manière générale, de nombreuses dispositions permettent de répondre aux attentes des maires, dont la sénatrice Lana Tetuanui s’est légitimement faite la porte-parole au cours de nos travaux préparatoires. Tous les sujets n’ont pu être traités, madame la sénatrice, mais toutes les remarques ont été entendues.

Certaines problématiques ne relèvent pas des textes en discussion. Je souhaite néanmoins qu’elles trouvent des réponses. Le Gouvernement s’attachera en particulier à traiter la question des frais de mission des maires, qui est une préoccupation pour tous les outre-mer.

Ces deux projets de loi procèdent également au toilettage des règles institutionnelles pour répondre à des malfaçons ou à des lourdeurs administratives : c’est le cas en matière de délégations de signature, de protection fonctionnelle, ou encore concernant le régime des conventions signées entre l’État et le pays.

Une malfaçon avait trait aux modalités de renouvellement de l’assemblée de la Polynésie française. L’intention initiale du législateur s’étant quelque peu perdue au fil des modifications, le projet de loi corrige cette erreur, permettant d’assurer la stabilité des institutions locales.

Avant de conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de mettre l’accent sur les questions aéroportuaires. À la demande du président de la Polynésie française, l’État procédera, d’ici à 2020, au transfert au pays de la propriété et de la gestion de trois aéroports dits « secondaires » qui étaient demeurés de sa compétence : Bora-Bora, Rangiroa et Raiatea.

Par ailleurs, afin de sécuriser la participation du pays dans la gestion de l’aéroport de Tahiti-Faaa dans le cadre du renouvellement de la concession en cours, un amendement du Gouvernement au projet de loi ordinaire vous est proposé.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s’inscrit, vous l’avez compris, dans une dynamique nouvelle entre l’État et la Polynésie française, dynamique ayant vocation à se poursuivre dans beaucoup d’autres champs qui ne relèvent pas du statut.

Le Gouvernement travaille ainsi avec le pays au renouvellement de la convention par laquelle l’État soutient le régime de solidarité de la Polynésie française.

Nous souhaitons également engager les travaux permettant de conclure un plan de convergence et un contrat de convergence et de transformation, dans la lignée de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dite loi ÉROM.

Enfin, la préparation d’un sommet France-Océanie à Papeete d’ici à la fin de cette année a été engagée, traduisant notre souhait de mettre de nouveau la Polynésie à l’honneur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les projets de loi organique et ordinaire dont le Sénat est aujourd’hui saisi ne constituent pas à proprement parler une révolution ; ils représentent néanmoins une évolution importante.

Les Polynésiens, après une période d’instabilité politique et institutionnelle, aspirent désormais à la stabilité et demandent que des ajustements techniques soient apportés au statut de la collectivité.

Tel est bien, pour l’essentiel, l’objet des deux textes qui nous sont présentés. Comme Mme la ministre l’a rappelé, voilà plusieurs années que nous attendions leur dépôt par le Gouvernement. C’est chose faite, et je crois que nous pouvons collectivement nous en réjouir !

Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît essentiel, pour bien comprendre les enjeux de l’évolution de ce statut, de rappeler quelques points.

La Polynésie française est une collectivité d’outre-mer forte de 282 000 habitants, dotée d’une large autonomie au titre de l’article 74 de la Constitution. Son statut la définit d’ailleurs comme « un pays d’outre-mer au sein de la République ».

La collectivité dispose ainsi d’une compétence de principe sur son territoire, les compétences de l’État étant limitativement énumérées par le statut et restreintes pour l’essentiel au domaine régalien.

Les pouvoirs publics polynésiens doivent constamment s’adapter aux spécificités géographiques de leur territoire : la Polynésie française, ce sont 118 îles dispersées sur 2,5 millions de kilomètres carrés, soit un espace équivalent à la superficie de l’Europe. Rien que cela ! C’est également une zone économique exclusive de 4,8 millions de kilomètres carrés, soit près de la moitié de la surface totale des zones économiques exclusives françaises.

Hormis quelques modifications ponctuelles, le statut de 2004 a été modifié à deux reprises : une première fois en 2007, puis en 2011, dans un contexte d’instabilité politique des institutions polynésiennes.

Lors de sa réunion, la commission des lois a adopté 62 amendements, afin d’enrichir les textes du Gouvernement et, au final, de mieux répondre aux demandes formulées par les autorités polynésiennes.

Aussi, je veux remercier l’ensemble de nos interlocuteurs, en particulier les représentants de la Polynésie française – je salue le président Édouard Fritch et le président de l’assemblée de la Polynésie française, Gaston Tong Sang –, ainsi que Mme la ministre des outre-mer et ses collaborateurs, avec lesquels nos échanges furent particulièrement riches et nourris.

Sur le plan de la méthode, j’ai souhaité entretenir un dialogue franc et constant avec chacun pour que les textes de la commission soient les plus consensuels possible.

Cet objectif me semble aujourd’hui atteint : les amendements du Gouvernement et ceux de mes collègues visent, pour la plupart, à enrichir le projet de loi organique et le projet de loi, sans remettre en cause les avancées de la commission.

Les débats vont se poursuivre en séance, notamment sur certains enjeux financiers, mais j’ai bon espoir que nos textes puissent réunir une large majorité, d’abord au Sénat, puis à l’Assemblée nationale.

Sur le fond, la commission des lois a admis le principe d’une reconnaissance, à l’échelon organique, de la contribution de la Polynésie française à la construction de la capacité de dissuasion nucléaire et à la défense de la Nation.

En adoptant un amendement du Gouvernement, elle a souhaité que l’État informe annuellement l’assemblée de la Polynésie française des initiatives prises en ce sens.

