PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. Par lettre en date de ce jour, M. le président du Conseil constitutionnel m’a communiqué une décision rendue le 12 février 2015, par laquelle le Conseil constitutionnel a réformé la proclamation du résultat des opérations électorales qui ont eu lieu le 28 septembre 2014 dans le département de Vaucluse.

Par cette décision, l’élection de Mme Geneviève Jean en qualité de sénatrice du département de Vaucluse a été annulée et M. Alain Dufaut a été proclamé élu en qualité de sénateur du département de Vaucluse. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Didier Guillaume. Un peu de retenue !

M. Roland Courteau. C’est scandaleux !

M. le président. Acte est donné de cette communication.

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Questions d'actualité au Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.

Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3 et Public Sénat.

Je rappelle également que l'auteur de la question dispose de deux minutes trente, de même que la ou le ministre pour sa réponse.

plan de charge des entreprises industrielles dans le secteur ferroviaire

M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe UDI-UC.

M. Jean-François Longeot. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Le comité stratégique de la filière ferroviaire qui s’est réuni le 12 novembre dernier dresse un constat alarmiste au regard du plan de charge prévisionnel, qui s’effondre progressivement pour les années 2015 et 2016 et de manière stricte à partir de 2017. Nous avons devant nous un énorme problème d’emplois, que nous n’avions jamais rencontré avec une telle ampleur et une telle rapidité. Nous risquons de ne pas pouvoir maintenir nos compétences ferroviaires en France et d’atteindre un point de non-retour.

D’un point de vue social, et pour n’évoquer que le personnel sur matériel roulant, le comité stratégique estime que, si les projets TGV, TET et TER ne sont pas maintenus à un niveau minimal d’activités, l’emploi d’environ 15 000 salariés sera directement menacé en France d’ici à 2018.

Dans une récente lettre du 5 février dernier, il est ainsi précisé qu’Alstom est prêt à lancer ses plans de départ et que Belfort sera le premier site touché. Ceux de La Rochelle et de Reichshoffen devraient suivre. C’est un séisme qui va s’abattre sur le site historique d’Alstom à Belfort, puisque 320 des 600 salariés devraient se voir imposer un plan de départ.

Néanmoins, des solutions existent. Elles sont d’ailleurs proposées par certains syndicats. Il s’agit notamment de remettre en place l’écotaxe pour permettre le financement du ferroviaire. Si aucune décision positive n’est prise aujourd’hui pour le ferroviaire, ce sera une véritable catastrophe pour Alstom, leader français du ferroviaire et entreprise à la pointe de la technologie.

Ma question est la suivante : que devient la politique ferroviaire dans le cadre d’un Grenelle de l’environnement dont nous aurions perdu les objectifs initiaux ? L’écotaxe a été supprimée... Le Gouvernement doit absolument réagir très vite. Nous attendons – c’est crucial – des réponses réalistes pour la filière ferroviaire de la part de celles et ceux qui nous gouvernent. Trop d’emplois sont en jeu, ainsi que des compétences qui pourraient à tout jamais disparaître en France. Il y va de la responsabilité de l’État et des services publics.

M. le président. Il faut conclure !

M. Jean-François Longeot. Si aucune décision positive pour le ferroviaire n’est prise dans les tout prochains mois, ce sera une catastrophe sociale pour Alstom, le leader français du ferroviaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser Emmanuel Macron, qui est retenu par l’examen du projet de loi pour la croissance et l’activité.

Nulle place pour l’alarmisme. L’industrie ferroviaire française est l’un de nos fleurons. Sa compétence est largement reconnue, puisqu’elle occupe le troisième rang mondial. Il fallait encourager les coopérations dans le secteur. Ces coopérations sont nécessaires, car elles sont créatrices de valeur. C'est la raison pour laquelle, à la fin de l’année 2012, le Gouvernement a créé l’organisme Fer de France, qui fédère l’ensemble des acteurs du rail.

Notre politique ferroviaire poursuit deux objectifs : donner une meilleure visibilité sur les perspectives de plan de charge en France et accroître la performance de la filière à l’export.

S'agissant du premier objectif, pour préserver l’emploi, il faut investir. Les investissements majeurs soutenus par l’État et les régions au cours des dernières années commencent à porter leurs fruits. Ils ont déjà permis de moderniser considérablement l’offre ferroviaire en France.

