M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai !

M. Julien Bargeton. Lors de l’examen des crédits des missions, on présente de nombreuses propositions de dépenses nouvelles, plus rarement des propositions d’économies réalisables. Il faut le souligner.

La technique du rabot, qui a parfois été utilisée, ne fonctionne pas. En revanche, des réformes structurelles peuvent produire des économies. À cet égard, je ne partage pas les préventions du rapporteur général de la commission des finances : je crois au contraire que ce sont les réformes structurelles qui sont le mieux à même de conduire à des économies, évidemment pas la première ou la deuxième année de leur mise en œuvre. Dans nos collectivités locales, lorsque nous engageons une réforme des services, elle ne produit ses premiers effets, en termes de modération de la dépense, qu’au bout de deux, trois ou quatre ans. Il est plutôt de bonne politique, à mon sens, de miser sur des réformes structurelles pour obtenir une réduction efficace de la dépense. C’est ce que fait le Gouvernement.

Sur les recettes, il y a également des débats, mais ce qui est important, c’est la visibilité en matière fiscale. La stabilité du cadre fiscal permet un retour de la confiance. On attribue volontiers celui-ci au contexte international, aux politiques menées précédemment, etc., mais l’économie, c’est de la dynamique, et la dynamique se crée par la confiance, laquelle résulte de la stabilité, de la visibilité et de la modération en matière fiscale. Il importe, à cet égard, d’enclencher une baisse progressive et continue des prélèvements obligatoires.

Benjamin Franklin disait qu’il y a bien des manières de ne pas réussir, mais que la plus sûre était de ne jamais prendre de risques. La transformation est toujours un risque, mais elle est la condition de la maîtrise des finances publiques. Sans transformation, il n’y a pas d’efficacité des politiques économiques ni de maîtrise de la dépense publique. Il appartient bien sûr au Parlement de vérifier la réalité de cette efficacité. Il le fait déjà, et je souhaite qu’il le fasse davantage encore à l’avenir.

Ce programme est un instrument de lutte contre l’instabilité européenne ou des politiques économiques. Il traduit une volonté de transformation et de visibilité, visant à restaurer la confiance et à permettre la maîtrise des dépenses publiques. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)

M. Bernard Delcros. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, chers collègues, le débat sur le projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022 se déroule dans un environnement macroéconomique plutôt favorable. Après la Banque de France et l’OCDE, vous confirmez, monsieur le ministre, l’amélioration des prévisions budgétaires par rapport à la loi de finances de 2018. Le taux de croissance est revu à la hausse. Il s’établira à 2 % du PIB en 2018 et à 1,9 % en 2019, contre une prévision initiale de 1,7 % pour chacune de ces deux années.

Ces chiffres encourageants traduisent la reprise au sein de la zone euro, l’accélération de la demande mondiale, mais aussi le dynamisme des investissements de nos entreprises.

Elle devrait aussi, à juste titre, rassurer une partie de nos concitoyens qui, au-delà des chiffres, attendent des retombées concrètes et des améliorations tangibles de leur quotidien.

C’est bien tout l’enjeu de cette reprise : poursuivre nos efforts pour consolider cette amélioration et accélérer le redressement de nos finances publiques – nous avons indiqué à plusieurs reprises que c’était une priorité -, mais aussi veiller à ce que ce regain de croissance contribue à réduire les inégalités, qu’elles soient sociales ou territoriales, ainsi qu’à maintenir et à améliorer la qualité des services apportés à nos concitoyens sur l’ensemble du territoire national. C’est le juste équilibre que nous devons trouver.

En conséquence le redressement de nos finances publiques, la diminution de la dette et la réduction du déficit public sont au rendez-vous. La dette s’établirait à 96,4 % du PIB en 2018 et pourrait atteindre 89,2 % en 2022. Cette nette amélioration par rapport aux prévisions précédentes est plutôt rassurante, notamment dans une perspective de hausse des taux d’intérêt.

Le déficit serait, quant à lui, de 2,3 % du PIB en 2018 et de 2,4 % en 2019, au lieu des 2,8 % et 2,9 % jusque-là anticipés. Un léger excédent budgétaire pourrait même être obtenu à l’horizon de 2022, ce qui serait une première depuis 1974 et, à coup sûr, un résultat susceptible de donner confiance en l’avenir. Ces résultats devraient permettre à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif avant l’été prochain.