Je ne rappellerai pas les progrès qui ont été accomplis depuis une décennie pour améliorer l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie française.

Après la loi Morin de 2010, qui a constitué une première étape, la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a facilité l’indemnisation des victimes, sur proposition du Sénat. Nous observons déjà de premiers résultats : 146 personnes ont été indemnisées au cours des dix derniers mois, contre 96 entre 2010 et 2017 !

Une commission, présidée par notre collègue de Polynésie Lana Tetuanui, a été mise en place pour réfléchir aux mesures propres à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie a été effectivement causée par les essais nucléaires. Elle a remis son rapport en novembre dernier, et nous serons très attentifs aux suites qui seront données à ses préconisations.

La commission des lois a également facilité l’exercice des compétences de la Polynésie française. Elle s’est par exemple assurée du bon fonctionnement des autorités administratives indépendantes créées par la collectivité en veillant à ne pas assécher leur vivier de compétences.

De même, elle a assoupli le régime juridique des sociétés publiques locales et des sociétés d’économie mixte pour qu’il soit adapté aux spécificités – tout le monde le comprendra – de la Polynésie française.

Sur le plan institutionnel, la commission des lois a ajouté l’environnement aux compétences du Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française et a encouragé la parité au sein de l’institution.

En outre, elle a mieux organisé le partage des tâches entre les institutions de la Polynésie française, notamment en leur permettant de saisir le Conseil d’État en cas de conflit de compétence.

La commission a également amélioré le régime juridique des lois du pays adoptées par l’assemblée de la Polynésie française, afin d’accélérer leur application. Même en cas de recours préalable, une loi du pays pourra désormais être promulguée si le Conseil d’État ne s’est pas prononcé dans un délai de trois mois. Il s’agit d’une garantie importante pour l’efficacité de l’action publique en Polynésie française.

L’un des points les plus sensibles du projet de loi organique concerne la stabilité des institutions polynésiennes.

Aujourd’hui, la démission de trois représentants à l’assemblée de la Polynésie française impose le renouvellement intégral de l’institution. Comme l’a relevé le Conseil d’État, une minorité de représentants dispose donc d’un droit de dissolution de l’assemblée, ce que cherche à éviter l’article 12 du projet de loi organique.

La commission des lois a par conséquent sécurisé le dispositif proposé par le Gouvernement, notamment au regard du principe de libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus. Elle a ainsi prévu un renouvellement intégral de l’assemblée de la Polynésie française dès lors qu’un tiers des sièges y seraient devenus vacants pour quelque cause que ce soit, sur le modèle des conseils municipaux.

En outre, la commission des lois a favorisé l’exercice des compétences communales, en coopération avec le pays et les autres personnes publiques polynésiennes.

Elle a précisé le régime des syndicats mixtes et assoupli la répartition des compétences entre les communes et le pays, notamment en matière de politique de la ville et de protection de l’environnement.

Pour plus d’efficacité, la commission a permis aux communes et aux EPCI de confier le recouvrement des impôts et taxes locaux à la Polynésie française. Elle a également associé un maire, un tavana, à la présidence du comité des finances locales de la Polynésie française.

De même, la commission a amélioré les dispositions du projet de loi visant à encourager l’intercommunalité, qui reste embryonnaire en Polynésie française.

Elle s’est aussi assurée de la bonne coordination entre l’État et les autorités polynésiennes. Elle a par exemple modernisé le statut des agents non fonctionnaires de l’administration, qui disposaient d’un statut obsolète de droit privé depuis plus de cinquante ans !

Des efforts restent à faire, madame la ministre, concernant l’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française, où le code général des collectivités territoriales est surnommé le « code général casse-tête » ! (Sourires.) Nous comptons beaucoup sur la mission que vous devez lancer à ce sujet.

Enfin, la commission des lois – c’est un sujet qui m’est cher – a facilité le règlement des difficultés foncières en Polynésie française.

À cet égard, je me réjouis et me félicite que nous ayons repris les propositions de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui a travaillé sur ces sujets pendant plus de deux ans et remis pas moins de trois rapports. En effet, les difficultés foncières rencontrées en Polynésie française sont nombreuses, comme dans beaucoup d’autres territoires ultramarins. Elles résultent de l’absence de règlement de successions depuis plusieurs générations, ou encore des lacunes de l’état civil ou du cadastre.

En bonne intelligence avec la Chancellerie, la commission des lois a facilité les sorties d’indivision. Elle a également empêché la remise en cause d’un partage judiciaire par un héritier omis.

Un régime dérogatoire de partage par souche permettrait, à titre expérimental, à un membre d’une branche de la famille de représenter l’ensemble des branches dans le règlement judiciaire de successions multiples.

À un moment où nombre de nos concitoyens s’interrogent sur le rôle du Parlement, qu’il s’agisse du Sénat ou de l’Assemblée nationale, vous me permettrez de souligner l’efficacité avec laquelle ont été conduits les travaux de notre assemblée. À cet égard, je veux féliciter mon collègue Michel Magras, président de la délégation aux outre-mer, de l’excellence des travaux menés par celle-ci. Au travers de trois textes – la loi ÉROM, la loi Letchimy et le présent projet de loi –, nous apportons des réponses pratiques et pragmatiques à ce problème séculaire du foncier.

Enfin, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, les deux textes que nous examinons comprennent quelques symboles forts et une multitude de dispositions techniques de portée apparemment modeste, mais ô combien importante pour régler les difficultés rencontrées sur le terrain.

Au regard des avancées obtenues en commission grâce à un travail constructif mené en bonne intelligence avec les autorités polynésiennes, avec Mme la ministre et le Gouvernement, je vous propose d’adopter le projet de loi organique et le projet de loi ainsi modifiés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)