M. Charles Revet. On voit que vous ne prenez pas souvent le train !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Grâce à la mobilisation du Gouvernement, ces efforts se poursuivent dans de nombreux domaines. Par exemple, dans le cadre du projet de Grand Paris, près de 32,5 milliards d'euros sont investis par l’État, la région et les autres collectivités. Il s’agit de construire plus de 200 kilomètres de lignes nouvelles pour le réseau Grand Paris Express,…

M. Charles Revet. Paris, ce n’est pas la France ! Il faut penser à toute la France !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. … mais aussi de moderniser et de prolonger les réseaux existants.

Plusieurs appels d’offres très importants sont en cours ou en passe d’être lancés par la SGP, la RATP et la SNCF. Par exemple, un marché de 2 milliards d'euros a été attribué à Alstom pour la livraison de rames de métros sur pneus destinées au réseau du Grand Paris.

M. Roger Karoutchi. L’État n’y est pour rien !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Concernant les TER et les TET, le secrétaire d’État chargé des transports a installé le 19 novembre dernier la commission sur l’avenir des trains d’équilibre du territoire. Cette commission est présidée par Philippe Duron ; elle a pour mission de clarifier l’offre des TET.

M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Concernant les TGV, la stratégie de la SNCF est de participer activement au plan industriel « TGV du futur ». En France comme à l’étranger, le train français regarde vers l’avenir. Il a de beaux jours devant lui, parce qu’il se modernise.

mutuelles étudiantes - lmde

M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. Ma question s'adresse à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Ce lundi 9 février, l’administratrice provisoire nommée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en juillet dernier a obtenu que La Mutuelle des étudiants, ou LMDE, soit placée sous sauvegarde de justice afin d’éviter une procédure de liquidation judiciaire. Cette démarche n’est malheureusement pas surprenante, puisqu’elle nous avait été annoncée ici, au Sénat ; les salariés que nous avions auditionnés la redoutaient.

Cette procédure gravissime aurait pu être évitée si le Gouvernement et les ministres chargés de ce dossier avaient accepté de regarder la situation réelle de LMDE au lieu de faire l’autruche. Les alertes sur les dysfonctionnements n’ont pourtant pas manqué : plus d’une centaine de questions de parlementaires de tous bords – je dis bien « de tous bords » –, le rapport sénatorial que Ronan Kerdraon et moi-même avons remis en 2012, le rapport publié en 2013 par la Cour des comptes et les recommandations du Défenseur des droits.

Il y a de quoi être triste, car cette descente aux enfers pour les étudiants et les salariés n’aurait pas eu lieu si le Gouvernement s’était impliqué. Cependant, il a préféré céder aux anciens de LMDE promus à des postes clefs dans les ministères, qui ont délibérément bloqué l’évolution d’un système archaïque devenu kafkaïen.

Un sénateur du groupe UMP. C’est du joli !

Mme Catherine Procaccia. Alors que la mutuelle est depuis sept mois sous administration provisoire pour ses activités de mutuelle santé, comment croire que six mois supplémentaires vont sauver ce régime si unique, si exceptionnel qu’il n’existe nulle part ailleurs dans le monde ?

Non seulement LMDE a 35 millions d'euros de dette, mais elle doit 35 millions d'euros de soins non remboursés aux étudiants, alors même que l’État la rémunérait pour cette mission !

Mme Catherine Procaccia. Les étudiants sont d’autant plus inquiets que cela fait plusieurs années qu’on leur promet des cartes Vitale et des remboursements qui n’arrivent pas malgré les plans de sauvegarde successifs.

La solution que vous choisissez, madame la ministre, est étrange : d’ici au mois de juillet, le régime général va devoir être capable de gérer les 920 000 jeunes de LMDE. Et vous espérez qu’un assureur accepte de reprendre l’activité de complémentaire santé !