Toutefois, deux interrogations demeurent, comme l’ont souligné le président et le rapporteur général de la commission des finances.

La première porte sur la suppression de la taxe d’habitation, qui représente un montant variant de 10 milliards d’euros à 14 milliards d’euros, en fonction de l’inclusion ou non des résidences secondaires et de la date retenue. Cette perspective ne semble pas intégrée dans le programme de stabilité. Comment envisagez-vous le financement de cette mesure ? Quel serait son impact sur la trajectoire de nos finances publiques ?

La seconde interrogation concerne la reprise, même partielle, de la dette de la SNCF annoncée par le Président de la République à l’horizon de 2020, qui pourrait modifier substantiellement cette trajectoire. Comment envisagez-vous de répondre à cette nouvelle donne ?

S’agissant du taux des prélèvements obligatoires, l’objectif affiché par le Gouvernement dans la loi de programmation des finances publiques était d’aboutir à une diminution d’un point de PIB d’ici à 2022, pour atteindre 43,7 %. Cet objectif est revu à la baisse par le présent programme de stabilité, puisque la pression fiscale devrait désormais s’établir à 44,3 % du PIB à la fin du quinquennat, soit 0,6 point de plus que prévu.

Toutefois, nous le savons tous, la reprise économique suscite, et c’est tant mieux, une hausse mécanique des recettes de TVA, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, liée à l’élargissement de l’assiette.

L’autre raison qui explique ce résultat, monsieur le ministre, c’est l’adoption par le Parlement, dans la première loi de finances rectificative pour 2017, de la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés des très grandes entreprises, pour faire face à l’obligation de remboursement de la taxe sur les dividendes.

Néanmoins, les réformes de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, de la fiscalité sur le capital que vous avez engagées, comme la suppression progressive de la taxe d’habitation devraient favoriser une baisse progressive des prélèvements obligatoires.

Enfin, le niveau des dépenses publiques devrait atteindre près d’un demi-point de plus que ce qui était initialement prévu, pour s’établir à 54,4 % du PIB.

J’entends bien tous ceux, nombreux, qui réclament une réduction plus drastique de la dépense publique. Mais on ne peut pas, dans le même temps, demander le maintien de tous les services, voire des mesures nouvelles, qui entraînent des dépenses supplémentaires ! Ainsi, l’objectif de baisse de la dépense publique, qui doit bien évidemment être visé, ne doit pas l’être aveuglément.

Pour conclure sur la question du redressement des finances publiques, sachez, monsieur le ministre, que nous approuvons votre décision de faire figurer cette priorité parmi les quatre axes de votre programme national de réforme. Comme M. le ministre l’a rappelé, nous portons la responsabilité, à l’égard des générations qui viennent, d’assainir nos finances publiques et de réduire notre endettement.

Les fruits de la croissance retrouvée doivent aussi servir à l’amélioration de la situation des plus fragiles, celle des Français comme celle des territoires. Et je veux rappeler que, dans certains domaines prioritaires, le maintien de la qualité du service public nécessite, et nécessitera demain encore davantage, un engagement soutenu de l’État. Par exemple, dans les domaines de la santé, dans nos hôpitaux, dans nos EPHAD, qui doivent faire face au vieillissement de la population et à la dépendance qui l’accompagne, dans l’éducation, le transport, la sécurité, l’approche comptable ne peut pas être la seule réponse.

Par ailleurs, l’aménagement du territoire, qui doit prioritairement viser l’équité dans l’accès aux services pour tous nos concitoyens et dans tous les territoires, nécessite que l’État joue pleinement son rôle de régulateur.

Vous avez annoncé, monsieur le ministre, vouloir engager des réformes structurelles une fois rendu le rapport du Comité action publique 2022. Nous comptons sur vous pour que ces réformes soient équilibrées et que le nécessaire mouvement de réduction de la dépense publique, que nous soutenons, soit raisonné, dans le respect des territoires et des citoyens les plus fragiles.

Mes chers collègues, la feuille de route budgétaire qui nous est aujourd’hui proposée nous paraît réaliste et opportune.

Toutefois, à l’occasion de ce débat, nous avons souhaité alerter sur les écueils que ces réformes devront éviter, afin que le redressement de nos finances publiques, qui doit impérativement accompagner l’embellie budgétaire et pour lequel nous serons au rendez-vous, ne laisse personne au bord de la route, et afin qu’aucun territoire ne soit abandonné. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, qui nous rejoignez, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, comme chaque année, nous débattons du programme de stabilité réactualisé transmis à la Commission européenne en tant que pays membre de la zone euro.