Aujourd’hui, puisque aucun ministre ne s’est exprimé depuis lundi sur cette situation, j’attends votre réponse : pourquoi voulez-vous maintenir une coquille vide appelée « LMDE »,…

M. le président. Il faut conclure !

Mme Catherine Procaccia. … alors qu’il serait si simple que les étudiants dépendent directement du régime général ? Si, dans six mois, le juge refusait le plan proposé, quel serait votre scénario alternatif ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Le Gouvernement est extrêmement attaché à ce que les étudiants soient pris en charge dans de bonnes conditions. C’est pour cette raison que, dès l’année 2013, compte tenu des difficultés que vous évoquez, madame la sénatrice, et que nous connaissons toutes et tous, nous nous sommes engagés pour accompagner le processus de réorganisation de LMDE,…

M. Philippe Dallier. Bel euphémisme !

Mme Marisol Touraine, ministre. … avec un double objectif : d'une part, permettre une bonne gestion du régime étudiant de sécurité sociale, parce que c’est une exigence, et, d'autre part, améliorer significativement la qualité du service rendu aux étudiants, parce que – ce n’est un mystère pour personne – le service rendu n’est pas aujourd'hui de la qualité que l’on peut espérer. C’est d'ailleurs pour atteindre ce double objectif que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a nommé une administratrice provisoire, qui a d'ores et déjà fait état de premiers résultats positifs.

Quelle est la situation ? Je vais vous l’indiquer de la façon la plus simple et la plus claire possible. Comme vous le savez, LMDE gère à la fois le régime de base et, pour les étudiants qui le souhaitent, la complémentaire santé. Pour ce qui est du régime de base, des discussions sont engagées avec la Caisse nationale d’assurance maladie afin de déterminer les modalités d’une délégation de la gestion de cette activité. Le Gouvernement souhaite que ces discussions aboutissent le plus rapidement possible.

En ce qui concerne la complémentaire santé, l’avenir de LMDE passe par un partenariat renouvelé. Plusieurs offres mutualistes existent. Il faut les explorer. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’administratrice provisoire a demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Il s’agit d’une mesure conservatoire, qui doit permettre de consolider le régime.

Je veux dire aux salariés de cette mutuelle que nous sommes évidemment très attentifs à leur situation. C’est bien dans l’intérêt de la prise en charge des étudiants que nous travaillons. Madame la sénatrice, nous nous plaçons dans la perspective d’une réussite des négociations en cours. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Christian Cambon. Avec ça, ils sont rassurés…

effets de la loi « croissance et activité » pour la ruralité

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand, pour le groupe du RDSE.

M. Alain Bertrand. Ma question s'adresse à M. Macron.

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Il n’est pas là !

M. Alain Bertrand. Ça ne fait rien, il y a le Premier ministre et d’autres ministres…

Ma question porte sur le projet de loi pour la croissance et l’activité et, plus exactement, sur certains risques qu’il peut faire peser sur les territoires ruraux.

Ce texte comporte de bonnes dispositions pour l’avenir économique de la France, mais d’autres mesures peuvent avoir des effets néfastes dans certains territoires. Ce qui est bon pour Paris, Lyon, Marseille ou Lille peut être très mauvais pour Mende, Guéret, Mauléon-Licharre, Joinville, Decize, Vittel ou Digne.

Je m’inquiète particulièrement de la réforme des professions réglementées : notaires, avocats, huissiers et demain pharmaciens. Par exemple, l’extension de la postulation des avocats aux ressorts des cours d’appel provoquera une véritable désertification judiciaire de l’hyper-ruralité par la disparition des petits barreaux, dont les membres seront économiquement incapables de maintenir leur activité.

La Lozère court ainsi le risque de se voir « expurgée », par le jeu de la concurrence économique, de ses cabinets locaux indépendants au profit de plus gros cabinets situés à Clermont-Ferrand, Montpellier ou Toulouse. Ces cabinets travailleront à distance grâce à la numérisation des communications procédurales. À terme, et c’est très grave, cela peut remettre en cause l’existence du tribunal de grande instance et de la maison d’arrêt.

Le même constat peut s’appliquer aux notaires ou aux huissiers. On nous annonce que leur nombre sera multiplié, mais cette inflation les empêchera d’avoir des recettes suffisantes pour maintenir leur charge, ce qui aura des effets catastrophiques.

À cela s’ajouterait demain – même si je sais que vous allez faire attention, monsieur le ministre – la réforme en préparation des officines de pharmacie, dont l’équilibre économique, en hyper-ruralité, est déjà quasiment impossible.