Comme chaque année, cette trajectoire prévisionnelle des finances publiques doit être considérée avec prudence, tant ses estimations sont par nature fragiles, compte tenu de l’interdépendance des économies européennes et mondiales.

Plus que d’habitude cependant, peut-être parce que c’est un nouveau gouvernement qui nous le présente, l’introduction de ce document ne peut manquer de surprendre par des éléments de langage hautement discutables. Ainsi nous dit-on que « les engagements européens de la France ont été respectés…

M. Julien Bargeton. Tout à fait !

M. Claude Raynal. … grâce aux mesures énergiques de redressement déployées par le Gouvernement »,…

M. François Patriat. Il parle vrai !

M. Claude Raynal. … alors qu’il est admis par tous, et surtout par vous, monsieur le ministre des comptes publics, que l’amélioration significative du déficit public est, pour les deux tiers, due à la forte croissance constatée.

Vous le savez, cette croissance, initialement estimée à 1,5 %, a été présentée comme « inatteignable » lors de la présentation du budget primitif de 2017, puis comme à peine plausible en avril 2017, pour finalement s’établir à au moins 2 % aujourd’hui.

M. Gérald Darmanin, ministre. Tout à fait !

M. Claude Raynal. C’est sûr, il est plus facile d’améliorer une situation avec 2 % de croissance qu’avec 0,2 % comme en 2012, situation que vos amis de l’époque, monsieur le ministre, nous avaient laissée ! (Protestations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. - Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Eh oui, il est toujours utile de le rappeler !

M. François Bonhomme. Rendez-nous Hollande !

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. On a le droit de changer d’avis !

M. Claude Raynal. Au demeurant, passer de 5,2 % de déficit public à 2,85 %, si l’on suit votre propre démonstration, monsieur le ministre, avec une croissance de 1 % en moyenne, c’est autrement plus compliqué que de gagner 3 points avec 1,8 % de croissance en moyenne !

D’ailleurs, monsieur le ministre, je vous le dis sincèrement, vous devriez avoir plus de respect pour vos prédécesseurs, quoi que vous en pensiez.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour mes anciens ? (Sourires.)

M. Claude Raynal. Tout à fait ! Ils vous en seront redevables : lorsque vous quitterez ce poste, vous aurez plaisir à ce que les gens ne disent pas du mal de vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Dans ce document, plus loin, on lit avec effarement que « les signaux économiques sont venus confirmer la reprise à l’œuvre en 2017, soutenue […] par le retour à la confiance des milieux économiques – jusque-là, ça va ! – suite à l’élection présidentielle de mai 2017 ».

M. Claude Raynal. Voyez-vous, cette confiance est mesurée – je n’y peux rien – par l’indicateur de confiance des entreprises. Or celui-ci, qui était de 109 en mai, est de 111 aujourd’hui. Concrètement, je ne vois là rien d’extraordinaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

Plus loin encore dans cette présentation, qui offre tout de même un grand moment, on lit : « La croissance en volume de la dépense publique s’établira à + 0,7 % en 2018 et + 0,4 % en 2019, en net recul par rapport à 2017 ». Nous ne le contestons pas. Toutefois, nous sommes bien loin des premiers discours martiaux d’un certain ministre des comptes publics, qui nous disait, en juillet 2017 : « Le Premier ministre a clairement déclaré que nous limiterons à 0 %, et c’est exceptionnel, la hausse en volume de la dépense publique pendant trois ans ». Zéro pour cent en juillet, 0,7 % aujourd’hui : que s’est-il passé ?

M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. C’est presque pareil !

M. Claude Raynal. Au fond, comme dans l’ancien monde, de longs prolégomènes ne font qu’essayer de masquer une trajectoire finalement très proche de celle qui a été présentée par vos prédécesseurs en 2017,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Non !

M. Claude Raynal. … sinon qu’elle prend appui sur une croissance effective plus forte et une baisse des dépenses publiques annoncée comme plus soutenue, sans pour autant d’ailleurs que cette baisse soit en rien documentée.

M. Julien Bargeton. Ce n’est pas un PLF !

M. Claude Raynal. En analysant maintenant plus finement les documents soumis à notre appréciation, il est assez clair que les hypothèses prises sur les grands indicateurs macro-économiques sont pour l’essentiel crédibles, même s’ils interrogent tout de même.