La présence de ces professions dites « réglementées » sur nos territoires est indispensable, car celles-ci garantissent, par l’étendue et le contenu de leur charge,…

M. le président. Il faut penser à conclure !

M. Alain Bertrand. J’y pense. (Rires.)

… la meilleure application des lois républicaines, un quasi-service public, ainsi qu’une protection réelle des droits des plus faibles. Ne privons pas la ruralité d’une partie importante de sa matière grise !

Monsieur le ministre, je soutiens votre projet. Vous qui êtes, me dit-on, très performant, comment allez-vous faire pour adapter votre texte de loi à nos territoires hyper-ruraux ? C’est parfaitement faisable, à condition d’en prendre le temps, et c’est indispensable au regard de l’équité républicaine. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée du numérique.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. La question de la ruralité est au cœur de nos préoccupations collectives. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) C’est aussi une priorité de l’action du Gouvernement.

M. le Premier ministre a été à l’origine des assises de la ruralité.

M. Alain Vasselle. La ruralité est le cadet de vos soucis !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Nous nous réunirons très bientôt pour en faire un premier bilan.

Notre priorité est de créer de l’activité, et ce sur tous nos territoires. Il s’agit de libérer la croissance dans tous les secteurs et de lever les blocages qui pèsent sur le quotidien des Français, où qu’ils se trouvent. Tel est l’enjeu de cette loi de progrès ! Je rappelle qu’elle n’enlèvera rien aux Français et qu’elle ne créera pas de contraintes ; elle va juste offrir des opportunités et de nouveaux droits. Il s’agit bien d’une loi de modernisation, qui répond aux modes de vie contemporains de nos concitoyens, y compris dans les zones rurales.

Prenons quelques exemples.

L’essor des lignes d’autocars doit permettre de favoriser la mobilité. Par là même, il favorisera la mobilité dans les zones les moins bien desservies de notre territoire et il créera de véritables parcours intermodaux de transports collectifs.

Soyons réalistes, c’est un vrai problème pour nos concitoyens des zones rurales qu’il soit impossible de se rendre facilement où l’on souhaite sans prendre un véhicule individuel, par exemple pour rejoindre Nantes depuis Bordeaux.

M. Didier Guillaume. Pour aller à Mende depuis Alès !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Quelques chiffres pour illustrer mon propos : l’an dernier, en France, 110 000 personnes ont voyagé en autocar ; en Allemagne, elles étaient 8 millions et, dans un pays que je connais bien, le Royaume-Uni, elles étaient 30 millions. Ne croyez-vous pas que nous allons favoriser le déplacement et la mobilité au sein des zones rurales grâce à cet essor des lignes d’autocars ?

M. Alain Vasselle. Nous sommes sauvés !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez parlé des professions réglementées du droit. Le projet de loi comporte des mesures spécifiques pour améliorer le maillage territorial de ces professions. La carte actuelle des densités est très inégale, et la liberté d’installation encadrée va la rendre plus juste.

M. le président. Il va falloir conclure !

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. J’aurais pu vous parler aussi de la réforme de l’ouverture dominicale des commerces, qui va dynamiser les centres-bourgs. À ce sujet, il faut bien avoir à l’esprit qu’internet ne ferme pas le dimanche ! (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Il faut donc donner à nos commerces de proximité les moyens de se développer. Le projet de loi pour la croissance et l’activité bénéficiera à tous, y compris aux zones rurales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

réforme de l'islam et formation des imams

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe écologiste.

Mme Esther Benbassa. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Les événements dramatiques du début de cette année ont remis au cœur du débat public deux questions liées : celle d’une réorganisation de l’islam de France et celle de la formation du personnel de ce culte.

Le Président de la République a récemment reconnu que le Conseil français du culte musulman, le CFCM, n’avait « pas la capacité suffisante de faire prévaloir un certain nombre de règles, de principes, partout sur le territoire ».

Le CFCM, fondé en 2003, était destiné à représenter les musulmans en France. Dès 2005, Soheib Bencheikh, alors mufti de Marseille, jugeait qu’il s’était transformé « en un enjeu de pouvoir où l’on discute de tout, sauf de spiritualité musulmane ».

Dix ans après, M’hammed Henniche, secrétaire général de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis, fait un diagnostic plus sévère : « Le CFCM, honnêtement, il faut l’oublier. » Les fédérations représentées au bureau ne seraient, selon lui, que « les relais de consulats ou d’une idéologie étrangère ».

La question de la formation des imams et des aumôniers est l’autre face du même problème. En 2014, notre pays comptait 2 000 lieux de culte, mais seulement 600 à 800 imams salariés, dont 300 n’ayant pas la nationalité française, ne parlant pas le français, et rémunérés par les pays qui les envoient. Or seuls des imams dûment formés pourront faire barrage aux dérives que nous déplorons.

M. André Gattolin. Très bien !

Mme Esther Benbassa. Face à internet et aux prédicateurs autoproclamés, ils doivent pouvoir dispenser des prêches de qualité, en français, accessibles aux jeunes.

La création d’un établissement supérieur de théologie musulmane me semble être une urgence. L’université de Strasbourg, par exemple, abrite des facultés de théologie catholique et protestante intégrées au système universitaire français et répondant à ses critères de rigueur et de compétence. Pourquoi ne pas imaginer une solution de ce genre pour l’islam et la formation de ses imams ?

Monsieur le Premier ministre, quelles avancées concrètes le Gouvernement envisage-t-il enfin en ce domaine ? Une réflexion orientée vers l’action, associant représentants du culte musulman, ministères concernés et parlementaires n’est-elle pas urgente ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, rappelons d’abord une évidence : l’islam est la deuxième religion de France et, j’imagine que chacun ici sera d’accord avec ce qui représente un défi pour notre société, il a toute sa place dans la République.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre. Je sais que, depuis janvier, nos concitoyens de confession et de culture musulmanes sont soumis à de fortes tensions. Ils s’inquiètent, à juste titre, de la flambée des actes de violence – actes intolérables ! – dirigés contre l’islam ; ils ont aussi parfois le sentiment de devoir se justifier d’un acte auquel ils sont parfaitement étrangers. Ces inquiétudes sont légitimes, et la République leur doit protection, comme à chacun de nos concitoyens.

Madame Benbassa, vous posez la question de l’organisation de l’islam de France et de sa représentativité. Il ne s’agit pas d’un débat nouveau : ce sujet a déjà fait l’objet de nombreuses réflexions et de décisions des ministres de l’intérieur depuis plus d’une vingtaine d’années. Oui, il y a un chemin pour renforcer cette représentativité ! Ce chemin, il doit s’accomplir au sein de la République, c’est-à-dire dans le cadre de la laïcité, des valeurs de notre pays, où la séparation entre l’État et les cultes doit être particulièrement claire : les cultes s’administrent librement.

Pour sa part, comme vous le savez, l’État ne reconnaît aucun culte, ce qui ne veut pas dire qu’il les ignore et qu’il se désintéresse de leur fonctionnement. En l’occurrence, il ne peut pas ignorer la situation que connaît l’islam de France. L’État a besoin d’interlocuteurs, et la République doit nourrir un dialogue riche et fructueux avec tous les cultes.

Tel est le sens de la laïcité : il s’agit non pas d’un dogme intolérant ou d’une religion d’État, mais d’un principe de droit et d’une méthode. C’est aussi, je le rappelle, une valeur, mais c’est surtout le cadre dans lequel doit aboutir la réflexion sur l’organisation du culte musulman, comme l’a indiqué le Président de la République dans sa conférence de presse du 5 février 2015.

Comme vous l’avez dit, la formation des imams est un enjeu essentiel, mais, et j’y reviendrai, ce n’est pas le seul. Les imams doivent en effet maîtriser leur matière théologique. Les instituts où elle est enseignée doivent être solides et reconnus dans leur domaine. Il faut donc encourager leur rapprochement des règles et des standards académiques des établissements d’enseignement supérieur, pas seulement en Alsace et en Moselle, où l’exception concordataire rend sans doute les choses plus aisées, mais partout en France. C’est un débat que nous avons avec le ministre de l’intérieur et la ministre chargée de l’enseignement supérieur.