En matière de taux d’intérêt, la courbe de remontée est sans doute assez défavorable. Cette prudence ne nous choque cependant pas et peut s’analyser, cela a été dit par le rapporteur général, comme une sorte de petite réserve de précaution – peut-être une dizaine de milliards d’euros, ce qui n’est jamais de trop, en 2022. Quoi qu’il en soit, cette prudence est une constante des trajectoires depuis la mise en place de la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne, qui est poursuivie aujourd’hui.

Plus discutable sans doute est l’idée d’une croissance continue et relativement forte jusqu’en 2022. Certes, comme vous, nous la souhaitons, car elle permet d’améliorer nos comptes publics au prix d’un effort mieux lissé dans le temps sur nos dépenses publiques.

Pour autant, la concordance d’une croissance forte, d’une diminution significative des dépenses publiques et d’une augmentation des taux d’intérêt affichée comme forte dans le scénario laisse songeur, ces deux derniers éléments pouvant avoir un effet très sensible sur le niveau de la croissance.

D’ailleurs, dans son avis d’avril 2018, le Haut Conseil des finances publiques ne dit-il pas la même chose, dans un langage technocratique à souhait ? « Le scénario retenu d’une croissance effective demeurant continûment supérieure à la croissance potentielle jusqu’en 2022 est optimiste ». « Optimiste », en mode décrypté, cela veut dire « peu crédible » ! (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Pour Hollande, il disait « inatteignable » !

M. Claude Raynal. Je n’oserais pas dire « insincère », car nous ne sommes pas ici dans la matière budgétaire, mais dans la seule prévision de moyen terme. L’insincérité viendra en avançant…

Ces quelques remarques permettent de relativiser, monsieur le ministre, vos propos introductifs et de pointer les différents non-dits de ce programme de stabilité.

Ainsi, notamment, la baisse volontariste des dépenses publiques peut avoir, si elle est mal conduite, vous le savez, un impact significatif sur la croissance. L’équilibre croissance effective-évolution du solde structurel doit donc être analysé précisément, monsieur le rapporteur général, avant la mise en œuvre de mesures nouvelles.

Il en est particulièrement ainsi des politiques de contractualisation avec les collectivités territoriales, qui vont avoir un effet à nouveau massif sur l’investissement… (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. Claude Raynal. Bien sûr que si ! Quand vous diminuez le fonctionnement, cela a un impact sur l’investissement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, c’est le contraire ! On comprend mieux comment vous gérez vos collectivités…

M. Claude Raynal. Je vous l’expliquerai, monsieur le ministre ! Nous le vivons tous les jours.

M. Alain Richard. Il y a des investissements productifs !

M. Claude Raynal. L’investissement, par nature, crée des charges de fonctionnement.

M. Julien Bargeton. Plus c’est gros, plus ça passe !

M. Claude Raynal. Vous créez des écoles sans frais de fonctionnement ? C’est fabuleux ! Vous nous expliquerez comment vous faites.

M. Alain Richard. Mais il n’y a pas que des écoles !

M. Claude Raynal. De même peut-on s’interroger sur la politique menée davantage en faveur des actionnaires que des entreprises pour doper l’investissement privé. Des soutiens directs de l’État en direction des investissements, tant privés que publics, auraient sans doute été bien plus efficaces.

M. Claude Raynal. Nos avis divergent sur ce point.

Enfin, l’absence de déficit structurel doit-elle être l’alpha et l’oméga de toute politique européenne ? Si nous pouvons comprendre qu’il faut s’en rapprocher quand on est dans le haut du cycle économique, est-il normal, voire utile, que certains pays aient des soldes structurels largement excédentaires ? En quoi est-ce utile à la croissance et, partant, à l’emploi ?

Finalement, retenons quelques éléments de ce programme de stabilité : un exercice facilité par une croissance retrouvée,…

M. Claude Raynal. … surtout grâce aux politiques de vos prédécesseurs. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe La République En Marche.)

M. François Patriat. Il fallait continuer, alors !

M. Claude Raynal. Eh oui, cela fait mal, mais c’est comme ça !

Retenons également un équilibre complexe à négocier, entre baisse des déficits et croissance, et un objectif de long terme de la Commission européenne à rediscuter : cela fait un beau projet pour les années qui viennent, monsieur le ministre ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs généraux, la politique est extraordinaire, puisque nous avons les mêmes chiffres, mais nos interprétations diffèrent. (Sourires.) En fait, vous verrez, monsieur le ministre, que nous faisons les mêmes constats et concentrons nos inquiétudes sur les mêmes sujets.