Il faut également que les ministres de culte comprennent et fassent partager les valeurs de la République, telles que, par exemple, la laïcité ou l’égalité entre les hommes et les femmes. Six établissements d’enseignement supérieur proposent déjà des diplômes universitaires de formation civile et civique. Ces formations sont une étape incontournable dans le parcours des futurs imams, en particulier lorsqu’ils sont appelés à exercer des fonctions d’aumônier. Nous avons d’ailleurs décidé d’augmenter le nombre d’aumôniers musulmans dans les prisons.

Cela étant, je pense que résoudre le problème de la formation ne suffira pas à être à la hauteur du défi. Il faut mettre tous les sujets sur la table, en lien très étroit avec les représentants du culte musulman, en respectant nos concitoyens de confession musulmane et avec le souci de la vérité.

Tareq Oubrou, dans le journal Le Monde daté du 13 février, précise qu’un gouvernement qui se réclame de la laïcité et de la séparation entre l’État et les cultes fait face à un défi compliqué ; il reconnaît lui-même qu’il faut une refonte de la théologie musulmane. Ce défi considérable est non seulement celui de la France, mais également celui du reste de l’Europe et du monde : nous devons faire la démonstration que, dans notre pays ou dans les autres pays européens, l’islam est fondamentalement compatible avec les valeurs que je viens de rappeler.

N’hésitons pas à poser toutes les questions. Par exemple, comment accepter que l’islam de France reçoive des financements d’un certain nombre de pays étrangers, quels qu’ils soient ? Poser cette question signifie qu’il faudra y répondre en prenant des mesures pour empêcher ces financements, notamment quand ils confortent certains comportements. Je le répète, il faut mettre tous les sujets sur la table : celui du financement des lieux de culte et des activités liées au culte, celui des dérives radicales, celui de la sécurité et de la sérénité, auxquelles les musulmans de France ont droit, comme tous les citoyens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, allons même encore plus loin et prenons position dans le débat, que j’estime majeur, au sein même de l’islam. Nous devons désigner ceux qui, aujourd’hui, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de notre pays, cherchent à changer la face de l’islam, comme c’est le cas dans de nombreux pays, sur plusieurs continents du monde. Par exemple, il faut s’inquiéter de l’influence des Frères musulmans et d’un certain nombre de groupes salafistes qui prospèrent dans nos quartiers, et pas uniquement là où l’on imagine les trouver. Ainsi, l’attraction de ces groupes dans la mouvance tchétchène est particulièrement inquiétante.

Les services de renseignement et de sécurité doivent mener leur propre mission, mais, parallèlement, l’État doit aussi soutenir et aider un travail intellectuel, philosophique, théologique. Il s’agit d’un débat fondamental pour l’islam.

Cette réflexion sur l’organisation du culte appartient d’abord, bien sûr, aux musulmans de France : responsables religieux, intellectuels, qui n’ont jamais été suffisamment associés à ces travaux, acteurs associatifs, citoyens. Il faut également agir sur d’autres terrains, notamment celui d’internet, où est en train de se créer un islam imaginaire, comme me l’a dit un responsable du culte musulman, voilà quelques jours, à Marseille.

Bernard Cazeneuve engagera dans les prochains jours un cycle de consultations très larges sur ces sujets. Le Conseil français du culte musulman y sera bien entendu associé, mais cette consultation doit être plus vaste.

Je veux dire ici, au Sénat, que le Gouvernement est déterminé à faire des propositions en termes d’organisation du culte musulman qui iront bien au-delà des dispositifs bricolés pris jusqu’ici, qui ont pu parfois nous coûter très cher. Je pense par exemple qu’on ne peut pas passer d’accords avec des organisations qui ne reconnaissent pas les valeurs de la République. S’il y a un modèle que nous devons essayer de construire, c’est celui d’un islam totalement intégré et totalement compatible avec les valeurs de la République.

Les responsables politiques s’honoreraient en traitant ensemble cette question. Ils doivent avoir le souci de réussir et de ne pas en faire un enjeu électoral, sinon nous savons parfaitement à qui profiterait une telle attitude : à ceux qui prônent la division et aggravent les fractures dans notre pays. Si nous voulons réussir ce défi, nous devons être capables de mener ensemble une réflexion de très grande qualité, ce qui est essentiel pour la France et pour l’islam, tant en France qu’en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE, du groupe CRC, de l’UDI-UC et de l’UMP.)