Depuis 2011, les programmes de stabilité budgétaire sont transmis à la Commission européenne non en décembre, c’est-à-dire après la discussion budgétaire, mais au plus tard à la fin du mois d’avril.

L’article 14 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, introduit sur l’initiative du Sénat, dispose que, « à compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne […], le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ».

Malgré cet article, un débat n’a pas toujours eu lieu chaque année au Parlement : en 2012 et en 2017, en raison de la suspension des travaux parlementaires pendant les campagnes présidentielles, mais aussi en avril 2015, François Hollande craignant le vote des députés frondeurs. Pour rappel, l’article 49.3 de la Constitution sera utilisé deux mois plus tard, en juin 2015, sur le projet de loi d’Emmanuel Macron pour la croissance et l’activité. On l’avait oublié !

En 2018, le débat aura bien lieu au Parlement, dans les deux chambres. Le groupe Les Républicains s’en félicite. Cependant, comme par le passé, aucun vote n’aura lieu au Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, ce que notre groupe dénonce à chaque débat. Résolument, monsieur le ministre, le nouveau monde ne semble guère différent de l’ancien…

Pour en venir au fond, ce nouveau programme de stabilité vise notamment à reprogrammer l’objectif de déficit public de la France pour les années 2018 à 2022, afin de tenir compte des résultats de l’année 2017, actant un retour de la croissance, trois mois seulement après la publication de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 du 22 janvier dernier.

L’amélioration du déficit public en 2017, dont se prévaut le Gouvernement, est essentiellement due à des facteurs exogènes : le retour de la croissance en Europe et des taux d’intérêt bas. Malgré une reprise économique plutôt solide en 2017 – quelque 2 % –, la croissance française demeure encore en deçà de la moyenne européenne : 2,3 % en moyenne prévue en 2017 dans la zone euro et 2,4 % dans l’Union européenne.

Le programme de stabilité prévoit une plus forte croissance en 2018 et en 2019 que ce qui était prévu dans la loi de programmation : 2 % et 1,9 % au lieu de 1,7 %. Nous ne contestons pas ces hypothèses, que le Haut Conseil des finances publiques juge d’ailleurs réalistes. Les prévisions sont en effet dans la moyenne de celles des économistes.

Pour 2018, alors que le Gouvernement table sur 2 %, l’OCDE prévoit 2,2 %, le FMI 2,1 %, la Commission européenne 2 % et la Banque de France 1,9 %. Le Haut Conseil des finances publiques émet toutefois des réserves sur les hypothèses de long terme du Gouvernement, qui estime que la croissance effective sera continûment supérieure à la croissance potentielle, atteinte lorsqu’un pays utilise au maximum ses capacités de production.

Selon le Haut Conseil, ce scénario est « optimiste ». Je le cite : « le contexte macro-économique comporte plusieurs facteurs […] d’incertitude pouvant affecter l’activité mondiale et européenne. » En outre, « la poursuite de la hausse des cours du pétrole et de l’appréciation de l’euro pourrait affecter la croissance de la zone euro. Celle-ci pourrait également pâtir des incertitudes qui caractérisent la situation politique de certains pays et les conditions du Brexit. »

Le déficit public, qui s’établit à 2,6 % en 2017, retrouve son niveau d’avant la crise, qui était de 2,5 % en 2007. Néanmoins, ce recul significatif de 0,8 point par rapport à 2016 repose exclusivement sur une conjoncture favorable : les prévisions de croissance et d’élasticité des recettes ont été révisées, sans quoi le déficit aurait été de 3,3 % en 2017, bien au-dessus des 3 %. Les recettes ont cru plus vite, de 4 %, que les dépenses, de 2,5 %.

Rappelons que 2 % de croissance et 1 % d’inflation en 2017, ce sont 40 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales de plus dans les caisses de l’État ! Souvenons-nous, cher Claude Raynal, que le président Nicolas Sarkozy avait, pour sa part, connu un effondrement des recettes publiques de 42 milliards d’euros en 2008 et en 2009. Le contexte économique n’a donc rien à voir et il est aujourd’hui extrêmement favorable.

Toutefois, cette amélioration ne doit pas cacher le fait que la France demeure en queue de peloton européen. En Allemagne, les comptes sont en excédent budgétaire depuis 2014. La moyenne du déficit public se situera entre 0,9 % et 1,1 %, soit autour de 1 % seulement, dans la zone euro en 2017. Avec 2,6 %, nous en sommes encore très loin !

Je rappelle en outre que la France est, avec le Portugal, le pays européen qui a passé depuis 2002 le plus d’années en procédure de déficit excessif, même si vous n’y pouvez rien. Gardons-nous par conséquent de tout satisfecit qui serait exagéré, voire déplacé…

La Cour des comptes a de surcroît rappelé en janvier 2018 que « même avec un déficit ramené sous la barre des 3 %, la France continue de présenter une situation financière plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires de la zone euro. » Aussi, « les conditions à réunir pour atteindre les objectifs » de réduction du déficit fixées par le Gouvernement pour les prochaines années « sont nombreuses et loin d’être acquises ».

Pourtant, à la suite des résultats de l’année 2017, le Gouvernement a fortement révisé ses prévisions de déficit, avec de nouveaux pronostics beaucoup plus optimistes, un déficit inférieur à celui prévu en janvier de 0,3 point en 2018 puis 0,6 point les autres années, aboutissant même à un excédent en 2022, ce qui serait du jamais vu depuis 1974.

Monsieur le ministre, vous prévoyez par ailleurs un déficit public structurel inférieur de 0,2 point chaque année, alors même que l’effort structurel serait désormais deux fois inférieur en 2018 à ce qui était prévu en janvier : de 0,1 % seulement après 0 % en 2017 – autrement dit, aucune amélioration –, alors que cet effort structurel est reporté essentiellement en fin de quinquennat, nous l’avions déjà souligné lors du débat budgétaire. La conjoncture très favorable devrait au contraire vous inciter à engager l’effort structurel dès à présent, sans plus attendre.

Les nouvelles prévisions du programme de stabilité confirment par ailleurs que la réduction du déficit durant le quinquennat reposerait essentiellement sur l’excédent budgétaire des collectivités territoriales et de la sécurité sociale.

L’État et les administrations centrales resteraient en déficit, de 3,1 % en 2018 à 1,2 % en 2022, alors que les administrations publiques locales seraient excédentaires de 0,1 % en 2018 à 0,7 % en 2022 et les administrations de sécurité sociale de 0,7 % en 2018 à 0,8 % en 2022.

Un autre point nous inquiète dans ce projet de programme de stabilité : les nouvelles prévisions de taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires sont bien supérieures à ce qui était prévu en janvier dans la loi de programmation. Ainsi, pour 2018, le taux de dépenses publiques est révisé, en l’espace de trois mois seulement, de 53,9 % à 54,4 %, soit 0,5 point de plus ! Vous vous en êtes expliqué.

Encore ce dérapage n’inclut-il pas le coût de la suppression totale de la taxe d’habitation et de la reprise d’une partie de la dette de la SNCF, deux mesures annoncées par le Président de la République… Cela a été relevé par tous les groupes politiques. Or ces mesures vont peser très lourdement sur nos dépenses et creuser un peu plus le déficit et la dette, puisque leur coût se situe dans une fourchette, excusez du peu, estimée entre 20 milliards d’euros et 60 milliards d’euros !

Quant au niveau des prélèvements obligatoires en 2018, il est quant à lui révisé à la hausse, de 44,3 % à 45 %, soit 0,7 point de plus. C’est contraire à ce que vous nous disiez tout à l’heure, monsieur le ministre. En 2022, il est relevé de 43,6 % à 44,3 %, soit un niveau en fin de quinquennat quasi équivalent à celui de la fin de quinquennat de François Hollande : 44,6 % en 2016. Il convient en effet de rappeler que la hausse de la fiscalité énergétique va représenter 14,2 milliards d’euros d’alourdissement de la fiscalité sur les ménages et la hausse de la CSG 22,5 milliards d’euros.

Je souhaite la réalité des chiffres plutôt que celle des mots ! Quand Emmanuel Macron se prévaut auprès des Français de baisser les impôts, la réalité est implacable : nous aurons à la fin de son quinquennat le même niveau de fiscalité qu’en 2016 sous François Hollande, soit le plus haut niveau d’Europe.